Winterreise : l'importance de l'ordre des lieders ?

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nox
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Winterreise : l'importance de l'ordre des lieders ?

Message par nox »

Je suis depuis longtemps en admiration de ce cycle du Winterreise de Schubert, que je trouve bouleversant.
Et j'ai notamment toujours été profondément ému par le fait que ce cycle se termine avec "Der Leiermann", vision totalement fantomatique au bout de la misère et de la solitude.
Je me demande pourquoi Liszt a modifié cet ordre, et dans sa transcription "Der Leiermann" ne clôture plus le cycle, et est même associé avec "Täuschung".

A votre avis, pourquoi ce changement, qui selon moi impacte tellement le message du cycle ? Je précise que je n'ai pas la réponse...mais si quelqu'un a un avis, je tente ma chance...
RémiGernet
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Re: Winterreise : l'importance de l'ordre des lieders ?

Message par RémiGernet »

nox a écrit : ven. 08 sept., 2023 18:26 Je suis depuis longtemps en admiration de ce cycle du Winterreise de Schubert, que je trouve bouleversant.
Et j'ai notamment toujours été profondément ému par le fait que ce cycle se termine avec "Der Leiermann", vision totalement fantomatique au bout de la misère et de la solitude.
Je me demande pourquoi Liszt a modifié cet ordre, et dans sa transcription "Der Leiermann" ne clôture plus le cycle, et est même associé avec "Täuschung".

A votre avis, pourquoi ce changement, qui selon moi impacte tellement le message du cycle ? Je précise que je n'ai pas la réponse...mais si quelqu'un a un avis, je tente ma chance...
Merci pour ton message nox. Liszt ne me semble pas avoir transcrit tout le cycle si ? Ça expliquerait le problème que tu soulèves...
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quazart
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Re: Winterreise : l'importance de l'ordre des lieders ?

Message par quazart »

Liszt n'a transcrit que 12 des 24 lieder, je me pose la même question que Rémy, et avant cela pourquoi seulement la moitié du cycle ?
La reprise de "la matinée orageuse" après 'im Dorfe" permet de finir sur une note virtuose...??...
Modifié en dernier par quazart le sam. 09 sept., 2023 19:22, modifié 1 fois.
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quazart
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Re: Winterreise : l'importance de l'ordre des lieders ?

Message par quazart »

nox a écrit : ven. 08 sept., 2023 18:26 Je suis depuis longtemps en admiration de ce cycle du Winterreise de Schubert, que je trouve bouleversant.
Et j'ai notamment toujours été profondément ému par le fait que ce cycle se termine avec "Der Leiermann", vision totalement fantomatique au bout de la misère et de la solitude.
Je me demande pourquoi Liszt a modifié cet ordre, et dans sa transcription "Der Leiermann" ne clôture plus le cycle, et est même associé avec "Täuschung".

A votre avis, pourquoi ce changement, qui selon moi impacte tellement le message du cycle ? Je précise que je n'ai pas la réponse...mais si quelqu'un a un avis, je tente ma chance...
Réflexion faite, la question va au-delà de l'ordre des lieder...
Liszt ne s'est pas contenté de transcrire, pour la plupart d'entre eux il réécrit complètement ces lieder, change souvent la tonalité, les "réhabille"... les assemble parfois entre eux.
Il est toujours extrêmement fidèle au texte mais il se l'approprie complètement pour en tirer bien autre chose qu'une simple transcription.
Il a peut-être simplement suivi l'ordre dans lequel il a transcrit ? Ou bien il a suivi son inspiration ? Voulu imprimer là aussi sa marque personnelle ?
Même si le cycle "Chant de cygne" est un assemblage a posteriori de lieder disparates, Liszt modifie aussi la séquence.
nox
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Re: Winterreise : l'importance de l'ordre des lieders ?

Message par nox »

Merci pour vos avis.
Oui Liszt n'a pas transcrit tout le cycle. Mais pour moi ça n'explique pas plus pourquoi l'ordre a été modifié.
Finir par "Der Leiermann" je trouve ça tellement fondamental, c'est un message si fort de Schubert. Je pense qu'on ne peut pas changer ça sans une raison forte. Alors en plus lier ce Lied avec le lumineux Täuschung...

J'ai trouvé ce descriptif proposé pour le disque de Leslie Howard chez Hyperion.
Bon...pourquoi pas..Mais c'est quand même selon moi une trahison de l'oeuvre originale. Et pourtant, les plus anciens le savent : je suis un passionné de Liszt.
Qu’il est dommage que Liszt n’ait pas transcrit le cycle entier de Winterreise! Ses Zwölf Lieder von Franz Schubert—[aus] Winterreise sont exactement de la même qualité excellente que ses transcriptions de Schwanengesang, et ne posséder que la moitié du cycle est désespérant, même si la sélection et l’arrangement de celui-ci ont leur propre histoire à raconter. Ceci n’est pas la bonne place pour entrer trop en profondeur dans l’histoire du cycle original de Schubert, D911, mais ce dernier fut composé en deux explosions de créativité en 1827, d’après les poèmes du même Wilhelm Müller, dont les textes nourrissent Die schöne Müllerin. Certains affirment que, au moment où le second recueil de ces chants fut écrit, Schubert aurait dû les remettre en ordre selon l’ordre des poèmes originaux. David Owen Norris a aussi plaidé la remise en ordre des transcriptions de Liszt selon certaines directives similaires.
L’ingéniosité du lecteur de disques compacts moderne permet à l’auditeur modéré d’expérimenter à loisir, mais ici, les transcriptions sont données telles que Liszt les a publiées, et elles comprennent les numéros 1, 23, 22, 13, 4, 6, 5, 24, 19, 21, 18 et 17 du cycle de Schubert. La structure des tonalités de Liszt est typiquement intéressante: ré mineur, si bémol majeur (Schubert, quant à lui, utilise la majeur), sol mineur, mi bémol majeur, do mineur, mi mineur (Schubert utilise fa dièse mineur), mi majeur, la mineur, la majeur, fa majeur et ré mineur/ré majeur/ré mineur. Comme pour les transcriptions de Schwanengesang, Liszt a offert d’autres lectures possibles, mais, dans ce cas seulement, pour cinq des chants (voir Volume 33).

Liszt commence son voyage comme le fait Schubert, par le chant de marche étrangement imaginatif: Gute Nacht éliminant l’avant-dernier couplet, et traitant le morceau comme un thème avec variations. Comme cela revient si souvent, le thème du poète est celui de l’amour rejeté, et Liszt contribue, grâce à une habile description imagée dans son choix de textures fragiles, à dépeindre la Mondenschatten («Ombre au clair de lune»), les rêves tranquilles de la bien-aimée étant laissés à l’arrière-plan. Dans Die Nebensonnen («Soleils factices»), Liszt reprend le chant de Schubert en un couplet et l’allonge en une narration dramatique qui reflète véritablement l’étendue émotionnelle de ce poème épineux: la suffisance d’une illusion d’optique de trois soleils représentant l’échec du poète dans les relations humaines.

Liszt traite Mut («Courage») avec, comme il se doit, une décoration de fête (et il élimine la reprise de l’introduction dans la coda), faisant joyeusement face, avec Müller et Schubert, à la bourrasque des mots. Dans Die Post («La poste»), les battements du cœur du poète s’accélèrent au son de la trompe de la malle-poste, présageant du courrier en provenance de la ville où il connut un jour un amour véritable, sachant qu’il n’y aura pas de lettre pour lui. La mise en musique de Liszt est directe, avec un ou deux soupirs musicaux en plus, et un splendide fracas qui se tourne en dérision à la coda.

Erstarrung («Engourdissement») trouve le poète en proie à la douleur suite à sa perte. La nature, comme son cœur, est gelée, mais si elle venait à fondre, alors l’image intérieure de son amour dans son cœur presque sans vie fondrait elle aussi. Liszt commence délibérément de façon hésitante, avec la mélodie légèrement déplacée par rapport au rythme, mais, tandis que monte l’angoisse du chant, il devient franc et passionné.

Dans Wasserflut («Inondations») le poète s’adresse à la neige du destin de ses larmes tombant dans le dégel: lorsque les eaux d’inondation passeront devant le logis de sa bien-aimée, ses larmes brilleront. Schubert met cela en musique de façon introspective, et Liszt le suit à la lettre. Der Lindenbaum («Le tilleul») est la consolation du poète, son ancre de salut en des temps bons et mauvais, et enfin un lieu de paix retrouvé. Liszt applique un arsenal surprenant d’effets délicats, particulièrement avec des trilles, pour faire apparaître le bruissement des feuilles et la tranquillité naturelle de l’arbre.

Pour ceux qui connaissent bien le cycle de chants, c’est un peu une surprise de trouver Der Leiermann («Le joueur d’orgue de Barbarie») ailleurs qu’à la fin, où la désillusion du poète devient absolue. Cependant, Liszt entrevoit une bonne juxtaposition par rapport au chant suivant, et traite celui-ci comme une simple introduction, passant sans pause à la fausse attraction—si magnifiquement rendue aussi bien par Schubert que par Liszt—de Täuschung («Illusion»), dans laquelle le poète imagine brièvement qu’une lueur amie le mènera hors de ses froides errances vers la chaleur et même vers l’amour.

Das Wirtshaus («L’auberge au bord de la route») est un véritable cimetière, où le poète est prêt à s’allonger, mais son heure n’est pas venue, et il doit poursuivre son chemin. Liszt soutient l’immobile lenteur du chef-d’œuvre de Schubert par une remarquable variété de textures, se permettant finalement lui-même des trémolos et des trilles pour souligner le malheur du repos refusé. Pour conclure, Liszt permet à sa transcription robuste de Der stürmische Morgen («Le matin orageux»)—le poète voit le temps horrible comme une réflexion de son cœur et de son esprit—d’être jouée avant et après Im Dorfe («Dans le village»): le poète n’est pas autorisé à s’attarder parmi les villageois endormis, qui sont capables de se rafraîchir dans les rêves. La transcription de Liszt est, si cela était possible, encore plus touchante dans sa tranquillité que l’original, et le retour violent à la réalité des tempêtes de la vie constitue la solution à son propre voyage personnel.
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