Les sensations psychomotrices au piano

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nox
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par nox »

Okay a écrit :Ces éléments sont bien sûr très importants, mais pas besoin des caricatures ou des témoignages pour sentir que le rapport au piano de Liszt et Schumann est on ne peut plus incomparable.
Tout pianiste comprend ce qu'est de "la musique de pianiste". Je veux dire, rien qu'en déchiffrant Liszt (ou Godowsky, ou Rachmaninov, ou Prokofiev), on voit immédiatement que c'était des pianistes inouis. Lorsqu'on déchiffre Ravel, on comprend qu'on a affaire un pianiste moyen qui n'aurait pas à jouer ses propres oeuvres (elles sont tellement plus difficiles mais ce n'était pas son problème !).
A nouveau, pas besoin de savoir que Liszt est l'inventeur du récital et que Ravel ne s'est quasiment jamais produit pour intégrer ça (il me semble qu'il a seulement créé la sonate pour piano et violon... la violoniste devait alors occuper toute l'attention). Disons que les faits viennent juste confirmer ces impressions, et à nouveau, on est dans le fignolage de l'image esthétique, à ce degré là on est très loin au delà des questions de sensations psychomotrices je pense.
Je n'ai donné que quelques exemples basiques évidemment. Ne m'estimant moi même pas capable d'arriver à ce degré de maîtrise intellectuelle, je suis bien incapable d'expliquer plus précisément comment on y arrive...Comment Aimard arrive-t-il à cette explication ? Ca s'impose à lui naturellement ? Ca suit une réflexion et une recherche plus vaste ? Je ne peux qu'imaginer, je n'en sais rien.
Mais encore une fois, je pense qu'il est essentiel d'avoir une vision et une compréhension globale de ce qu'on fait, et pourquoi on le fait, et je ne parle pas de geste ou de technique pianistique, mais vraiment de choix d'interprétation. Il n'y a que comme ça qu'on peut vraiment maîtriser un morceau majeur du répertoire. C'est mon avis en tout cas.
Okay a écrit : D'autre part, pour la sonate de Liszt en particulier, je dirais au passage que c'est l'une des oeuvres où il s'amusait le moins.
Ah ça c'est certain ! Je n'étais peut-être pas clair dans mon message précédent, mais ce sont évidemment deux exemples bien distincts. La sonate de Liszt, je l'ai justement donnée en exemple pour sa complexité d'interprétation, pas pour l'amusement. Mais ce n'était pas clair je pense.
Mais encore une fois je ne parle pas non plus de connaître forcément le contexte de composition de l'oeuvre, ou l'histoire qui lui est reliée. Ca aussi je ne m'en préoccupe pas la plupart du temps, ou alors juste par curiosité. Pour la sonate de Liszt, j'y vois quelque chose de la Vallée d'Obermann, et c'est un peu la façon dont Liszt perçoit la vieillesse qui m'inspirerait je pense. En tout cas la lecture de ses biographies est un point important.


Je vais formuler plus simplement : ne penses-tu pas que si tu avais personnellement bien connu Beethoven ou Chopin, tu serais bien meilleur interprète de leurs oeuvres ?
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Oupsi
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Oupsi »

Je pense que dans ce contexte, Beethoven dirait à l'interprète, selon les cas : "Vous avez bien compris ma musique!" ou "Vous ne comprenez rien à ma musique!" Et l'interprète ne saurait pas plus "pourquoi".
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Okay
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Okay »

Au delà des aspects pour le moins inhibants d'une telle expérience, non je ne pense pas que je jouerais mieux. Je sens bien Beethoven donner une réponse très manichéenne en effet. Un Forte-Piano à la Beethoven.

Tiens, faut-il avoir une idée des tempéraments opposés de Beethoven et Schubert pour comprendre que cette nuance FP ne se conçoit pas du tout de la même manière chez l'un et l'autre ?
Chez Beethoven, le FP est vraiment brusque, c'est un gros coup de boutoir imprévu (parfois jusqu'à la dureté) puis plus rien. Voilà une image esthétique. Jouer ça comme ça dans le contexte d'une oeuvre de Schubert, c'est du plus mauvais goût car sa musique ne supporte pas de tels heurts. Il faut jouer fort et diminuer plus progressivement, c'est parfois comme un gros accent, rien de plus. Et ce n'est pas la même sensation pianistique ...

De même, pour les oeuvres dont nous avons des enregistrements exploitables des compositeurs (Rachmaninov, Prokofiev, Medtner, Bartok, Poulenc, Debussy, j'ai même découvert 5 minutes du 2e concerto de Saint-Saens by himself), peut/doit-on vraiment s'en inspirer ?
Ce sont des témoignages inestimables, mais franchement, je ne sais pas quoi en faire en tant que pianiste. J'en profite en tant que mélomane d'abord. J'ai écouté en boucle les concertos de Rachmaninov et je connais a peu près leur contexte de composition, c'est pianistiquement passionnant et je connais par coeur ce que le compositeur y fait, mais ce n'est pas quelque chose qui m'a tant influencé (voire pas du tout). Pour autant, je ne pense pas le trahir.

Donc pour recadrer (JPS va halluciner quand il va lire tout ça), je pense toujours que pour avoir une aisance psychomotrice, il est primordial d'avoir une bonne image musicale de l'oeuvre. Mais il n'est pas utile de pousser bien loin la curiosité musicologique/extra musicale pour livrer une belle interprétation. Il y a déjà une myriade de choses à faire sans ça, qui mènent déjà bien loin.
nox
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par nox »

Okay a écrit :Au delà des aspects pour le moins inhibants d'une telle expérience, non je ne pense pas que je jouerais mieux. Je sens bien Beethoven donner une réponse très manichéenne en effet. Un Forte-Piano à la Beethoven.
J'ai dit "connaître intimement Beethoven", pas "avoir son avis après lui avoir joué une de ses oeuvres". C'est très différent :)
Okay a écrit : Donc pour recadrer (JPS va halluciner quand il va lire tout ça), je pense toujours que pour avoir une aisance psychomotrice, il est primordial d'avoir une bonne image musicale de l'oeuvre. Mais il n'est pas utile de pousser bien loin la curiosité musicologique/extra musicale pour livrer une belle interprétation. Il y a déjà une myriade de choses à faire sans ça, qui mènent déjà bien loin.
Je suis d'accord avec ça, mais justement, c'est ce pas qu'il faut franchir pour moi si on veut passer de "je joue bien" à "je suis concertiste".
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JPS1827
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par JPS1827 »

C'est passionnant tout ce que vous dites. Bien sûr je ne peux pas répondre à tout ce qui a été dit. Il y a une chose qui me semble importante, c'est que rares sont les pianistes à qui tous les compositeurs "parlent" spontanément. Je suppose qu'habituellement ils se sont trouvés très jeunes en osmose avec un style, et le reste ils ont dû l'apprendre. Les compositeurs qu'ils ont "compris" très jeunes, ils les ont compris instinctivement, évidemment sans aucune culture philosophique sous-jacente. Les écrits sur la musique, ils les ont lus après, comme nous. Les termes de votre discussion, j'ai un peu tendance à les transposer dans mon langage propre, et je vais essayer de dire comment je sens les choses.
Dans mon enfance, la musique était pour moi quelque chose de complètement métaphorique : telle œuvre exprimait la joie, telle autre la rage, telle autre l'exaltation, telle autre la passion, telle autre le recueillement, telle autre la célébration, telle autre la tristesse ou la méditation. Je n'écoutais que des disques de grands interprètes, et je n'imaginais même pas qu'Yves Nat ait pu ne rien comprendre à un mouvement de sonate de Beethoven, je me bornais à "ne pas aimer" ce mouvement, n'arrivant pas à imaginer qu'il puisse être joué autrement. L'enseignement du professeur que j'ai eu de 10 à 24 ans était basé uniquement sur cet aspect métaphorique : le premier accord de la Pathétique doit sonner "noir", non ce n'est pas assez noir ce que vous jouer, pensez le fatal, pas nécessairement trop fort, puis dans ce qui suit veuillez travailler pour que j'entende toutes les voix, celle qui monte, celle qui descends en miroir et le rythme fatal des notes qui se répètent" etc. Je répondais : "mais je ne le sais pas encore assez bien pour faire tout ça", elle me disait "mais ça n'a rien à voir, vous n'avez pas besoin de le savoir pour donner le caractère". Bien sûr il y avait un travail sur les doigts, des études à jouer, des inventions, puis des préludes et fugues de Bach : "pourquoi faites-vous un sort aussi solennel à ce thème (de la fugue en do mineur du CBT 1)"? "Parce que c'est en ut mineur". "Mais ici vous ne jouez pas Beethoven que je sache"! etc. autant vous dire que sans aucune explication théorique ni philosophique, la perception du sens rentrait petit à petit dans ma jeune tête.

Après quand j'ai repris le piano, j'ai appris qu'on pouvait ne pas se contenter de dire "jouer cet accord le plus noir possible", mais aussi expliquer comment s'y prendre pour que ça sonne "noir". Dans cet exemple précis il était absolument inutile de me l'expliquer, mais pour des musiques qui me parlent moins immédiatement (je pense à Chopin notamment), ça devenait extrêmement précieux (plus que de s'entendre dire "Chopin ne vous va pas très bien, il vaut mieux que vous ayez un Beethoven pour le concours", phrase qui a à peu près rythmé tous mes examens). Donc on passe du domaine de la métaphore à celui de la métonymie, on ne s'intéresse plus exclusivement au signifié, on s'occupe en détail de la façon dont est fagoté le signifiant (j'ai développé cette façon de voir il y a très longtemps après avoir lu le livre d'un psychanalyste qui développait le concept propre au langage "d'oscillation métaphoro-métonymique", c'est à dire de la nécessité d'un aller-retour permanent entre la signification et les moyens employés).
C'est sur ce point que je suis plus en accord avec Okay qu'avec Nox. On peut sentir instinctivement qu'il ne faut pas attaquer les accords de la 3ème sonate de Brahms avec un son trop direct, mais si on ne sent pas ça, on sent sûrement d'autres choses (qui permettent de jouer une valse Chopin par exemple), et on peut apprendre à sentir cela et à le faire correctement puis instinctivement, à la fois en écoutant beaucoup de musique et en ayant des professeurs conscients des enjeux musicaux, mais on n'a pas besoin d'une connaissance particulière du compositeur et de son époque pour le sentir. Je ne pense pas qu'on jouerait mieux Beethoven si on l'avait connu.
En tout cas, tout le monde ici a l'air d'accord pour penser que la justesse de la sensation pianistique vient de l'adéquation du geste à une intention musicale. Et pourtant cette adéquation reste extraordinairement fragile puisqu'un rien suffit à la déstabiliser.
Je n'ai pas encore regardé la vidéo de Pierre Laurent Aimard, j'essaie maintenant (j'ai des problèmes pour voir les vidéos en ce moment sur mon ordi).
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Oupsi
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Oupsi »

@ nox: je ne crois pas que ce soit là où il faille chercher le "plus" qui distingue un musicien concertiste. Ça me fait penser aux profs de littérature que j'avais en classe prépa. Ils décortiquent tout ce que tu veux, ils expliquent tout ce que tu veux, ils dorment avec les fac-similés des manuscrits de Proust sous leur oreiller; ce n'est pas ça qui a fait d'eux des écrivains.
(je n'ai pas le temps de développer, je dois filer)

(Beethoven te dirait peut-être que la meilleure manière de le connaître intimement est de bien jouer sa musique, retour à la case de départ!)
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Okay
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Okay »

Très très intéressant.

Pour être sûr, une métonymie c'est bien la figure de style où par exemple on dit "les voiles disparaissent à l'horizon", où on évoque directement les voiles pour parler du bateau (i.e. une partie du tout qu'on lui susbstitue) ?
Si je te suis bien, le parallèle ici, c'est que la "partie" c'est les moyens employés, et le "tout" c'est l'intention musicale ?

SI c'est bien ça, tu nous livres là une idée drolement puissante sur la nature de la jonction nécessaire entre les dimensions artisanale et purement artistique du piano.
Le corrolaire de ça, c'est que l'enseignement pianistique doit livrer les deux visions ensemble pour que l'apprenti pianiste créé ce lien. "Tel son ou tel effet est approprié dans ce contexte, et voilà la recette pour y arriver."

D'autre part, je suis d'accord avec toi sur les compositeurs de prédiléction. J'ai commencé à vraiment bosser des sonates Mozart et Schubert à 17-18 ans, et Bach en tant que pianiste me pose toujours certains problèmes insolubles (il commence à peine à me parler plus, je garde espoir), alors que plus jeune j'ai appris une quantité disproportionnée de monstruosités du répertoire russe et l'essentiel de l'oeuvre de Chopin ...
Modifié en dernier par Okay le mer. 26 févr., 2014 18:46, modifié 1 fois.
mieuvotar

Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par mieuvotar »

Pour ceux qui suivent ce fil passionnant : Métonymie (selon Wikipédia)
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JPS1827
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par JPS1827 »

@Okay (Mieuvotar a posté pendant que j'écrivais) : C'est exactement ça ! et quand je dis que je n'ai pas eu une véritable formation pianistique dans l'adolescence (bien que l'aspect purement musical de ma formation ait été plutôt exaltant), c'est qu'il manquait une grosse partie des "recettes" pour y arriver, nos profs se reposaient le plus souvent sur des élèves assez doués, et tant pis pour les autres, en quelque sorte. Aujourd'hui j'entends parfois l'inverse, des élèves qui ont une formation pianistique impressionnante (ils connaissent les recettes), mais qu'on n'entraîne pas pour qu'ils puissent imposer un sens qui soit en accord avec eux-même dans ce qu'ils jouent. C'est là que la "fluidité culturelle" évoquée par Oupsi devrait apparaître.
Modifié en dernier par JPS1827 le mer. 26 févr., 2014 18:59, modifié 1 fois.
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Okay
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Okay »

Ce bon vieux wikipédia, il y a même un paragraphe métaphore/métonymie d'après la psychanalyse. C'est bien plus imbriqué et profond que je ne pouvais l'imaginer ...
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Okay
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Okay »

Je ne connais pas beaucoup de profs, mais je ne suis pas sûr que ce soit un problème de dogme ou de mauvaise volonté. Je doute que la plupart des profs soient en mesure (je veux dire, capables stricto sensu) de transmettre les images musicales et les recettes artisanales dans le même package.
L'art de la pédagogie va bien au delà de la pure compétence musicale ou pianistique intrinsèque du prof.
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JPS1827
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par JPS1827 »

L'article de wikipedia est assez technique mais très intéressant évidemment.

Pour la vidéo de Pierre-Laurent Aimard, il dit en mots des choses que l'auditeur sensible à l'opus 110 ressent évidemment mais ne peut exprimer ainsi la plupart du temps. Je suis très étonné par le début de la vidéo, la gestuelle ample du pianiste me paraissant complètement déplacée par rapport à ce début immobile du mouvement lent. J'entend bien la fugue comme le lever du jour avec sa réponse rationnelle à la plainte nocturne de l'arioso (la proposition d'abord timide des lois de Képler comme réponse au doute devant le noir interplanétaire…). J'ai depuis très longtemps le sentiment d'une forte analogie entre le cheminement de l'opus 110 et celui du 15ème quatuor. Et cependant c'est une sonate qui m'a donné énormément de travail pour la mise en œuvre pianistique.
Line-Marie

Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Line-Marie »

merci pour ce post passionnant à lire. Merci à vous tous d'intervenir avec autant de verve et d'intelligence.
Je ne comprends pas tout ce que vous dites, car une partie de votre vocabulaire ne m'est pas familier... mais je lis avec grand intérêt ...
pour revenir aux questions posées dans le premier messages de JPS:
jusqu'à présent, je ne me suis sentie vraiment bien et détendue et je dirais même , presque excitée à l'idée de jouer en public, qu'une seule et unique fois: c'était après 10 jours de stage de musique de chambre : 2 pianos et également trios avec clarinette et alto.
C'est en 2 pianos que j'étais euphorique: je devais jouer Embarquement pour Cythère de Poulenc et puis le premier mouvement de la sonate pour 2 piano de MOzart. Je jouais avec le prof de musique de chambre et j'avais l'impression qu'il me portais dans mon jeu. J'avais l'impression d'avoir des ailes. J'ai très bien joué, j'avais beaucoup travaillé aussi, mais j'étais mis en confiance par ce prof formidable.
Tout semblait facile et j'avais l'impression de ne faire que de la musique. Je n'avais pas besoin de réfléchir pour jouer.
Dans les morceaux que je travaille actuellement , je suis capable de conditionner mon corps pour rester "détendue", pour ne pas paniquer, mais cela me demande une préparation physique et mentale. J'ai découvert aussi que je devais poser des sortes de jalons dans les œuvres difficiles que j'essaie d'interpréter et parfois ma façon de jouer coulait de source et rien n'était difficile, je suis euphorique et tout ce passe bien. Je suis arriver à jouer dans cet état d'esprit à ma prof mais rarement à d'autres personnes... peut-être lors du concert du Beuvray 2013 quand j'ai joué le 3ème mouvement de la sonatine de Ravel, mais je m'étais plantée dans la sonate de Haydn et dans le 2ème mouvement de cette même Sonatine. Je ne sais pas pourquoi tout à coup dans ce troisième mouvement tout c'est bien passé. J'étais épuisée après et incapable de me lever...
Hippias
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Hippias »

Pour être sûr, une métonymie c'est bien la figure de style où par exemple on dit "les voiles disparaissent à l'horizon", où on évoque directement les voiles pour parler du bateau (i.e. une partie du tout qu'on lui susbstitue) ?

Sauf erreur de ma part, il s'agit dans le cas présent d'une synecdoque.
Mais, je pinaille.

Hippias
Peacherine_Rag
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Peacherine_Rag »

D'après Wikipédia la synecdoque est une forme particulière de la métonymie. http://fr.wikipedia.org/wiki/Synecdoque.
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Oupsi
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Oupsi »

J'ai un peu tout relu et il m'est venu une question. Peut-être que la fragilité de l'adéquation entre le geste et l'intention musicale tient à ce qu'on s'arrête trop tôt dans son ancrage. En musique, on fait des choix, on met en relation par exemple telle manière d'accentuer, avec tel geste, et telle intention musicale; une recherche métaphorique va dire "fatalité!" et chaque accent devra symboliser cette progression; une démarche métonymique va donner de cette progression, non seulement une image sensorielle qui va "attacher" un geste précis à cette intention, mais aussi une qualité différenciée par rapport à toutes les autres manières d'accentuer ou d'articuler en général, et par rapport aux autres accentuations et articulations du morceau (la structure d'ensemble de l'oeuvre). On a compris ça, on l'a travaillé, et on s'arrête là. Après ça, on répète, on reproduit. Mais en reproduisant, parce qu'une bonne partie du travail est devenue inconsciente, le nouage entre le tout et la partie, la construction vivante, finissent par se perdre, les parties perdent la relation vivante les unes avec les autres et le discours perd cette espèce d'unicité vibrante, qui tient au fait que Beethoven a écrit cet accord et pas un autre, a développé sur tant de mesures et non le double ou la moitié, a resserré tel motif harmonique et non un autre etc.
Ma question, donc, serait, faut-il garder conscience de tout cela, et dans ce cas, comment? Vous dites: "baliser", est-ce que vous avez des raccourcis pour fixer ces choses sans les figer? Ou est-ce que ça fait partie des choses qui doivent s'oublier pour bien jouer? Ou si ça reste présent, de quelle manière le garder présent sans que ça encombre? Est-ce qu'il y a une manière de le "sentir" et de continuer à le sentir? (dans mon message du début j'ai dit que j'ai repéré le moment où mon travail à la maison s'appauvrit, je pense que c'est parce que je cesse de sentir vivantes les relations que j'ai pourtant été capable de découvrir avec tant de passion au moment où le morceau me livrait ses secrets. Alors, soit je les ai mal apprises, soit je n'ai pas trouvé le moyen de les apprendre de telle manière qu'en les automatisant elles restent créatrices de sens musical). Je pense que c'est peut-être une des raisons pour lesquelles en public ça se défait si facilement: en public, on veut créer, on veut intensément et intimement créer, même si on ne le formule pas distinctement comme ça, on veut produire quelque chose qui ait du sens et une émotion, à partir du silence, à partir de rien en quelque sorte; et l'automatisme est finalement une sorte de gouffre dans lequel on n'a pas le temps d'aller puiser l'émotion.
Modifié en dernier par Oupsi le jeu. 27 févr., 2014 1:14, modifié 1 fois.
Val
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Val »

Il est tard, je tente (tente) d'émettre brièvement un avis.

Cela a déjà été plus ou moins dit, mais une œuvre fait partie d'un tout, d'une vie, d'un courant, d'une période, mais aussi d'elle-même, vis à vis de son propre développement, et de ce qu'elle a pour but d'exprimer. Nous, au-delà d'être pianistes, essayons d'être musiciens. Nous cherchons donc à exprimer cette continuité globale de l'œuvre en cherchant à améliorer sa compréhension, mais aussi le rapport intrinsèque qu'elle entretient avec elle-même dans la justesse de l'expression des pensées musicales, sa cohérence. C'est donc à plusieurs échelles qu'il faut réfléchir, pour interpréter pleinement une œuvre, du sentiment général que l'on va lui donner, mais aussi de la pensée particulière que l'on souhaite imprégner à chaque phrase, puis chaque partie, afin de réunir de façon homogène l'ensemble. Mais comment arriver à ce résultat sans avoir la vision globale et rapprochée qui convient ? Est-ce possible ? La cohérence harmonique, rythmique et musicale de chaque partie avec une autre serait rompue. Oublier la vision de l'ensemble serait pour moi une grande erreur, comme celle de tenter de jouer la 32ème sonate de Beethoven, sans connaître l'arietta, ou peut-être plus clairement, peindre sans savoir mélanger les couleurs. Il ne s'agit bien sûr pas de faire le mélange d'une partie avec une autre, mais de faire les faire cohabiter de façon cohérente, afin que le discours musical de chacune des parties puisse se montrer différent, se sentir différemment, mais en même temps s'inscrire dans la continuité physique et psychologique de l'œuvre. Cela exige un travail préparatoire énorme, et implique obligatoirement la connaissance parfaite du texte, l'aisance technique la plus absolue, une compréhension théorique et pratique du texte, ainsi qu'une grande intelligence musicale, tant cet enchevêtrement est complexe et subtil à réaliser, bien qu'il doive toujours paraître évident, limpide, et surtout, beau. Platon, dans le Hippias Majeur : « Les qualités dont, en chaque cas, nous constatons l'inhérence doivent, si elles sont vraiment inhérentes à l'ensemble de deux objets, être inhérentes aussi à chacun, et, si elles le sont à chacun, l'être aussi à l'ensemble. »
davsad
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par davsad »

J'ai envie de dire pleins de choses, mais il est tard et je ne rebondirai que sur quelques points de ton premier message Okay.

Désolé d'avance, je n'arrive pas à utiliser les "quote" correctement alors je les ai mis à la main.

Okay : "Ce fil soulève l'un des graals de l'execution musicale, et il y aurait de quoi écrire plusieurs bouquins sur la question (il en existe d'ailleurs plusieurs non ? :mrgreen:). Faute de lui trouver un meilleur nom, je décris cet état fameux comme un état de "fluidité cognitive", que je vais essayer d'expliciter un peu dans la suite."

Je pense en fait que le terme approprié est "l'état de flow", concept developpé par le psychologue hongrois au nom difficilement prononcable de Mihaly Csikszentmihalyi (vous pouvez consulter l'article suivant sur wikipedia mais malheuresement l'onglet "musique" n'a presque pas été developpé http://fr.wikipedia.org/wiki/Flow_%28psychologie%29).

Okay : "Oui, c'est très utile de souligner ça. L'objectif au piano n'est pas la détente abolue. C'est une hérésie de poursuivre ce but. Comment peut-on jouer du piano en étant comme un chamallow ? Selon les besoins, la force doit être repartie dans les doigts, jusqu'aux poignets, épaules, dos, voire tout le corps. La tension pour moi provient d'une mauvaise repartition de la force entre toutes ces parties. Plus précisément, si par exemple en jouant des octaves très vite on libère les poignets et les coudes mais pas les épaules, ça va coincer. Donc en effet, pour atteindre cet état, il y a déjà un rapport au corps. Généralement, on est trop tendu. Mais parfois on peut aussi être trop détendu, ce qui peut être ravageur pour la sécurité, notamment lorsqu'on a besoin d'attaques égales ou qu'on doit prendre des risques. Il faut bien allouer son energie."

Là je ne suis vraiment pas d'accord. Je pense que la force doit être entièrement localisé dans les doigts et que tout le reste de ton corps doit effectivement ressembler à un chamallow, je renvoie au livre de Monique Deschaussée sur les études de Chopin pour plus de précisions, où même plutôt à son livre "l'homme et le piano" que je ne peux pas encore conseillé néanmoins car ne l'ayant pas encore lu.

Okay : "Ce problème là, c'est de savoir à quel moment se mettre en pilote automatique, et à quel moment redoubler d'attention et de concentration (et sur quoi). On ne peut pas jouer du piano en faisant tout le temps attention, certaines choses doivent être automatisées. Mais pas tout, loin de là. Même lorsqu'on est dans cet état d'inspiration, il y a des balises à suivre, des instructions conscientes à mettre en oeuvre. A nouveau, on fait face à une notion d'équilibre entre ce qui appartient au domaine des reflexes et ce qui appartient à la cognition volontaire. C'est impossible de jouer en visant d'être à 100% sur l'un ou l'autre, c'est en permanance une combinaison des deux. Tout l'art étant de la réaliser."

Là encore, j'ai un point de vu différent du tiens sur la quesiton.
Pour moi justement, le but à rechercher est d'être à 100% sur le domaine des reflexes. Cet objectif est bien sûr presque impossible à atteindre mais il y a diverses techniques qui permettent de l'approcher au maximum.
Et pourquoi donc ?
Je lis en ce moment un livre intitulé "les deux vitesses de la pensée" de Daniel Kahneman, professeur de psychologie cognitive et prix nobel en 2002. Et les "deux vitesses de la pensée" sont justement ces deux systèmes de reflexion que tu met si bien en opposition : "la pensée instinctive, automatique" d'une part et "les instructions conscientes à mettre en oeuvre" d'autre part.
Et dans une partie de son livre, Kahneman parle justement de l'état de flow, et il explique en gros qu'on peut l'atteindre lorsque l'on parvient à rendre une activité qui en théorie devrait être pilotée par le système 2 (le système de pensée qui reflechit avant d'agir donc) par le système 1 (celui qu'on appelle communément l"instinct" ou les "reflexes").
L'état de flow correspondrait donc en fait à la capacité d'être tout à fait instinctif dans une activité qui necessiterait en théorie de la reflexion consciente.
Voilà, je pourrai développer beaucoup plus mais il est bien tard, et je me rend compte que je ne suis pas très clair.


Okay : "Finalement, le piano de Debussy est beaucoup plus voisin de celui de Chopin que de celui de Ravel."

Oui, entièrement d'accord avec toi sur ce point !

Okay : "Oui, ce problème est complètement associé aux sensations. C'est ce que Neuhaus appelle "l'image esthétique" dans la première partie de l'Art du Piano. Pour lui, c'est le point de départ de tout. Et comme le dit bien Oupsi (ce qui fait écho à Neuhaus et à ce que je pense également), l'approche du piano se doit d'être globale, intégrée. L'image esthétique dicte le résultat sonore à obtenir, et ce résultat demande la mise en place de certains moyens, et ces moyens sont associés à des sensations physiques chez l'instrumentiste."

J'apprécie beaucoup ta facon de voir les choses sur ce point (comme sur tant d'autres d'ailleurs !) mais je rajouterai juste que pour moi ce n'est pas l'"image esthétique" qui devrait guider le son mais bien le contraire : il y a des notes au départ, on entend tous les mêmes notes, et pourtant personne ne voit exactement les mêmes images et personne ne met exactement les même mots pour décrire les sensation que procurent tel accord ou telle mélodie. Et même deux grands pianiste peuvent avoir deux conceptions différente d'une même oeuvre sans pour autant qu'aucune des deux ne soit "fausse". Pour moi, le son est là avant toute chose, il habite dans un univers parallèle et toute image ou mot que l'on peut s'efforcer de "coller" à une musique donnée ne restera qu'un pâle reflet de cette réalité sublime qui existe quelque part. Pour résumer, vous pourrez parler tant que vous voulez à votre interlocuteur de cette fameuse sonate pour piano de Beethoven, s'il ne l'a jamais entendu il ne vous comprendra pas.
Modifié en dernier par davsad le ven. 11 mars, 2016 20:36, modifié 2 fois.
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Oupsi
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Oupsi »

Mais si on est à 100% dans le domaine des réflexes, où est l'esprit? Que devient cette sensation d'éveil si particulière qui fait qu'un moment de grâce peut se produire en jouant?

J'entends bien qu'on peut considérer que le fait d'être à 100% sur un mode réflexe permet de "libérer" le jeu. Mais je ne suis pas persuadée qu'il y ait une liberté "ailleurs" que dans le jeu lui-même, avec toutes les composantes qui ont été évoquées par les différentes interventions de ce fil. Je ne suis pas persuadée, mais je veux bien en apprendre davantage sur cette conception des choses.
davsad
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par davsad »

Oupsi a écrit :Mais si on est à 100% dans le domaine des réflexes, où est l'esprit? Que devient cette sensation d'éveil si particulière qui fait qu'un moment de grâce peut se produire en jouant?
Et bien justement la grâce est en quelque sorte un synonyme de l'état de flow.

L'état de grâce à mon sens ne peut pas se produire si dans ta tête tu es en train de te dire "bon maintenant il faut que j'attaque ce passage plus piano tout en accentuant les basses et puis il ne faut pas que j'oublie de retirer la pédale bientôt ..."

L'état de grâce est justement un état qui ne s'explique pas avec des mots, ou alors difficilement, et si quelqu'un ne l'a jamais ressenti, tu auras beau lui en parler il ne pourra pas le comprendre pleinement. Ce n'est donc pas un état que l'on peut obtenir par une reflexion rationelle, autrement dit, ce n'est pas un état qui s'obtient avec le système de pensée n°2 mais bien avec ce que j'ai appelé le système de pensée n°1.

Tu parles de sensation d'éveil, je suis d'accord avec toi, mais pour moi ce n'est pas un éveil de l'intellect mais plutôt un éveil de l'âme.
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