Je rejoins beaucoup Okay dans son message de la page précédente, même si je ne suis pas sûr d'organiser les choses de la même façon que lui (après tout c'est normal, car très personnel !).
Je pense que la mémoire évolue énormément en fonction du niveau de connaissances et de pratique pianistique. J'ai remarqué ceci en comparant les méthodes qu'utilisent mes élèves, ainsi que les miennes au fur et à mesure de ma progression.
Par exemple au début, on se sert principalement des repères sur le clavier et de la mémoire digitale, et le par coeur s'impose souvent de lui même à cause des problèmes de lecture (le but est de se débarrasser au plus vite de la partition en espérant ne jamais devoir y revenir

). Souvent ça donne des résultats mitigés à long terme, la mémoire fait un peu ce qu'elle veut et les doigts jouent par réflexe sans y être vraiment invités par la tête.
Quand on commence à bien lire, la mémoire visuelle est un grand atout. Il devient possible de mémoriser des portions de partition, voire tout, et de la faire défiler mentalement en jouant. C'est aussi le moment où les bons réflexes de déchiffrage apparaissent : il devient aisé de reconnaître la plupart des accords à 3 sons, arpèges, et autres formules communes (style basse d'Alberti).
Pour moi ces 2 étapes sont vraiment typiques des pianistes "débutants", du moins dans un cadre d'apprentissage sur partition, dans du répertoire "classique",
et sans avoir l'oreille absolue (sinon c'est de la triche

).
Ensuite c'est plus compliqué car c'est extrêmement variable en fonction de l'approche qu'a l'élève vis à vis de la musique en général. Avec certains, la progression était importante quand je leur expliquais en détail la structure de leur pièce, les rapports entre les accords, les différentes parties, bref une sorte de petit essentiel théorique. Pour d'autres en revanche, cela passait plutôt par l'oreille et le côté émotif, ils aiment inventer des histoires etc...
Bien sûr ces 2 facettes sont souvent étroitement liées, mais c'est l'ordre de préférence qui variait d'un élève à l'autre. Au professeur ensuite de faire le lien entre tout ça et de d'initier l'élève aux débuts de l'interprétation (autre que "là c'est fort, là c'est piano"

)
Et puis surtout, une fois qu'on met des mots sur ce qu'on a expérimenté au clavier, la progression fait un bond en avant énorme. C'est pour cela qu'il faut s'initier à l'écriture, etc.. un minimum passé 2-3 ans de piano.
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En vérité, je pense qu'il faudrait travailler absolument toutes les mémoires, surtout celles qui ne nous sont pas naturelles. Le plus souvent la mémoire kinesthésique prend le dessus sur les autres quand on commence à être à l'aise sur une pièce, et c'est là qu'il faut bien négocier le virage. J'ai souvent entendu des pianistes rabâcher une pièce durant des mois, sans se rendre compte que c'était de pire en pire, alors même qu'ils étaient de plus en plus à l'aise. C'est aussi dans ces cas là qu'on a subitement des doutes sur l'harmonie ou un contrechant, et qu'on se dit "bah, de toute façon on verra bien sur le moment, les doigts suivront".
Mais je pense qu'avec l'expérience, la mémoire la plus importante est la mémoire conceptuelle. En fait c'est pour moi celle qui englobe les autres (moins la mémoire digitale), car si le plan est là, tout le contenu en découlera.
Surtout, c'est la seule mémoire qui est totalement propre à une oeuvre.
J'avais un professeur de solfège au conservatoire qui nous faisait faire un petit jeu : Il nous donnait une partition de piano relativement simple à la lecture, style sonate classique facile. Le but était d'en mémoriser le maximum à vue pendant 5 minutes, puis d'aller jouer au piano le plus possible de mesures. Donc interviennent ici de nombreuses mémoires (visuelle (mais pas de clavier), auditive (intérieure), kinesthésique (sur la table!) ), toutes coordonnées par la mémoire conceptuelle puisqu'on a aucun autre support que la partition.
Et une fois au piano, c'est la qualité de cette mémoire qui est importante. Pas besoin de travailler 3h tel arpège de fa mineur pour être sur de l'avoir dans les doigts, s'il est déjà dans la tête.
Bien sûr, cela demande une base correcte de "technique" pianistique, et un peu d'entrainement. Mais c'est très rigolo, en plus ça permet d'apprendre des morceaux sans jamais les avoir joué ! Je faisais ça avec les pièces de mes élèves, alors certes ce n'est pas toujours du grand répertoire, mais maintenant je peux jouer les aristochats par coeur
Quant à ma pièce "permanente", je pense que c'est
Cloches à travers les feuilles, et plus globalement le 2ème cahier des Images de Debussy (mais je ne me rappelle jamais par coeur d'une page de Poissons d'Or sans la travailler). C'est vraiment la pièce qui m'a suivi de mon DEM jusqu'à encore récemment dans un petit concert. Je n'ai encore rien trouvé d'autre qui me correspondent aussi bien !