fritz a écrit : lun. 10 janv., 2022 10:14
Je m'étais fait la réflexion hier et j'ai oublié de t'en parler mais en réécoutant ça me revient : tu termines systématiquement tes morceaux par une montée dans les aigus, je ne sais pas si c'est une volonté consciente de ta part, un réflexe que tu as acquis ou simplement un gimmick propre au jazz mais je trouve que ça casse un peu l'aspect improvisé d'y avoir tout le temps recours, surtout quand tu enchaînes.
Merci Fritz. C’est drôle, je me suis fait exactement la même réflexion que toi hier-soir. Quelque chose à gommer et je vais m’y employer. Oui, c’est très souvent utilisé en jazz, mais il faut y aller avec parcimonie.
Toutes ces fins ont été improvisées , mais c’est vrai qu’ à force, cela devient comme « téléphoné »
Merci beaucoup pour ta remarque.
fritz a écrit : lun. 10 janv., 2022 10:14
Sinon j'admire ta capacité à t'oublier dans l'instant devant un public, ça se travaille autrement qu'en jouant régulièrement dans ces conditions ?
Oui, pour répondre à ta question, je le travaille aussi lorsque je suis tranquillement chez moi devant mon piano.
Une fois que le travail a été fait (c'est à dire bien connaître le morceau, et dans mon cas, pouvoir improviser sur sa structure), j'essaie de ne jamais le jouer deux fois de la même façon. Un peu comme lorsqu'on parle, une idée en entraîne une autre. Ne pas se juger pendant que l'on joue. Vivre à chaque fois cela comme une expérience, voir se qui se passe quand je me dis "tiens, je vais jouer comme ça", par exemple en me fixant une contrainte au départ. Le faire très souvent. Ne jamais se dire, "ah, j'aurais pu jouer cela au lieu de cela", ou"ah, là, c'est vraiment nul"... non, rester connecté à ce qui se passe, essayer de se détendre à chaque fois le plus possible. Jouer selon son envie. Sentir un flux, une détente, oublier le plus possible, se faire confiance. S'enregistrer à chaque fois, et là, entendre ce qui se passe pendant qu'on a joué. Et là, essayer de se rappeler de ce qu'on a senti à tel endroit, lorsque l'on jouait, quand on constate par exemple des tensions dans le jeu, des erreurs flagrantes, qu'est-ce qui a pu couper le flux.
Mais cela peut-être aussi, en réécoutant des "ah la vache, c'est moi qui a joué ça ? comment c'est possible, d'où ça sort ?". Et là aussi revenir à ce que l'on sentait alors en jouant. Le revivre dans sa tête, sentir comme c'était facile.
Et aussi, s'enregistrer le plus souvent possible, aide à chasser le fait de trop penser pendant, du genre "ah, c'est super, tout va bien", et plus on arrive vers la fin plus on commence à avoir peur de foirer "ah zut, j'espère que je vais y arriver jusqu'à la fin". Et là, ça plante, parce que finalement, on était plus vraiment dedans.
Bon, ça, c'est pour le jazz. Pour le "classique", j'essaie le plus vite possible de savoir le morceau par coeur. Le jouer le plus possible les yeux fermés. Essayer aussi, par exemple si c'est du Bach, mains assez rapprochées, de jouer par exemple le morceau soit une octave plus haut, soit une octave plus bas, et sentir comment adapter le son alors. Du coup, je ne suis plus du tout dans la peur de ne pas savoir, d'avoir un trou... Le fait de me concentrer sur le son, me fait alors oublier que je suis en train de jouer, me montre aussi d'autres aspects de ce morceau. D'autres positions de mains aussi.
J'essaie aussi de faire des versions et tonalités différentes. Tu sais, un peu comme dans la tirade de Cyrano de Bergerac sur son nez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse ; Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
Descriptif : « C’est un roc ! … c’est un pic ! … c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? … C’est une péninsule ! »
Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ? D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »
etc., etc.
Mais c'est vrai que c'est essentiel aussi de pouvoir jouer le plus souvent possible devant un public. Parce qu'il y a avant tout le plaisir du partage. C'est comme vouloir envoyer des vibrations. Echanger.
Et jouer devant le public permet d'éprouver un peu plus le "stress" que lorsque je suis chez moi à l'abri. Et permet de fortifier l'instant à chaque fois un peu plus;
Se jeter à l'eau. Et si le travail est abouti, c'est à dire qu'on sait jouer par coeur, se faire confiance. Ne pas mettre la partition devant soi, en se disant "au cas où". Être complètement dedans et advienne que pourra. Rien n'est grave.
Mais il n'y a aussi aucun problème si on décide de jouer avec la partition devant soi. Être dans l'instant présent (ne jamais s'accrocher aux pensées parasites). Et si on a la partition devant soi, ne pas trop s'amuser à passer de la partition au par coeur, parce qu'ensuite, on risque aussi d'avoir peur à un moment, et de repartir dans la partition, et à moins de s'être hyper entraîné à cela, on peut perdre confiance pendant que l'on joue et alors on n'est plus vraiment dans l'instant présent, plein de pensées parasites arrivent alors.
J'espère que cela répond à ta question.
As-tu lu le livre de Kenny Werner (c'est en anglais) : "Effortless mastery " ?