Histoire du jazz à ma façon (suite)... Hommage à Michel Petrucciani

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
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Christof
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans et Nardis : une évolution permanente ou la quête d'un Graal

Message par Christof »

Bill Evans, ou la recherche incessante du changement et de la substantifique moelle

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Je vais continuer sur Bill en essayant à chaque fois de prendre un angle particulier du personnage, sans forcément me référer à une chronologie temporelle de sa carrière. Bien sûr, en procédant de cette façon, le risque est grand que ces chroniques donnent plus à la finale l'impression d'un immense et indigeste goubli boulga que celle d'un tout cohérent...
On verra bien.

Je vais d'ailleurs commencer ici par la fin, avec les années 79 et 80 où il jouait le morceau Nardis presque à chacun de ses concerts.
Il faut savoir que Bill Evans, à force de jouer et rejouer sans cesse un nombre finalement limité de thèmes (cela dit, il en aura joué en fait plus d'une centaine), en aura exploré tous les aspects jusqu'aux plus petits recoins, jusqu'à les révéler à eux-mêmes. Avec persévérance, et en les redessinant à chaque nouvelle improvisation, il leur aura donné une profondeur et une richesse inattendues et, en quelque sorte, plusieurs vies.Il semble que Bill Evans ait été hanté par ce qui se cache au-delà des apparences et des évidences, poursuivant la quête d'un Graal, repoussant sans cesse les limites. Explorateur infatigable, il déclarait qu'il valait mieux passer vingt-quatre heures à jouer un seul thème que de les passer à en travailler vingt-quatre. C'est ainsi qu'il n'a cessé de se plonger à l'intérieur de standards, inlassablement repassés au crible de différentes improvisations, comme s'il traquait quelque secret, une révélation cachée. Il y avait chez-lui une façon de mélanger les oppositions lumière-ténèbres, force et délicatesse, romantisme-modernité, solidité-vulnérabilité, avec un lyrisme particulier. C'est cela qui donne à ses interprétations toute leur force et leur mystère. Au fur et à mesure qu'il développe ses lignes harmoniques, c'est comme si le thème nous révélait son ambivalence et ses mystères.

Ce qui me passionne dans ce pianiste (au même titre par exemple que le trompettiste Miles Davis ou que le pianiste Herbie Hancock), c'est qu'il a choisi toute sa vie la voie du changement. Pour Bill, cette voie, cette construction de l'intérieur, s'est faite avec patience, ténacité et lucidité. Le souci d'évoluer était chez lui une préoccupation constante. La musique est faite pour articuler ce que les mots sont incapables de dire. C'est comme une autre parole. Pour Evans, il s'agit de transmettre du sens et de transfuser de la sensibilité. On pourrait dire que son langage tient beaucoup du discours amoureux : une parole individuelle (et d'une forme singulière) qui s'adresse en particulier à chacun de ceux et celles qui, en fonction de leur équation personnelle, sont en mesure de l'entendre. Et ce qui délivre le message, pense Bill, c'est l'expression : « Je m'efforce d'articuler des choses fortes, d'exprimer des idées fortes... (…) Je pense à m'immerger dans le flot de la musique, pour permettre le développement de l'oeuvre dans la durée ». (…) Mais vous devez fréquenter le clavier de nombreuses années avant que ce qui est à l'intérieur de vous puisse passer dans vos mains et être transféré au piano. J'ai vécu cela comme une frustration permanente, des années et des années durant. J'avais la volonté de m'exprimer au moyen de cet instrument, mais pour une raison ou une autre, cela ne marchait pas. Il a fallu que je m'y applique très longtemps. Dans cette perspective, jouer Bach, semble-t-il, m'a beaucoup aidé ». S'il faut en croire son témoignage, son assiduité ne fut récompensé qu'en 1957 (il avait alors 28 ans) : « Un an environ avant de rejoindre Miles Davis, j'ai pu atteindre pour la première fois à un certain degré d'expressivité. Croyez-moi, j'avais joué beaucoup de jazz avant cela. Je m'y étais mis quand j'avais treize ans. Là, enfin, le piano prenait en charge certains de mes sentiments. ». Et il ajoutait : « bien entendu, éprouver les sentiments en question est une autre aventure, une autre paire de manches. »

Bill Evans a fini par se trouver, mais il est bien décidé à ne pas en rester là. Évoluer est pour lui une constante, ainsi qu'une source de remords quand il ne parvenait pas à y répondre. Néanmoins, même si l’œuvre ne se rebâtissait jamais assez vite à son gré, et jamais de manière assez radicale, il avait une conscience aiguë (plus que ses critiques et même que ses admirateurs) des modifications, des patients coup de lime et de polissoir, des retouches imperceptibles, des plus infimes perfectionnements qu'il apportait à sa cathédrale, en permanence. « J'ai enregistré pas mal de microsillons sous mon nom … Je pense avoir progressé à chacun de mes albums. Ce n'est peut-être pas évident pour l'auditeur qui suit ma carrière à travers les disques, mais je sais que c'est vrai dans la mesure où je cherche au fil de mes enregistrements à pénétrer plus profondément au cœur de mes idées ».
Je pense que ce que voulait alors dire Bill Evans, c'est que le changement, en art, en tout cas dans son art, ne saurait être l'effet d'une lubie ou d'une lassitude. Le style se modifie à la suite d'une expérience invisible, mais violente, qu'il faut vivre à la fois comme une victoire et comme une défaite puisqu'il s'agit d'une lutte avec soi-même : tantôt avec l'ange, tantôt avec la bête. Il parlait d'un « difficile combat intérieur », que le public n'avait pas à connaître, ni même à soupçonner. Creuser un puits de mine, toujours plus profond au cœur de ses richesses intimes, cela consiste nécessairement, et même si l'opération peut se révéler fructueuse, à tailler dans le vif, à se meurtrir, voire se mutiler. On s'évide pour donner plus de plénitude à son œuvre. Passé un certain point, la beauté ne s'obtient qu'au prix d'un arrachement. Bill Evans admirait Miles d'y avoir consenti et d'avoir eu sa part, comme Picasso lorsqu'il travaillait à une toile, le courage de menacer par ses réaménagements successifs jusqu'aux fondations de son temple. Il admirait, en général, que la floraison d'un style fût un processus « long et pénible », réclamant une plongée en soi-même et un dévouement, une dévotion acharnés. La fluidité, disait-il encore, ce nom qu'il donnait entre l'adéquation entre le feeling, les idées et leur réalisation technique, la fluidité se mérite. Si elle vous est donnée sans bataille, elle confine vite à la liquéfaction. Elle dilue, détrempe le sens de vos propos. Elle en altère la densité, elle en altère la pureté. Et alors les courants par lesquels vous vous laissez porter ne vous emmènent jamais très loin. La profondeur d'un art, selon Bill Evans, ne peut pas être un talent confié à l'artiste. Mais elle peut devenir la revanche des créateurs qui, à leurs débuts, n'ont pas eu la superficialité facile.

Creuser : le pianiste se faisait de son évolution une idée bien précise : un approfondissement, et non pas un accroissement. Proliférer n'était pas son rêve. Avant d'inscrire à son répertoire un morceau qui n'était pas de son cru, il ne s'empressait pas de le recomposer : il commençait par l'essayer dans toutes les tonalités possibles. Et lorsqu'il avait trouvé celle qui, pour lui, était la bonne, il veillait à en exploiter tous les possibles et ne s'interdisait pas de la remplacer par une autre tonalité lorsque la première ne lui permettait plus de descendre en lui-même. « Je n'essaie pas de me rendre à la périphérie dans l'espoir d'occuper davantage de place. J'essaie de m'implanter au beau milieu et de faire prospérer ce qui s'y trouve, l'essence de mon jeu ». Bill est un homme qui tourne le dos à ses horizons, hypnotisé par l'obscurité où elle le plonge, magnétisé par l'espérance de découvrir un jour le bout du tunnel, une lueur vaguement surnaturelle mais qui serait pourtant accordée à sa nature la plus inaliénable.

On se souviendra toujours, certainement, de Bill Evans comme d'un maître de la ballade ; c'est là peut-être la raison pour laquelle on le considère comme un «poète » Mais le vocabulaire de ce poète plongeait aussi ses racines dans un bop pur et dur, ainsi que le font entendre de nombreux morceaux joués sur tempo moyen et rapide.
Il n'est peut-être pas trop subjectif aussi de dire que la mélancolie baigne sa musique. Sa profondeur et sa sensibilité traversent tout son art. Comme l'a si bien dit Toots Thielemans, « La musique de Bill est quelque chose entre un sourire et une larme ».

Quelques versions de Nardis, témoins d'une incessante évolution

Et pour mieux vous faire sentir cette évolution permanente du jeu de Bill et de son magnifique talent d'improvisateur, écoutons maintenant différentes versions du morceau « Nardis ».
Celui-ci apparaît pour la première fois dans son répertoire avec le disque Explorations (1961), joué sur un tempo relativement lent, sans introduction et donc avec une exposition directe du thème.
Il ne cessera de le jouer au cours de ses concerts, le transformant, ajoutant plus tard une introduction qu'il ne cessera de renouveler et d'allonger, battant des records de durée du morceau dans les deux dernières années de sa vie.
Voici quelques-une de ces versions (j'aurais pu aussi en choisir d'autres...) :

- Toute première version (1960) dans l'album « Explorations " Bill Evans, ScotLafaro, Paul Motian :




- Version 1968, dans l'album « Another time » Bill Evans, Eddie Gomez, Jack Dejohnette
Bill commence à la jouer sur un tempo plus soutenu.




- Version 1972, album « Live in Paris 1972, Vol. 3 », Bill Evans, Eddie Gomez, Marty Morell
Version où il commence à rajouter une introduction.





- Version 1979 dans l'album « Bill Evans, The Paris Concert, edition two », avec Bill Evans, Marc Johnson, Joe LaBarbera
Il reprend ici ce thème, après l'avoir abandonné durant quelques années, composition qu'il jouera ensuite à pratiquement tous ses concerts. Il donne ici à mon avis la mesure, avec une stupéfiante justesse, de tous les éléments qui ont fait son jeu pianistique, de tout ce qu'il a le plus aimé en musique. Des saveurs issues du classique (allant de Katchaturian à Rachmaninoff, ses compositeurs russes préférés), éléments harmoniques d'inspiration tristanienne (adjectif en référence à Lennie Tristano), culture pianistique venant de deux mondes culturels, la musique savante, du romantisme au XX ème siècle, et le jazz, aboutissant à une fusion sans précédent, que ce soit en jazz ou dans la tradition académique. Sans jamais renoncer à la structure et, par conséquent, en s'en tenant toujours à la tonalité, il arrive à s'en évader et à créer une série de formes sonores ou l'esprit et le cœur ne sont plus séparés. Quand après une série de variations, Marc Johnson et Joe LaBarbera le rejoignent, le public se laisse aller à des applaudissements vraiment libérateurs, dans l'allégresse d'avoir été conduit par la main à travers des lieux inconnus et d'une rare beauté, où il n'avait jamais été auparavant. Nardis devient ainsi le message que Bill Evans envoie aux autres chaque fois qu'il donne un concert. Son histoire personnelle est là, dans ce composé d'inventions où il semble encore demander quelque chose à la musique : la certitude d'être toujours un créateur.





- Version 1979, dans l'album « Bill Evans, Live in Bueno-Aires » Bill Evans, Marc Johnson, Joe LaBarbera
Ses harmonisations deviennent de plus en plus contemporaines... Bill Evans dira que ceci était arrivé spontanément...




- Enfin la version 1979, "Concert in Stuttgart", Bill Evans, Marc Johnson, Joe LaBarbera., peut-être la plus époustouflante (je l'avais déjà mise en écoute dans le précédent post).



Bill semble encore ici faire référence à toute l'histoire du piano jazz de manière orchestrale et textuelle, dans sa main gauche et sa main droite, complété d'une une superbe dynamique avec des changements brusques de volume.
Bill pensait toujours au développement du motif, la ligne de la main droite maintenant magistralement le tout. Le développement du motif est une chose relativement facile à aborder, mais lorsque vous le faites, cela augmente la puissance de la projection de vos idées et transforme votre improvisation en de véritables déclarations - une véritable composition plutôt que la juxtaposition de simples « licks » enchaînés. Tous les musiciens ne jouent pas forcément comme cela, mais beaucoup ont bien conscience du développement des motifs – on peut citer par exemple John Coltrane, Sonny Rollins, Miles Davis, Herbie Hancock, Joe Zawinul, Wayne Shorter et Jim Hall , pour n'en citer que quelques-uns.

Véritable thème et variations ici, poussées à l'extrême. Il y a des moments où cette intro de Bill ne ressemble pas à Nardis. La forme et les changements sont si déguisés et le rythme si intéressant qu'on a l'impression d'être dans un nouveau territoire plutôt que dans un morceau de 32 mesures.
Il faut souligner que, durant sa carrière, Bill n'a jamais reçu trop de crédit pour son sens du rythme. La vérité est qu'il avait sa propre approche très personnelle du phrasé rythmique et des accents. Et son utilisation du déplacement rythmique était assez nouvelle.
Même avec toute cette analyse intellectuelle du langage harmonique et de ses influences, Bill était fondamentalement un joueur émotionnel et en tant que tel, extrêmement expressif, gardant toute cette matière intellectuelle dans sa juste perspective. Parce que le plus important en musique est de s'exprimer. Si vous vous exprimez exclusivement émotionnellement sans aucune sorte de cohérence intellectuelle, cela devient trop sentimental. Et si votre jeu est exclusivement intellectuel et sans émotion, il devient ennuyeux et froid. Bill était constamment capable de maintenir un bon équilibre entre les deux. Et c'est sûrement pour cela qu'il était universellement aimé.

Ses introductions sont un exemple de son équilibre entre émotion et intellectualisation et j'espère qu'avec ces chroniques, bien des pmistes voudront mieux le découvrir et l'écouter. Une porte les ouvrant au jazz.

Le plus vous jouez un thème, le meilleur il devient. Mais le jeu est alors d'être créatif à chaque fois, avec le même matériel. Quand vous improvisez de telles impros, c'est devoir sortir de soi une composition en temps réel, directement, ici et maintenant, sans pouvoir revenir en arrière ni réfléchir. Un saut dans le vide. Bill était un maître en la matière !

(à suivre)
Ninoff
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans et Nardis : une évolution permanente ou la quête d'un Graal

Message par Ninoff »

À suivre avec plaisir.
Super intéressant, Bill était tel un compositeur, une vision hors norme, et un talent …!!!!!!
Merci Christof 🙏🙏🙏
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flober
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans et Nardis : une évolution permanente ou la quête d'un Graal

Message par flober »

Encore !

C'est un morceau fantastique.
Entendre Bill soir apres soir, année apres année l'interpreter est depuis longtemps un de mes sport favoris. \:D/

C'est assez interessant aussi de confronter les differentes version qu'il a joué dans la meme periode comme dans Turn Out the Stars - The Final Village Vanguard Sessions, juin 1980 (3 versions) ou The Last Waltz, Aout 1980 (4 versions).
Par moment il joue presque cubain ...
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Christof
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans et Nardis : une évolution permanente ou la quête d'un Graal

Message par Christof »

Ninoff a écrit : dim. 14 mai, 2023 21:15 À suivre avec plaisir.
Super intéressant, Bill était tel un compositeur, une vision hors norme, et un talent …!!!!!!
Merci Christof 🙏🙏🙏
Merci Ninoff 🙏. Cela d'ailleurs donné une idée pour la suite des chroniques. Justement aborder son côté compositeur, ce qui, à ma connaissance, n'a jamais été abordé. On a souvent parlé de ses voicings, de sont art de la ballade et simplement dit qu'il avait composé aussi de très beaux morceaux (par exemple Very Early, Waltz for Debby, Blue in green, etc... ). Je vais essayer de creuser un peu cet aspect précis dans une prochaine publication.
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Christof
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans et Nardis : une évolution permanente ou la quête d'un Graal

Message par Christof »

flober a écrit : lun. 15 mai, 2023 5:35 Encore !

C'est un morceau fantastique.
Entendre Bill soir apres soir, année apres année l'interpreter est depuis longtemps un de mes sport favoris. \:D/

C'est assez interessant aussi de confronter les differentes version qu'il a joué dans la meme periode comme dans Turn Out the Stars - The Final Village Vanguard Sessions, juin 1980 (3 versions) ou The Last Waltz, Aout 1980 (4 versions).
Par moment il joue presque cubain ...
Merci Flober
Oui, tu as raison, j'aurai pu mettre aussi toute les versions que tu cites. C'est fou l'urgence et la dévotion encore plus forte que l'on sent dans cette dernière période de sa vie. Je pense qu'il savait alors qu'il allait mourir. Et dire que The Last Waltz, sessions enregistrées en club du 31 août au 8 septembre 1980 , datent juste d'une semaine avant sa mort.
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Christof
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par Christof »

Le compositeur Bill Evans

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Un message laissé par Ninoff dans ce fil m'a donné l'idée d'aborder cet aspect «le compositeur Bill Evans» qui, à ma connaissance, n'a jamais vraiment été développé dans toute la littérature que j'ai pu lire sur lui (peut-être avec une petite exception concernant les thèmes «Blue in green», "Waltz for Debby», «Very Early»..., mais ce n'a jamais été loin).
En général, on vous dit simplement que "Bill Evans a composé de magnifiques thèmes" tout en vous citant à chaque fois les sempiternels «Blue in green», "Waltz for Debby", «Very Early», voire «Time Remembered», «We Will meet again»...
On trouve aussi ici et là quelques petites choses sur le langage harmonique de Bill (l'usage des blocks chords, l'utilisation du "drop 2", quelques exemples de substitutions à la Bill Evans – j'y consacrerai peut-être un épisode), mais finalement rien de vraiment développé sur le corpus de ses compositions.

Peut-être que le côté compositeur de Bill n'a jamais vraiment été abordé du fait de l'unité générale qui ressortait dans tout ce qu'il jouait. Il faut savoir que Bill a repris un nombre incalculable de standards et son génie de l'harmonie et des substitutions, sa façon si originale et personnelle d'y mettre ses couleurs, son art consommé des voicings, son toucher inimitable faisaient qu'il s'agissait là à chaque fois d'une version d’anthologie. Une recomposition en quelque sorte, nous faisant ressentir le morceau d'une façon tellement magnifique, qu'on avait là à chaque fois affaire à une nouvelle découverte. Ceci est particulièrement vrai dans les ballades (il suffit par exemple d'écouter ses versions de "My foolish heart" (Victor Young), "I love you Porgy" (George Gershwin), «Never let me go» (Ray Evans/Jay Livingston) ou «You must believe in spring» (qui est en fait issu d'un morceau composé par Michel Legrand :  La chanson de Maxence, tirée des Parapluies de Cherbourg*) , etc. etc.
* Michel Legrand m'a d'ailleurs dit un jour : « il la jouait tellement mieux que moi.... »

Mais finalement, c'est d'ailleurs tout aussi vrai dans les morceaux à tempo plus rapide : «Autumn leaves» (Joseph Kosma), "Stella by starlight" (Victor Young), «You go to my head» (Fred Coots) , «You'r gonna hear from me» (André Previn), «Beautiful love» (Wayne King, Victor Young)... J'aurais pu en citer bien d'autres.
A chaque fois, on se dit : «c'est du Bill Evans». En fait, il s'agit de sa patte géniale mise sur le matériel que constituent les standards, morceaux disponibles à tous les musiciens de jazz.
Bill les «phagocytait» en quelque sortes ces morceaux, les digérait et nous les relivrait d'une façon inédite, définitive. Une musique qui s’adresse (dans mon cas) aux pensées les plus intimes de l'auditeur, si près du sentiment que vous ne savez pas si c'est vous-mêmes qui vous produisez les effets ou si c’est la musique qui le fait. Comme s'il libérait les profondeurs du cœur et ce faisant, permette de pénétrer dans un univers d'une beauté transcendantale, d'un pouvoir irrésistible, et de révéler notre âme.
Et lorsque j'émerge de la rêverie intense et délicate que sa musique a induite au fond de moi, le reste du piano jazz peut sembler insupportablement grossier. Alors il faudra peut-être un certain temps pour «se réinitialiser» afin d’être en mesure d’apprécier la personnalité musicale distincte d’un autre joueur. On ne sort pas indemne de la puissance de la pureté esthétique exceptionnelle de Bill Evans.

Ce qui est incroyable c'est que ce pianiste a toujours soutenu qu’il n’était pas conscient de l’importance de son influence sur le piano jazz, bien qu’il ait fini par y croire, après l’avoir entendu dire tant de fois. Il considérait que son propre style était simplement nécessaire pour exprimer ce qu’il voulait exprimer : "Tout d’abord, je ne cherche jamais à avoir une identité. C’est quelque chose qui s’est produit automatiquement, je pense, à force d’assembler les choses, de les démonter et de les assembler à ma façon, et d’une manière ou d’une autre, je suppose que l’individu finit par s’imposer…. Je veux construire ma musique de bas en haut, morceau par morceau, et l’assembler selon ma propre façon d’organiser les choses…. J’ai simplement une raison que je me suis donnée pour chaque note que je joue".

Et concernant son propre son :
"En corollaire à l’identité stylistique d’un musicien, on finit par développer un son unique. Celui-ci peut être très difficile à définir, bien que facilement reconnaissable à l’oreille. Tout le monde n’en a pas. Je pense que le fait d’avoir son propre son est, en un sens, le type d’identité le plus fondamental en musique. Mais c’est une chose très délicate que de savoir comment on y arrive. Cela doit venir de l’intérieur, et c’est un processus à long terme. C’est le produit d’une personnalité totale. Je ne sais pas exactement pourquoi une personne va l’avoir et pas une autre. Je pense parfois que les personnes que j’apprécie le plus en tant qu’artistes musicaux sont des personnes qui ont eu… elles sont comme des arrivées tardives….. Elles ont dû travailler beaucoup plus dur pour obtenir de la facilité, de la fluidité… Alors que vous voyez beaucoup de jeunes talents qui ont beaucoup de fluidité et de facilité, ne les portent jamais vraiment quelque part. Parce que d’une certaine manière, ils ne sont pas assez conscients de ce qu’ils font."

Les études musicales de Bill

Bill Evans a commencé à étudier le piano à l’âge de six ans, et comme ses parents voulaient qu’il connaisse plus d’un seul instrument, il a donc aussi commencé à jouer du violon, qu'il abandonnera à l'âge de douze ans pour se consacrer à la flûte (il a aussi essayé le sax alto mais a vite laissé tomber). Il est devenu très bon à la flûte, où il passera d'ailleurs trois ans comme flûtiste à l’armée.
Le frère de Bill, Harry, de deux ans son aîné, a été sa première influence. Harry est le premier de la famille à prendre des leçons de piano, et Bill commence alors aussi à en jouer en l’imitant :
"Bill restait pelotonné dans un coin à écouter son frère jouer et, dès que ses parents s'étaient éloignés, il grimpait en douce sur le tabouret, s'asseyait et reproduisait à la perfection les morceaux qu'il venait d'entendre." (Earl Lipps, cousin de Bill). "Bill, sans savoir pris de leçon, progressait plus rapidement que Harry, qui lui disposait d'un professeur et s'exerçait régulièrement." C'est alors qu'on donna un professeur à Bill.

La mère de Bill Evans (d'origine russe) était elle-même pianiste amateur et avait amassé des piles de vieilles partitions, que le jeune Bill lisait, acquérant de l’ampleur et surtout de la rapidité dans la lecture à vue de partition. Cela lui a permis d’explorer largement la littérature classique, en particulier les compositeurs du XXe siècle. Bill adorait lire la musique à vue, dévorait tout ce qu'il pouvait.
Debussy, Stravinsky, notamment Petrouschka, et Darius Milhaud, Ravel l’ont particulièrement influencé. Il trouvait cela beaucoup plus intéressant que de faire des gammes et des exercices, et cela lui a permis de découvrir une très large partie du répertoire de la musique classique. Il adorait aussi Bach et Chopin.
"C’est juste que j’ai joué une telle quantité de piano. Trois heures par jour dans mon enfance, environ six heures par jour à l’université, et au moins six heures maintenant. Avec cela, je pouvais me permettre de me développer lentement. Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris avec le sentiment comme force génératrice." (Bill Evans)

Sa mère, qui avait été envoyée en pension dans sa jeunesse dans un couvent tenu par des religieuses russes orthodoxe, y avait appris les hymnes de la vieille liturgie qu'elle enseigna aussi à ses enfants. Ces chants solennels, lourds de mysticisme, marquèrent en profondeur l'âme de Bill dont la musique, bien des années plus tard, reflétera certains des traits présents dans ces vieilles mélodies, le caractère modal par exemple. Bill Evans maintiendra d'ailleurs toujours un lien très fort avec les aspects expressifs et pianistiques que sa musique partage avec celles de Tchaïkovsky, Scriabine, Rachamaninoff...
C'est aussi par son frère Harry que Bill découvre le jazz, vers l'âge de treize ans. Harry avait commencé aussi l'étude de la trompette et était entré dans un petit orchestre scolaire et avait commencé à s'intéresser au jazz. Un jour, le pianiste du groupe attrapa la rougeole et Bill le remplaça. A treize ans, Bill était déjà en mesure de déchiffrer des pièces pour piano assez complexes. Mais, en dépit de ses capacités techniques et des qualités musicales qui lui permettaient, par sa formation, d'exécuter les classiques de la littérature pianistiques, il était incapable d' improviser quoi que ce soit sans partition. Il joua donc l'arrangement qui se trouvait sur le pupitre, exactement comme il était écrit. Il fut engagé dans le groupe. Et alors "un soir, nous jouions «Tuxedo Junction» quand, je ne sais pourquoi, l'idée m'est venue d'ajouter à ce qui était écrit quelques notes à coloration «bluesy». Ce fut une révélation : la possibilité de faire en musique quelque chose qui n'avait jamais été pensé par d'autres ; un monde complètement nouveau s'ouvrit tout grand devant moi". Bill passa de ce premier petit orchestre à un autre, composé d'étudiants bien plus âgés et dont faisait partie le contrebassiste Georges Platt, qui eut à cœur de l'initier sérieusement aux règles de l'harmonie et lui apprit à passer correctement d'un accord à l'autre. Cet orchestre, à la différence du précédent, était plus orienté vers le jazz que vers la musique de bal, et c'est alors que Bill commença à se risquer dans de véritables chorus de son cru.
La découverte du jazz l'a totalement conquis, si bien que ses résultats scolaires, en raison des nombreuses soirées à jouer de-ci, de-là, avaient baissé de façon préoccupante. Il commença avec une ferveur et une curiosité inégalables à acheter des disques de Coleman Hawkins, Bud Powell, Horace Silver, Lennie Tristano, Dexter Gordon, Nat king Cole, ce dernier, avec Bud, le marqua par son jeu pianistique : "Je crois que Nat King Cole est l'un des plus grands pianistes de l'histoire du jazz et c'est, probablement, le plus sous estimé", dira d'ailleurs Bill Evans.

Avec la patience et la capacité analytique qui ont toujours caractérisé sa façon d'apprendre, d'aborder les choses qu'il s’apprêtait à étudier, il se mit à décoder ce langage pour lequel il nourrissait une indéfectible passion. Ce fut long et complexe : "j'ai dû construire mon propre stye à partir des éléments clés de la musique des artistes qui me plaisaient. Je m'emparais de leur feeling, de leur technique et utilisait tout cela en le fondant à ce que j'avais moi-même élaboré". A cette époque, Bill n'inventait rien, certes, mais il avait une aptitude extraordinaire à utiliser de façon créatrice les matériaux existants : "les mauvais artistes empruntent, les véritables volent", disait Stravinsky. Bill Evans «volait» en fonction de ce qu'il ressentait, sachant intuitivement où se trouvaient les contenus les plus intéressants ; puis, grâce à une réorganisation extrêmement personnelle de ces matériaux, il donnait vie à des nouvelles formes qui correspondaient parfaitement à son goût. Bien loin d'être une simple approche d'imitateur, cette façon de se «laisser influencer sélectivement» fera, associé à une volonté tenace de suivre seul et avec rigueur ses propres critères esthétiques et émotionnel, un artiste d'une grande originalité, bien loin du courant des modes.

On ne l'a jamais trop dit, mais Bill Evans était gaucher, une caractéristique dont il a, semble-t-il, profité pour résoudre un certain nombre de problèmes d'ordre technique propres au piano jazz.

Quatre années au Southeastern Louisiana College

Bill Evans reçoit à seize ans une bourse d’études musicales au Southeastern Louisiana College (aujourd’hui Southeastern Louisiana University) à Hammond, en Louisiane, où il passe quatre ans et obtient son diplôme en 1950 (il avait alors vingt ans). Selon certaines archives, c'était un peu un insoumis : durant ces quatre ans, aucun de ses enseignants ne réussit à lui faire faire gammes, arpèges et autres exercices, bref, à travailler cette «technique» à laquelle aucun de ses condisciples ne pouvait se soustraire. Et pourtant, il pouvait parfaitement jouer tous les morceaux demandés.
Nous savons qu’Evans lisait rapidement et avec précision une énorme quantité de musique classique (et autre) imprimée, et qu’il l’interprétait parfaitement ; qu’il insistait sur le fait qu’il ne jouait rien sans sentiment ; et qu’il avait le sentiment d’être parvenu à sa maîtrise et à sa sonorité caractéristique par un long chemin, pas en imitant quoi que ce soit, ou par toute autre méthode que l’assimilation d’énormes quantités de musique. De ce point de vue, un exercice de doigté serait un raccourci inacceptable, car il priverait le musicien du potentiel émotionnel de la musique en isolant de manière inacceptable la technique du sentiment. En prenant le temps de refuser de faire cela pendant toute sa formation, Bill Evans a recréé le piano jazz pour lui-même*, et par extension pour le reste du domaine.
* A ce propos, les élèves d’Evans disent qu’il ne leur expliquait jamais en détail ce qu’il faisait : voicings d’accords, passages rapides, tout ce que vous vouliez. Mais Evans n’était pas seulement difficile : il insistait sur les mêmes normes d’authenticité pour ses élèves que celles qu’il revendiquait pour lui-même. Mais cela génère un paradoxe : s’il est impossible pour quiconque de recréer le style de ce pianiste par simple imitation sans son moteur interne qui investit chaque geste musical de son contenu émotionnel, alors en suivant sa voie, en ne jouant aucune musique sans une investiture d’émotion, l’étudiant formera nécessairement une personnalité musicale unique différente de celle d’Evans. Et c'est ce que voulait Bill, le professeur : pas besoin d’autres Bill Evans ! Son approche pédagogique mettait l’élève au défi d’être aussi profond et aussi original que lui.

Durant ces quatre années au Southeastern Louisiana College, l'essentiel de son apprentissage fut orienté vers le piano classique et la pédagogie, auquel s'ajoutait la théorie. Il a étudié avec Louis P. Kohnop, John et Ronald Venettozzi Stetzel, et la partie composition avec Gretchen Magee, qui a aussi beaucoup influencé son style d'écriture.

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Gretchen Magee

C'est au cours de sa troisième année à cette université qu' Evans écrit «Very Early» (j'y reviendrai plus bas), pièce déjà absolument evansienne, à la fois par ses aspects formels (le sens du dialogue entre les différentes sections) et par l'alternance d'élan du cœur et de repli sur soi, en parfait adéquation avec le mouvement harmonique. Pièce en ¾, construite à partir d'une cellule thématique (j'y reviendrai ci-dessous), qui deviendra très vite un standard. Morceau finalement très jazz.
Voici d'ailleurs ce qu'écrira le directeur du département de musique dans une lettre de recommandation rédigée après l'obtention de son diplôme : "Excellent improvisateur, ayant une aptitude particulière à moduler délicatement, d'une tonalité à une autre".



C'est le 24 avril 1950 qu'il donnera son récital de fin d'études. Au programme  figuraient des œuvres de Bach, Brahms, Chopin et Beeethoven, ainsi que quatre préludes dus au compositeur russe Dimitri Kabalevsky. Ses interprétations furent jugées «exceptionnelles» et «témoignant d'une grande maturité» par deux des membres du jury (les autres, tout en convenant du talent du jeune candidat, ne lui épargnèrent pas leurs critiques pour ce «refus de la technique» qui leur avait, durant quatre ans, opposé avec entêtement). L'étudiant de vingt ans obtint les notes maximales et de nombreuses lettres de recommandation.
"J’ai énormément travaillé autrefois, mais pas en montant et en descendant des gammes, en répétant inlassablement les mêmes exercices. Il faut jouer des thèmes, sinon l'étude du piano devient très rapidement très ennuyeuse. J'ai commencé à étudier à six ans et je n'ai entendu parler de jazz que vers ma treizième année. Je jouais uniquement pour mon plaisir. Et puis j'ai étudié, je suis allé à l'université, j'ai obtenu des diplômes, mais je n'ai jamais travaillé dans le but de devenir un concertiste classique, cela ne m'intéressait pas du tout. Je suis contre cette idée de passer ma vie à étudier un répertoire pour devenir un «long hair pianist». Si j'aime le piano, ce n'est pas tellement parce que c'est un instrument complet (l'orgue, qui offre les mêmes possibilités, ne m'attire pas), c'est surtout parce que le piano est pour moi du cristal, du cristal qui chante et produit l'impalpable : un son qui s'étire dans l'air comme un rond de fumée et devient parfois percutant. C'est merveilleux de pouvoir s'installer à son piano et de créer sa propre musique avec ses propres conceptions musicales sans avoir à se soucier constamment d'être trahi par le jeu d'un autre musicien."

Bill Evans compositeur

Abordons maintenant le compositeur Bill Evans : j'ai pu dénombrer 67 morceaux composés au cours de sa carrière, dont au moins 8 posthumes. On trouvera la liste à la fin de cet article (j'y ai rajouté «Nardis», qui a été crédité Miles Davis, mais je suis persuadé que Bill avait dû y mettre complètement sa patte lors de l'enregistrement de la cession avec Cannonnball Adderley, voire transformer les accords de cette pièce que Miles avait composé pour Cannonball).

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Utilisation de la répétitions de cellules mélodiques

Revenons à l'une de ses toutes premières compositions Very Early (composée à l'âge de dix-neuf ans), mais figurant pour la première fois sur un album en 1962 [album «Moon Beams»]), composition dont j'ai déjà parlé plus haut. Un morceau très en avance sur son temps, première manifestation d'un talent de compositeur extrêmement profond et personnel.

Que peut-on déceler dans la forme qui peut montrer un peu sa façon de composer, les « trucs » qu'il utilise et qu'on pourrait retrouver dans d'autres de ses compositions ? : certainement l'utilisation d'une cellule thématique où le lyrisme naît de l'interrogation et qui prend, par sa réapparition en diverses tonalités, à chaque fois un sens nouveau.

Détaillons un peu plus dans l'extrait musical ci-dessous, mais ici sur une autre de ses compositions «Bill Hits Tune» (qu'on peut traduire par «le thème de Bill"), cette utilisation de cellules thématiques.
Cellule mélodique, avec à chaque fois une réponse, qui revient, puis rejouée décalée d'un demi ton, puis ton inférieur, et encore ton inférieur (Bach n'est finalement pas loin) et prenant à chaque fois une couleur différente en fonction de la progression harmonique.
C'est drôle, mais hier, m'a sauté aux yeux que c'était aussi un procédé qu'utilisait Michel Legrand (notamment dans «Les moulins de mon cœur») et que j'avais aussi fait inconsciemment et naturellement dans une de mes compositions (comme quoi écrire des chroniques est très important car cela me permet de fixer des choses qui m'avaient échappées).
Du coup, je suis allé faire des recherches sur ce «Bill Hits Tune» et c'est comme ça que j'ai découvert que Bill Evans l'avait écrit en pensant justement à Michel Legrand, dans l'esprit de ses compositions. Bill admirait Michel Legrand (sous la direction duquel il avait d'ailleurs enregistré bien plus tôt en 1958 un album en big band, "Legrand jazz" qui sortira en 1959 ) et dont il avait repris de nombreux thèmes).
En tous cas, Bill recourait déjà à ce type d'écriture avec Very Early.




Répéter plusieurs fois le thème dans d'autres tonalités

Un autre «procédé» de Bill était de répéter plusieurs fois tout un thème, mais en as de la modulation, dans d'autres tonalités, avec à chaque fois quelques petites subtilités harmoniques différentes. J'en ai déjà parlé dans un article précédent : il faut savoir que Bill, travaillait toujours tous les thèmes, qu'il s'agisse de standards ou de ses propres compositions, dans toutes les tonalités*.
*Il choisissait, par exemple pour les standards, la tonalité qui lui paressait la plus parlante, celle apportant le plus de lumière ou de profondeur, le plus de résonance au piano, tout en tenant compte, si il jouait en trio, de celle qui donnaient le plus de possibilités au contrebassiste. C'est par exemple pour cela que dans «Sunday at the Village Vangard», il jouait le standard «My Foolish heart» en la (plutôt que la tonalité originale en Si b : cela permettait au contrebassiste l'utilisation bien plus fréquentes des cordes à vide (la contrebasse s'accorde en mi la ré sol), donnant un son plus profond à l'instrument.

Ici un exemple avec «Letter to Evan» (1979), thème dédié à son fils, où l'on peut entendre qu'il change cinq fois de tonalité au cours du morceau (do majeur, puis mib majeur, puis sol majeur, puis lab majeur, puis réb majeur). Et il le fait à chaque fois de façon magistrale, comme si tout cela passait complètement inaperçu, le changement de tonalité donnant à chaque fois un plus grand lyrisme.




Dans cette exploitation des tonalités, citons sa composition «T.T.T. Twelve tone tune» (1971), un bel exemple d'espèce de composition dodécaphonique sérielle dans les douze tons, mais harmonisée de manière tonale. Durant ce thème de 12 mesures,Bill Evans expose trois fois la même suite sérielle (en l'occurrence : mi, ré, solb, fa, mib, lab, sib, réb, do, la, si) en utilisant des figures rythmiques différentes et en l'harmonisant à chaque fois d'une manière différente. Il a établit ainsi une série de douze sons, la proposant trois fois en entier en trois segments de 4 mesures.



Lors d'une interview, à propos de T.T.T., Bill Evans déclara : "C'est un morceau très difficile et c'est un véritable combat que je livre en interprétant ce thème, et deux fois sur trois je n'en sors pas vainqueur. La troisième fois, tout vient facilement, comme par enchantement. Et les deux fois suivantes, le combat recommence. Ce genre de morceau me fait parfois souffrir, me met en opposition avec ma technique pour la rendre créative en donnant à l'auditeur une certaine impression de facilité. Dans certains de ces thèmes, j'ai parfois l'impression de lutter, de combattre, simplement pour qu'il se passe quelque chose."


L'utilisation des décalages rythmiques

Bill aimait aussi les décalages rythmiques : par exemple dans ses compositions «Displacement» et «Five». Celles-ci mettent en évidence un aspect important de son jeu pianistique : la polyrythmie. Par exemple, dans Displacement (1956), la première partie du thème joue entièrement sur la syncope, le déplacement d'accents ne coïncidant jamais avec les «beats», points d'appuis usuels du flux rythmique. La coexistence d'un déroulement rythmique régulier et d'une autre ligne, oblique qui le traverse, crée une inévitable tension qui aboutit, à un certain moment, à un changement de métrique (de 4/4 à 3/4). Cette alternance de métriques paires et impaires se retrouve fréquemment dans la musique du pianiste, soit dans des compositions originales (ainsi sa composition «Peri's scope», soit dans sa relecture des standards (par exemple «Someday my prince will come».





«Five» (1956), ainsi nommé parce que l'écriture du thème fait s'opposer de façon caractéristique cinq notes par mesures et la métrique de base à 4/4. Ce 5 pour 4 crée une curieuse sensation de boitement qui se transforme dans la partie centrale, en une espèce de danse circulaire, tourbillonnante.




Pour moi, les plus belles compositions de Bill Evans sont celles qu'il a dédiées à des membres de sa famille, soit dans des moments de joie intense, ou lors d'épisodes dramatiques de sa vie (j'y rajoute aussi bien sûr "Peace Piece", [qui est en fait une pure improvisation] et "Blue in green")

- "Waltz for Debby" (1953, enregistrée en 1956), est un thème composé pour sa nièce, qu'il adorait
- "Peri's Scope" (1959), pièce dédiée à sa première compagne Peri Cousin
- «Turn out the stars» apparu la première fois dans "In Memory of His Father Harry L." (1966) dédié à son père.
- «Two Lonely people» (1971), en dédicace à Ellaine, sa seconde compagne, qui ne pouvait lui donner d'enfant Bill la quittera pour Nenette, pour laquelle il composera « Maxine – For Nenette (Maxine est la fille de Nenette), (Ellaine se jettera plus tard sous le métro  et il lui dédiera "B minor Waltz (For Ellaine)")
- «We Will meet again» (1977), pièce composée à la mémoire de son frère qui s'est suicidé
- «Letter to Evan» (septembre 1979), dédié à son fils, comme une valeur de testament. Bill à plusieurs moments de sa vie était au plus bas (il se droguait aux drogues dures, héroïne, puis à cette période à la cocaïne), notamment très tôt dans sa carrière après la mort dans un accident de voiture de son contrebassiste adoré, Scott LaFaro. «Le plus long suicide de l'histoire» dira son ami Gene Leens, alors rédacteur en chef du magazine Down Beat, ayant aussi fait remarquer à Bill que cet autodestruction ne menait à rien, et qu'il fallait qu'il vive pour son fils et sa compagne Nenette, qui représentaient le sens de sa vie
- «Laurie» (1979), pour sa petite ami Laurie Verchomin*, qui accompagnera Bill dans les mois qu'il lui restait à vivre.
*Voir la chronique que j'avais déjà faite sur Bill Et Laurie, lors de la sortie de l'ouvrage "The Big love : vie et mort avec Bill Evans"

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Partition autographe de Bill Evans : « Pour Laurie, qui m'a inspiré cette chanson avec amour . Bill »






Toutes les compositions de Bill

NB : il en existe peut-être d'autres que je n'ai pas repérées. Si un internaute passe par ici et en connaît que je n'ai pas citées, merci de me le faire savoir.
  • A Simple Matter of Conviction
  • Are you all the thing (je la mets ici, mais ce n'est pas une composition à proprement dite, juste une improvisation sur la suite harmonique de All the Things you are)
  • B Minor Waltz
  • Bill's Belle (morceau posthume)
  • Bill's Hit Tune
  • Blue in Green
  • C Minor Blues (posthume)
  • Chase (Posthume)
  • Carnival (posthume)
  • Catch the Wind ( posthume)
  • Children's Play Song
  • Chromatic Tune (posthume)
  • Comrade Conrad
  • Displacement
  • Epilogue
  • Five
  • For Nenette
  • Fudgesickle Built for Two
  • Fun ride
  • Funkallero
  • Funny man
  • G Waltz, Interplay
  • It's Love - It's Christmas (posthume)
  • Knit for Mary F
  • Know what I mean
  • Laurie
  • Letter to Evan
  • Loose Blues
  • Maxine
  • My Bells
  • Nardis
  • No cover, no minimum
  • N.Y.C.'s No Lark
  • One For Hellen
  • Only child
  • Orbit
  • Peace Piece
  • Peri's Scope
  • Prologue
  • Re: Person I Knew
  • Remembering the Rain
  • Show Type Tune
  • Since we met
  • 34 Skidoo
  • Song for Helen
  • Song No.1
  • Story Line
  • Sugar Plume
  • The Open Air
  • Theme (What You Gave
  • There Came you
  • These Things Called Changes
  • Tiffany
  • Time Out for Chris
  • Time remembered
  • Tune for a lyric
  • Turn out the stars
  • T.T.T. (Twelve Tone Tune)
  • T.T.T. (deuxième version)
  • The Two Lonely People
  • Very Early
  • Walkin' Up
  • Waltz for Debby
  • Waltz in Eb (posthume)
  • We Will Meet Again
  • Yet Ne'er Broken
  • Your Story


(à suivre)
Modifié en dernier par Christof le mar. 23 mai, 2023 12:40, modifié 3 fois.
Ninoff
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par Ninoff »

Superbe, je me suis régalé.
Son enfance a fait écho à la mienne.
Lorsque j’ai eu 10ans mes parents ont commencé à donner des cours de piano à mon frère aîné, aussi je restais dans un coin de la pièce à écouter et au bout de 6 mois j’ai remplacé mon frère qui n’aimait pas trop le piano.
Et de même que Bill, je lisais les partitions pendant des heures…
Notre enfance ,l’enseignement reçu, ce qu’ont aime nos parents et leurs goûts nous ont imprégné fortement.
De mon côté ce fut l’opéra et la musique d’église qui m’ont influencé toute mon enfance.
Un grand merci Christof 🙏🙏
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par Christof »

Ninoff a écrit : jeu. 18 mai, 2023 16:44 Superbe, je me suis régalé.
Son enfance a fait écho à la mienne.
Lorsque j’ai eu 10ans mes parents ont commencé à donner des cours de piano à mon frère aîné, aussi je restais dans un coin de la pièce à écouter et au bout de 6 mois j’ai remplacé mon frère qui n’aimait pas trop le piano.
Et de même que Bill, je lisais les partitions pendant des heures…
Notre enfance ,l’enseignement reçu, ce qu’ont aime nos parents et leurs goûts nous ont imprégné fortement.
De mon côté ce fut l’opéra et la musique d’église qui m’ont influencé toute mon enfance.
Un grand merci Christof 🙏🙏
Merci Ninoff pour ton message et je suis ravi de t'avoir rebaigné dans ton enfance.
J'ai l'impression que rester dans un coin de la pièce et écouter son frère ou sa soeur qui jouait est l'apanage des super bons, dont tu fais partie.
On peut voir cela par exemple chez Georges Cziffra (j'en avais parlé dans une longue présentation ici, qui écoutait sa soeur et rejouait ensuite d'oreille tout de ce qu'il avait entendu). C'est vrai aussi pour Lili Boulanger, qui écoutait sa soeur Nadia.
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par rzn »

Passionnant d’aborder cet univers qui nous est souvent inconnu à nous autres « classiques ». J’adore la démarche de recherche perpétuelle du personnage au service de sa musique, l’humilité et le travail qui vont avec. C’est très éclairant cette vision globale de l’artiste qui permet d'établir des liens entre ce qu’il a vécu, pensé et sa musique. Et j’apprécie aussi la forme de ton texte qui permet le picorage, ça se grignote par petits bouts, une écoute, un peu de lecture, au gré des envies. Forme à la fois pleine de sens et très libre, qui colle parfaitement au sujet. Je vais poursuivre la découverte avec plaisir, merci !
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par Ninoff »

Il faut vraiment saluer tout ce travail de recherche et d’écriture qui nous est servi.
Même si tu es passionné, ton envie de partager ces connaissances est admirable..
Merci encore 🙏🙏
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par Christof »

Ninoff a écrit : jeu. 18 mai, 2023 16:44 Superbe, je me suis régalé.
Son enfance a fait écho à la mienne.
Lorsque j’ai eu 10ans mes parents ont commencé à donner des cours de piano à mon frère aîné, aussi je restais dans un coin de la pièce à écouter et au bout de 6 mois j’ai remplacé mon frère qui n’aimait pas trop le piano.
Et de même que Bill, je lisais les partitions pendant des heures…
Notre enfance ,l’enseignement reçu, ce qu’ont aime nos parents et leurs goûts nous ont imprégné fortement.
De mon côté ce fut l’opéra et la musique d’église qui m’ont influencé toute mon enfance.
Un grand merci Christof 🙏🙏
Christof a écrit
Merci Ninoff pour ton message et je suis ravi de t'avoir rebaigné dans ton enfance.
J'ai l'impression que rester dans un coin de la pièce et écouter son frère ou sa soeur qui jouait est l'apanage des super bons, dont tu fais partie.
On peut voir cela par exemple chez Georges Cziffra (j'en avais parlé dans une longue présentation ici, qui écoutait sa soeur et rejouait ensuite d'oreille tout de ce qu'il avait entendu). C'est vrai aussi pour Lili Boulanger, qui écoutait sa soeur Nadia.
A ce propos, je viens de repenser qu'Eroll Garner, complètement autodidacte, avait aussi tout appris en écoutant sa soeur lorsqu'elle prenait des leçons de piano.
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par Christof »

rzn a écrit : sam. 20 mai, 2023 23:11 Passionnant d’aborder cet univers qui nous est souvent inconnu à nous autres « classiques ». J’adore la démarche de recherche perpétuelle du personnage au service de sa musique, l’humilité et le travail qui vont avec. C’est très éclairant cette vision globale de l’artiste qui permet d'établir des liens entre ce qu’il a vécu, pensé et sa musique. Et j’apprécie aussi la forme de ton texte qui permet le picorage, ça se grignote par petits bouts, une écoute, un peu de lecture, au gré des envies. Forme à la fois pleine de sens et très libre, qui colle parfaitement au sujet. Je vais poursuivre la découverte avec plaisir, merci !
Merci beaucoup Rozenn pour ton message.
Oui, c'est aussi ce qui me fascine chez Bill Evans, cette démarche de recherche perpétuelle, et cette pureté dans sa musique. Plus je l'écoute et plus je suis estomaqué par sa transcendance, la grandeur de sa science harmonique, son humilité. Ce qui est fou, c'est que Bill Evans se considérait comme un "sous-doué", un pianiste qui, disait-il "doit travailler plus dur que la majorité de mes confrères parce que je n'ai pas beaucoup de talent".

ll vouait sa vie à la musique. Pour lui, la musique a pour mission (c'est lui qui employait ce mot) de lui révéler à lui-même ce qu'elle doit révéler à n'importe lequel de ses auditeurs, "une part de soi", qu'il n'aurait pas découverte autrement. La fonction de l'art, est un enrichissement de l'âme.
Quand on lui posait la question : "Croyez-vous en une puissance supérieure ?", il répondait :
"La seule chose supérieure dont j'aie fait l'expérience est la musique.
- Y-a-t-il un autre art que vous placez plus haut que la musique ?
- "Non, et même pas s'en approchant".

Il s'est construit par la musique.
Moins que l'aboutissement d'une quête esthétique, l’œuvre est une quête en elle-même, une quête de sa propre identité pour l'artiste et, dans l'idéal, pour ses destinataires. Autrement dit, ce n'est pas Bill Evans que l'on rencontre dans son œuvre (car c'est sûrement une image partielle) mais c'est cette œuvre qui, à force de patience et d'obstination est parvenue a établir ce contact avec le "vrai Bill Evans", l'homme qui désormais peut exister dans son unité et dans son unicité, transfiguré en lui-même pour l'éternité.
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par Christof »

Ninoff a écrit : dim. 21 mai, 2023 7:25 Il faut vraiment saluer tout ce travail de recherche et d’écriture qui nous est servi.
Même si tu es passionné, ton envie de partager ces connaissances est admirable..
Merci encore 🙏🙏
Merci Ninoff. Ton message me touche profondément.
Puisse ce que j'écris donner envie d'en savoir bien plus sur ce pianiste, ouvrir aussi des horizons. 🙏
Et aussi donner envie aux Pmites d'écrire leur ressenti, de partager leurs connaissances à propos de compositeurs ou de pianistes qu'ils adorent.
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par Danaus »

Je croyais connaître un peu Bil Evans mais je m'aperçois que ma raquette n'a que très peu de cordes.

Merci Christof pour ce travail énorme dont tout le monde peut bénéficier.

L'un de mes disques préférés de Bill Evans est, je ne sais pourquoi, Undercurrent en duo avec Jim Hall. Peut être parce que ces deux musiciens sont si proches qu'ils peuvent improviser à deux, je veux dire que les phrases de l'un se retrouvent parfois immédiatement chez l'autre.
Lorsque les sièges basculent, les fondements s'affaissent.
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans et la composition

Message par Christof »

Danaus a écrit : mer. 24 mai, 2023 18:54 Je croyais connaître un peu Bil Evans mais je m'aperçois que ma raquette n'a que très peu de cordes.

Merci Christof pour ce travail énorme dont tout le monde peut bénéficier.

L'un de mes disques préférés de Bill Evans est, je ne sais pourquoi, Undercurrent en duo avec Jim Hall. Peut être parce que ces deux musiciens sont si proches qu'ils peuvent improviser à deux, je veux dire que les phrases de l'un se retrouvent parfois immédiatement chez l'autre.
Merci beaucoup Danaus pour ton message et ravi de pouvoir de faire connaître un peu plus Bill Evans.
Oui, Undercurrent, une fameuse rencontre entre deux musiciens. Et les duos guitare piano sont très difficiles à réussir, sachant que ces deux instruments peuvent se marcher un peu sur les pieds (dans le registre des accords). Ce qui montre ici tout leur talent. Et là, c'est vraiment de l'"interplay". Dialogue merveilleux.



Je comptais d'ailleurs parler à un moment de ce disque, ayant dans l'idée d'écrire un épisode sur Bill Evans comme sideman avant qu'il ne soit connu (donc avant son album "New Jazz Conception", puis un autre épisode comme placé dans différentes configuration (par exemple avec Jim Hall, Stan Getz, Jérome Steig, Miles Davis, Cannonball Aderley, Chet Baker, Oliver Nelson, Monica Zetterlund, Tony Bennet, Georges Russel, Toots Thielemans...).
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans, l'innovateur

Message par Christof »

Bill Evans, incomparable pianiste innovateur

Nb : on pourra lire ou relire mes précédentes publications :

bill_evans.jpg
bill_evans.jpg (15.99 Kio) Vu 381 fois

« Le but du jazz est un objectif spirituel et social élevé, que même les personnes y étant impliquées ne comprennent pas pleinement. Mais sa qualité essentielle attire les meilleurs, qui lui ont consacré leur vie avec un profond sérieux pour faire avancer le développement de sa tradition.

Il me semble que la musique a fait plus que toute autre force pour transcender les frontières sociales, religieuses, raciales et géographiques et, au sommet de cette force musicale se trouve le jazz, issu de l'unification de nombreuses cultures et types de traditions musicales.
Peut-être que cela peut nous aider à conduire le monde vers plus d’amour et de compréhension. Si cela n’arrive pas, je serai pessimiste quant à l’avenir de la société dans son ensemble. Ce pays est sûrement un terrain d’essai.
 » (Bill Evans)

Une réinvention des standards

L'innovation pianistique incomparable de Bill Evans continue d'être célébrée à notre époque et étudiée de près par des musiciens du monde entier. Au cours d'une carrière d'enregistrement qui a duré plus de 25 ans, il a changé l'approche du son du piano jazz par son toucher, son phrasé et sa dynamique. Sa manière remarquable de gérer les possibilités d'interaction au sein du trio piano-basse-batterie fait aussi partie de sa palette dès la fin des années 1950. Ses contributions à la musique modale du jazz sont également bien reconnues ainsi que son travail de sideman sur des enregistrements de Miles Davis, Charlie Mingus, George Russel, Oliver Nelson, Tony Scott, Lee Konitz et d'autres.

Issu d'une formation approfondie et disciplinaire en musique classique européenne ainsi que d'années passées à jouer le répertoire du Great American Songbook, Bill Evans a réinventé la manière dont certains standards populaires des années 1930-1950 ont été joués depuis dans le jazz. Il a apporté une originalité singulière à la musique avec ses idées très mélodiques et ses harmonisations d'accords et de mouvements harmoniques désormais légendaires.

Ces repères du jazz sont continuellement absorbés dans le langage musical plus vaste des nouvelles générations de musiciens et d’arrangeurs, certains même en dehors du jazz. Des artistes pop et auteurs-compositeurs tels que Donald Fagen, Sting et David Foster, pour n'en nommer que quelques-uns, ont cité Bill Evans comme une influence importante. On peut chanter à haute voix de nombreuses phrases dans certains solos de Bill et elles sonnent presque comme des chansons en elles-mêmes, tant elles sont prégnantes dans leur contour mélodique et leur utilisation de la couleur, de l'espace et du temps. Les livres de transcription publiés de ses chorus sont scrutés par les amateurs et les professionnels de la musique du monde entier, et constituent une grande partie des programmes universitaires de jazz moderne, rivalisant peut-être en nombre seulement avec ceux de Charlie Parker ou de John Coltrane.

Les contributions rythmiques d'Evans au jazz, bien que parfois négligées, ne peuvent être facilement écartées. Tout au long de sa carrière, il a continué à développer son concept de déplacement (voir plus bas), déplaçant ses accents d'accords et ses anticipations au sein d'une pensée structurelle très personnelle et stylistique sur laquelle il a continuellement travaillé, comme il l'a démontré à la pianiste Marian McPartland dans une interview radiophonique en 1978.
Bien entendu, son amour des valses a déjà été évoqué à de nombreuses reprises. Autre exemple, une écoute attentive de sa façon d'accompagner les différents bassistes de ses trios au fil des années révèle toutes sortes de phrasés ludiques, ancrés et solidaires ; cherchant toujours à compléter leurs lignes, toujours à l'écoute, y ajoutant intérêt rythmique et contrepoint. Il y a son penchant pour les triolets et les trois contre quatre, parfois les cinq contre quatre, quatre contre trois..., et d'autres manières d'exécution surprenantes, des phrasés et des regroupements inattendus d'accents décentrés. Ceci dès le départ, et n’étant d'ailleurs qu’un aspect d’une expansion florissante dans son jeu ultérieur. Cette croissance est particulièrement apparente et intense dans son jeu global lors des deux dernières années de sa vie.

En parcourant les éléments de toute sa carrière, on découvre ce qu'il disait souvent lors des interviews : "Il y a une raison dans tout ce que je joue" (...) J'ai essayé d'acquérir de la théorie et du goût pour le rythme et la mélodie du jazz... et de les construire moi-même selon un certain sens architectural. Et ce n’est pas si complètement intuitif, ou alors je ne l’ai pas simplement assimilé de manière intuitive. C’était assez analytique et tout cela s’est construit sur une longue période de temps".

Que nous en soyons conscients ou non, Bill Evans a changé la façon dont la plupart d’entre nous entendons le jazz. Une grande partie de son approche a été assimilée dans le travail de nombreux grands musiciens qui l’ont suivi, pianistes et non-pianistes. Aussi inventifs soient-ils, il est juste de dire qu'il n'y aurait pas eu de Keith Jarrett, Herbie Hancock et Chick Corea sans un Bill Evans.

Âme privée et réservée encline à l'humble autodérision, Bill Evans a cependant toujours ouvert son expression intérieure en se penchant sur le clavier. D’une vie remplie de tragédie et de tristesse, il a pourtant réussi à créer un paysage sonore cristallin, vibrant, qui lui était propre. Son écho est toujours là, et il est toujours à mon avis aussi vital, éclairant et spirituellement émouvant lorsqu'on l'écoute et s'immerge dans sa musique.
Comme il le disait lui-même :
" Mon credo pour l'art en général est qu'il doit enrichir l'âme. Il doit enseigner spirituellement en montrant à une personne une partie d'elle-même qu'elle ne découvrirait pas autrement, une partie de soi dont elle ignorait l'existence. "

Ceci témoigne de son talent artistique, de sa quête réussie brillamment, dans une vie trop courte. Une musique qui génère toujours une réponse émotionnelle auprès des nouvelles générations de musiciens et d'auditeurs à travers ses nombreux enregistrements. Bill Evans, comme ont pu l'attester tous ceux l'ayant rencontré et passé du temps avec lui, était honnête, noble, plein d'esprit, pudique, un être véritablement humain : un prince.

Excellent compositeur, plongé de manière organique dans le contexte du jazz ; son travail démontre que, dès ses premières années, il a été immergé dans la syntaxe et les procédures d'harmonie, de développement mélodique et motivique (répétition d'un motif), de contrepoint et de structure. Et tout ceci lui vient de la musique globale des quatre derniers siècles, doublée de sa pratique massive qu'il a commencée à l'âge de six ans, faisant aussi de lui un un monstre de lecture à vue (selon ceux qui en ont été témoins, lorsqu'ils voyaient le pianiste déchiffrant au tempo Bach, Rachmaninov, Stravinsky, également des partitions anciennes et finalement à peu près tout ce qui lui est présenté. Et au fur et à mesure que ses connaissances en jazz grandissaient, il s'imprégnait aussi du style de bien des pianistes comme par exemple Nat King Cole, Bud Powell et Lennie Tristano qu'il admirait tant, tout comme celui de Chopin, Debussy ou Ravel, compositeurs qui eurent une grande influence sur lui. Mais il faut savoir que son compositeur de prédilection, c'était Bach.

Ci-dessous, on peut entendre Bill Evans en 1956 (il a 26 ans) sur le « Concerto for Billy the Kid », de Georges Russel, jouant dans un style rappelant celui de Bud Powell...


Se référant à ses années d'adolescence, il se qualifiait autrefois de "meilleur joueur de boogie-woogie du centre de Jersey" (New Jersey). À cette époque, à la fin des années 1940 (il a alors 11 ans), le tout jeune pianiste travaillait déjà dans des des orchestres de danse. D'après un bassiste qui jouait avec lui à l'époque, Bill pouvait interpréter la plupart des morceaux un ton ou un demi-ton au-dessus de la tonalité d'origine, ce qui pouvait parer à tout désagrément si il lui fallait jouer sur un piano trop désaccordé ! Bill avait une oreille exceptionnelle et sa formation continue en matière classique et théorique, ceci tout en gravissant les échelons au sein de nombreux ensembles jazz et pop variés, lui ont sûrement développé sa plus grande propension à explorer toutes les possibilités harmoniques qui sont devenues une signature de son travail.

L'exploration de nouveaux territoires dans l'écriture jazz

Comprenant qu'il faut connaître les règles avant de pouvoir les enfreindre, Bill Evans a exploré de nouveaux territoires dans l'écriture jazz grâce à des méthodologies intentionnelles et spécifiques. Il s'est donné des objectifs musicaux particuliers, se fixant certaines contraintes dans les morceaux ou considérant le morceau comme un puzzle musical à résoudre. Une espèce de pari à partir d'un principe tonal spécifique et alors travailler à partir de cela : par exemple introduire une phrase mélodique, la forger dans l'esprit de l'auditeur sur une base harmonique donnée, puis répéter la phrase mais sous forme légèrement variable, permutée aussi, ou avec une base harmonique complètement différente.
Ses techniques étaient du plus haut niveau intellectuel, mais le résultat final nous habite sous la forme d'une chaleur et d'une exubérance joyeuse.

Bill Evans était connu pour composer alors qu'il se trouvait dans un aéroport ou dans le métro de New York tard dans la nuit, après des concerts. Il écrivait souvent des morceaux loin du piano, puis en vérifiait plus tard l'exactitude au clavier.


Quelques exemples de l'originalité de ses compositions ou de ses reprises de thème

- Son "Re person I Knew (1962)" (anagramme basé sur les lettres du nom de son producteur Orrin Keepnews) est entièrement écrit sur une pédale en do, avec des harmonies découlant d'accords diatoniques, à la fois en do majeur et en mineur parallèle. L'artifice et la grandeur de cette composition de 16 mesures résident alors dans la structure interne des accords et l'usage de tensions harmoniques variées qui s'établissent à mesure que la séquence change avec en filigrane cette pédale de basse. Comme aimait à le dire Bill Evans : « J'utilise l'intérieur des sons pour me déplacer d'une manière très subtile, ce qui, je crois, finit par être inévitable. J'ai pensé que c'était la seule solution à ce problème particulier que je me suis fixé lors de la composition du morceau ».




- "Sugar Plum"(1971), fonctionne selon une progression assez simple : deux mesures de I, deux mesures du bVII, encore deux mesures de I encore, et utilisation de la quinte pour devenir les accords II comme II-V-I de la tonalité suivante, en parcourant le cycle des quintes, à chaque fois, et dans les 12 tons (chaque fois que la séquence est reprise, il y a modulation vers la quinte descendante, où la première est en sol, la deuxième est donc en do, puis fa... etc). Les improvisateurs doivent donc «slalomer» dans 12 tonalités différentes, ce qui demande une grande habileté et concentration.




-"Time Remember (1962)", devenu aussi un standard du jazz, est fascinant dans le sens où il est développé harmoniquement dans les régions tonales, mais sans utiliser d'accord de septième dominante dans ses transitions (ne recourt donc qu'à des accords majeurs et mineurs, colorés d'extensions employant de nombreux 9e, 11e et 13e) ! Ce morceau est à la fois influencée par les œuvres modales du XVIe siècle des maîtres polyphonistes (Palestrina, Byrd, Frescobaldi...) et par l'œuvre des compositeurs impressionnistes comme Debussy et Ravel. Ce morceau utilise quatre modes : dorien, phrygien, lydien et éolien... Tout ceci donnant à ce chef d’œuvre une saveur modale et impressionniste.

Je choisis ici cette version avec orchestre philharmonique, qui va plaire j'en suis sûr à Yuncham Lim, voir également [ur="viewtopic.php?p=479506#p479506"l]ici[/url].




On peut aussi trouver, dans d'autres morceaux, des procédés particuliers : par exemple une structure de 24 mesures qui module depuis les harmonies finales de la dernière phrase jusqu'à la tonalité suivante, et ainsi de suite à travers le cycle des quintes - en alternant entre le 3/4 et 4/4.

Comment donner un panorama exhaustif de l'originalité des compositions de Bill ? La liste serait très longue...
-« Blue in green » (1959), par exemple, thème modal écrit sur 10 mesures ce qui en fait une rareté dans les standards. Bill aimait parler de cette composition comme d'un "cycle de dix mesures conçues de manière à laisser l'auditeur non averti incapable de discerner le début et la fin de la séquence.




- Twelve tone tunes (1971), thème dont la mélodie est écrite selon les règles de la musique sérielle mais harmonisé de manière tonale. Durant ce thème de 12 mesures, Bill Evans expose trois fois la même suite sérielle (en l'occurrence : mi, ré, solb, fa, mib, lab, sib, réb, do, la, si) en utilisant des figures rythmiques différentes et en l'harmonisant à chaque fois d'une manière différente.





- L'usage des déplacements rythmiques d'une même phrase ( j'en avais déjà parlé un peu dans un précédent article), avec le morceau «Five» (1957), par exemple

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Ce thème de Bill - basé sur les accords de "I got Rhythm" – révèle une mélodie qui s'avère constituer un véritable problème arithmétique. Morceau écrit à quatre temps, mais où des quintolets occupent chacune des seize premières mesures. Bill Evans lui-même était indécis sur la façon de noter les huit mesures du milieu plus complexes, composées de gammes descendantes de quatre notes (avec un silence occasionnel entre chaque) : comme a pu le dire Warren Bernhardt - élève et ami de Bill - "une véritable vacherie à jouer". Ces groupes de gammes de quatre notes descendent par tierces (une caractéristique typique du style de la main droite du pianiste) et reviennent cinq fois dans chaque moitié des huit mesures centrales. Sur le papier, l'intellect est satisfait, et sur le plan sonore, comme il sied au sens de l'humour d'Evans, la pièce apparaît comme un casse-tête musical. Au cours des années suivantes, il l'a utilisé à fond, le jouant fréquemment comme signature à la fin des sets, sa façon de dire "C'est tout pour ce soir, les amis !"





- Bill Evans était très attentif au déplacement des notes et des phrases par rapport à la métrique. Par exemple, sur son morceau "Displacement" (1956),
la première partie du thème joue entièrement sur la syncope, le déplacement d'accents ne coïncidant jamais avec les «beats», points d'appuis usuels du flux rythmique. La coexistence d'un déroulement rythmique régulier et d'une autre ligne, oblique qui le traverse, crée une inévitable tension qui aboutit, à un certain moment, à un changement de métrique (de 4/4 à 3/4). La nature découpée et disjointe du thème suscite alors chez Bill une sorte d'improvisation correspondante dans laquelle des idées brèves et accrocheuses se succèdent, la MG conduisant la droite de façon saccadée (il faut savoir que quelques années plus tôt, Horace Silver jouait ainsi avec Miles Davis - Evans et Silver étant de fervents admirateurs mutuels).
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- Et bien sûr, il y a aussi sa marque de fabrique : son art du voicing, son développement inégalé à mon avis de ses accords sans basses (qui on ouvert aussi la porte à des langages d'accords tels que ceux d'Herbie Hancock), la richesse incommensurable de ses marches et résolutions harmoniques...




Cette impression aussi, lorsque Bill reprenait le thème d'un autre, d'une transfiguration, nous révélant enfin le morceau dans toute sa grandeur, comme si il en avait été lui-même le compositeur original :

- "Danny Boy" (issu d'un Traditionnel Irlandais – puis publié en 1913 aux USA), joué ici en 1962 par Bill





- «We must believe in spring» (« Chanson de Maxence » (1967) de Michel Legrand, repris en 1977 par Bill). Michel Legrand avec qui j'avais longuement parlé à la fin d'un de ses concerts, m'a dit « il jouait ce morceau tellement mieux que moi »...




Dans ses Conseils aux jeunes musiciens (1848), le compositeur allemand Robert Schumman écrit :
« Ce n'est que lorsque la forme deviendra claire pour vous que l'esprit le deviendra aussi ».
L'esprit dans les morceaux de Bill est indéniable, tout comme son attention à la forme. Et sa musique transcende souvent le langage du jazz dans lequel il avait choisi de travailler. Beaucoup de ses morceaux peuvent être interprétés « tel quel » et sont si convaincants qu'ils fonctionneront parfaitement sans employer une « sensation de jazz » ou une sensibilité « pop ».

C'est peut-être la raison pour laquelle des artistes classiques tels que le Quatuor à cordes Kronos, Katia Labèque et Jean-Yves Thibaudet ont consacré des albums entiers, ou de larges segments d'albums, aux compositions d'Evans. Il en existe aussi pléthore du côté des jazzmen : citons par exemple (mais il en existe plein d'autres..) « Elegy for Bill Evans "(Richard Beirach), : "Dedicated to Bill Evans and Scott LaFaro" par Larry Coryell et Miroslav Vitouš ; "Bill Evans: A Tribute" par Jimmy Rowles, McCoy Tyner, Herbie Hancock, John Lewis, Dave McKenna... ; ""I Remember Bill: A Tribute to Bill Evans" par Don Sebesky et Larry Coryell ; "Evans Remembered" par Enrico Pieranunzi ; "Something for You: Eliane Elias Sings & Plays Bill Evans" par Eliane Elias ; "Tribute to Bill" par Giovanni Mirabassi (CD épuisé) ; "Blue in green, tribute to Bill Evans" par Paul Lay ; "Interplay - The Music of Bill Evans" par Diégo Imbert et Alain Jean-Marie...

(A suivre, peut-être)...
Modifié en dernier par Christof le ven. 05 janv., 2024 13:05, modifié 21 fois.
Ninoff
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans, l'inovateur

Message par Ninoff »

Fabuleux mon cher Christof…
Merci de partager cela avec nous, et tout le temps que tu as passé pour rédiger ce paragraphe essentiel.
J’ai retenu ces quelques phrases délicieuses à souhait:

« 
« Le but du jazz est un objectif spirituel et social élevé, que même les personnes impliquées ne comprennent pas pleinement. Mais sa qualité essentielle attire les meilleurs, qui lui ont consacré leur vie avec un profond sérieux pour faire avancer le développement de sa tradition.

Il me semble que la musique a fait plus que toute autre force pour transcender les frontières sociales, religieuses, raciales et géographiques et, au sommet de cette force musicale se trouve le jazz, issu de l'unification de nombreuses cultures et types de traditions musicales.
Peut-être que cela peut aider à conduire le monde vers plus d’amour et de compréhension. Si cela n’arrive pas, je serai pessimiste quant à l’avenir de la société dans son ensemble. Ce pays est sûrement un terrain d’essai. » (Bill Evans) »

Merci de tout coeur

Ninoff
Yunchan.Lim
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans, l'innovateur

Message par Yunchan.Lim »

Bravo à Christof pour ces longs articles sur Bill Evans, un vrai spécialiste ! Gros sujet, j'ai pas encore lu toutes les 17 pages, je ne vais pas m'ennuyer ! il y a une quinzaine d'années je travaillais pas mal le piano et je voulais enregistrer un truc en essayant (vaguement) de ressembler à Bill Evans, j'avais remarqué qu'il n'avait jamais joué "Misty" dans son répertoire alors j'avais composé ce petit arrangement (que j'avais mis en ligne plus tard sur youtube il y a 8ans) qui mélangeait un petit bout de la mélodie de "Letter to Evan" à "Misty". Après cette période je n'ai plus joué de piano, c'est donc mon dernier morceau joué au piano, je n'ai pas les doigts de pianiste, mes gammes et arpèges passent "limite" et très irréguliers (bref je n'ai jamais été pianiste, juste par période je m'amusais à chercher des trucs mais jamais de travail technique sérieux à proprement dit). J'aurais vraiment été curieux d'entendre comment Bill Evans aurait joué Misty car ce n'est normalement pas un morceau de son style, mais il était capable de transformer n'importe quelle mélodie à sa manière et d'en faire une nouveauté jamais entendue.
Yunchan.Lim
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans, l'innovateur

Message par Yunchan.Lim »

J'avais retrouvé cette photo par hasard dans un vieux magazine datant de fin des années 70 ou début 80 (qui n'existe plus) "News reporter" qui n'avait rien à voir avec la musique mais qui était spécialisé dans la photographie et publiait parfois aussi des photos de personnalités artistiques connues de l'époque. J'avais gardé cette photo que j'avais découpée, je n'ai plus l'article qui allait avec cette photo ni le magazine. J'en déduis qu'elle a été prise quand Bill Evans a fait une tournée en Amérique du sud, peut-être que Christof connait tous les lieux et historique de ses concerts ? J'avais donc utilisé cette photo amusante (jamais vue sur une pochette de ses disques) pour mettre sur ma vidéo Youtube.

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Christof
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Re: Histoire du jazz à ma façon (suite)... Bill Evans, l'inovateur

Message par Christof »

Merci beaucoup Ninoff pour ton message.
Ninoff a écrit : jeu. 04 janv., 2024 20:13 Fabuleux mon cher Christof…
Merci de partager cela avec nous, et tout le temps que tu as passé pour rédiger ce paragraphe essentiel.
J'aime beaucoup partager. Écrire, c'est aussi pour moi tenter de clarifier ma pensée, de mieux ordonner mes connaissances, essayer de raconter une histoire, tutoyer un peu mieux Bill Evans, cet être de lumière. Et peut-être donner aux éventuels lecteurs qui ne le connaissait pas, l'envie de se pencher sur ce qu'il a légué.

J’ai retenu ces quelques phrases délicieuses à souhait:
Ninoff a écrit : jeu. 04 janv., 2024 20:13 « Le but du jazz est un objectif spirituel et social élevé, que même les personnes y étant impliquées ne comprennent pas pleinement. Mais sa qualité essentielle attire les meilleurs, qui lui ont consacré leur vie avec un profond sérieux pour faire avancer le développement de sa tradition.

Il me semble que la musique a fait plus que toute autre force pour transcender les frontières sociales, religieuses, raciales et géographiques et, au sommet de cette force musicale se trouve le jazz, issu de l'unification de nombreuses cultures et types de traditions musicales.
Peut-être que cela peut nous aider à conduire le monde vers plus d’amour et de compréhension. Si cela n’arrive pas, je serai pessimiste quant à l’avenir de la société dans son ensemble. Ce pays est sûrement un terrain d’essai. » (Bill Evans) »

Merci de tout coeur
Ninoff
Oui, ces phrases sont délicieuses.
Ce qu'il dit au tout début me fait notamment réfléchir : personne en fait ne sait ce que veut dire le mot "jazz", personne n'est d'accord sur l’étymologie de ce nom et les définitions étymologiques des années vingt n'ont rien à voir avec les définitions actuelles. Si on interroge par exemple les musiciens d'un quartet de jazz, demandant à chacun sa définition du jazz, on obtiendra quatre définitions différentes...
Finalement, le jazz est la seule musique qui a un nom qui ne veut rien dire, ce qui n'empêche pas de jouer, de vibrer ensemble. Oui, le jazz est est un art musical mais, au-delà de la musique, un art de vivre, un art de partager en musique d'une façon particulière. Et c'est peut-être justement parce que personne ne sait ce que veut dire "jazz" qu'elle ouvre à l'humain autant d'ouverture, de partage et d'espace de liberté...
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