Travailler le répertoire pour la main gauche

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
Répondre
Oukee
Messages : 1929
Enregistré le : mar. 16 juil., 2019 18:47
Mon piano : Bösendorfer 200 / Yamaha P-515
Localisation : Yvelines

Travailler le répertoire pour la main gauche

Message par Oukee »

Ayant dû par nécessité me focaliser sur le répertoire pour la MG seule depuis plus de 6 mois, je partage avec vous quelques réflexions, à l’attention aussi de ceux qui voudraient se lancer, par choix ou par nécessité, dans des morceaux de ce répertoire.

-5 doigts, c’est moins bien que 10 : c’est une évidence, mais le jeu MG seule est très inconfortable, par la dissymétrie qu’il implique, la position par rapport au clavier inhabituelle (légèrement décalé vers les aigus), le niveau de sollicitation de la main, très supérieur par rapport au travail habituel de la MG ce qui est source de grande fatigue si l’on n’y prend pas garde. Le risque de se blesser est réellement plus élevé : Lang Lang (que je n’aime pas par ailleurs, mais qui n’est pas le premier venu) s’est détruit la MG en pratiquant le concerto de Ravel à trop fortes doses.

-La MG a bien besoin d’un travail spécifique : je me suis rendu compte que ma MG était plutôt à la ramasse une fois que la MD n’était plus là pour masquer les déficiences. Il faut dire que le répertoire classique est globalement très déséquilibré entre les 2 mains, sauf chez Bach (d’ailleurs travailler la technique dans les morceaux ne fait qu’accentuer le déséquilibre entre les 2 mains). Regardons par exemple les études de Chopin, référence absolue en matière de pianisme. Les seules études sollicitant la MG comme on s’y attend dans une étude sont les op10/4, 9,12 et 25/4,12 (j’écarte 10/6 et 25/car jouées à tempo modéré). Mieux vaut retourner chez Czerny ou Moszkowski pour travailler le mécanisme de la MG (par exemple, la 2ième étude de l’op 72 de Moszkowski).

-Les chefs d’œuvre sont rares : Léon Fleisher qui connaissait ce répertoire à fond, disait que dans le répertoire solo, il n’y a matière que pour 2 programmes de récital. Pourtant, ce répertoire est très vaste. Il comprend beaucoup de transcriptions pas forcément très heureuses (exemple : la mort d’Isolde de Wagner-Liszt !) avec quelques exceptions (Chaconne de Bach/Brahms), tandis que les compositions véritablement originales sont rares. A noter que les compositeurs de 20ième siècle ont été nombreux à proposer des œuvres dans ce format, et cela vaut la peine d’y faire un tour. Situation comparable pour la littérature concertante, avec toutefois une exception, le concerto de Ravel, qui figure parmi les chefs d’œuvre absolus (avec ou sans les 2 mains). Le 4ième concerto de Prokofiev, « Diversions » de Britten sont des œuvres remarquables, mais un cran en dessous je trouve.

-Une attention à apporter à des problèmes spécifiques : la MG devant couvrir un territoire plus étendu, le jeu de pédale joue un rôle encore plus important que dans le jeu avec les 2 mains. Cela se complique aussi du fait du positionnement dans le medium et le grave qui oblige à des usages bien dosés de ½ ou ¼ de pédale, voire pas de pédale du tout.
Autre problème récurrent : les accords de 3, 4 ou 5 sons de 10ième, 12ième voire sur deux octaves qu’il faut arpéger, ou jouer comme une succession de deux accords, le choix dépendant du contexte et du morceau (et souvent laissé à l’appréciation du pianiste).
-Le casse-tête des doigtés : contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a beaucoup de choix de doigtés alternatifs, et doigter une partition s’avère laborieux. Cela traduit le fait que l’écriture d’un morceau entièrement à la MG n’est pas naturelle, surtout lorsque le morceau veut donner l’illusion de 2 mains ou introduit de la polyphonie.

-Un OVNI, Godowsky : le pianiste/compositeur qui a entrepris une exploration systématique des limites physiques du jeu MG. Dans son opus controversé d’études d’après les études de Chopin, 22 sont consacrées à la MG seule. Cela vaut le détour, pour l’ingéniosité des formules digitales et des doigtés (les jouer est une autre affaire, avec un vrai challenge intellectuel avant l’aspect physique du jeu).
A noter qu'il e s’agit pas de transcriptions des études de Chopin (rigoureusement infaisable de toute façon), mais d’adaptations qui (c’est mon opinion) tiennent la route musicalement, car du fait de la contrainte physique, elles évitent les excès des autres études pour les 2 mains, et qui sont elles complètement délirantes.

-Pour approfondir le sujet : je recommande l’ouvrage de Etienne Barilier « Pour la main gauche - Histoire d’un piano singulier ». L’ouvrage est bref, bien écrit, et propose une approche intéressante de ce répertoire.
https://www.radioclassique.fr/classiqu ... -barilier/
Répondre