Histoire du jazz à ma façon (suite)... Hommage à Michel Petrucciani

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
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pianojar
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Re: Une histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (4)

Message par pianojar »

Oukee a écrit : sam. 03 juil., 2021 18:18
Christof a écrit : sam. 03 juil., 2021 12:15
PS : je ne savais pas que Lise de la Salle reprenait Tiger rag et Tea for two (en concert ? sur CD ?).
Connais-tu cela : Horowitz jouant Tea for two (sûrement parce qu'il l'avait un jour vu jouer par Art Tatum, il s'amuse d'ailleurs à faire des guirlandes un peu comme lui) :

Lise de la Salle reprend Tea for two sur son dernier album et va le jouer lors de son récital à venir à la Roque d’Antheron.
Il y a des partitions qui transcrivent quelques enregistrements d’Art Tatum, donc les pianistes classiques s’y mettent.
Sinon, j’avais vu il y a quelques années un CD de Steven Mayer chez Naxos “Improvisations d’Art Tatum” avec notamment TF2 et Tiger Rag.
Merci pour la vidéo d’Horowitz :D : on a l’impression qu’il se remémore sa jeunesse, lorsqu’il a rencontré Art Tatum, c’est très émouvant.
Horowitz avait composé sa propre version de Tea for Two, mais ne l’a joué que dans quelques réceptions privées. Bizarrement, il ne l’a pas enregistré : pour éviter la comparaison ?
Il y a une pianiste qui le joue
Yuja Wang

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Ninoff
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Re: Une histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (7) - Lorsque le pianiste joue avec les autres musiciens (su

Message par Ninoff »

Merci Christof de cette suite passionnante 👌👌👌
J’avais vu que Yuja s’était essayé à Tea for two...
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Christof
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Re: Une histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (7) - Lorsque le pianiste joue avec les autres musiciens (su

Message par Christof »

Merci Pianojar ! Cela enrichit le fil. Oui, c'est dingue cette fluidité qu'il a dans son Tiger Rag quand on regarde la partition : un peu hallucinant.

Je n'avais jamais fait attention que Yuja Wang jouait Tea for Two... Immense pianiste, qui rend un bel hommage.
Modifié en dernier par Christof le jeu. 08 juil., 2021 21:33, modifié 2 fois.
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Re: Une histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (7) - Lorsque le pianiste joue avec les autres musiciens (su

Message par Christof »

Ninoff a écrit : mer. 07 juil., 2021 21:18 Merci Christof de cette suite passionnante 👌👌👌
J’avais vu que Yuja s’était essayé à Tea for two...
Merci Ninoff
C'est également passionnant de l'écrire. Organiser les idées, compléter mes recherches, choisir tel ou tel morceau en imaginant que cela colle bien avec ce que je tente d'expliquer.
Je suis toujours étonné de voir à chaque fois l'épisode se construire de lui-même, alors qu'au début, ce n'est jamais gagné.

PS : bientôt l'épisode suivant...
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Re: Une histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (8) - Lorsque le pianiste joue avec les autres musiciens (su

Message par Christof »

Le génie d'Art Tatum (8)- Lorsque le pianiste joue avec les autres musiciens (suite)…

Rappel : Introduction (1)
Le génie d’Art Tatum (2)
Le génie d’Art Tatum (3)
Le génie d’Art Tatum (4)
Le génie d’Art Tatum (5)
Le génie d’Art Tatum (6)
Le génie d’Art Tatum (7)



tatum_magicien.jpg
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Art Tatum et Buddy de Franco

Si j’avais déjà mis en écoute le morceau A foggy day (voir épisode 4) joué par Art Tatum et Buddy de Franco, j’aimerais beaucoup revenir à cette fameuse rencontre entre les deux musiciens, ce qui me permet toute de suite de faire cette digression rapide sur l’histoire de la clarinette dans le jazz….

Dans les années 1920, la lente sortie de l'ornière de la Nouvelle-Orléans a été caractérisée par l'avènement d'une succession de clarinettistes qui, quels que soient leurs mérites divers, ont joué certainement un rôle majeur dans la diffusion de la musique. Le plus habile d'entre eux était Benny Goodman, qui réalisa une brillante synthèse des styles de tous ses prédécesseurs importants et produisit le jeu de clarinette qui fit de lui une célébrité mondiale dans les années qui suivirent.

Dans la folle décennie des années 30, avec notamment les grands orchestres de jazz, certains as de la clarinette étaient si renommés qu’on pouvait même les voir dans certains films au cinéma. La clarinette occupait le devant de la scène… : des compositions comme "Clarinet à la King" (Benny Goodman), "Concerto for Clarinet (Artie Shaw)", "Wooshoper's Bal" (Woody Herman) sont par exemple devenues en ce temps des œuvres familières auprès de dizaines de millions d'adeptes.

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Benny Goodman avec Duke Ellignton






Buddy de Franco : un maître

(attention, il existe aussi de très grands clarinettistes : on pourrait citer aussi Herbie Fields (le pianiste Bill Evans a joué dans son orchestre), et chez-nous Michel Portal (qui joue également de la clarinette basse). Citons également Eric Dolphy pour la clarinette basse).

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Buddy de Franco

Boniface Ferdinand Leonardo de Franco (1923 – 2014) est arrivé pile poil pour vivre la fin de cette époque, même si au moment où il a rejoint les rangs des groupes de Charlie Barnet et Tommy Dorsey, les choses commençaient à changer. L'ère du Big Band était en train de s'arrêter. Artie Shaw par exemple était déjà comme presque "enterré". Benny Goodman, de son côté, se plaignait des beboppers qui, pour lui, "jouaient de fausses notes", c'est-à-dire des notes autres que celles qui lui venaient à l'esprit.
Woody Herman fut alors considéré comme attraction secondaire. La plupart des "anciens rois" semblaient morts, et la réaction instinctive fut de dire "Longue vie aux nouveaux rois". La difficulté maintenant, pour les clarinettistes, était que l'intérêt semblait s'être éloigné vers d'autres instruments, notamment le saxophone.
Sauf qu'à ce moment-là, Buddy de Franco s'était imposé sans aucun doute comme le meilleur clarinettiste de la nouvelle école. Il a été probablement l'un des seuls clarinettistes de jazz qui ne jouait que de cet instrument à réussir à toujours adapter son style à son époque (et ceci d'ailleurs jusqu'aux années 1980).

Ce n’est pas forcément très connu, mais il faut savoir que peu de musiciens dans l’histoire de jazz ont été aussi largement et régulièrement reconnus à ce point en matière de «domination d’un instrument» (Charlie Parker ou Dizzie Gillepspie en étaient aussi d’autres). Un homme qui remporte le sondage annuel du magazine Downbeat est sûrement un excellent musicien, mais l'homme qui s’y maintient pendant dix années consécutives comme l'a fait de Franco, de 1945 à 1954, doit être alors un musicien extraordinaire. Et de Franco l'était.

Il faut savoir que la clarinette n'est pas l'instrument le plus facile à maîtriser (les saxophones possèdent par exemple des rouleaux, et pas la clarinette. Les doigtés ne sont pas évidents non plus sur ce dernier instrument). De plus, les néologismes de l'harmonie moderniste, les rafales à double tempo du nouveau jazz de la fin des années 40, les intervalles non évidents qui ne tombaient plus facilement sous les doigts (comme par exemple tant de phrases de l'école de Chicago), tous ces nouveaux problèmes ont fait de la maîtrise de la clarinette une proposition encore plus intimidante que jamais. De Franco, lui, excellait.

Dans une certaine mesure donc, ce 6 février 1956, jour des enregistrements avec Tatum, il était alors un peu comme un roi sans royaume, un maître complet de son instrument juste au moment où la clarinette tombait en disgrâce (la raison du déclin de la popularité de cet instrument est finalement assez difficile à expliquer). Mais s'il existe une quelconque raison logique à ce constat, une chose est sûre : en minimisant l'attention du public vers la clarinette, le monde du jazz a sous-estimé l'un des ses maîtres. Il suffit d'écouter les enregistrements réalisés lors de cette session (organisée par le producteur Norman Granz) où, de l’avis de nombreux critiques, De Franco y a produit certaines de ses improvisations les plus brillantes : stimulé par les arabesques d’Art Tatum, il en fait de même, tout en gardant une clarté folle du discours.

Tout l'objectif du joueur partageant l'affiche avec Art Tatum devait être de convaincre à chaque instant l'auditeur que sa présence ajoutait quelque chose de rare. Bien sûr, de Franco y est parvenu (citons encore une fois par exemple de nouveau le premier chorus de "Foggy Day" - voir épisode 4)ou les embellissements du thème Deep night, chanson finalement assez peu connuen dans laquelle le filigrane de dentelles des figures de clarinette se conjugue parfaitement à celles du pianiste)..

Mais finalement, pour illustrer cette session d'enregistrement (avec Red Callender à la contrebasse et Bill Douglass à la batterie), j’ai choisi finalement ce morceau This can't be love. En effet, à partir de 3'12, on y entend de magnifiques 4-4, c'est à dire que l'un improvise 4 mesures et que le suivant fait de même en continuant la phrase du précédent... et pendant pas mal d’échanges, ce qui était finalement rare avec Tatum.



C’était la première fois que les deux compères jouaient ensemble. Ils avaient décidé de se revoir, de refaire des enregistrements ensemble à l’avenir. Hélas, cela n’a jamais pu se faire, Art Tatum étant décédé neuf mois plus tard.

Pour mémoire, j’avais aussi mis une version de ce thème, dans l’épisode précédent avec Roy Eldridge. Je ne résiste pas à la remettre ici de nouveau en écoute.


Une interview de Buddy de Franco

Voici comment Buddy de Franco a vécu cette séance (tiré d’une interview que j’ai trouvée sur internet) :
"C'était toute une expérience. Lorsque j’étais encore un enfant, mon père avait ramené à la maison des enregistrements 78 tours d'Art Tatum. La première fois que je les ai entendus, j'ai été stupéfait. À partir de ce moment-là, j'ai toujours été un inconditionnel. Je le considère comme un génie. En matière de jazz et de génie, Art Tatum et Charlie Parker seraient mes deux seuls choix. Il y a bien sûr nombre de nombreux instrumentistes excellents mais vraiment, Bird et Tatum, c’est encore autre chose.

C’est Norman Granz qui a eu l’idée de cette session. Quand il m'a appelé et dit ce qu'il voulait faire, cela m'a complètement bouleversé, assailli par des sentiments contradictoires, un mélange d'effroi, de timidité mais aussi de frissons et d'exaltation. Tatum était naturellement intimidant pour moi, à cause de son niveau… Je pense que ce qui m’a le plus impressionné chez-lui, c’est son art de tisser des progressions d’accords incroyables, sa façon aussi de sans arrêt moduler et de changer de tons.
Pour la petite histoire, il faut savoir que je n’étais pas au mieux de ma forme le jour de l’enregistrement. J’étais malade et j’ai dû m'asseoir sur une chaise pendant pratiquement toute la séance. Mais de toute façon, il était impossible de reporter la séance compte tenu de l'emploi du temps d'Art et du mien. Et puis, je me suis dit que si j’annulais le rendez-vous, alors, on ne ferait probablement jamais l’enregistrement.

C’est difficile quand on joue avec Art, d’éviter d'être distrait par ce qu'il invente au piano. Avec lui, presque tous les deux temps on débouche sur une nouvelle progression d'accords ou sur un arpège fantastique. C'était incroyable de le suivre. C'était comme essayer de prendre un train.
Art qui a choisi la plupart des thèmes qu’on allait jouer. Pour ma part, j’en ai proposé deux (Memories of You et Once in a While.). Il s’agissait vraiment pour moi d’une séance impromptue car je n’avais jamais joué les thèmes qu’il a proposés auparavant. Au départ, Art m’a simplement dit que cela allait être un vrai plaisir de travailler avec moi. Il connaissait mes disques, et m’a dit des choses élogieuses sur mon jeu.

C’est drôle, parce que lorsqu’on joue avec lui, on sent qu’il vous met un peu au défi. C’est comme un jeu pour lui. Il a démarré à fond… Ce n’était pas une mauvaise chose, cela nous a également permis d'entrer directement dans la musique à fond. Il est très difficile d'anticiper ce que Tatum va faire au cours du morceau, il faut tout écouter, s’adapter et prendre le vent sans arrêt. C’est comme si il vous testait. Parfois, il plaçait sa main gauche sur ses genoux jouant juste avec sa main droite tout en me regardant et en souriant, comme pour me dire : tu vois ! Comme je l’ai déjà dit, ses progressions d’accords étaient si précises, mais tellement changeantes qu’elles ne ressemblaient jamais à des procédés. Avec lui, tout est toujours fluide, naturel…
A un moment, nous avons fait deux prises du même morceau (en fait de plusieurs morceaux) et à chaque fois, il change ses progressions harmoniques, n’utilisant pas forcément les mêmes altérations. Et ses doigtés dans les phrases pouvaient être aussi chaque fois différents !
Il fallait absolument vivre la chanson jouée, la comprendre, ne jamais détruire l’effet d’une mélodie, même si vous envoyez des milliers de notes. C'est ce que Bird et Tatum ont toujours fait : ils suivaient toujours les contours de la mélodie ; ce n’était jamais du coq à l’âne.

Art avait beaucoup d’humour et riait presque tout le temps. Je pense qu'il a été agréablement surpris de tout ce que je savais sur lui et son jeu. Je lui ai raconté comment je l'avais écouté étant enfant. Mais surtout, je lui ai dit combien je l'admirais à travers ma clarinette. C'est ce que vous entendez dans ces enregistrements. "

A suivre
Modifié en dernier par Christof le ven. 23 juin, 2023 12:09, modifié 3 fois.
£rin
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Re: Une histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (8) - Lorsque le pianiste joue avec les autres musiciens (su

Message par £rin »

Merci Christof de prendre le temps de nous écrire tout cela, c'est très intéressant et passionnant à lire 8)
"La musique, c'est ce qu'il y a entre les notes" Isaac Stern.
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Christof
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Le génie d'Art Tatum (8) - Lorsque le pianiste joue avec les autres musiciens (Buddy de Franco)

Message par Christof »

Merci beaucoup Erin pour ton message.
Je trouve que l'histoire du jazz est passionnante et m'a toujours passionné. Voir les évolutions au cours des périodes, les grandes filiations. Au début le jazz se faisait essentiellement par transmission "orale", en fait on apprenait surtout en écoutant les autres. Musique sans arrêt en construction, par l'échange, le partage. Plus je regarde profondément ce que joue Tatum et plus je suis subjugué par sa science de l'harmonie. Il était vraiment en avance. Et puis, il fait vraiment partie des pianistes qui, des années en avance, ont finalement ouvert la voix au bebop. Bud Powell a par exemple énormément écouté Art Tatum. Il avait une admiration sans borne pour lui.

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flober
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Re: Une histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (8) - Lorsque le pianiste joue avec les autres musiciens (su

Message par flober »

Merci Christof pour tes digressions historico-jazzistiques et peu hystériques.
Sache que même si je (et surement beaucoup d'autres) ne me manifeste pas pas a chaque fois, je lis tes récits gouluements.
Christof a écrit : ven. 09 juil., 2021 13:27 Il faut savoir que la clarinette n'est pas l'instrument le plus facile à maîtriser (les saxophones possèdent par exemple des rouleaux, et pas la clarinette. Les doigtés ne sont pas évidents non plus sur ce dernier instrument).
En effet, au sax, la meme note est jouée à l'octave avec le meme doigté en actionnant la clef d'octave, alors qu'il me semble qu'à la clarinette tout se décale d'un demi ton :shock:

Il y a tout de même le précurseur de l'instrument, Sydney Bechet.
J'ai aussi un gros faible pour Jimmy Giuffre, clarinettiste West Coast dont le son inclue une grosse part de souffle.
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Christof
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Re: Une histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (8) - Lorsque le pianiste joue avec les autres musiciens (su

Message par Christof »

flober a écrit : ven. 09 juil., 2021 14:59 Merci Christof pour tes digressions historico-jazzistiques et peu hystériques.
Sache que même si je (et surement beaucoup d'autres) ne me manifeste pas pas a chaque fois, je lis tes récits gouluements.

Il y a tout de même le précurseur de l'instrument, Sydney Bechet.
J'ai aussi un gros faible pour Jimmy Giuffre, clarinettiste West Coast dont le son inclue une grosse part de souffle.
Merci Flober pour tes encouragements.
Oui, j'ai failli parler aussi de Sydney Bechet. Parmi les clarinettiste West Coast, j'aime aussi Art Pepper (mais qui était tout de même plus un saxophoniste).

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Le génie d'Art Tatum (8), mais aussi de Georges Cziffra

Message par Christof »

Le génie d'Art Tatum, mais aussi de Georges Cziffra (9)

Rappel : Introduction (1)
Le génie d’Art Tatum (2)
Le génie d’Art Tatum (3)
Le génie d’Art Tatum (4)
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Le génie d’Art Tatum (8)


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Georges Cziffra

C'est drôle comment fonctionne le cerveau... Je viens de me rappeler d'un épisode de la vie de George Cziffra (tiré de ses mémoires - J'avais parlé ici de son livre (aujourd'hui épuisé) : Des canons et des fleurs"), épisode qui est en rapport avec Art Tatum et que je reposte ci-dessous :
cziffra.jpg
cziffra.jpg (13.65 Kio) Vu 653 fois


"Un jour, en quittant le salon de thé (où je n’étais tenu de faire acte de présence que de quinze à dix-neuf heures) je décidai de faire un petit tour de prospection avant de rentrer à la maison, histoire d’entendre quelle musique se jouait dans un des cabarets-dancings à grand spectacle, dont l’orchestre de jazz composé de quarante musiciens étrangers faisaient fureur dans le Tout-Budapest. A ce moment, en Hongrie, comme ailleurs, l’engagement pour le jazz américain était considérable et les vedettes confirmées dans ce domaine faisaient la pluie et le beau temps des night-clubs où ils se produisaient. Quand je fus rentré, sur la pointe des pieds, dans la salle, l’orchestre répétait un arrangement endiablé, truffé de silences-surprises, que meublaient un batteur et un contrebassiste étourdissants avec juste ce qu’il faut de maestria pour sertir les solos improvisés d’autres groupes d’instrumentistes noirs, à la précision encore plus étonnante. C’était là un ensemble vraiment prestigieux, capable de rivaliser, me semblait-il, avec des formations créées par Paul Whiteman et Duke Ellington, dont la réputation, même à Budapest, n’était plus à faire. Un peu en retrait du podium, de plain-pied avec l’estrade du chef (probablement l’auteur de l’arrangement explosif qu’il était en train de faire répéter) luisait dans la pénombre les contours d’un magnifique piano à queue, flanqué d’un tabouret de concertiste. Fasciné par le travail du groupe, je me faufilai jusqu’au piano et m’assis sur le siège attenant, car leur production était aussi passionnante à voir qu’à entendre. Aveuglés par les sunlights braqués sur eux, les musiciens ne pouvaient se rendre compte de ma présence. Je me promettais bien de me retirer aussi discrètement que possible, mais brusquement le chef baissa les bras et une lumière crue se répandit partout, envahissant la salle jusque dans ses moindres recoins. Je m’apprêtais à me faire expulser avec les honneurs dus à mon rang de resquilleur. Au lieu de cela, le chef d’orchestre, se retournant vers moi, me dit en anglais dans un large sourire :
- Do you like this music ?
- Je fis oui de la tête.
- Are you jazzman ?
- Perhaps, a little, fis-je dans un effort désespéré, rassemblant tous mes souvenirs d’anglais collectés dans les premiers films de Tarzan que dans ma petite enfance les cinémas de périphérie projetaient en version originale même pas sous-titrée.
- Do you want to make a little jazz session with my orchestra ?
- I hope so, with pleasure, répondis-je les yeux brillants. But, if you want, before I play something alone for you and your friends ?
- Please, me dit-il, engageant.

Bien que gentil, le comportement de l’Américain avait un je ne sais quoi de condescendant, qui me donnait envie de lui faire voir que le bon jazz n’était pas forcément un monopole de Yankee. Je voulais lui montrer un peu le chien de ma chienne, pour qu’il puisse se rendre compte que dans ce pays de sauvages, les descendant d’Attila savaient aussi faire autre chose que d’attendrir leur viande sous la selle de leur cheval. En un quart d’heure, je fis sur les chapeaux de roues le tour succinct des airs en vogue comme le «Tiger Rag», immortalisé par Louis Armstrong ou le bouleversant «Summertime» extrait du fameux «Porgy and Bess» de Gershwin, accommodant le tout selon le droit canon des rythmes épicés au goût du jour tels que les ragtimes, bebops, boogie-woogie menés à la cravache ou slows mélancoliques. Sur le point de terminer ma démonstration, le percussionniste qui devait avoir un métronome suisse à la place du cœur, me happa au vol, et derrière lui, comme une bombe de carnaval, l’orchestre explosa, rejouant l’arrangement précédemment répété en prenant soin de me laisser le champ libre, afin que je puisse placer mes répliques de free-jazz d’improvisation pure que nous nous renvoyions mutuellement comme une balle de ping-pong. Pendant un bon quart d’heure, nous nous amusâmes ainsi. Terminant cette fois-ci pour de bon nos facéties d’école buissonnière, après une strette échevelée en forme de coda, un à un les musiciens se retirèrent du jeu, un peu comme avant la « Symphonie des adieux » de Haydn et au bout de quelques pirouettes de pyrotechnie atonales, de nouveau seul, je terminai la causerie de ce divertissement improvisé en forme d’interrogation, par un accord ambigu de triton.
Suivi de ses musiciens à la mine épanouie, ouvrant ses bras dans un élan d’amitié admirative, le chef s’approcha de moi. Ne sachant pas très bien si à ce jour la langue maternelle des Hongrois était l’allemand ou le russe, il s’adressa à moi en américain. En parcourant les quelques mètres qui nous séparaient, il fait signe à un tromboniste d’un noir d’ébène, qui comprenait mon dialecte, ayant été recueilli dans son jeune temps par une famille hongroise vivant au Texas. Le Noir nous servit d’interprète, et ainsi nous pûmes bavarder plus à l’aise.
- En vingt-cinq ans de carrière, c’est la deuxième fois que j’entends faire un bœuf de cette qualité, me dit le patron du jazz-band. A ma connaissance, aux Amériques nous n’avons qu’un pianiste capable d’improviser comme vous. Il s’appelle Art Tatum. Pourtant, si son aisance pianistique lui tient de prodige, alors la vôtre doit tenir du miracle. By Jove, où avez-vous appris à faire ça ?
Pour ne pas revenir sur les vieilles lunes de mes études musicales, je répondis évasivement
- Oh ! … self made man…
- Qu’est-ce que vous tirez de tout cela… ici ? me demanda-t-il, en considérant mes mains avec une pointe de compassion, de l’air d’un homme qui vient de dénicher le veau d’or dans un pâturage de la Mongolie extérieure.
- Ce que j’en tire mon cher ? Mais le diable par la queue, répliquai-je dans un rire amer
- O.K., me dit le boss, habitué aux décisions rapides. Nous restons à Budapest pendant deux mois encore. Le propriétaire de la boîte ne voudra sûrement pas vous engager, parce que nous lui coûtons déjà plus cher que le montant de ses économies. Je préfère vous engager personnellement en co-starring, pendant toute la durée de notre séjour à raison de mettons vingt-cinq dollars par soir, et ce n’est qu’un commencement. Si vous arriviez à franchir leur ligne de démarcation, poursuivit-il en baissant la voix, je suis sûr que n’importe qui vous en donnerait plus que cela encore. Est-ce que ça vous va ?

Si cela m’allait ? Grâce à cet engagement inespéré, je gagnais plus en une semaine qu’auparavant en un mois. Et j’allais pouvoir encore progresser dans la maîtrise de mon instrument en puisant aux mêmes sources que mes nouveaux amis de rencontre ce désir de surpassement que seuls éprouvent et connaissent les vrais initiés du pandémonium du jazz. Cette discipline par sa complexité même, a été mon université populaire. Elle a enrichi ma technique pianistique en associant d’une manière transcendante imagination et réflexes au-delà de toute contrainte. Désormais, il m’était possible de concevoir et simultanément de réaliser l’état de communion idéale entre mes doigts et mon inspiration. Oui, c’était vraiment de la haute école de perfectionnement qui en reculant l’étendue de mes moyens, venait de m’ouvrir de nouveaux horizons à l’échelle de cet acquis.
Les soixante jours passèrent comme dans un songe.
L’orchestre devait repartir ; d’autres engagements les appelaient à Vienne, Paris, Milan… Pour les remercier de m’avoir admis dans leur clan, nous sommes restés ensemble après le spectacle du dernier soir, et à leur demande, j’ai joué jusqu’au petit matin alternant les œuvres de mon répertoire classique avec des paraphrases, réminiscences et improvisations, qui les subjuguaient tellement qu’ils en oubliaient de boire comme les officiers allemands du front. En me remettant je ne sais combien de boisseaux de cartouches de cigarettes américaines et plaquettes de chocolat, le chef me serra la main et me dit, en guise d’au revoir :
- Dear Georges, vous êtes aujourd’hui le leader des pianistes, et si vous arrivez à.... passer en Occident, d’autres vous le diront. Vous pourrez vous mesurer avec Mr Horowitz et ses pairs. « Good luck, old boy ! »

Modifié en dernier par Christof le ven. 23 juin, 2023 12:11, modifié 2 fois.
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (9), mais aussi de Georges Cziffra

Message par Ninoff »

Bonsoir Christof,
Merci de nous relater cette épisode de Cziffra , capable d’exploits pianistiques hors du commun.
J’ai eu la chance de l’entendre dans les concertos de Liszt.
Cela semble tellement facile avec lui ...
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Christof
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Le génie d'Art Tatum (10) : Lorsque le pianiste joue Elegie de Massenet... Petite analyse

Message par Christof »

Le génie d'Art Tatum (10)

Rappel : Introduction (1)
Le génie d’Art Tatum (2)
Le génie d’Art Tatum (3)
Le génie d’Art Tatum (4)
Le génie d’Art Tatum (5)
Le génie d’Art Tatum (6)
Le génie d’Art Tatum (7)
Le génie d’Art Tatum (8)
Le génie d’Art Tatum (9)


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tatum_magicien.jpg (49.47 Kio) Vu 651 fois


Ouh là, là, j'avais un peu laissé tomber cette chronique. J'avais bien dans la tête de commencer une histoire fleuve sur Bill Evans, sauf que je vous avais promis de finir la saga "Art Tatum", ce que je fais aujourd'hui, en vous présentant plus précisément un de ses enregistrements. Celui-ci montre à mon avis de façon magistrale toute l'étendue fantastique du jeu de ce pianiste, dont la technique n'avait rien à envier à Horowitz ou à Pollini.

Une indépendance des mains incroyable, une main droite étonnante avec un toucher si clair, un sens rythmique pas possible, une main gauche qui jouait aussi à toute vitesse. Et question harmonie, il avait vingt ans d'avance sur ses contemporains.

Art Tatum sonnait mieux quand il jouait en solo : il était si complet qu'il n'avait pas besoin d'un contrebassiste ou d'un batteur, assurant finalement l'ensemble dans son jeu.

Il pouvait jouer avec autant de dextérité dans n'importe quelle tonalité... (il connaissait tous les morceaux dans tous les tons). C'est d'ailleurs Stan Getz qui a raconté qu'Art Tatum pouvait s'asseoir devant le plus horrible des pianos au son de casserole : en deux minutes, ayant parcouru tout le clavier et repéré les notes mal accordées, il savait dans quel ton cela sonnerait au mieux, minimisant les notes qui pouvaient poser problème.

Elegie de Massenet, jouée à la façon Tatum

Pour illustrer tous les aspects incroyable du jeu de Tatum et de son inventivité, et également pour mieux voir les procédés qu'il utilisait, penchons-nous sur sa version d'Elegie (morceau issu du répertoire classique). J'avais déjà proposé cette écoute dans le tout premier épisode.

Cet enregistrement date de 1940. Il a été gravé sur 78 tours (le 33 tours n'arrive qu'en 1946). Il existe une version remasterisée et c'est celle-ci que je vous propose.
elegy.jpg
elegy.jpg (17.83 Kio) Vu 651 fois


Petite analyse du style de Tatum

Pendant le déroulement, on entend 3 thèmes principaux, 4 interludes, 3 changements de tonalités..
Art Tatum était maître dans sa façon d'insuffler tension et détente... Il faut savoir qu'il a été aussi longtemps pianiste pour le cinéma muet, et donc il savait dresser les ambiances.

Le morceau démarre par une introduction avec un balayage aux deux mains qui utilise tout le clavier, donnant une ambiance un peu dramatique, en tout cas qui saisit l'auditeur au vol. C'est un peu l'image de marque d'Art Tatum : dresser tout d'abord le panorama, prendre l'auditeur et lui montrer qu'on va l'emmener dans quelque chose qu'il n'a jamais entendu avant. Et une fois cela gagné, vous pouvez l'emmener où vous voulez...
Des intros comme cela, on n'en avait encore jamais entendues chez les pianistes...

Je vous la joue ici lentement :

et le lien si le player ne fonctionne pas

Au cours du morceau, on entend aussi quatre interludes... Encore une recette à la Tatum : des moments privilégiés soit pour faire retomber la tension, soit au contraire pour repartir de plus belle. A chaque fois on pense que cela va se calmer un peu, mais non, cela n'arrête pas de monter, monter. Tatum sait tenir son public en haleine. Il fait monter la sauce et périodiquement, régulièrement, il ralentit tout ça et donne un interlude pour nous refroidir un peu, nous détendre pendant un moment, pour ensuite repartir dans une autre explosion de notes : montée en tension, explosion, montée en tension, explosion…
Et donc : introduction, un thème, qui est joué plusieurs fois, puis arrive un interlude, une pause dans l’action. Action qui, après l'interlude, prend encore une plus grande portée, avec toujours plus de notes, une plus large étendue dans le piano, un jeu encore plus rapide, plus dense. Et de nouveau interlude pour nous refaire baisser la tension, puis explosion encore et encore interlude puis explosion nucléaire !

Les thèmes

Art joue la mélodie principale de cette pièce en variant à plaisir MG et MD intriquées avec ornements et MD en ajoutant des accords combinés.


et le lien si le player ne fonctionne pas

Voici les quatre interludes :


et le lien si le player ne fonctionne pas

Tatum est un peu comme un metteur en scène, il connaît le découpage, il sait quand viennent les climax et où cela doit se détendre pour permettre à l'auditeur de reprendre ses esprits, donner une espèce de balancement dans l'intensité. Il est comme un architecte. Très importante chez lui est cette texture du son, mélangeant textures douces et « dures », variations époustouflantes.
Tatum adorait que l’écoute de ses morceaux soit une expérience pour l’auditeur, à la hauteur de celle qu'on peut avoir quand au va au cinéma. Il y a un arrangement général et à l’intérieur de celui-ci, de l’improvisation.

Des accords novateurs pour l'époque
Ses accords étaient énormes. Il pouvait jouer des dixièmes en même temps, à la fois dans la MG et MD. Il n'hésitait pas à doubler, voir tripler certaines notes...

Exemple d'accords que l'on entend durant le morceau :

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et le lien si le player ne fonctionne pas

Utilisation des blocks chords

Parfois Tatum utilise des "broken voicings, mettre la mélodie à la MG, jouer en block chords, utiliser les accords brisés etc.
Tout cela il le tient certainement aussi de Chopin, Schumann, Schubert et de tous les grands pianistes qu'il a étudié

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et le lien si le player ne fonctionne pas

Utilisation des clusters
(notes très rapprochées), ce qui créée comme un choc, son très audacieux. Art Tatum était vraiment en avance sur tout le monde.

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et le lien si le player ne fonctionne pas

Utilisation du stride

C'est là aussi que l'on voit toute l'étendue de la technique inégalable d'Art Tatum...
Dans le stride, vous avez deux mélodies qui marchent en même temps. Il y a une mélodie qui se fait juste par les basses, et l’autre est en haut des accords qui ponctuent les basses et Art pouvait jouer cela à toute vitesse.

4 façons pour Art de jouer le stride :
  • utiliser juste une note de basse dans la MG, et accord
  • utiliser un octave comme note de basse, et accord, ce qui donne un plus gros son
  • utiliser un "broken octave" : faire entendre la note basse de l’octave et tout de suite la note haute de l’octave, puis l’accord utiliser la basse en 10ème (c’est très dur à faire, surtout lorsqu’on est aveugle)
  • Et par moment, encore plus fort : stride à la MG à toute vitesse, et block chords MD !!!
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Arpèges et procédés

On trouve une multitude d'envolées dans ce morceau, qui font la signature du jeu d'Art Tatum, assez inimitables. Certains détracteurs n'y voyaient là que procédés... En fait, je pense qu'Art Tatum s'amusait comme un fou.
  • descente sur les notes d'un accord, en choisissant aussi des notes de tension : il faisait ça avec trois doigts de la MD (c’est en fait le secret de sa vitesse d’exécution)
  • montée pentatonique : d'abord 3 notes, puis 5 notes, puis répète ce motif en montant dans le clavier vers les aigus
  • lignes qui montent et redescendent : montée en secondes jusqu'à un pic puis redescend par arpège en tierces, et termine à la MG chromatiquement
  • prend quelques notes qu'il imite à l’octave inférieur (en arpège)
  • prend un motif mélodique (un pattern) et le répète dans un autre ton
  • utilise souvent la gamme diminuée (il était super en avance)
  • monte puis descends en utilisant de grands intervalles
  • descente de gamme mineure harmonique
  • monte à tout vitesse vers le haut du clavier et redescendre aussi vitei
.


Et pour conclure, afin de se convaincre de l'énorme inventivité d'Art Tatum, il n'est pas inutile de réécouter la version de base de Jules Massenet !



Prochain épisode : Bill Evans...
Modifié en dernier par Christof le ven. 23 juin, 2023 12:14, modifié 1 fois.
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (10) : Lorsque le pianiste joue Elegie de Massenet... Petite ana

Message par Ninoff »

Merci Christof de cet épisode grandissime sur Tatum.
Il savait tout faire, je pense qu’il aurait pu être un concertiste en classique vue sa technique pianistique étonnante .
👌👌👌👌👌
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Le génie d'Art Tatum (10) : Lorsque le pianiste joue Elegie de Massenet... Petite ana

Message par Christof »

Ninoff a écrit : jeu. 25 nov., 2021 22:23 Merci Christof de cet épisode grandissime sur Tatum.
Il savait tout faire, je pense qu’il aurait pu être un concertiste en classique vue sa technique pianistique étonnante .
👌👌👌👌👌
Merci Ninoff pour ton message.

Oui, j'en avais déjà un peu parlé dans les autres épisodes : Vladimir Horowitz par exemple, après l'avoir écouté à la fin des années trente au Society Dowtown, club de jazz New-Yorkais a glissé à so ami Artie Shaw, clarinettiste de jazz : ” si un jour Art se met à jouer du classique, je mets immédiatement fin à ma carrière” !
Art Tatum jouait alors Tiger Rag. Du coup, deux jours après, il est revenu l'écouter avec Arturo Toscanini, qui lui aussi fut subjugué par l'art du pianiste.

Quelques mois plus tard, Horowitz se rendit chez Art Tatum pour lui jouer l'enregistrement de ”Tea for Two” , qu’il avait mis plusieurs mois à transcrire d'’oreille . Art l’écouta, jouer, admiratif , le félicita , mais aussitôt après, se mit à son tour au piano et en joua une autre version , tout aussi époustouflante!
Horowitz, qui n’en revenait pas, voulut aussitôt se procurer la partition.... Tatum lui répondit naïvement “oh, cétait juste une improvisation”.

Rachmaninov aussi adorait Tatum !
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans : un tour d'horizon en guise d'introduction

Message par Christof »

Tout d'abord, c'est trop dommage de constater que du fait d'un serveur qui n'existe plus, les trois quarts de ce que j'avais publié précédemment (images, extraits de musique, morceaux ou passages que j'avais joués pour illustrer certains propos) a disparu de ce fil. Mais bon, pas grave, cela fait partie des aléas d’internet...

Bill Evans (1929-1980) : petit tour d'horizon en guise d'introduction

Cela fait très longtemps que j'avais envie d'écrire sur Bill Evans. Mais cela m'a toujours fait un peu peur car il y aurait tellement à dire. Et j'ai tellement de respect pour ce pianiste incomparable. Par quel bout le prendre ?
Disons, pour me jeter à l'eau, que je vais commencer par un large tour d'horizon, en essayant d'organiser un peu mon propos au moyen d'une discographie sélective (qui vaut ce qu'elle vaut). Je verrai ensuite quoi dire en allant plus en détail sur certains aspects.

Si Bill Evans commence à figurer sur des disques en 1955 c'est d'abord comme side man. Et c'est en septembre 1956, à 27 ans, qu'il enregistre le premier album sous son nom, «New Jazz Conception» joué en trio avec Teddie Kotick à la contrebasse et Paul Motian à la batterie. C'est un disque intéressant, avec déjà 4 compositions de son cru, sur les 12 morceaux du disque, mais ce n'était pas encore le vrai Bill Evans... ce que le pianiste a d'ailleurs reconnu par la suite.



A cette époque, son style sonnait comme une combinaison de celui de Bud Powell, mais qui aurait eu un toucher plus léger, mâtiné de très beaux voicings à la façon de George Shearing, et aussi un côté Lennie Tristano.
On sent aussi une influence du côté de Ravel, Debussy, Scriabine, Chopin et Rachmaninoff, spécialement lorsqu'il joue des ballades.

En se mettant au jazz, Bill Evans avait cet atout terrible d'un background classique, apportant un magnifique toucher et son à ses réalisations. Avec un seul accord, il pouvait créer une ambiance d'une puissance et d'une beauté absolue. Il était capable de faire taire en un clin d’œil toute une salle dans un club, juste en commençant à jouer. Le jeu de sa MG était très innovant, avec des voicings spéciaux contenant très souvent une seconde mineure.

Par exemple, la position de base pour jouer un accord de sol mineur 7 est sol sib ré fa. Mais Bill avait une très belle façon de jouer un sol mineur au milieu du piano, en plaquant fa la sib ré. Voicing typique de Bill Evans avec une seconde mineure au milieu (juste au dessus du do3), créant un son riche au piano provenant du frottement de ce la naturel avec le sib au milieu de l'accord. Et son sol mineur était jouée sans fondamentale, ce qui laissait ainsi beaucoup d'espace pour le sol grave du bassiste. Bill jouait aussi très souvent cet accord juste avec trois notes : la sib ré (ce qui s'appelle un fragment, accord donnant un cachet et ambiance particulière).

Bill Evans avait aussi en lui une part de «hard bopper» (le hard bop est un nouveau langage musical issu du be bop, faisant aussi appel au blues et au gospel, et l'aspect rythmique de marche), qu'on entend dans son premier album, mais bien plus encore dans celui de Georges Russel « Jazz in the Space Age » où Bill Evans et Paul Bley jouent tous deux au piano.
Bill avait alors une MD virtuose dans ce style. Il avait également un très grand sens du swing avec un toucher magnifique et une énorme projection du son.



Mais pour moi, la caractéristique la plus distinctive de son jeu était son interprétation et sa façon unique de réharmoniser les ballades d'une façon très expressive et éblouissante. C'est ce qui saute aux yeux par exemple dans l'album "Sunday at the village Vanguard" (1961). Il débute d'ailleurs le disque avec «My Foolish heart», ballade très lente. Qui commencerait un disque par une ballade ? Bill Evans !

Il sait créer une belle ambiance en à peine 4 mesures. Et si la tonalité originale habituelle de «My Foolish Heart» est en Sib. Bill, lui, joue en La. Ce choix vient du fait que cela permet au contrebassiste de jouer des cordes à vide, lui donnant alors bien plus de possibilités d'expressivité. Il faut savoir d'ailleurs que Bill pouvait jouer n'importe quel morceau dans les 12 tons... Il travaillait là dessus comme un fou. C'était un travailleur acharné, spécialement dans sa jeunesse (mais aussi après).



Ce qui nous donne de l'espoir, nous qui ne sommes pas géniaux, c'est de savoir que lorsque Bill a commencé, il était talentueux certes, mais pas au niveau et aux sommets qu'il a finalement atteint par la suite.
Le batteur Tony Williams, complètement formé musicalement à l'âge de 17 ans... pourrait être qualifié de génie. Même chose avec Herbie Hancock. Tout deux avait leur signature musicale complète depuis le début.
Pour Bill, c'est arrivé bien plus tard, possédé alors par le génie au moment où il a pu créer son propre style et, comme il a pu le confier, « ceci en pratiquant des milliers d'heures à la maison pour le mettre en place, brique par brique». Après avoir enregistré son premier album, il se retira trois ans pour travailler la finesse de son toucher car il n'aimait pas la façon dont il avait joué sur cet album. Bill Evans était d'une modestie sans égale. Il faut savoir que c'est Orrin Keepnews, le producteur du disque, qui avait choisi le titre « New Jazz Conception » pour ce premier album, ce qui ne plaisait pas du tout à Bill qui, avec un titre si présomptueux était, persuadé de se faire éreinter par la critique et par les musiciens de jazz. Mais finalement, le disque fut très bien reçu.

Durant les trois années d'absence de Bill, Keepnews ne cessa de lui demander un nouvel album. Si bien qu'au bout de trois ans de demandes incessantes, ce fut «Everybody digs Bill Evans» (encore un titre à la Keepnews), album qui contient désormais toute l'essence du style propre de ce musicien.
Quelque chose d'absolument unique dans ce son magnifique, un sens génial de l'harmonie, de l'espace, de la beauté, de la profondeur et de la douceur. Un velouté général, similaire à un mouvement lent qui pourrait provenir de la cinquième symphonie de Mahler ou de l'adagio du concerto pour piano en sol de Ravel... Un jeu tout en nuance et en retenue.




Bill était également un accompagnateur incomparable au piano. Il suffit par exemple de l'écouter dans le disque de Miles «Kind of blue» (1959) [voir ici une chronique dédiée à l'enregistrement de cet album]. Miles l'avait d'ailleurs embauché alors parce qu'il savait que Bill lui donnerait exactement ce dont il avait besoin, ce que personne d'autre n'aurait pu faire aussi bien (et quand on pense à cette époque trouble de ségrégation à la fin des années 50, c'était un geste courageux de la part de Mile d'avoir embauché un pianiste blanc pour l'enregistrement de cet album).
Regardons par exemple comment il accompagne dans le morceau «So What». Ces accords modaux ne viennent pas d'une idée de Miles ou même de Winton Kelly (qui apparaît également sur certaines pièces de ce disque). C'est du pur Bill Evans. Mais d'où les sort-ils ces accords ? Sûrement de son immense connaissance de la musique classique au piano, notamment celle de Scriabine, Prokoviev et Bartok.

Il connaissait ce langage et fut l'un des premiers à le greffer sur du jazz improvisé. A cette époque, ce genre d'harmonie était révolutionnaire.




Le trio suivant de Bill avec le contrebassiste Scott LaFaro et le batteur Paul Motian (1960) aura été l'un des plus iconique et influent dans l'histoire du jazz.
En effet, Bill Evans a été l'un des premiers à introduire l'idée d'une interaction complète entre chaque membre. Avant cela, la contrebasse n'avait qu'un rôle traditionnel, en fournissant juste les notes de basse sur chaque temps, ou tous les deux temps, puis cela partait en swing en 4/4, ce qui était déjà pas mal.
Mais Bill voulait quelque chose de bien différent. Quand on pense à la différence entre Bud Powell et Bill Evans, Bill a fait un énorme bond en avant en termes de toucher, de tonalité, de complexité de la voix, d'approche linéaire différente et du très important changement de registre de sa main gauche une octave plus haut que celle de Bud afin afin de donner bien plus de place au contrebassiste. Et le contrebassiste de rêve pour Bill fut Scott LaFaro, qui avait une facilité incroyable pour s'envoler dans tous les registres de la contrebasse, avec la capacité d'interagir avec Bill mélodiquement et rythmiquement. On n'avait jamais entendu cela avant.
Un bon exemple est d'écouter leur façon de jouer Autumn Leaves dans Portrait in jazz, troisième disque de Bill Evans à son nom, sorti en 1960 (un de mes albums favoris). Il y a d'abord l'énoncé de la mélodie du thème, et puis on n'entre pas immédiatement dans un solo de piano comme ce serait le cas dans la plupart des trios de l'époque. Cela devient un dialogue entre Scott LaFaro et Bill.
Tout ne fonctionne pas forcément superbement. Parfois, Scott joue trop. Parfois il est un peu désaccordé, mais c'était si nouveau. De son côté, le batteur Paul Motian était parfait pour ce trio en raison de sa conception légère et aérée. Un fleuret créatif exceptionnel pour Bill.
Bill ne voulait pas d'un batteur au son incisif, avec un gros volume à la Max Roach comme dans le groupe de Bud Powell. Il désirait un son plus doux, à la fois plus transparent et englobant (on pourrait dire que c'était le trio parfait pour le son ECM [mais ECM a été créé plus tard]).




L'un des grands albums de Bill, «Conversation with mysefl» (1963) a été une réalisation étonnante, utilisant le rerecording grâce à une nouvelle technologie des années 60. Bill y joue dix morceaux (en rerecording sur 3 pistes), neuf standards comme par exemple « Spartacus Love Theme » et « How about you », et une de ses compositions. C'est là que se révèlent ses connaissances de la musique classique de Debussy, Ravel et Scriabine en particulier. Son jeu est complètement orchestral.
Ce disque fut récompensé d'un Grammy award. Personne n'avait encore produit quelque chose de similaire à cette époque.




Il enregistre aussi en 1966 avec son nouveau trio (Chuck Israels à la contrebasse et Larry Bunker à la batterie) « Bill Evans with a Symphony orchestra », qu'on pourrait voir comme un retour aux sources à son background classique.
Les arrangements de l'orchestre ont été écrits par Claus Orgeman qui était un excellent orchestrateur, qu'il s'agisse de classique ou de jazz. Il a su créer un magnifique écrin autour du trio pour jouer du Ravel et du Scriabine. Bill se sentait complètement chez lui et fit de magnifiques improvisations sur cette musique. Il faut savoir qu'il est extrêmement difficile d'improviser sur du classique, spécialement en trio avec contrebasse et batterie. Mais le talent des trois musiciens fait que cela fonctionne magnifiquement.




Nombreuses ont été les tragédies dans sa vie. Son frère ainé Harry s'est suicidé, puis sa première femme, Annette, a sauté sous un train juste devant lui. Scott LaFaro, son bassiste et sa lumière musicale meurt dans un accident de voiture juste après l'enregistrement de Sunday at Village Vanguard. Et comme il l'avoua lors d'interviews, tout cela l'inclinait à s'autodétruire avec de la drogue. Mais il déclara aussi que son centre, son sens artistique intérieur, avait été toujours pour lui au meilleur et intact.

Ce qu'il a apporté au piano jazz est incalculable, ce qui fait de lui un pianiste essentiel dans l'histoire du jazz.
Il était capable de porter les éléments de la musique classique en situation d'improvisation sans jamais sonner de façon déplacée ou grossière. Son authenticité provenait justement de ses grands connaissances en cette matière, sachant très bien faire le pont entre les deux univers jazz et classique.

Bill Evans était aussi un excellent compositeur. Il a écrit plus de soixante thèmes (j'en ai dénombré 67), très originaux et magnifiques, comme par exemple «Waltz for Debby», «Twelve tone tune», «Time remembered », «Two lonely people», «Bill's hit tune», «Comrad Conrad », « Blue in green», «Peace piece», «Nardis»...

Sa façon de réharmoniser les standards est pour moi exceptionnelle, légendaire, mettant ainsi la barre très haut pour tous les pianistes qui vont suivre et qu'il a définitivement marqués. Sa réharmonisation de «Spring is here» dans son album  "Portrait of jazz " était si magistrale que Miles Davis demanda à l'arrangeur Gill Evans d'orchestrer ce morceau pour lui et son groupe, en suivant exactement les accords de Bill (on peut entendre le résultat dans le CD «Miles Davis at Carnegie Hall«  et ici, le pianiste Wynton Kelly joue la réharmonisation exacte et les voicings de Bill.







Bill Evans a réharmonisé a peu près l'ensemble des standards les plus connus. Si par exemple on regarde sa façon d'aborder Autumn Leaves, on ne peut pas vraiment parler de réharmonisation, mais plutôt de «recomposition» (en fait, il fait cela sur tous les thèmes...).

Bill adorait aussi avoir recours aux notes pédales. Un bel exemple peut être entendu sur son "Peace Piece", morceau complètement improvisé (qui figure sur l'album Everybody digs Bill Evans – 1959). A ce moment là, il était en studio pour l'enregistrement de ce disque et allait enregistrer le standard "Some Other Time", de Leonard Bernstein. Il commença par un vamp (motif répétitif), et finalement, oublia complètement le thème. Avec ce vamp, il s'était envolé ailleurs, ce qui donna «Peace Piece», l'une de ses plus belles et plus touchante composition.
Je me suis longtemps demandé quelle avait pu être la source de ce vamp ? Peut-être finalement la berceuse de Chopin en réb majeur. En effet, harmoniquement parlant, c'est basiquement une pédale de réb, sur un accord de réb 7ème majeure et lab7 sus, et l'ensemble du morceau se présente en filigrane comme une improvisation écrite.



Peace Piece (ici do maj 7, Sol 7 9 sus4) est un bel exemple où l'on peut entendre la très grande imagination de Bill et sa technique fulgurante. Technique mise simplement au service de l'improvisation, ou tout semble couler de source, technique qui lui permet sans cesse de trouver de nouvelles idées, pas du tout pour «épater la galerie», ce dont il n'avait rien à faire. Pour moi, Bill Evans fait partie des personnes les plus pures et les plus sensibles. Bill utilise comme personne son âme, ce qui lui permet de mettre au monde ses idées avec toutes sortes de textures et d'harmonies et une expressivité qui vous prend aux tripes.





Lorsque Bill s'est ressaisi après la terrible mort subite de Scott LaFaro, il a formé d'autres trios : avec Chuck Israels et Larry Bunker, puis Eddie Gomez et Marty Morrel.
Le contrebassiste Eddie Gomez resta alors 11 ans avec Bill et les deux musiciens se connaissait alors sur le bout des doigts.

Bill devint alors de plus en plus célèbre et commença à gagner vraiment de l'argent, comme il le méritait. Il fit une série d'enregistrements au cours de ces années avec Eddie Gomez - certains d'entre eux excellents, d'autres ne faisant pas partie de mes préférés. L'album de Bill avec Eddie (contrebasse) et Eliot Zigmund (batterie) intitulé "You must believe in spring" (enregistré en 1977 mais publié en 1980) est une véritable œuvre d'art, un pur joyau, peut être le meilleur album que Bill n'ait jamais enregistré.




Les deux albums avec Tony Bennett (1975 et 1976) sont également parmi ses meilleurs, et montre le talent incomparable de Bill Evans comme accompagnateur (voir cette chronique consacrée à l'enregistrement de ces albums).

Lorsque Bill créa son dernier trio en 1974 avec Marc Johnson (contrebasse) et Joe LaBarbera (batterie), c'est comme s'il s'était plongé dans une fontaine de jouvence, pianiste renouvelé, étincelant d'une nouvelle énergie Mark Johnson avait alors 22 ans et il ressemblait à Scott La Faro (peut-être cette nouvelle énergie pour Bill venait du fait que cela lui rappelait son trio d'anthologie?).
De son côté, Joe Labarbera est un batteur avec un goût sûr, capable à la fois de jouer très doucement, très swing, mais aussi très puissamment. Ce qui poussait très certainement Bill «au cul», ne le laissant pas forcément trop conduire, l'emmenant dans d'autres terrains. J'y reviendrai mais c'est, d'après moi, avec ce trio que Bill a joué la version la plus éblouissante de «Nardis», morceau qu'il a joué presque toute sa vie dans ses concerts.



Bill était comme en renaissance avec ce nouveau trio, mais encore une fois sa vie s'effondrait. Il était en très mauvais état physique, mental et émotionnel et de nouveau très accro à la drogue. Tout le monde le savait et cela désolait tout ses amis musiciens. Il perdait du poids, portait la même chemise tous les jours pendant des semaines. C'était terrible... Mais jusqu'au bout, il a maintenu un niveau d'excellence assez élevé dans ses performances, en particulier lorsqu'il jouait «Nardis». Parfois, les drogues gâchaient son toucher et rendaient son jeu trop dur quand il frappait.

On peut dire qu 'il a influencé tous les pianistes qui vinrent après lui (avec peut être une exception pour des pianistes comme McCoy Tyner et Cecil Taylor...) ? Il a influencé Herbie Hancock d'une grande façon, Chick Corea, Keith Jarrett, Paul Bley (comme on l'a vu plus haut, ces deux-là étaient contemporains), Dick Hindman, Fred Hersch, Richie Beirach, Warren Bernhardt, Michel Petrucciani, Giovanni Mirabassi, Enrico Pieranunzii... Il serait fastidieux de nommer tous les pianistes qu'il a pu influencer...

(à suivre...)
Modifié en dernier par Christof le ven. 05 janv., 2024 13:29, modifié 8 fois.
Ninoff
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans : un tour d'horizon en guise d'introduction

Message par Ninoff »

Merci Christof de ce rappel historique 👌👌👌
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans : un tour d'horizon en guise d'introduction

Message par flober »

Super on attend la suite.
Christof a écrit : sam. 13 mai, 2023 14:24 Voicing typique de Bill evans avec une seconde mineure au milieu (juste au dessus du do3), créant un son riche au piano provenant du frottement de ce la naturel avec le sib au milieu de l'accord.
Sauf votre respect, il me semble qu'il s'agisse d'une neuvieme naturelle et pas mineure ...

N'a pas été cité un de mes albums préféré et notoire, le concert a Montreux (68?) avec Eddie Gomez et Jack Dejohnette.
Ils n'ont pas joué beaucoup ensemble mais c'est pour moi, du meilleur ...
Modifié en dernier par flober le dim. 14 mai, 2023 12:43, modifié 1 fois.
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans : un tour d'horizon en guise d'introduction

Message par Christof »

Ninoff a écrit : sam. 13 mai, 2023 16:47 Merci Christof de ce rappel historique 👌👌👌
Merci Ninofff
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans : un tour d'horizon en guise d'introduction

Message par Christof »

flober a écrit : dim. 14 mai, 2023 10:10 Super on attend la suite.
Merci ! Cela m'encourage
flober a écrit : dim. 14 mai, 2023 10:10
Christof a écrit : sam. 13 mai, 2023 14:24 Voicing typique de Bill evans avec une seconde mineure au milieu (juste au dessus du do3), créant un son riche au piano provenant du frottement de ce la naturel avec le sib au milieu de l'accord.
Sauf votre respect, il me semble qu'il s'agisse d'une neuvieme naturelle et pas mineure ...
Je ne parle pas du la dans l'accord, qui est une ici neuvième naturelle, mais de l'écart de seconde mineure entre les deux notes la et sib. Frottement juste au milieu de l'accord.
flober a écrit : dim. 14 mai, 2023 10:10 N'a pas été cité un de mes albums préféré et notoire, le concert a Montreux (68?) avec Jack Dejohnette.
Ils n'ont pas joué beaucoup ensemble mais c'est pour moi, du meilleur ...
Oui, tu as raison, mais ce premier épisode était juste une présentation sommaire (il faut dire que l'on compte quelque 180 disques où figure Bill, dont au moins 45 à son nom.Il est d'ailleurs difficile de faire le compte exact car des inédits sortent toujours...).
Comme toi, 'aime aussi beaucoup cet album Montreux de 1968 (qui a aussi reçu un Grammy Award) et j'y reviendrai. Fêtée comme la "meilleure réalisation d'une petite formation de jazz instrumental" pour 1968, il doit grandement cette distinction à Jack Dejohnette, apportant dans cet album une dimension d'imprévisibilité des plus excitantes, et pour ses compagnons, et pour ses auditeurs. Dejohnette avait depuis longtemps rompu avec le type d'accompagnement à la batterie qui consiste à habiller le soliste en "prêt-à-porter". Ce batteur a toujours eu le chic pour sortir des rails sans quitter l'alignement. Chacun de ses dérapages est une astuce, une ruse pour recentrer la musique comme à l'insu de celle-ci, l'équilibrer, vainqueur à chaque fois d'un nouveau danger. Bill Evans lui même disait, sans mâcher ses mots : "Musicalement, il m'oblige à me remuer les fesses". Leur collaboration dans le trio a duré 6 mois. Il faut savoir aussi que Jack a été pianiste avant d'être batteur.

C'est chouette car on n'arrête pas de retrouver des trésors inédits, des bandes oubliées de Bill Evans. En 2020 est sorti "Bill Evans, Live at Ronnie Scott's" (le Ronnie Scott's est un club de jazz à Londres). Ce double CD provient d'un enregistrement fait à l'arrache par Jack Dejohnette qui avait amené un magnétophone et posé un micro dans le piano, juste à côté aussi du contrebassiste Eddie Gomez. Le groupe a joué un mois dans ce club, en juillet 1968.
Si le son n'est pas excellent excellent, l'endroit où Jack avait placé le micro fait qu'on a l'impression d'être vraiment assis entre le pianiste et le contrebassiste, ce qui donne une atmosphère extraordinaire, comme si on était vraiment là, tout près d'eux.



NB : Un autre double CD est sorti en 2016, "Bill Evans, Some other time - The lost session from the black forest", enregistrement inédit de juin 1968 du trio Bill Evans, Eddie Gomez, Jack Dejohnette lors d'une tournée en Allemagne.




Enfin, toujours avec la même formation pour ce trio, sort en 2017 un disque inédit "Another Time - The Hilversum concert" (concert du 22 juin 1968, lors de leur passage en Hollande). Concert capté par la radio néerlandaise.




Ce qui fait que désormais, on a un bon aperçu du travail de cette formation éphémère de six mois et dont on n'avait auparavant uniquement trace que par le disque enregistré lors du Festival de Montreux*.



*Pour être complet, citons aussi ce disque "Bill Evans trio : rare broadcast Material" où l'on peut entendre une version de Stella by starlight jouée par le trio Evans-Gomez-Dejhonette, ainsi qu'un morceau de Granados (accompagné par le CBS Orchestra), ainsi que le CD "The Secret Sessions où l'on peut entendre 5 morceaux joués par ce même trio.
Modifié en dernier par Christof le ven. 05 janv., 2024 13:30, modifié 10 fois.
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flober
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Re: Histoire du jazz à ma façon... Bill Evans : un tour d'horizon en guise d'introduction

Message par flober »

Christof a écrit : dim. 14 mai, 2023 13:11 Je ne parle pas du la dans l'accord, qui est une ici neuvième naturelle, mais de l'écart de seconde mineure entre les deux notes la et sib. Frottement juste au milieu de l'accord.
Oui bien sûre !
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