Histoire du jazz à ma façon (suite)... Hommage à Michel Petrucciani

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
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jazzy
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par jazzy »

Joe Pass, un très bon guitariste de jazz. Il existe un film sur lui, pas très récent, que j'avais beaucoup apprécié.
Entre 20 et 40 ans j'avais abandonné le piano pour faire de la guitare: de l'accompagnement, quelques compos de chansons, et j'avais travaillé le style picking, 'la guitare à Dadi (pas très facile techniquement car comme au piano il s'agit de mettre des basses et des notes de l'harmonie, sans oublier la mélodie).
Ce que j'aimais bien dans la guitare c'est qu'on peut l’emporter partout, accompagner des gens qui chantent, et le fait d'avoir l'instrument contre soi pour bien sentir vibrer les cordes.
Si vous voulez savoir ce que faisait Dadi vous pouvez écouter ce morceau: Memphis blues. La musique commence à 4mn
Mon dernier morceau sur soundcloud
https://soundcloud.com/user-123419479/confinements
bernard
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par bernard »

qui dit blues/guitare dit

https://www.youtube.com/watch?v=kdLz-Rr3Eho

ça fait sacrément du bien ce matin
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mh_piano
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par mh_piano »

jazzy a écrit : sam. 17 oct., 2020 11:42 j'avais travaillé le style picking, 'la guitare à Dadi (pas très facile techniquement car comme au piano il s'agit de mettre des basses et des notes de l'harmonie, sans oublier la mélodie).
...
Ce que j'aimais bien dans la guitare c'est qu'on peut l’emporter partout, accompagner des gens qui chantent, et le fait d'avoir l'instrument contre soi pour bien sentir vibrer les cordes.
Idem pour "la guitare à Dadi" ! :wink:
La guitare est mon 2eme amour parmi les instruments, avec de si nombreux atouts...
J'aime aussi beaucoup l'écouter, dans les styles très variés auxquels elle se prête.
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mh_piano
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par mh_piano »

bernard a écrit : sam. 17 oct., 2020 11:57 qui dit blues/guitare dit

https://www.youtube.com/watch?v=kdLz-Rr3Eho

ça fait sacrément du bien ce matin
Oui ! Des valeurs sûres...
jazzy
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par jazzy »

bernard a écrit : sam. 17 oct., 2020 11:57 qui dit blues/guitare dit

https://www.youtube.com/watch?v=kdLz-Rr3Eho

ça fait sacrément du bien ce matin
Ah oui, du blues pur jus!
Mon dernier morceau sur soundcloud
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roulroul2
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par roulroul2 »

Puisque qu'on parles de Blues, j'ai possédé ça en vinyle, en CD, en maintenant sur clé, c'est un double fabuleux "Recorded Live" je n'ai jamais cessé de l'écouter depuis 40 ans. Le titre est évocateur : "Slow Blues in C":
jazzy
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par jazzy »

Bons musiciens en particulier le guitariste pour ses solos. Par contre, je ne suis pas fan quand il chante...
Mon dernier morceau sur soundcloud
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Ninoff
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par Ninoff »

Sacré guitariste, ça rappelle de bons souvenirs 👌👌
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par roulroul2 »

Faut pas m'en vouloir si j'essaie de caser les Beatles un peu partout... :mrgreen: Tout le monde connait ( et apprécie ) When I'm Sixty Four, je pense, aux accents un peu jazz. Je suis pas trop fan des reprises en général, mais celle-ci se laisse écouter.
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Christof
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par Christof »

Pour en revenir au blues à la guitare, Clapton bien sûr, et nec plus ultra, à la gratte sèche (ahhh ce chorus à partir de 2'03 !) :


Continuons par un autre seigneur : John Scoffield : j'adore ici sa façon de jouer avec le tempo, sa façon inimitable de jouer en arrière (à partir de 1'38 ...) puis autre groove à 2'32.. du grand art


Et puis un autre prince de la guitare : Jeff Beck


Et puis, forcément... Hendrix (ici, à la douze cordes, ce qui est assez rare)


Et là, ce n'est plus à la guitare, Eddy Louis avec ce blues for Klook (petit nom du batteur Kenny Klarke, en référence à une onomatopée "the lokook-a-mop", qu'il avait inventée).
Longtemps je me suis demandé quel son utilisait Eddy Louis dans ce chorus, et puis un jour j'ai trouvé : un son de basse sur le DX7, mais joué un peu dans l'aigu... Qu'est-ce que j'ai pu faire chauffer mon DX7 aussi sur ce blues... :
Ninoff
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par Ninoff »

Un régal ces blues, moi aussi j’ai possédé le DX7.
Merci de ce partage et de tous ces bons souvenirs
🙏🙏🙏
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BM607
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par BM607 »

Joli tout ça.
Le mixage sur Clapton je ne le trouve pas terrible par contre, lui est trop en retrait par rapport à la batterie trop présente je trouve.

BM
Je ne crains pas le suffrage universel, les gens voteront comme on leur dira.
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Triplef
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par Triplef »

Un blues, avec un piano qui groove comme pas possible sur l'intro.
Au piano Joe Sample, le pianiste des Crusaders
https://youtu.be/fWYR6fZRyww
Géphil
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par Géphil »

Triplef a écrit : jeu. 22 oct., 2020 18:01 Un blues, avec un piano qui groove comme pas possible sur l'intro.
Au piano Joe Sample, le pianiste des Crusaders
https://youtu.be/fWYR6fZRyww
Excellent ! Merci pour le lien.
Ninoff
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par Ninoff »

Triplef a écrit : jeu. 22 oct., 2020 18:01 Un blues, avec un piano qui groove comme pas possible sur l'intro.
Au piano Joe Sample, le pianiste des Crusaders
https://youtu.be/fWYR6fZRyww
Effectivement un régal cette intro 👌👌👌
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Christof
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Re: Une histoire du jazz à ma façon... Tony Bennett et Bill Evans

Message par Christof »

The complete Tony Bennett et Bill Evans recordings

Image

Cela faisait déjà pas mal de temps que je voulais vous parler de ces enregistrements, pour moi la plus belle association piano voix de toute l'histoire du jazz.
J'ai du bol, je suis tombé vraiment par hasard sur ce CD, abandonné dans le bac des soldes chez Gibert (Bd Saint-Michel à Paris). Et coup de bol aussi que les disquaires et librairies soient encore jugés "Commerces essentiels"...

Ce double CD, daté de 2009, est en fait la réédition des deux albums :
  • "The Tony Bennett/Bill Evans album",sorti en 1975 sous le label Fantasy Records
  • "Toghether again", enregistré en 1976, et sorti en 1977 sous le label Improv
L'intérêt aussi de cette réédition est qu'elle comporte de nombreuses prises alternatives inédites.

Plus rien ne sera comme avant

S’il a existé pas mal de duos piano/voix s’essayant au répertoire des standard, ces deux albums de Tony Bennett et Bill Evans surpassent à mon avis de très loin toutes les tentatives précédentes d’artistes dans ce domaine.
En effet, on peut dire qu’avant, le pianiste ne faisait «qu’accompagner» le chanteur dans un style vraiment «classique». Mais ici, la réunion de ces musiciens dans l’âme porte le résultat à un tout autre niveau, à tel point que désormais, tout autre duo chanteur(ou chanteuse)-pianiste est automatiquement comparé à ces deux albums.

On peut par exemple illustrer cette différence en écoutant l'album précédent de Tony Bennet, «Tony sings for Two», avec le pianiste Ralph Sharon. Exemple clair et net d'un pianiste accompagnant un chanteur dans une tradition classique, donnant à Tony Bennett le soutien harmonique et rythmique dont il a besoin tout en restant à l'écart. D'un point de vue architectural, ce serait comme les fondations d'un bâtiment que vous ne verriez jamais - le gratte-ciel reste en place sans que sa structure de soutien ne soit jamais remarquée. En fait, si "Tony Sings for Two" a été remarqué à l'époque, c’est simplement parce que l’association piano-voix était nouvelle avec Tony Bennett : il était assez novateur pour une star du niveau de ce chanteur de se produire sans orchestre, sans parler d'un bassiste ou d'un batteur, exposant ainsi encore plus la voix.

Avec ces deux albums, on passe à tout autre chose : la façon dont la voix et le clavier interagissent semble n'avoir aucun antécédent dans toute l'histoire du jazz. Au lieu d'un chanteur accompagné d'un pianiste, l'un étant sous les feux de la rampe et l'autre faisant juste office de «soutien», nous avons ici deux partenaires interagissant de façon égale. Et c’est d’ailleurs très certainement pour bien enfoncer le clou que Tony Bennett a voulu ouvrir l'album «Together Again» par un morceau de piano solo. Dès lors, personne ne peut penser qu'il va s’agir simplement d'un disque vocal avec un accompagnement au piano.

Certains fous furieux voudraient nous faire croire que nous sommes tous incomplets jusqu'à ce que nous trouvions notre seul vrai compagnon qui puisse nous rendre complets. Mais c’est d’ailleurs le clarinettiste Artie Shaw*, qui, se fondant sur sa propre expérience, déclarait : "Il est insensé de penser qu'il existe "des moitiés" dans la nature. Au contraire, seuls les individus qui sont entiers au départ, en eux-mêmes et par eux-mêmes, sont en mesure de se lier à d'autres personnes. J'ai toujours résisté à l'idée, exprimée dans de nombreux films et chansons, que les relations sont le résultat de deux individus qui se "complètent"".

* Pour la petite histoire, ses parents qui ne manquaient pas d’humour, qui adoraient la culture française et connaissaient très bien le français, avaient choisi exprès ce prénom pour leur fils, du genre "Monsieur et Madame Schaw ont un fils, comment l’appellent-ils ?")

La rencontre unifiée de deux personnalités qu'on aurait pu penser contraires

Et c'est ainsi que fonctionnent les sessions de Tony Bennett et Bill Evans : le pianiste, sans surprise, joue comme une entité complète à lui seul - ce qu'il a d’ailleurs prouvé avec ses différents albums solo au fil des ans. Tony Bennett s'est lui aussi produit a capella, notamment sur "Fly me too the moon", qu'il a chanté non seulement sans accompagnement musical mais aussi sans amplification lors de milliers de concerts. Deux artistes complets donc, et qui n’ont pas enregistré dans des cabines d'isolement (comme cela se faisait souvent), afin d’être le plus possible en interaction. Deux éléments, entiers, qui deviennent un ensemble encore plus grand lorsqu'ils se réunissent de concert (dans tous les sens du terme). Ce n'est pas comme si l'œuvre devenait encore plus complète (mais je ne sais si c’est vraiment le terme qui convient) lorsque les deux éléments s'unissent, devenant encore quelque chose de bien supérieur. Peut-être faut-il parler ici «d’émergence»?

Un avènement issu d'une longue histoire

Tony Bennett a toujours eu la généreuse habitude d'attribuer à d'autres le mérite d'idées qui lui étaient déjà venues à l'esprit. Il crédite par exemple son accompagnateur et partenaire Ralph Sharon de l'avoir encouragé à enregistrer des albums conceptuels de jazz. Mais il est finalement difficile d'imaginer que le chanteur n'avait pas pensé à cela bien avant Sinatra. Je pense d’ailleurs que Tony Bennett avait toujours rêvé de réaliser un album avec Bill Evans bien avant que la chanteuse Annie Ross (qui connaissait bien les deux artistes) ait pu servir de catalyseur à cette collaboration.

L'expérience piano-voix n'était pas totalement inédite dans les deux carrières : comme j’en ai déjà un peu parlé plus haut, Bennett avait déjà enregistré deux albums centrés sur le piano avec son accompagnateur de longue date, Ralph Sharon : "Tony Sings for Two" (1959) et "When Lights are Low" (1964). De son côté, Bill Evans, au milieu d'une tournée européenne en 1964, a fait équipe avec la chanteuse suédoise Monica Zetterlund pour un album intitulé "Waltz for Debby", qui comprenait notamment cette composition caractéristique d'Evans (chantée en suédois).

Bill Evans et Tonny Bennett sont apparus pour la première fois sur le même programme - mais pas ensemble - en 1962. En mars de cette année-là, le président Kennedy organisait une soirée jazz sur la pelouse de la Maison Blanche. Parmi les artistes présents, Tony Bennett et Dave Brubeck, et Bill Evans. Le chanteur était depuis longtemps un fan de Bill Evans, qu'il avait découvert pour la première fois (comme tant d'autres personnes) en 1959, pendant les quelques précieux mois où Evans a travaillé avec le septet de Miles Davis (voir Kind of Blue - j'en avais parlé ici)...

"J'ai rencontré Bill dans les coulisses, se souvient Tony Bennett, et il m'a dit qu'il aimait les chansons que j'ai choisies tout au long de ma carrière et qu'il m'admirait pour mes choix et la qualité de mes interprétations".
Ce n'était pas simplement que Tony Bennett et Bill Evans partageaient une prédilection pour les standards. En fait, il s'agissait souvent des mêmes chansons. Au fil des ans, chacun de son côté, a par exemple enregistré "Young and Foolish", "Who can I turn to?" ; "My Foolish Heart", "So Long Big Time", "On Green Dolpin Street", "The Shadow of your Smile", "For Heaven Sake", "Stella by Starlight", Yesterday I Heard the Rain", “Emily”, “Alfie”, et bien d’autres...

Bill Evans, en 1968, déclarait : "Comme beaucoup d'instrumentistes, je n'ai jamais été un grand fan de chant. Mais le développement de Tony a été fantastique et, depuis ces dernières années, il est mon chanteur préféré. Tony m'a vraiment bluffé plus que quiconque par son long processus de dévouement pur à la musique et à son talent inimitable ; il a une profondeur, une qualité et une valeur qui me plaisent."

Un projet qui va suivre son cours

Tony Bennett passait beaucoup de temps en Angleterre au début des années 70, à peu près au moment où il s'est séparé de Columbia Records (son label d’attache la plus grande partie de sa carrière). Parmi ses amis les plus proches à cette époque figurait la grande chanteuse de jazz Annie Ross, qu'il connaissait depuis plus de quinze ans à l'époque. Et Annie Rosse connaissait aussi Bill Evans à peu près aussi depuis aussi longtemps (pour la petite histoire, elle est d'ailleurs sortie avec lui à une époque).

Au début des années 70, Bill Evans et son trio jouaient au club de jazz de Ronny Scott à Londres. Annie Ross, Tony Bennett et John Bursh (le pianiste de Tony), étaient tous assis à une table près de la scène. Annie Ross glissa alors à l’oreille de Tony : «Pourquoi tu ne fais pas un truc avec lui ?... ce serait une combinaison parfaite.»

Sauf que lorsque Bennett a commencé à y réfléchir, le projet a pris dans sa tête une forme très différente : il envisageait cela comme un projet chant + deux pianistes. Bill Evans avait lui-même réalisé un célèbre album de deux pianos, avec Bob Brookmeyer, "The Ivory Hunters (Double Barreled Piano)" en 1959.
Il y avait aussi déjà eu plusieurs exemples célèbres de chanteurs comme Lee Willey et Judy Garland accompagnés d'une combinaison à deux claviers.

"Tony a eu cette idée et franchement, j'ai essayé comme l'enfer de le décourager", a déclaré Jonh Bursh, qui ne sentait pas bien le truc. Et Tony Bennett est alors passé à autres chose.

Bill Evans, pour sa part, a confié plus tard à l'écrivain Len Lyons : "C'était une de ces choses qui était dans l'air pendant des années. J'ai toujours pensé que si Tony faisait apparaître un de mes morceaux sur ses disques, j’en serais ravi (…) Tony et moi avons toujours eu un respect mutuel, même si on se suivait de loin. Il se trouve que mon manager et son manager sont de bons amis".

Tony Bennett revient à son idée d’un album avec Bill Evans en 1975. Cette année-là, il avait fondé son propre label "Improv Records" car il voulait avoir les coudées franches sur sa production. Naturellement, le projet avec Bill était en tête de sa liste. Sauf que le pianiste était alors sous contrat avec Fantasy Records. Tony Bennett conclut alors un accord avec la manager d'Evans, Helen Keane, selon lequel le duo couperait la poire en deux, réalisant un disque pour Fantasy Records et l’autre pour Improv Records.
Les deux seront enregistrés dans la région de la baie de San Fransisco, où Fantasy était basé.

La réalisation des deux albums

A d’abord été enregistré "The Tony Bennett /Bill Evans album", en 1975, pour Fantasy., puis "Together again" en 1976 pour Improv.
Il n'y avait pas eu vraiment de préparation pour le premier album. Les deux artistes sont entrés dans le studio avec seulement Helen Keane, officiellement créditée comme productrice, et Don Cody, l'ingénieur du son. Ils n'ont même pas discuté au préalable des choix de chansons possibles. Cela s’est fait au fur et à mesure des séances : une fois un titre décidé, petite répétition et c’était dans la boîte. "Je proposais un morceau, et Bill disait : c'est bien, faisons ça. On peocédait à des essais, changeant par-ci par-là les modulations selon les prises. Nous y avons passé trois jours, jusqu'à ce que nous ayons neuf chansons dans la boîte ", a expliqué Tony Bennett.

"C'était mon idée de faire un duo uniquement piano/voix, sans aucun autre instrument. Cette exercice casse-gueule m'effrayait quelque peu mais je savais que c'était la meilleure, de façon de créer entre nous une communication vraiment intime"
, précise Bill Evans.

Une des clés de leur maturité artistique mutuelle est cette "utilisation de l'espace". "Bill Evans était capable de sentir chaque mesure avec plus de possibilités qu’il y a de poissons dans la mer. ". A ce stade de leur évolution artistique, ils étaient parfaitement conscients qu'ils n'avaient pas à remplir tous les espaces, à savoir qu'un espace vide pouvait communiquer autant qu'une note ou un accord le pouvait : "Le truc avec par exemple, avec une chanson touchante comme "Young and Foolish" est de magnifier justement la nature mélancolique des paroles avec une touche légère plutôt qu'une poigne de fer. Plutôt que de distribuer un million de notes à la fois, ils est bien plus efficace de faire briller chaque note."

Pour le second album, Tony Bennett et Bill Evans avaient pas mal collaboré quelques temps avant, par exemple pour l’ouverture en 1976 du Newport Festival à New York. Ils ont joué aussi à Washington et ont également fait des apparitions à la télévision aux Pays-Bas et à Toronto. Ainsi, en septembre, ils étaient au meilleur. Mais ils ont enregistré une fois de plus en créant le matériel sur place, probablement aussi en utilisant des chansons qu'ils avaient déjà interprétées lors des concerts en live.

La sortie du premier album, sur le label Fantasy, a surpris beaucoup de monde. Non pas parce que Tony Bennett avait déjà pris l'habitude par le passé de collaborer avec les plus grands musiciens de jazz, comme Count Basie ou Duke Ellington, mais parce qu'avec Bill Evans, cela pouvait sembler un couple improbable en termes de personnalités. Tony Bennett est en effet un interprète des plus extravertis, ouvert à toutes sortes de musiques et répertoires. L'un de ses mots préférés pour qualifier un musicien est : "grégaire" ; la qualité qu'il apprécie chez d'autres interprètes peut être considérée comme une description de son propre travail, en particulier sa conviction qu'il est le plus important d'atteindre le public, de faire passer son message, par une espèce d’empathie extravertie aussi.

Bill Evans, en revanche, est généralement caractérisé comme l'un des joueurs les plus introvertis de l'histoire du jazz. L'image la plus célèbre de ce virtuose est certainement cette tête presque enfouie dans le clavier. Bill ne se souciait absolument pas de son apparence face au public, complètement absorbé par l'ingestion de chaque nuance sonore émise par son instrument.

Image

Pourtant, sur les deux albums, ces deux «caractères» se rencontrent extraordinairement, bien plus qu’à «mi-chemin». Mais il faut dire que Tony Bennett possède aussi cette qualité de l’intimité, qu'il avait laissé se manifester dans d'autres contextes. De même, quand il le voulait, Bill Evans pouvait jouer aussi dynamiquement que n'importe qui. Par exemple, dans le premier morceau du «Together Again», "The Bad And The Beautifull” (thème issu d’un film de David Raski), et comme je l’ai signalé plus haut, Tony Bennett ne chante pas. Un véritable feu d’artifice pour tout pianiste. Et ici, Bill Evans joue bien plus extérieurement qu'on ne pouvait s'y attendre. Placer aussi ce morceau au début de l’album, en piano solo, a dû en étonner plus d’un. Et ce c’est ce que Tony Bennett voulait, en rendant aussi hommage à ce pianiste d’exception.

"J'ai appris beaucoup de façons de garder l'intérêt du public"
, a expliqué Bennett. "L'une d'elles est de produire de l'inattendu, de sorte que le public ne sait pas ce qui va se passer, ni quand. Placer ce morceau en piano seul, juste au début de l’album, c'était juste inattendu. Vous êtes mentalement prêt à écouter un disque de Tony Bennett sauf qu’alors, vous n'entendez que le piano. Cela pourrait vous dérouter la première fois que vous l'entendez. Vous pourriez demander "Mais qu’est-ce que ce gars est en train de faire". Sauf qu’une fois cela digéré pour l’auditeur, cela coule de source."

Bill Evans montre ainsi, pour qu’il n’y ait aucun doute, chaque subtilité dont le piano solo est capable. Les différents trios d'Evans, à partir de l’édition du Scott Lafaro-Paul Motian au Village Vanguard, étaient remarquables pour leur interaction et la façon dont Bill faisait de la rétention une vertu. Contrairement, disons, à un Art Tatum ou à un Oscar Peterson, le leader n'avait pas à dominer le groupe par chaque note jouée, l'accent était mis sur les allers-retours entre les trois instruments. C’est d’ailleurs drôle quand on écoute les premières sessions du pianiste en solo qui sont venus ensuite, de se dire que le pianiste sonne presque terriblement seul, comme si Bill Evans avait voulu bien nous montrer cette absence et nous fasse découvrir autre chose quand il joue en solo. Ce qui n’est pas le cas pour les albums avec Tony Bennett, sur le deuxième en particulier. Il y joue bien plus orchestralement, entourant complètement l'auditeur d’un côté encore plus «brillant». Il «enveloppe» également Tony Bennett, sans jamais le submerger, ni s’effacer.

Tony Bennett à souvent cité ces deux albums comme les projets les plus merveilleux de sa longue carrière: "Si vous arrivez à une chose pure et simple, cela dure pour toujours. Juste du piano et de la voix, c'est tout ce dont nous avions besoin."

De son côté, alors qu’il était en pleine tournée en trio, et sentant certainement sa mort proche, Bill Evans a appelé urgemment Tony Bennett au téléphone : "Je voulais te dire: pense juste à la vérité et à la beauté. Oublie tout le reste. Concentre-toi simplement sur la vérité et la beauté. C'est tout ce qui compte."

Tony Bennett a peut-être pensé à faire un autre album ou concert avec le pianiste. Hélas, cela ne s’est pas fait car Bill Evans est décédé quelques mois plus tard après le coup de téléphone (soit presque exactement quatre ans après ses dernières rencontres en studio avec le chanteur).

La grâce

Est-ce mon côté romantique, mais lorsque j'écoute ces disques, je me sens emporté, étreint par l'émotion. Vous savez, un peu comme lorsqu'on est au cinéma, cette féérie, comme lorsqu'on regarde un film avec Audrey Hepburn, par exemple "Ariane".
Je ne sais non plus si c'est ce charme particulier qu'on les standards américains, magnifiques chansons, avec des paroles toutes plus romantiques que les autres. C'est comme ici les découvrir.
Et puis cette diction incroyable de Tony Bennett, cette précision de la mise en place. Avec lui, on comprend tout, même si l'anglais n'est pas notre langue. Et puis, il y a cette magie Bill Evans. Une fusion radieuse de deux magiciens qui métamorphosent des standards archi-connus en véritables lieder.

C'est absolument incroyable. Lorsqu'on écoute les prises "alternatives" qui ne figuraient pas dans les albums d'origines, on s'aperçoit que Bill Evans, selon les différentes intonations, phrasés de Tony Bennett dans l'instant, ne joue pas exactement la même chose, ne place pas au même endroit, voire choisit immédiatement d'autres renversements, ou d'autres résolutions, ou une différence infime. Et tout est toujours parfait. Il faut voir comment ces deux-là suggèrent la pulsation... "Comme Bill, je n'interprète jamais une chanson deux fois de la même manière", dira aussi Tony Bennett.
Des maîtres absolus. C'est sûrement cela qu'on appelle "la grâce".

Ici, quelques exemples, pour appuyer mes dire (j'aurais pu choisir n'importe quel morceau) :
En premier la version qui était sur le disque lors de sa parution, et juste en dessous, les prises alternatives

A child is born



et les liens si les players ne fonctionnent pas : 1 ; 2 ; 3

Maybe September



et les liens si les players ne fonctionnent pas : 1 ; 2 ; 3

TheTouch of your lips


et les liens si les players ne fonctionnent pas : 1 ; 2

Who I can I turn to ?


et les liens si les players ne fonctionnent pas : 1 ; 2

You don't know what love is



et les liens si les players ne fonctionnent pas : 1 ; 2 ; 3

Une vidéo en 1977

Bill Evans et Tony Bennett tourneront une vidéo l'année qui a suivi la réalisation de l'album "Together Again". Elle reprend neuf de leurs titres communs, certains datant aussi de leur première collaboration en 1975 pour « Fantasy » :
"The Bad and the Beautiful" (solo de Bill Evans), "Lucky to be Me", "My Foolish Heart", "When in Rome", "Some Other Time", "A Child is Born", "Make Someone Happy", "We'll Be Together Again" et une reprise de "The Bad and the Beautiful".

Ce programme a été produit et réalisé par le canadien Bernard Picard, probablement enregistré à Montréal et diffusé une unique fois par la Canadian Broadcast Corp en mai 1977.

Et là aussi, le jeu de Bill Evans est encore différent :


N'hésitez pas à laisser des commentaires...
Modifié en dernier par Christof le jeu. 18 mai, 2023 11:53, modifié 1 fois.
Ninoff
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par Ninoff »

Bonsoir Christof,
Quel beau partage de ton ressenti de ces 2 musiciens hors paire.
Il y a des rencontres qui sont écrites dans les astres, et la magie en ressort magistralement.
Bill est un pianiste exceptionnel, la photo m’a fait penser à Glenn Gould, également introverti ( je crois Maladie d’Asperger).
Son jeu au piano est tellement limpide...
C’est marrant ce duo me rappelle un duo qui s’est créé récemment, n’est ce pas Christof .
D’ailleurs la voix de Terrence rappelle sans équivoque la voix de Tony...
Superbe et merci de ton temps passé à nous transmettre ce moment historique de l’histoire du Jazz.
🙏🙏🙏
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Christof
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par Christof »

Ninoff a écrit : ven. 09 avr., 2021 20:30 Bonsoir Christof,

Bill est un pianiste exceptionnel, la photo m’a fait penser à Glenn Gould, également introverti ( je crois Maladie d’Asperger).
Son jeu au piano est tellement limpide...
C’est marrant ce duo me rappelle un duo qui s’est créé récemment, n’est ce pas Christof .
D’ailleurs la voix de Terrence rappelle sans équivoque la voix de Tony...
Superbe et merci de ton temps passé à nous transmettre ce moment historique de l’histoire du Jazz.
🙏🙏🙏
Merci beaucoup Ninoff pour ton message.
J'ai toujours adoré Bill Evans. Et en ce moment, je le réécoute énormément. Sa poésie contribue à réenchanter le monde qui m'entoure. Un génie qui a toujours été si modeste, qui m'inspire gratitude et affection. J'entends chez lui un tel raffinement, une telle profondeur, une telle sincérité. Musique d'une douceur folle, si dense, comme de l'acier. Pas une note de trop dans son jeu tranchant. Il savait tout jouer, et nul autre pianiste à mon avis à joué les ballades comme lui. Un lyrisme fervent et pourtant si pudique. Miles disait de lui : "un feu paisible". Un son qui n'est qu'à lui.
Plus j'avance au piano, et plus je découvre combien il était vertigineux. Marc Johnson, qui a été son contrebassiste, à mon avis, dit si bien l'essentiel : "Il y a une puissance spirituelle émanant de Bill Evans, qui influence et domine ceux qui l'entourent, sans qu'eux-mêmes aient conscience de comment cela se produit".

Oui, ce n'est pas par hasard que j'ai parlé de ces deux artistes. Terrance est en effet un grand fan de Tony Bennett.
C'est drôle, quand il m'appelle au téléphone il commence toujours par : "Hi, Bill, it's Tony" !
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Gershwin'
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par Gershwin' »

Bonjour bonsoir...! (mon dernier message date de bientôt 10 ans, Madre Mia! :shock: )

Merci pour ce partage Christof! J'ai lu une partie de tes articles avec les liens Youtube en fond sonore :)

Concernant Earl Hines, je n'avais pas bien fait le rapprochement qu'il faisait partie de la "clique" d'Armstrong (même si ces deux-là, avec leur longévité, ont dû faire partie de beaucoup de cliques à eux deux!)!

Quant à Fats Waller, il m'arrive de travailler Handful of Keys mais ces intervalles généreux à ce tempo endiablé, c'est exigeant!!

Je m'attarderai plus tard sur Bill Evans, Oscar Peterson et Art Tatum (bon et peut-être aussi Keith Jarrett, mais l'article est long haha!) :) Outre ceux déjà cités, je serais assez intéressé par un topo sur Ahmad Jamal, Brubeck, Horace Silver, Bobby Timmons, Wynton Kelly, Petrucciani, Cedar Walton... :D

Ah et je vais regarder un peu les vidéos sur les block chords... Je connais ce qu'en dit Mark Levine dans son Livre du Piano Jazz, mais je n'ai peut-être fait qu'effleurer le sujet du coup... ^^" Mais je viens de faire une recherche sur le forum et je vois qu'il y a pas mal de topics dédiés au jazz... Je sens que je vais regarder ça de plus près :)
jazzy
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Re: Une histoire du jazz à ma façon...

Message par jazzy »

J'ai écouté les morceaux de Tony Benett (chanteur que je ne connaissais pas vraiment) et Bill Evans.
C'est sûr qu'il y a de la perfection dans l'accompagnement de Bill Evans et une très grande richesse des voicings qu'il semble complètement maîtriser; ça en devient difficile d'entendre les enchaînements d'harmonies.
Mais n'est-ce pas trop riche pour un accompagnement? Enfin quand on s'appelle Bill Evans on a droit à la liberté de création...
Bon! ben Christof tu n'as plus qu'à faire les relevés pour ton duo!!!
Mon dernier morceau sur soundcloud
https://soundcloud.com/user-123419479/confinements
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