Hier-soir, 14 novembre, avait lieu à la bibliothèque polonaise un concert sur le thème Enfantines polonaises – Chants lyriques du XXe siècle .
Je ne connaissais pas cet endroit et cette salle qui n’est pas sans rappeler l’ambiance des salons romantiques… Et ce qui ne gâche rien, un Bösendorfer impérial y trône en permanence !
J’ai d’ailleurs pu voir dans le programme des animations prévues qu’un concert aurait lieu le mercredi 27 novembre, un autre le 18 décembre, tous deux à 19H (entrée libre je pense) lors desquels un lauréat de grands concours internationaux se produira (mais il n'est précisé de nom). Qu’on se le dise !
Mais revenons au concert d’hier-soir durant lequel se produisaient trois artistes : Evelyne Cohen au piano, Alison Kamm (soprano), Nicole Schnitzer-Toulouse (mezzo).
De gauche à droite : Evelyne Cohen, Nicole Schnitzer-Toulouse, Alison Kamm
Le concert commence avec la musique de Mieczyslaw Weinberg (1919-1996)
Né à Varsovie d’un père musicien, qui sera son premier professeur de piano, il est admis à l’âge de 10 ans au Conservatoire de Varsovie où il y obtient son diplôme de piano en 1939. L’invasion nazie interrompt sa carrière de pianiste virtuose ; il trouve alors refuge à Minsk où il étudie la composition, obtenant un second diplôme en 1941. Mais devant l’avancée de la Wehrmacht, il doit fuir à nouveau, cette fois-ci à Tashkent où il est engagé à l’Opéra. C’est grâce à Chostakovitch – qui reconnaît en Weinberg un éminent compositeur – qu’il pourra s’établir définitivement à Moscou. Une profonde amitié va lier la vie de ces deux musiciens qui s’inspireront mutuellement. On peut considérer Weinberg comme un miraculé des totalitarismes : du nazisme, mais il a échappé aussi de peu aux purges staliniennes (notamment grâce à Chostakovitch). Son œuvre connaît la consécration dans les années 60, créée par les plus grands interprètes russes : Oistrackh, Rostropovitch, Gilels, Kondrachine, Barchaï, le quatuor Borodine.. Ses dernières années sont assombries par la maladie et la dépression. Il meurt à Moscou, dans la plus grande précarité, s’étant converti au christianisme russe orthodoxe.
Son œuvre très importante, compte 26 symphonies, maints concertos, musique de chambre, musique de chambre pour piano, mélodies, un réquiem ainsi que de nombreuses œuvres pour la scène (opéras, ballets) et pour le cinéma.
On peut distinguer trois thèmes majeurs dans son œuvre :
- La Pologne dont il est natif, et on retrouve cela dans les rythmes utilisés dans sa musique, rythmes déséquilibrés (mesures à 2 temps, suivies de mesures à 3 temps ) et aussi dans le style de ses mélodies,
- La guerre (il a été enfant pendant la guerre, il a continué d’écrire de nombreuses œuvres pendant les conflits ;une partie de sa famille a été déportée,
- Ses origines juives, que l’on retrouve dans ses mélodies.
Et aussi le monde des enfants,
--- avec tout d’abord, en début du concert, 4 pièces pour piano extraites des Cahiers pour Enfants, opus 16 (pièces sans titre).
--- Puis (écouter à partir de 7’18), toujours issus du même compositeur, Jüddische Lieder op.13 (chants juifs), poèmes de Y. Leib Peretz (poète faisant partie des trois auteurs majeurs de la littérature yiddish dite "classique)".
D’abord une introduction, puis chaque poème nous est récité d’abord en français, puis chanté en yiddish) accompagné de sa musique :
- Breytele (petit pain)
- Viglid (berceuse)
- Der yeger (le chasseur)
- Oyfen grinem bergele (sur la verte colline)
- Der yesoymes brivele
- Final
--- Ensuite, place à Francis Poulenc, avec Bleuet (1939) (poème de Guillaume Apollinaire) (écouter à 26’27)
A peine quelques années séparent cette pièce de celles de l’opus 13 de Weinberg. On pourrait dire, en quelque sorte, que cette mélodie relie la seconde guerre mondiale à la première car Bleuet, c’est le nom que l’on donnait aux jeunes soldats de la grande guerre, en raison de la couleur de leur uniforme. C'est aussi le nom de la fleur.
(Apollinaire a écrit ce poème en 1916, l’année de sa blessure à la tempe, lors des combats).
--- Le concert continue avec la Rhapsodie hébraïque d’Alexandre Tansman (1897–1996), pièce qu’il a dédié à sa mère (écouter à 30’07).
Né en Pologne à Lódz, où il effectue ses études de composition, Alexandre Tansman émigre à Paris, puis aux États-Unis et fait un tour du monde en 1932. Revenu en France après la guerre, il fut l’un des compositeurs les plus joués de l’École de Paris. Son œuvre, riche de plusieurs centaines d’opus, comprend des opéras, des oratorios, des symphonies, de la musique de chambre…
Il fut l’ami de grands de son temps (Dufy, Jankélévitch, Stravinsky, Charlie Chaplin à qui il a dédicacé un concerto pour piano) et l’époux de l’une des filles du compositeur Jean Cras. Il est mort à Paris
--- Changement de compositeur avec Piosenki Dzecinne (chants pour enfants) de Witold Lutoslawski, poèmes de JulianTuwim (figure majeure de la littérature polonaise au XXème siècle)(chants en polonais).
Witold Lutoslawski (1913–1994) est né à Varsovie où il étudie au conservatoire le piano et le violon, puis la composition auprès de Witold Maliszewski, élève de Rimski-Korsakov.
Durant la Seconde guerre mondiale, il est fait prisonnier par les Allemands, mais réussit à s’évader. Il joue alors comme pianiste dans les cabarets pour gagner sa vie, et se consacre après la guerre à la musique pour le théâtre et la radio.
D’abord influencé par Szymanowski, Stravinsky, Roussel, il s’inspira ensuite de la musique populaire. Après une première période tonale, il s’essaie, dans les années 50, au sérialisme, puis à la musique aléatoire, développant enfin ses propres techniques de composition, aux harmonies et textures très personnelles. Dans les années 1960, avec la détente entre l’est et l’ouest, il s’impose au premier plan de la scène musicale : il reçoit des commandes, voyage et enseigne dans le monde entier, dirige lui-même ses œuvres orchestrales : symphonies, concerti, œuvres pour voix et dédie des pièces aux plus grands interprètes de son temps : Rostropovitch, Fischer-Dieskau, Anne-Sophie Mutter. II est cofondateur du Festival d’automne de Varsovie, dédié à la création contemporaine.
On entend successivement (à partir de 42’19)
- Taniec (danse)
- Rok i bieda (les quatre saisons)
- Kotek (le chat)
- Idze Grzes (petit Grégoire)
- Rzecszka (la rivière)
- Spozniony slowik
- O panu Trlalinskim (monsieur Tralinsnki).
-- Le concert se clôt avec un duo, extrait du cycle des Poésies juives, opus 79 de Dmitri Chostakovitch (écouter à 1h07’ 01).
Cette œuvre a été composée en 1948, mais il aura fallu attendre la mort de Staline pour que cette œuvre puisse être jouée en public).
«La musique folklorique juive a fait une très forte impression sur moi. Je ne me lasse jamais de m’y plonger. Elle offre de multiples facettes. Elle veut apparaître joyeuse, alors qu’elle est tragique. C’est presque toujours du rire à travers ses larmes» Dmitri Chostakovitch.
Écouter le concert :