Lucas Debargue

Concerts, interprètes, émissions, sortie CD
Répondre
Avatar du membre
Okay
Messages : 5212
Enregistré le : mar. 13 juil., 2010 17:32

Re: Lucas Debargue

Message par Okay »

pochette a écrit : lun. 14 mai, 2018 11:31 Je ne sais point comment doit-on ecrire une musique à 2018
J'ai longtemps pensé que cette question était très importante, mais je crois qu'elle l'est beaucoup moins que j'ai pu le penser...
La notion de progrès, si valable dans le monde technologique (voire la civilisation) ne se laisse pas facilement apprivoiser par la sphère artistique. Doit-on apporter quelque chose de totalement nouveau, au sens où ça ne ressemble à rien du tout de connu ? Je pense qu'on a été au bout du bout de ce processus qui a mené à une regrettable déconstruction, et qu'il est tant de se souvenir que la musique est un langage depuis des millénaires, et qu'il est possible (et très souhaitable) d'écrire en 2018 des oeuvres intelligibles au public de ce temps, au sens où un romancier de 2018 nous est intelligible sans qu'on questionne les règles de son langage (qui est le notre).

Le quatuor, c'est un geste fort et un jalon important dans le parcours du jeune compositeur. Un nouveau pas arrive avec la sonate pour violoncelle, oeuvre qui remonte à plus loin, qui a été remise à plat depuis, et contient de sacrés thèmes !
jean-séb a écrit : lun. 14 mai, 2018 12:03 Aujourd'hui, écouter Beethoven nous paraît plus ou moins facile, nous somme en pays de connaissance, du moins pour l'essentiel de ses œuvres (parce que certaines, comme la Grande Fugue, posent encore des problèmes d'écoute à beaucoup). Nous ne disons pas, en écoutant du Beethoven, tiens, il a emprunté ceci à tel compositeur, et cela à tel autre, parce que souvent nous ne connaissons pas les œuvres ou les compositeurs auxquels il a peut-être emprunté. Enfin, rappelons-nous que la musique de Beethoven pouvait aussi paraître difficile pour ses contemporains :
« On a donné récemment l’ouverture de l’opéra Fidelio de Beethoven, et tous les musiciens impartiaux et les amateurs de musique furent bien d’accord qu’on n’a jamais rien écrit en musique d’aussi incohérent, de strident, de chaotique et de perçant pour les oreilles. Les modulations les plus tranchantes se suivent dans une harmonie vraiment atroce et quelques idées mesquines ne font qu’accroître l’impression désagréable et assommante. »
viewtopic.php?t=10104
Merci pour ces rappels vraiment bienvenus. Oui, Beethoven n'est rien au départ sans Haydn et Mozart, Chopin sans Hummel et Field, etc. Mais en effet, la Grande Fugue, par moments on se croirait dans un quatuor de Berg !
Modifié en dernier par Okay le lun. 14 mai, 2018 12:19, modifié 1 fois.
pochette
Messages : 114
Enregistré le : mar. 28 juil., 2015 23:30

Re: Lucas Debargue

Message par pochette »

Okay a écrit : lun. 14 mai, 2018 12:07 un romancier de 2018 nous est intelligible sans qu'on questionne les règles de son langage (qui est le notre).

profondément d'accord avec toi Okay, mais il paraît qu'un romancier de nos jour n'est pas chargé de question d'être neuf-neuf-neuf à tout prix, je sais pas pourquoi
Avatar du membre
Okay
Messages : 5212
Enregistré le : mar. 13 juil., 2010 17:32

Re: Lucas Debargue

Message par Okay »

Le parallèle avec le Nouveau Roman en littérature me semble intéressant de ce point de vue... et encore que, ce parallèle est peut-être bien trop complaisant. On ne fait qu'y repousser les notions d'intrigue et de personnage qui sont l'apanage du roman classique, mais les phrases restent compréhensibles et formulées dans un langage tout à fait naturel.
Avatar du membre
Oupsi
Messages : 4418
Enregistré le : ven. 31 juil., 2009 14:06
Localisation : S.-O.

Re: Lucas Debargue

Message par Oupsi »

Disons que ce que l'art du vingtième siècle a pu interroger avec une certaine intensité c'est peut-être justement l'idée que ce soit "naturel".
Personnellement je pense que les œuvres s'adressent, ou pas, de manière absolument authentique à l'homme de leur temps et que cela n'a pas tant à voir avec un style de langage ou un choix de forme prédéfini qu'avec la sincérité, la nécessité intérieure et la puissance du propos, c'est indéfinissable en fait. Certaines œuvres tonales contemporaines sonnent "néo-quelque chose", d'autres s'imposent comme une voix personnelle. Certaines œuvres atonales vieillissent en dix ans, d'autres restent comme des phares. Et ce décalage si difficile à expliquer est sans doute constant dans le temps, chaque époque produisant ses modernes immortels en même temps que ses modes éphémères.

En tout cas, je viens d'écouter le quatuor de Debargue et je le trouve très beau. Le premier mouvement est saisissant, plein d'imagination. Le deuxième mouvement m'a vraiment émue. Sa fin est merveilleuse. Le troisième me fait penser à un paquebot transatlantique, comme si l'orchestre jouait pour une humanité toujours en partance, qui de rythme en rythme sillonne les océans, une génération qui n'est pas la mienne mais plutôt celle de mes parents, revisitée par un jeune homme.

J'ai aimé les contrastes, l'imagination sonore, ce qui est demandé à chaque instrument, toujours intéressant; l'amour des instruments à cordes s'y exprime pleinement. J'aime le lyrisme, l'intensité de cette musique, mais aussi les moments très simples et purs. En fait, je suis agréablement surprise.
Avatar du membre
Lee
Messages : 11345
Enregistré le : lun. 09 sept., 2013 0:09
Mon piano : Pleyel 3bis 1925

Re: Lucas Debargue

Message par Lee »

Je n'attends pas d'une nouvelle langue ou une musique complètement nouvelle des compositeurs, mais au moins entendre la voix du compositeur...
Virgule a écrit : lun. 14 mai, 2018 7:27 Lee, ton commentaire suggère que tu penses qu'une oeuvre 'naturelle' et 'qui coule de source' a ces qualités de façon intrinsèque et indépendante de l'oreille qui l'écoute, une harmonie inhérente comme tu écris, et qu'on perçoit dès la première écoute. Mais alors pourquoi toutes ces oeuvres harmonieuses ne sont-elles pas immédiatement aimées de tout le monde ?
Même si on lit des critiques féroces comme Jean-Séb nous déterre pour notre plaisir, beaucoup de compositeurs étaient reconnus et aimées dans leur temps. Bien sûr il y a de tout, des personnes qui aiment à la première écoute, d'autres qui n'aiment qu'après plusieurs écoute. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, ce n'était pas aussi facile de réécouter une oeuvre, donc beaucoup fonctionner par première écoute.
Virgule a écrit : lun. 14 mai, 2018 7:27 Je ne crois pas du tout qu'on arrive, jamais, devant une oeuvre complexe sans une expérience préalable (musicale ou autre) qui en colore la perception, même si cette expérience préalable n'est pas du tout dans le domaine de la musique classique et même si elle est inconsciente. Ce qu'on entend dans une musique qu'on écoute pour la première fois dépend d'où on vient, musicalement, j'en suis absolument convaincue. Je te donne un exemple personnel, un peu boiteux parce que je connais la musique classique depuis mon enfance, mais quand même. Quand même, je ne connaissais pas Bartok ni aucune musique du XXe siècle et je détestais les quatuors à cordes et même le violon classique en général, mais j'ai eu un coup de foudre pour ceux de Bartok. Un jour chez un disquaire je croise un collègue très mélomane classique qui s'étonne de me voir acheter du Bartok et s'exclame que c'est du lourd, du répertoire 'avancé', et moi je lui réponds: ça dépend d'où on vient... Moi je venais à cette époque de Metallica, alors Bartok, lourd ? Pas vraiment. Mais on ne peut pas entendre les quatuors de Bartok de la même façon à la première écoute, selon qu'on vient de Chopin ou de Metallica. Impossible de me faire avaler ça. Mais il n'est pas nécessaire d'aimer Metallica pour apprécier Bartok. Il y a toutes sortes de portes d'entrée dans une oeuvre, mais on n'est pas une tabula rasa quand on écoute une oeuvre pour la première fois. Pour ça il faudrait au minimum n'avoir jamais entendu de musique de toute sa vie.

Bien sûr on n'écoute pas et on ne peut pas écouter "à vide" une oeuvre, mais le contraire de ce que tu affirmes n'est pas vrai non plus : on ne peut pas décider ou programmer l'écoute ou l'amour, on ne peut pas déterminer qui va aimer quoi par son histoire ou ce qu'on aime ou ce qu'on a déjà écouté ou étudié. J'ai grandi surtout avec Beethoven dans les oreilles mais c'est le seul compositeur qu'on a remarqué que je n'arrive pas à interpréter d'une façon convaincante. Il y a une partie du mystère dans la musique, son appréciation, et son inspiration, heureusement. C'est pourquoi je peux aimer une composition d'Okay sans aimer le compositeur qu'il a dit l'a influencé le plus (pour juste l'oeuvre en question je crois). Et pourquoi je lui ai répondu, sur un fil où je ne m'appartiens pas.

On peut effectivement oublier Beethoven dans cette discussion, je n'étais pas la personne qui l'a soulevé, et j'aurais été la mauvaise personne. :| Mais je maintiens qu'une oeuvre doit être cohérente, et à l'oreille, pas seulement sur papier. Plus haut Virgule, tu as parlé des tableaux, ça m'a rappellé mon cours de l'art au lycée. Ma prof a quasiment toujours aimé ce que j'ai dessiné ou peint. Un jour j'ai décidé faire "un truc moderne" (ou elle en a demandé, j'ai oublié) et j'ai fait des petits dessins différents partout sur la même page, espacé entre eux. Elle a regardé avec un air un peu déçu, et elle m'a expliqué que ce n'était pas bien parce que chaque élément était bien en soi mais ensemble ce n'était pas une oeuvre.

EDIT Oupsi a posté, je vais poster et le lire !
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
Avatar du membre
Oupsi
Messages : 4418
Enregistré le : ven. 31 juil., 2009 14:06
Localisation : S.-O.

Re: Lucas Debargue

Message par Oupsi »

Pour reprendre la discussion, je ne crois pas de manière absolue en l'éducation de l'oreille, même si je sais bien que c'est important de manière relative. Je m'explique, vous avez parfois des enfants qui sont pris de passion pour quelque chose alors qu'ils n'y connaissent rien. Ou une personne qui ne connaît rien au classique va tomber folle amoureuse d'une symphonie de Mahler ou d'un quatuor de Beethoven ou de la Nuit transfigurée ou de l'Art de la fugue ou d'un aria de Mozart ou d'une pièce de Messiaen .... peu importe, "hasard objectif" de la rencontre. Le fait de connaître, d'éduquer l'oreille, fait qu'on aime "mieux", de manière plus fine, plus précise, plus sophistiquée, en étant capable de mémoriser davantage ce qu'on aime (l'éducation esthétique c'est surtout apprendre à classer, à mettre en relations et à mémoriser), mais ça ne change pas la nature de l'émotion esthétique. Pareil en peinture, un enfant peut être ébloui dans l'immédiateté de sa première perception, par Rothko ou Picasso ou Rembrandt ou Giotto ou Cézanne; le fait de voir de plus en plus de peinture fait que l’œil perçoit plus de choses, plus de détails, plus de relations, mais ça ne change pas non plus fondamentalement la nature de l'émotion initiale. Et cette émotion est subjective, individuelle, ça ne se commande pas, ça ne s'éduque pas.

Donc, Lee, si en écoutant une œuvre tu n'entends que des citations, évidemment l’œuvre n'a touché que tes connaissances et pas ton émotion, donc elle est ratée au regard de ta sensibilité. Si elle apparaît comme fouillis à une autre auditrice, ce n'est pas le fait de l'écouter mille fois qui va la remettre en ordre pour la sensibilité de cette auditrice là. Ce sont des écoutes singulières à chaque fois et tout aussi légitimes que celle de la midinette-oupsi qui s'émeut dès que des cordes lui font le coup de la nostalgie, ou celle de l'auditeur-architecte qui perçoit les choses plus organiquement, ou celle du l'auditeur-romanesque qui veut entendre un dialogue, une tension, un dénouement, etc. etc.
Avatar du membre
Lee
Messages : 11345
Enregistré le : lun. 09 sept., 2013 0:09
Mon piano : Pleyel 3bis 1925

Re: Lucas Debargue

Message par Lee »

Merci Oupsi, tu as mieux expliqué ou mettre en mots ce que je ressens pour l'oreille et les goûts.
Tant mieux que tu as aimé l'oeuvre, j'aime bien ton image d'un paquebot des autres générations, ça donne envie de le visiter ! Il doit te verser une petite comm. :wink:

Je crois comprendre pourquoi tout le monde ne peut pas être d'accord sur tout ça. On m'a dit que si on pouvait expliquer l'amour, ce ne serait plus vraiment l'amour. :)
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
Avatar du membre
Oupsi
Messages : 4418
Enregistré le : ven. 31 juil., 2009 14:06
Localisation : S.-O.

Re: Lucas Debargue

Message par Oupsi »

Exactement :D
Virgule
Messages : 994
Enregistré le : mer. 07 oct., 2015 5:36
Mon piano : Yamaha M110T
Localisation : Québec

Re: Lucas Debargue

Message par Virgule »

strumpf a écrit : lun. 14 mai, 2018 6:33 l'oreille occidentale est formée à la musique tonale de façon inconsciente par l'omniprésence des médias.
Je rejoins Virgule, seule une personne vivant sur une ile déserte pourrait être déconnectée de cette réalité.
De nombreux films reprennent des musiques des grands compositeurs classiques.
J'ai emmené de nombreuses fois des élèves de mon lycée à des concerts et opéra, 99% de ces élèves n'avaient jamais écouté de musique classique "consciemment" et pourtant tous étaient familiarisés de la musique tonale et tous ressortaient enthousiastes des concerts.
Merci Strumpf pour ton commentaire et tes exemples, curieusement je ne l’avais pas vu hier soir et pourtant il est daté d’avant mon dernier message ! Mais en fait, je pense que même ceux qui n'ont vraiment jamais entendu de musique classique sont 'contaminés' dans leur écoute par toute la musique tonale, même la musique pop, ou rock, ou folklorique.
Virgule
Messages : 994
Enregistré le : mer. 07 oct., 2015 5:36
Mon piano : Yamaha M110T
Localisation : Québec

Re: Lucas Debargue

Message par Virgule »

pochette a écrit : lun. 14 mai, 2018 11:31 Salut à tout le monde et salut spécial à Virgule )
[...] Beethoven c'est en fait toute la musique que nous connaîssons de son époque (1795-1825 environ). Le temps où Haydn était déjà mort et Schubert n'avait pas encore vraiment commencé - qu'est-ce que nous en connaîssons? Le mémoire public est très sélectif et les chef-d'oeuvres qui sont vécu jusqu'à nos jours nous semblent d'être la seule musique qui avait existé à l'époque. Est-ce que quelqu'un peut nommer un compositeur des années de Beethoven dont nous entendons la musique aussi souvent comme la sienne? Mais il ne vivait pas dans un vacuum, il y avait d'autres compositeurs et je ne suis pas sûre que l'on puisse les distunguer de Beethoven dès les premiers sons dans un écoute aveugle - comme il est presque impossible dans le cas de Mozart et Salieri. Alors la différence entre le temps de Beeth es celui de Debargue est telle que nous sommes beaucoup plus informés dans le dernier :)
Bonjour Pochette ! Tu devrais venir plus souvent ! Je partage complètement ton avis à propos de ce que nous connaissons ou pas des influences de ses contemporains sur Beethoven. Evidemment qu’on ne peut pas reconnaître des influences de compositeurs qu’on n’a jamais entendus ! Je suis particulièrement intriguée par ta suggestion qu’on pourrait ne pas reconnaître Beethoven en écoute aveugle. Presque impossible de départager Salieri de Mozart ? C’est avéré ? Alors vraiment je dois écouter Salieri ![/quote]
pochette a écrit : lun. 14 mai, 2018 11:31 Pour moi ce qui est intéressant et précieux dans le quatuor est que son auteur se trouve en fait comme dans un entretien avec toute la musique existante et il considère (en tout cas je le vois comme ça) les compositeurs déjà morts comme des interlocuteurs très chers pour lui dont la musique il voit comme un événement de sa vie personnelle, et avec telle énergie et telle passion! [...] C'est quelqu'un qui se baigne et nage dans les éléments musicaux qui nous entourent (et non seulement académiques) sans rien nier ni rejeter; pour moi c'est une manifestation de joie de vivre - ou plutôt de plénitude d'existence - et cette manifestation est très contagieuse.
Merci beaucoup aussi d’avoir expliqué ta vision du Quatuor symphonique comme un entretien avec les compositeurs aimés et vus comme interlocuteurs par Lucas, je trouve ça très éclairant ! Appogiature percevait ‘derrière tout cela beaucoup de violence’ mais comme toi je perçois plutôt ce quatuor comme une manifestation de joie de vivre et de plénitude d’existence, c'est très bien dit. Je l’ai réécouté hier soir en écrivant mon (trop) long message et c’est définitivement la joie de vivre qui me saute aux oreilles et aux yeux et elle est visiblement partagée par tous les musiciens.
pochette a écrit : lun. 14 mai, 2018 11:31 A propos, ce passage
"même d'un futur génie voulu par son public adorateur" me paraît assez provocatif, non?
Ce passage est tout à fait typique de notre chère Lee, tu ne lis pas les autres sujets je crois, sinon tu saurais qu’elle aime piquer et provoquer la discussion :mrgreen:. Quelques rares grincheux trouvent cela irritant parfois, mais la plupart d’entre nous prenons ces piques avec humour, telles qu’elles sont voulus. Beaucoup de fils seraient morts sans les interventions piquantes de Lee. Merci Lee pour tes contributions précieuses.
Virgule
Messages : 994
Enregistré le : mer. 07 oct., 2015 5:36
Mon piano : Yamaha M110T
Localisation : Québec

Re: Lucas Debargue

Message par Virgule »

jean-séb a écrit : lun. 14 mai, 2018 12:03 Merci à tous les intervenants pour cette discussion passionnante sur notre façon d'entendre une création d'un compositeur moderne dont nous ne connaissons pratiquement pas d'autres œuvres et une œuvre d'un compositeur classique rebattu dont nous connaissons de très vastes pans de répertoire. Il me paraît effectivement difficile de comparer notre approche dans les deux cas, elle est nécessairement différente. Je comprends les impressions données par Appogiature et Lee, d'autant que j'avais moi-même écrit plus haut ceci : « À l'écoute, j'avais quand même trouvé le premier mouvement très puissant et bien construit malgré le fourmillement d'idées. Le troisième mouvement m'avait paru en revanche assez composite, pas loin du collage. »
Aujourd'hui, écouter Beethoven nous paraît plus ou moins facile, nous somme en pays de connaissance, du moins pour l'essentiel de ses œuvres (parce que certaines, comme la Grande Fugue, posent encore des problèmes d'écoute à beaucoup). Nous ne disons pas, en écoutant du Beethoven, tiens, il a emprunté ceci à tel compositeur, et cela à tel autre, parce que souvent nous ne connaissons pas les œuvres ou les compositeurs auxquels il a peut-être emprunté. Enfin, rappelons-nous que la musique de Beethoven pouvait aussi paraître difficile pour ses contemporains :
« On a donné récemment l’ouverture de l’opéra Fidelio de Beethoven, et tous les musiciens impartiaux et les amateurs de musique furent bien d’accord qu’on n’a jamais rien écrit en musique d’aussi incohérent, de strident, de chaotique et de perçant pour les oreilles. Les modulations les plus tranchantes se suivent dans une harmonie vraiment atroce et quelques idées mesquines ne font qu’accroître l’impression désagréable et assommante. »
viewtopic.php?t=10104
C’est drôle Jean-Seb, finalement moi aussi j’ai été captivée dès la première écoute par le premier mouvement de ce quatuor et pour moi aussi, c’est principalement le troisième mouvement qui pose (encore) problème. Attendons de voir ce qu’il en fera éventuellement. Et merci de tes références concrètes à ce que j’ai effleuré plus haut en écrivant qu’il «n'était pas si accessible pour ses contemporains, surtout dans ses dernières oeuvres» ! Je n’avais pas eu le courage de chercher des citations…
Virgule
Messages : 994
Enregistré le : mer. 07 oct., 2015 5:36
Mon piano : Yamaha M110T
Localisation : Québec

Re: Lucas Debargue

Message par Virgule »

Okay a écrit : lun. 14 mai, 2018 12:07 Doit-on apporter quelque chose de totalement nouveau, au sens où ça ne ressemble à rien du tout de connu ? Je pense qu'on a été au bout du bout de ce processus qui a mené à une regrettable déconstruction, et qu'il est temps de se souvenir que la musique est un langage depuis des millénaires, et qu'il est possible (et très souhaitable) d'écrire en 2018 des oeuvres intelligibles au public de ce temps, au sens où un romancier de 2018 nous est intelligible sans qu'on questionne les règles de son langage (qui est le notre).

Le quatuor, c'est un geste fort et un jalon important dans le parcours du jeune compositeur. Un nouveau pas arrive avec la sonate pour violoncelle, oeuvre qui remonte à plus loin, qui a été remise à plat depuis, et contient de sacrés thèmes !
Okay, très parlant cette comparaison avec l’évolution du roman. C’est curieux cette obsession de faire différent au point d'être prêt à tout déconstruire… On retrouve ça ailleurs aussi, même en éducation par exemple, où on s'obstine à chambarder la manière d'enseigner aux enfants à lire, à écrire et à compter, au point de proposer des méthodes complètement débiles.

Je pense que cette obsession est le propre de notre époque en fait (j'inclus le XXe siècle), peut-être parce qu’on a un accès quasi illimité à une fraction ahurissante des oeuvres créées au cours des derniers siècles, ce qui peut donner l’impression que tout a déjà été fait. [Et c'est sans parler de l'impact des lois sur les droits d'auteur...]. Comment se distinguer alors ? On a l’obsession de la différence alors qu’on devrait plutôt rechercher «la sincérité, la nécessité intérieure et la puissance du propos» comme l’écrit si bien Oupsi.

La sonate pour violoncelle, oui, j'aimerais beaucoup l'entendre, ou la réentendre en fait, car il y avait eu un pirate sur yt de sa création à Moscou. Je l'avais trouvée très intéressante, avec elle aussi des réminiscences de compositeurs connus, c'est à la fois inévitable (on ne compose pas dans le vide) et intéressant je trouve.
Virgule
Messages : 994
Enregistré le : mer. 07 oct., 2015 5:36
Mon piano : Yamaha M110T
Localisation : Québec

Re: Lucas Debargue

Message par Virgule »

Oupsi a écrit : lun. 14 mai, 2018 14:22 Disons que ce que l'art du vingtième siècle a pu interroger avec une certaine intensité c'est peut-être justement l'idée que ce soit "naturel".
Personnellement je pense que les œuvres s'adressent, ou pas, de manière absolument authentique à l'homme de leur temps et que cela n'a pas tant à voir avec un style de langage ou un choix de forme prédéfini qu'avec la sincérité, la nécessité intérieure et la puissance du propos, c'est indéfinissable en fait. Certaines œuvres tonales contemporaines sonnent "néo-quelque chose", d'autres s'imposent comme une voix personnelle. Certaines œuvres atonales vieillissent en dix ans, d'autres restent comme des phares. Et ce décalage si difficile à expliquer est sans doute constant dans le temps, chaque époque produisant ses modernes immortels en même temps que ses modes éphémères.

En tout cas, je viens d'écouter le quatuor de Debargue et je le trouve très beau. Le premier mouvement est saisissant, plein d'imagination. Le deuxième mouvement m'a vraiment émue. Sa fin est merveilleuse. Le troisième me fait penser à un paquebot transatlantique, comme si l'orchestre jouait pour une humanité toujours en partance, qui de rythme en rythme sillonne les océans, une génération qui n'est pas la mienne mais plutôt celle de mes parents, revisitée par un jeune homme.

J'ai aimé les contrastes, l'imagination sonore, ce qui est demandé à chaque instrument, toujours intéressant; l'amour des instruments à cordes s'y exprime pleinement. J'aime le lyrisme, l'intensité de cette musique, mais aussi les moments très simples et purs. En fait, je suis agréablement surprise.
Oupsi, ton enthousiasme est communicatif. Quelle belle image, ce paquebot transatlantique toujours en partance, je réécouterai en l'imaginant, ça pourra m’éclairer. Et je recopie tout ton message, comme ça tu ne pourras pas le faire disparaître (on se sait jamais :mrgreen:). Il est trop beau pour qu'on coure le risque de le perdre =D> !
Virgule
Messages : 994
Enregistré le : mer. 07 oct., 2015 5:36
Mon piano : Yamaha M110T
Localisation : Québec

Re: Lucas Debargue

Message par Virgule »

Oupsi a écrit : lun. 14 mai, 2018 15:07 Pour reprendre la discussion, je ne crois pas de manière absolue en l'éducation de l'oreille, même si je sais bien que c'est important de manière relative. Je m'explique, vous avez parfois des enfants qui sont pris de passion pour quelque chose alors qu'ils n'y connaissent rien. Ou une personne qui ne connaît rien au classique va tomber folle amoureuse d'une symphonie de Mahler ou d'un quatuor de Beethoven ou de la Nuit transfigurée ou de l'Art de la fugue ou d'un aria de Mozart ou d'une pièce de Messiaen .... peu importe, "hasard objectif" de la rencontre. Le fait de connaître, d'éduquer l'oreille, fait qu'on aime "mieux", de manière plus fine, plus précise, plus sophistiquée, [...], mais ça ne change pas la nature de l'émotion esthétique. [...] Et cette émotion est subjective, individuelle, ça ne se commande pas, ça ne s'éduque pas.
Ton argumentaire concernant l’éducation de l’oreille ne vaut que dans le vase clos de l’écoute musicale il me semble, je dirais même, ici, de l’écoute de la musique classique. L’éducation musicale aide à ‘mieux’ appréhender les oeuvres, certes, mais elle n’est pas toujours nécessaire - comme tu l’affirmes par tes exemples avec des jeunes - et elle n’est évidemment pas suffisante pour expliquer qu’on aime ou non une oeuvre, à la première écoute comme après.

Cependant, mon argument plus haut était qu’on arrive à une oeuvre avec un bagage personnel, oui, mais surtout, un bagage pas seulement classique, et même, pas seulement musical, et que c'est tout ce bagage qui colore notre écoute des oeuvres. Tes enfants pris d'une passion pour quelque chose alors qu'ils n'y connaissent rien (du moins c'est ce que tu crois) ont aussi un bagage, que tu ne connais pas. Ce bagage peut inclure des goûts 'innés' (je n'exclus pas cette possibilité, après tout, il semble bien y avoir des talents innés, sans compter le tempérament dont on hérite), mais les parents exposent aussi leurs enfants à toutes sortes de stimulations, musicales certainement et même pendant la grossesse, c'est avéré, mais aussi visuelles ou autres, dès leur naissance et en continu. Cela peut même inclure la musicalité de la langue maternelle ou de la langue seconde entendue à la maison.

Que l'éducation de l'oreille (même informelle, par l'écoute) ne change pas la nature de l'émotion esthétique, que l'émotion ça ne s'éduque pas ! - je suis complètement en désaccord avec ça. L’émotion est un phénomène éminemment fugace, mobile, changeant, qui dépend de tellement de facteurs que j'ai du mal à comprendre comment tu peux écrire ça. La réponse émotive à un stimulus peut être conditionnée (ou 'déconditionnée', dans le cas de réactions phobiques) en laboratoire ! Je ne crois pas que l'émotion esthétique diffère des autres types d'émotions. Combien de personnes (moi la première) ont remarqué que leurs goûts musicaux ont changé avec les années ? Moi-même j'ai expérimenté maintes fois ce changement dans mon émotion esthétique face à des oeuvres, en musique comme en peinture, dans de nombreux cas suite à une exposition répétée, dans certains cas parce qu'on m'y a sensibilisée (en peinture par exemple) et parfois tout simplement parce que j'ai changé. Un interprète pour lequel j'avais eu un coup de foudre dans une oeuvre, par exemple, ne me touche plus autant aujourd'hui, peut-être parce que j'ai entendu beaucoup d'autres interprétations de la même oeuvre ? je ne sais pas, mais c'est un fait, les oeuvres et les interprétations qui me touchent le plus aujourd'hui ne sont presque jamais les mêmes qu'il y a 20 ans.
Oupsi a écrit : lun. 14 mai, 2018 15:07 [...] Si elle apparaît comme fouillis à une autre auditrice, ce n'est pas le fait de l'écouter mille fois qui va la remettre en ordre pour la sensibilité de cette auditrice là. Ce sont des écoutes singulières à chaque fois
En toute logique, cette affirmation, sonnant ici comme une vérité absolue, peut être invalidée (en tant que vérité absolue :mrgreen:) par un seul contre-exemple. Il m'est arrivé plusieurs fois d'en venir à aimer une oeuvre qui m'avait paru carrément rébarbative à la première écoute, et même après plusieurs écoutes (par ex. la sonate en si mineur de Liszt ou la 2e de Szymanowski). Mon émotion musicale est susceptible de varier face à une même oeuvre et mon expérience, c'est qu'il me faut presqu'invariablement écouter une oeuvre plusieurs fois avant de vraiment l'apprécier. (Et je ne suis pas une extraterrestre). Mais encore faut-il se donner la peine de la réécoute, ce que je fais plus qu'avant, mais pas toujours. Les coups de coeur, les rares coups de foudre sont l'exception qui confirme la règle - et leur effet ne dure malheureusement pas forcément toute la vie...
Avatar du membre
Oupsi
Messages : 4418
Enregistré le : ven. 31 juil., 2009 14:06
Localisation : S.-O.

Re: Lucas Debargue

Message par Oupsi »

Je donne une opinion, je n'énonce pas des vérités, hein, soyons clairs.
L'émotion c'est en un moment T, bien évidemment, et je ne suis plus celle qui a cru mourir d'émotion en écoutant telle oeuvre il y a trois ans à un concert, cette oupsi là n'existe plus, pas plus que l'interprétation en question, qui est née du silence et s'est évanouie dans le silence. Ce sont des choses qui adviennent dans un présent et qui disparaissent avec lui.

Je suis devenue totalement sceptique concernant la nécessité d'un effort pour comprendre l’œuvre d'art, cette notion de s'éduquer, parce que c'est comme si on devait aimer quelque chose coûte que coûte, comme si on pouvait programmer son goût, s'édifier par étapes d'un plan esthétique. J'y ai ai longtemps cru et j'ai longtemps fait cet effort, j'ai longtemps eu cette relation aux œuvres, comme s'il fallait que je me transforme avant de pouvoir accéder au contact avec l’œuvre et je considère aujourd'hui sincèrement que ce fut en pure perte. Cette sorte de prudence modeste s'est volatilisée grâce à la musique, ça a même explosé en me laissant un peu à terre, et là j'ai retrouvé l'enfance. L'enfant dont je parle, il n'a pas de bagage, il n'est pas déterminé par un "avant", même prénatal; il est dans la fulgurance du présent, il est seul, il n'est soutenu par rien. Ça n'empêche pas la culture, les acquis, les transmissions, bien au contraire, tout cela n'en devient que plus signifiant; mais la dimension essentielle, celle qui est véritablement vivante, celle qui fait qu'il y a rencontre avec une oeuvre comme si celle-ci te murmurait quelque chose à toi seule au milieu des décombres de choses muettes et futiles, cette dimension là est sauvage et libre et ne passe pas par la volonté.

C'est mon expérience, pas du tout une vérité universelle :D .
Virgule
Messages : 994
Enregistré le : mer. 07 oct., 2015 5:36
Mon piano : Yamaha M110T
Localisation : Québec

Re: Lucas Debargue

Message par Virgule »

Oupsi a écrit : lun. 14 mai, 2018 22:34 Je donne une opinion, je n'énonce pas des vérités, hein, soyons clairs.
L'émotion c'est en un moment T, bien évidemment, et je ne suis plus celle qui a cru mourir d'émotion en écoutant telle oeuvre il y a trois ans à un concert, cette oupsi là n'existe plus, pas plus que l'interprétation en question, qui est née du silence et s'est évanouie dans le silence. Ce sont des choses qui adviennent dans un présent et qui disparaissent avec lui.

Je suis devenue totalement sceptique concernant la nécessité d'un effort pour comprendre l’œuvre d'art, cette notion de s'éduquer, parce que c'est comme si on devait aimer quelque chose coûte que coûte, comme si on pouvait programmer son goût, s'édifier par étapes d'un plan esthétique. J'y ai ai longtemps cru et j'ai longtemps fait cet effort, j'ai longtemps eu cette relation aux œuvres, comme s'il fallait que je me transforme avant de pouvoir accéder au contact avec l’œuvre et je considère aujourd'hui sincèrement que ce fut en pure perte. Cette sorte de prudence modeste s'est volatilisée grâce à la musique, ça a même explosé en me laissant un peu à terre, et là j'ai retrouvé l'enfance. L'enfant dont je parle, il n'a pas de bagage, il n'est pas déterminé par un "avant", même prénatal; il est dans la fulgurance du présent, il est seul, il n'est soutenu par rien. Ça n'empêche pas la culture, les acquis, les transmissions, bien au contraire, tout cela n'en devient que plus signifiant; mais la dimension essentielle, celle qui est véritablement vivante, celle qui fait qu'il y a rencontre avec une oeuvre comme si celle-ci te murmurait quelque chose à toi seule au milieu des décombres de choses muettes et futiles, cette dimension là est sauvage et libre et ne passe pas par la volonté.

C'est mon expérience, pas du tout une vérité universelle :D .
Merci de ta réponse Oupsi. Oui, je me doutais bien que malgré le ton apparent à l'écrit, tu n'énonçais pas une vérité universelle :wink:.

C'est très beau ce que tu écris Oupsi. Tu as une vision poétique de l'expérience de la découverte et c'est très bien et très beau comme ça. (Moi je ne suis pas poète, je suis chercheuse dans l'âme, c'est plus fort que moi, je questionne tout). Je continue d'être convaincue qu'on peut apprendre à aimer une oeuvre (attention, je n'écris pas 'n'inporte quelle oeuvre'), mais je n'ai jamais fait d'autre effort en ce sens que celui de simplement réécouter, ou revoir. Jamais de cours, jamais d'effort planifié, jamais de coûte que coûte ni d'intention de me transformer, juste de l'intérêt. Juste une l'ouverture au possible, le plus souvent lorsque j'avais une raison de garder cette ouverture. Par exemple j'ai eu la volonté de mieux connaître la sonate en si mineur de Liszt parce que j'étais frustrée de ne pouvoir apprécier cette oeuvre sur le cd de mon pianiste favori de l'époque, Zimerman. Alors j'ai écouté d'autres versions, à l'occasion, mais pas de façon systématique. Et un jour j'ai cliqué. De même, Picasso ne m'intéressait pas, puis un jour j'ai eu un amoureux passionné de Picasso, qui m'a montré tout un livre de ses peintures, m'en parlant avec enthousiasme et ferveur. Alors je me suis prise à mieux le regarder et plus tard, je suis allée à une expo Picasso avec lui et j'ai été saisie, emportée par l'incroyable puissance de ces peintures quand on les voit en vrai. Depuis, j'en ai vu bien d'autres et j'ai un rêve: aller voir en vrai celle qui me fascine le plus, Guernica.

En fait, ce que j'appelle faire un effort est plus un refus de classer une oeuvre dans un dossier 'je n'aime pas' qu'une détermination à l'aimer - et ça n'est jamais douloureux. Une fois seulement j'ai eu la volonté ferme d'essayer de comprendre une oeuvre qui me rebutait: la sonate de Szymanowski jouée par Lucas, parce que je lui en avais parlé quand je l'ai vu en France l'été dernier et qu'il m'a redemandé cet automne si je l'avais comprise et que ça semblait lui tenir à coeur. Et dans ce dernier cas, oui, il m'a fallu un effort - mais rien d'autre que des réécoutes régulières. Et ça a basculé à cause de son interprétation exceptionnelle à la Philharmonie diffusée sur FranceMu. Je ne suis pas du tout certaine que ça aurait pu basculer ainsi sur la seule base de réécoutes de son cd :oops: mais je pense que les réécoutes m'ont rendue plus disponible à être emportée par son interprétation à la Philharmonie. J'espère un jour avoir l'occasion de le lui dire.

Des coups de foudre, j'en ai eu aussi, pour Bach par exemple, et je ne me demandais pas pourquoi j'avais ces coups de coeur, en tout cas pas sur le coup. Plus tard oui, genre 'pourquoi suis-je si sensible à la musique slave, d'où ça vient ?' Mais seulement après avoir eu ces coups de coeur répétés, pour les ballets russes, pour Prokofiev, pour Shostakovich, pour Stravinsky, pour Janacek etc. Et je n'ai pas de réponse à ça, tu vois, juste des hypothèses, qui valent ce qu'elles valent... Tu vas être contente: on dirait que c'est venu de nulle part. Et honnêtement, je me pose cette question comme je m'en pose toujours sur tout, mais je ne tiens pas à tout prix à l'expliquer, j'accepte aussi, tout simplement. Ce sont des rencontres, voilà, je les accepte, et parfois j'aime les provoquer 8).
Line-Marie

Re: Lucas Debargue

Message par Line-Marie »

Oupsi a écrit : lun. 14 mai, 2018 22:34 Je suis devenue totalement sceptique concernant la nécessité d'un effort pour comprendre l’œuvre d'art, cette notion de s'éduquer, parce que c'est comme si on devait aimer quelque chose coûte que coûte, comme si on pouvait programmer son goût, s'édifier par étapes d'un plan esthétique.
ce n'est pas tant l'éducation que la mémoire qui favorise l'émotion et donc si en s'éduquant on constitue une "banque de données "mémorielle, on suscitera davantage de frissons émotionnels en présence d'oeuvres d'art .
La compréhension d'une œuvre est quelque chose de différent par rapport à l'émotion ressentie. On peut évidement être touché par une œuvre d'art, ressentir une émotion énorme , en être submergé sans pour autant "comprendre" cette œuvre c'est à dire pouvoir expliquer la structure de l’œuvre.
Donc face à une œuvre l'émotion ressentie peut-être extraordinaire , mais parce que raisonne en nous un vécu, un petit élément dans la mémoire qui fait que cette émotion peut se libérer. En étant à nouveau en présence de l’œuvre , l'émotion pourra être plus forte encore sans pour autant "comprendre " l’œuvre.
La réciproque est intéressante et justifie une politique éducative à l'Art. Apprendre, être éduqué à l'Art sous toutes ces formes permet de créer dans son cerveau des banques de données mémorielles et donc d'augmenter les frissons émotionnels en présence d'oeuvres d'art.

Lorsque j'avais 15-16 ans , je suis rentrée au CRR de Mulhouse , en classe de piano avec un prof que je n'ai pas bien compris, mais qui avait une culture extraordinaire. Je me souviens d'une discussion sur la musique de Gustav Mahler après avoir écouter sa 5 ème symphonie. Je lui avais dit que je n'aimais pas cette musique. Il m'avait rétorqué que c'est parce que je ne connaissais pas du tout cette musique , ni ce compositeur, cet homme extraordinaire. J'avais lu alors plusieurs ouvrages sur ce compositeurs et écouter des disques ... mais rien, aucune émotion....j'avais l'impression d'être hermétique.....
Entre mes 21 ans et 26 ans, j'habitais en région parisienne et j'ai eu l'occasion d'écouter en concert la symphonie n°5 de Malher, je ne me souviens plus qui dirigeait.... mais je me souviens que j'étais terrassée par l'émotion dès l'écoute de la trompette qui introduit le 1er mouvement.... à l'époque , je n'ai pas compris pourquoi cette musique pouvait me toucher ici et maintenant.... je me suis simplement dit que j'avais vieilli !
Line-Marie

Re: Lucas Debargue

Message par Line-Marie »

:D Radio France étant une mine infinie, on trouve toujours en cherchant bien !
Donc voici sur France Culture une émission intitulée Le Frisson Musical : c'est votre cerveau qui fait le boulot !
https://www.franceculture.fr/musique/mu ... s-melomane
arg

Re: Lucas Debargue

Message par arg »

Oupsi a écrit : lun. 14 mai, 2018 22:34 Je suis devenue totalement sceptique concernant la nécessité d'un effort pour comprendre l’œuvre d'art, cette notion de s'éduquer, parce que c'est comme si on devait aimer quelque chose coûte que coûte, comme si on pouvait programmer son goût, s'édifier par étapes d'un plan esthétique. J'y ai ai longtemps cru et j'ai longtemps fait cet effort, j'ai longtemps eu cette relation aux œuvres, comme s'il fallait que je me transforme avant de pouvoir accéder au contact avec l’œuvre et je considère aujourd'hui sincèrement que ce fut en pure perte.
je ne crois pas à la nécessité de se transformer bien sûr, mais je crois quand même à la curiosité, qui peut être encouragée, et je crois que cette curiosité peut engendrer des associations d'idées, de couleurs, de notes, en quelque sorte des "souvenirs artistiques" mélangés et reconstruits qui amènent, aux hasards des rencontres, à aimer différemment les oeuvres d'art. C'est peut-être la mémoire en bandes dont parle Schtrumpf ?
arg

Re: Lucas Debargue

Message par arg »

j'ai ait un raccourci, Schtrumpf parle de banques de données mémoirielles c'est plus classe :D
Répondre