Lucas Debargue

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katy
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Re: Lucas Debargue

Message par katy »

C'est très intéressant ce que tu dis sur l'enchaînement des pièces. Incontestablement ton point de vue est beaucoup plus élevé que le mien...qui m'étonne simplement d'entendre enchaîner des oeuvres qui ne le sont jamais, comme les deux premières. Cela dit, je maintiens mes réserves sur certaines interprétations qui frôlent pour moi le mauvais goût, j'ose le dire.... Mais il faut reconnaitre une qualité, un intérêt indéniables à son Chopin, c'est qu'il cherche sa propre voix. On ne s'ennuie pas, ce n'est pas la nième barcarolle ou 2ème scherzo. Pour preuve aussi, ce choix de pièces très personnel et peu habituel, il a vraiment quelque chose à dire. Mais pour moi parfois il se perd, peut-être à toujours vouloir faire un sort à chaque note. Mon écoute est aussi influencée par un récent récital de Nelson Goerner, même si ce n'est pas exactement sur ces pièces, qui disait tellement de choses... avec simplicité !
Tout ceci va certainement évoluer, j'imagine que dans toutes ses intentions et idées il va faire le tri...
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Oupsi
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Re: Lucas Debargue

Message par Oupsi »

Je recommande d'écouter La Toccata de Bach et l'opus 111 à la suite, comme il le conçoit.
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Lee
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Re: Lucas Debargue

Message par Lee »

katy a écrit : ven. 16 mars, 2018 11:30 Avoir différentes perceptions, différents regards, c'est ça qui est intéressant...!! Tu vois, sur Chopin je suis plus ou moins d'accord avec toi...
En fait je ne suis pas très bonne auditrice ou critique des pianistes célèbres. Et je me rendais compte avec des expériences :mrgreen: qu'on offusque des admirateurs quand on critique un compositeur ou un.e pianiste bien aimé.e. Pour être honnête, ce n'est pas toujours très intéressant pour moi de parler ou critiquer les pianistes célèbres, car l'essentiel est qu'un.e pianiste nous émeut ou non, ce qui est finalement trop personnel de bien décortiqué...qui parmi nous avait dit que ça émeut ou non, et après on essaie après coup d'expliquer mais finalement c'est trop loin d'atteindre les vraies raisons? J'ai oublié, mais c'était bien dit et je suis d'accord. Si c'est vrai, quelque part le reste est blabla...

En revanche, je trouve très constructive et intéressant de critiquer les pianistes qui nous proposent leurs enregistrements pour pouvoir améliorer. Là c'est différent, on en demande d'une façon constructive, même avec des critiques négatives, c'est dans le but d'amélioration qui finalement est l'objectif de (presque) chaque pianiste. Alors je vous encourage (parce que vous avez clairement les bonnes oreilles) de contribuer davantage également à nos PMistes souhaitent l'écoute et des bons conseils. Même si ce n'est pas toujours simple d'écrire d'une façon qui n'offusque pas, ça peut être tellement fructueux !
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Oupsi
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Re: Lucas Debargue

Message par Oupsi »

L'un n'empêche pas l'autre...
Mais je ne suis pas tout à fait d'accord pour dire que c'est du blabla quand on parle d'un concert ou d'un enregistrement de pianiste concertiste. Je pense que le concert (ou le disque) est un objet en soi, construit comme une architecture ou un voyage sonore qui propose une expérience d'auditeur à chaque fois unique et intéressante; peu de personnes sont réellement capables d'écrire sur cette expérience avec justesse, et je suis heureuse que le forum donne cette tribune à ceux qui peuvent le faire. En passant je dois dire que certains comptes rendus de concert lus sur PM me paraissent plus riches, plus honnêtes, plus intéressants et plus formateurs que bien des critiques lues dans la presse.
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Re: Lucas Debargue

Message par Appogiature »

Je ne pense pas qu'il puisse y avoir de points de vue plus élevés que d'autres mais seulement des ressentis forcément subjectifs.
Pour moi, le choix de la Polonaise héroïque en introduction me rappelle les trois coups qu'on frappait autrefois au théâtre pour ramener l'attention des spectateurs en début de soirée. Or ce récital est une longue épopée (1h30 de musique quand même.... Lucas Debargue n'avait jamais tenu la scène en solo si longtemps) qui exige bien une certaine préparation du public. Cela dit, même si cette polonaise est très dynamique, elle a pour moi une couleur un peu nostalgique qui évoquerait plutôt un "Au revoir les amis" entonné en chœur en fin de soirée qu'un "Bonjour tout le monde, est-ce que tout le monde est là?", donc un aspect plus conclusif qu'introductif qui surprend quand même en début de concert.
Comme toi, je suis un peu agacée par moment dans ses Chopin par un certain maniérisme, une façon de vouloir tout dire dans le détail au détriment de la fluidité... et de la simplicité. Bon, en même temps c'est normal et très bon signe que ce jeune pianiste soit en recherche, expérimente. Il reviendra forcément à la spontanéité quand il aura épuisé les pistes de l'intellectualisme (ce qui, dans son cas, peut prendre du temps...)
C'est en 2ème partie que je retrouve vraiment l'interprète que j'ai adoré au concours Tchaikovsky. Il y avait longtemps qu'il ne m'avait pas tant émue et en cela je rejoins Florestan.
Pour moi, ce concert marque une nouvelle étape. Outre sa durée, il nous offre une variété de nouvelles pièces à son répertoire dont un monument de la littérature musicale, il ose des assemblages audacieux, il étonne par sa construction et conclut par un unique bis minimaliste, intimiste, complètement bouleversant. C'est toujours Lucas Debargue, dérangeant, émouvant, mais avec une assurance, un professionnalisme, une détermination qui confirment les espoirs que l'on a placés en lui.
....Et tant pis si on me taxe de fan primaire!
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Lee
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Re: Lucas Debargue

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Oupsi a écrit : sam. 17 mars, 2018 14:25 je ne suis pas tout à fait d'accord pour dire que c'est du blabla quand on parle d'un concert ou d'un enregistrement de pianiste concertiste. Je pense que le concert (ou le disque) est un objet en soi, construit comme une architecture ou un voyage sonore qui propose une expérience d'auditeur à chaque fois unique et intéressante; peu de personnes sont réellement capables d'écrire sur cette expérience avec justesse, et je suis heureuse que le forum donne cette tribune à ceux qui peuvent le faire. En passant je dois dire que certains comptes rendus de concert lus sur PM me paraissent plus riches, plus honnêtes, plus intéressants et plus formateurs que bien des critiques lues dans la presse.
Quand j'ai dit "blabla" je parlais juste pour moi ! Tant mieux que tu ne sens pas comme ça et que la grande partie entre vous vous intéressez un l'autre de chaque impression.
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Oupsi
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Re: Lucas Debargue

Message par Oupsi »

ça touche en fait le problème du lien entre les mots et la musique; parler de la musique, c'est très bien, parfois merveilleux et stimulant (la preuve ce forum!), mais on a quand même l'impression de rester toujours en deçà de ce qui procure la vraie émotion, et sur ce point tu as tout à fait raison. N'empêche que sur le forum cette émotion est un peu notre matière première et tous les vaillants efforts de traduire cela en mots sont bienvenus!
Les conseils pratiques sur comment jouer, j'ai beaucoup de mal à en donner quand il s'agit de pièces que je n'ai pas jouées, et vu le nombre absolument microscopique de pièces que j'ai jouées dans ma vie... ça limité, forcément. :oops: Parfois je commente quand même si j'ai une idée vraiment claire, mais c'est rare. C'est une expérience très différente d'écoute et de relation entre les mots et la musique.
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Re: Lucas Debargue

Message par Florestan »

Je ne pense pas non plus avoir un point de vue plus élevé que quiconque, j'entends les choses comme je les entends, c'est tout.
Mais partager ses impressions sur un forum public est pour moi un exercice qui va au delà de l'expression d'un goût personnel. Déjà c'est un effort de synthèse qui me permet de mieux comprendre ce que je ressens, et d'affuter ma sensibilité. C'est aussi peut-être une tentative de faire circuler l'émotion qui m'a traversé. Ensuite et surtout, c'est un geste de pure communication, au même titre qu'une interprétation musicale, et pour moi le sens ultime de toute communication est de fabriquer du commun, d'aller du subjectif à l'universel.
C'est toujours un échec quand une conversation bute sur la souveraineté du goût personnel, déjà parce que quand on parle de quelque chose en disant seulement "j'aime" on parle de soi et pas de la chose en question ( ça m'agace aussi souvent au quotidien parce que c'est toujours la manière dont se défendent les attitudes consuméristes le plus débiles, et l'égoïsme le plus crasse, mais c'est un autre débat). Je trouve plus intéressant d'essayer de réincarner en mots les choses qui m'ont touché et d'essayer de sentir la nature des gestes cachés derrière. Je suis très sensible à cette notion de geste dans l'art et dans la vie en général.
Si ma prose peut avoir une patine un peu trop assurée et définitive, c'est peut-être qu'elle a fait déjà l'objet de multiples réfutations...par moi même. Elle n'en reste pas moins une simple proposition et une invitation à fabriquer un imaginaire commun, passer du je au nous comme disait Oupsi il y a quelques pages.
Cette digression un peu pompeuse étant maintenant derrière nous, je reviens brièvement sur le récital que j'ai fini d'écouter, et dont la deuxième partie est aussi très forte. Mettre le compositeur romantique en première partie, puis créer cette passerelle Bach/Beethoven, c'est peut-être une façon de répondre à la question récurrente "Est ce que Beethoven est romantique?" . Et dans ce cas la réponse de Lucas est évidente vu la manière dont il aborde l'opus 111, Beethoven prend ses racines bien avant les romantiques, et finit ...bien après !
Je le trouve bien plus radical (et il faut bien le dire tout à fait pertinent et même complètement génial) dans sa façon de pousser la sonate dans ses derniers retranchements pour en faire ressortir toute la folie et la modernité ( là pour le coup j'ai un peu retrouvé la manière dont il avait rendu la sonate en la mineur de Schubert à Lyon), que dans son Chopin, dans lequel contrairement à Katy et Appogiature je n'ai pas entendu le moindre maniérisme, et dont absolument rien ne m'a choqué ou semblé outrancier. Juste quelques moments où la bête à pris le dessus, à la fin de la barcarolle et du nocturne. Je l'ai trouvé bien plus spontané et moins au service d'une idée dans Chopin, ce qui est somme toute normal car c'est la nature de cette musique de parler au coeur ainsi, et je finirai sur cette idée: ce que je trouve impressionnant chez lui et qui crevait déjà les yeux au concours si l'on réécoute tous ses tours, c'est cet instinct prodigieux qui lui permet de s'approprier les gestes créateurs des compositeurs qu'il fréquente. Dans ce récital j'ai entendu Chopin, Bach et Beethoven, trois élans créatifs complètement distincts, recréés par un talent hors norme.
Modifié en dernier par Florestan le sam. 17 mars, 2018 22:52, modifié 1 fois.
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Lee
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Re: Lucas Debargue

Message par Lee »

:) j'ignore si quelqu'un l'a remarqué mais ce fil a le don exclusive de fideliser les anciens et attirer les nouveaux, à tel point parfois les deux sortes de personnes ne se trouvent pas/plus ailleurs sur le forum. :-k Un grand mystère pour moi comme toi Pierre !

Je souhaite la bienvenue à Appogiature. Courage, tes messages vont apparaître automatiquement (au lieu de décaler à cause de la modération) après 10 messages. Je t'encourage donc fortement de contribuer ailleurs sur le forum aussi. 8)
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Re: Lucas Debargue

Message par pianojar »

Virgule a écrit : sam. 10 mars, 2018 21:19 Etonnant que ceci n'aie pas encore été signalé: diffusion sur France Musique du récital de novembre à la Philharmonie de Paris - c'était aujourd'hui, c'est maintenant disponible en podcast, pour ceux qui n'y étaient pas, et pour ceux qui y étaient et veulent réentendre:

https://www.francemusique.fr/emissions/ ... aris-58964

Mmm je le doutais bien qu'en mon absence tu veillerais au grain ! :wink:
J'espère en tout cas que la diffusion de ce concert plus le concert de Moscou aura permis à de nouveaux membres de découvrir Mr Lucas
Et à la lecture des messages postés en mon absence j'en suis même certain :D

J'ai beaucoup apprécié certains échanges et notamment ta réponse Oupsi sur les raisons de l'enthousiasme de certains ici

En fait si je n'avais pas été nouveau sur le forum au moment du concours et lorsque j'ai ouvert ce fil je crois que j'aurais été encore beaucoup plus dithyrambique et serais sans doute passé pour un fou furieux !

En tout cas je n'ai pas changé d'avis et c'est pour moi LE pianiste...... au moins de cette décennie ! car aucun autre musicien n'arrive à me toucher aussi souvent que lui par ses fulgurances et sa délicatesse
Sur la dizaine de fois ou je l'ai vu en concert, à chaque fois il s'est passé quelque chose de très spécial, des émotions très particulières, des moments profondément bouleversants que j'éprouve beaucoup plus rarement dans les autres concerts.

Comme je l'ai déjà dit je crois, le seul autre pianiste qui a transformé ma perception de la musique autant que Lucas est Keith Jarret dans un cadre différent bien sûr

Tout çà c'est sans doute du bla bla pour certains mais mon seul regret est qu'ils puissent passer à côté de cette émotion et de ce personnage hors du commun.
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katy
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Re: Lucas Debargue

Message par katy »

Oui effectivement, cet op. 111 est grand. Difficile de rester concentré devant un ordi 1h30, j'ai repris la partie Bach - Beethoven : cette partie me semble encore plus aboutie et passionnante que la partie Chopin. Tout un travail sur le détail, la sonorité, des choix là encore personnels qui peuvent parfois un peu dérouter mais tout me convainc...
Mais décidément je maintiens mes réserves sur la partie Chopin. La barcarolle a beaucoup de qualités -c'est poétique, très belle sonorité- mais il a raté la fin, beaucoup trop outrée... dommage, c'est l'apothéose de la pièce ! Et je ne lui pardonne pas le nocturne qui pour moi est intégralement raté. Là tout me semble appuyé, surligné... et la fin fracassante - je doute que sa prof approuve ces basses tonitruantes... Il n'a fait qu'un seul nocturne, mais pour moi c'est vraiment tout le contraire de qu'il faut faire dans les nocturnes de Chopin, c'est sentimental, c'est exagéré... Naturellement je ne prétends pas détenir la vérité sur Chopin, ce n'est que mon humble opinion...
Ca n'enlève rien au talent et même au génie de Debargue, qui comme je le disais plus haut, nous donne à entendre une véritable vision des oeuvres, et à forcer de fouiller, d'interroger les oeuvres, peut parfois se fourvoyer... (encore que ce n'est que mon avis). Je préfère entendre quelqu'un qui cherche que quelqu'un qui n'a rien à dire...
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Re: Lucas Debargue

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Ou la la, quels commentaires ! Quelle série de magnifiques commentaires, personnels, intelligents, éclairants - impossible de tous les citer mais merci à tous et toutes !
Florestan a écrit : sam. 17 mars, 2018 11:55 J'ai écouté une deuxième fois le début du récital (en fait je voulais juste écouter la première pièce mais j'ai eu du mal à m'arrêter), et je veux détailler un peu plus mes impressions. [...]

Déjà contrairement à Katy l'ordre des pièces me parait très judicieux et réfléchi, le récital glisse progressivement de la lumière vers l'ombre, de la noblesse extravertie de la polonaise on passe à la lumière irisée et aux mystères de la barcarolle, puis au drame encore un peu théâtral et qui finit bien du deuxième scherzo, à la douleur passionnée du nocturne pour finir par une des pièces les plus noires du compositeur, tableau effrayant d'une âme prisonnière, paniquée, au milieu duquel une sorte de berceuse tente de faire entendre une voix rassurante, mais lointaine et si fragile qu'elle ne fait que briser un peu plus le coeur et donner plus de poids au déferlement implacable qui va la faire taire brutalement.
Dans le récital j'ai vraiment senti ce voyage vers la noirceur, en peu l'itinéraire artistique de Chopin à l'envers...
[...]

Pour finir, il déploie dans le premier scherzo toute la sincérité et la noirceur dont il est capable, et c'est d'ailleurs la seule pièce des cinq où il est littéralement sur la brèche pianistiquement (avec pas mal de notes aiguës à côté), mais par sa propre volonté, parce que c'est le genre de pièces qui prennent tout leur sens jouées comme ça, comme poursuivi par une vision cauchemardesque. J'avoue que j'ai écouté cela avec l'estomac noué !

Bref, je maintiens ma première impression, et bien plus. Je n'avais pas encore "entendu" le Chopin de Lucas, mais après ce récital je pense qu'il a le potentiel d'être un fabuleux chopinien. J'ajoute que je n'avais pas entendu quelque chose d'aussi émouvant de sa part depuis le deuxième tour du Tchaikovski (il faut dire que la qualité de la retransmission y est pour quelque chose...).
Un immense merci à toi Florestan, qui sais si bien mettre en mots ce que je ne sais que ressentir... Ce glissement professif vers la noirceur, tu m'en fais prendre conscience ! J'étais convaincue que le choix des pièces et de l'ordre était réfléchi mais je n'aurais pas su le mettre en mots ni même le comprendre sans plusieurs écoutes et une longue analyse. Ton point de vue est très éclairant (ce qui démontre bien l'utilité des comptes rendus personnels, surtout écrits par ceux qui ont un tel talent pour le faire). J'ai comme toi eu l'estomac noué par son scherzo no.1, où j'ai retrouvé le Lucas investi qui prend tous les risques - comme heureusement j'ai pu le retrouver en concert depuis le Tchaikovsky, jamais pour un concert entier, mais même quand cela n'arrive que dans une ou deux pièces, c'est déjà complètement magique et bouleversant.
Florestan a écrit : sam. 17 mars, 2018 16:57 Mettre le compositeur romantique en première partie, puis créer cette passerelle Bach/Beethoven, c'est peut-être une façon de répondre à la question récurrente "Est ce que Beethoven est romantique?" . Et dans ce cas la réponse de Lucas est évidente vu la manière dont il aborde l'opus 111, Beethoven prend ses racines bien avant les romantiques, et finit ...bien après !
Je le trouve bien plus radical (et il faut bien le dire tout à fait pertinent et même complètement génial) dans sa façon de pousser la sonate dans ses derniers retranchements pour en faire ressortir toute la folie et la modernité
Autre idée très éclairante... Et même si c'est ton point de vue, ça peut très bien avoir été celui de Lucas car il ne fait aucun doute que ses programmes soient 'pensés' ainsi et très construits, rien n'est fait au hasard, aucun doute qu'il fait un lien entre la toccata de Bach et l'opus 111.
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Re: Lucas Debargue

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Appogiature a écrit : sam. 17 mars, 2018 14:49 Pour moi, le choix de la Polonaise héroïque en introduction me rappelle les trois coups qu'on frappait autrefois au théâtre pour ramener l'attention des spectateurs en début de soirée. Or ce récital est une longue épopée (1h30 de musique quand même.... Lucas Debargue n'avait jamais tenu la scène en solo si longtemps) qui exige bien une certaine préparation du public.
C'est en 2ème partie que je retrouve vraiment l'interprète que j'ai adoré au concours Tchaikovsky. Il y avait longtemps qu'il ne m'avait pas tant émue et en cela je rejoins Florestan.
Pour moi, ce concert marque une nouvelle étape. Outre sa durée, il nous offre une variété de nouvelles pièces à son répertoire dont un monument de la littérature musicale, il ose des assemblages audacieux, il étonne par sa construction et conclut par un unique bis minimaliste, intimiste, complètement bouleversant. C'est toujours Lucas Debargue, dérangeant, émouvant, mais avec une assurance, un professionnalisme, une détermination qui confirment les espoirs que l'on a placés en lui.
....Et tant pis si on me taxe de fan primaire!
Merci Appogiature, tout ton commentaire me touche et j'aime beaucoup l'image des trois coups qu'on frappe au théâtre ! Et c'est bien vrai que ce concert a été nettement plus long que tous les autres dont j'ai eu connaissance (et certainement que tous ceux auxquels j'étais présente). C'est un plus, car invariablement (je pense) il s'investit de plus en plus à mesure que le récital avance.
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Re: Lucas Debargue

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katy a écrit : sam. 17 mars, 2018 20:55 Oui effectivement, cet op. 111 est grand. Difficile de rester concentré devant un ordi 1h30, j'ai repris la partie Bach - Beethoven : cette partie me semble encore plus aboutie et passionnante que la partie Chopin. Tout un travail sur le détail, la sonorité, des choix là encore personnels qui peuvent parfois un peu dérouter mais tout me convainc...
Mais décidément je maintiens mes réserves sur la partie Chopin. La barcarolle a beaucoup de qualités -c'est poétique, très belle sonorité- mais il a raté la fin, beaucoup trop outrée... dommage, c'est l'apothéose de la pièce ! Et je ne lui pardonne pas le nocturne qui pour moi est intégralement raté. Là tout me semble appuyé, surligné... et la fin fracassante - je doute que sa prof approuve ces basses tonitruantes... Il n'a fait qu'un seul nocturne, mais pour moi c'est vraiment tout le contraire de qu'il faut faire dans les nocturnes de Chopin, c'est sentimental, c'est exagéré... Naturellement je ne prétends pas détenir la vérité sur Chopin, ce n'est que mon humble opinion...
Ca n'enlève rien au talent et même au génie de Debargue, qui comme je le disais plus haut, nous donne à entendre une véritable vision des oeuvres, et à forcer de fouiller, d'interroger les oeuvres, peut parfois se fourvoyer... (encore que ce n'est que mon avis). Je préfère entendre quelqu'un qui cherche que quelqu'un qui n'a rien à dire...
Je viens de réécouter la seconde partie et j'avoue trouver sa sonate bouleversante (et son Bach est toujours aussi excellent). Quant à tes réserves sur son Chopin, j'en ai aussi mais pas les mêmes que les tiennes et pas pour les mêmes raisons. Déjà je ne suis pas entichée de Chopin (c'est un euphémisme...) et il est rare (mais ça arrive) qu'un interprète m'y touche vraiment, sauf justement dans les nocturnes (et les préludes). Le nocturne de Lucas m'a touchée (mais ce nocturne est tellement beau, comment ne pas être touchée ?). Et sa barcarolle m'ennuie (moins qu'elle m'avait ennuyée à Montréal toutefois) mais peut-être qu'elle m'ennuierait peu importe qui la joue. C'est tout ce que je peux en dire, car je n'ai ni les connaissances ni les références pour en évaluer l'exécution. Sans avoir été emballée par son Chopin, je n'ai pas non plus ressenti ses finales comme outrées, c'est dire - on n'entend pas tous la même chose, ça dépend certainement beaucoup de nos références.

Mais tu as bien raison, Lucas nous force à fouiller et interroger les oeuvres - combien il m'a forcée à fouiller la sonate de Szymanowski ! - et il serait certainement enchanté de t'entendre le lui dire :mrgreen:.

Ceci dit, il serait peut-être bon de rappeler que cette diffusion internet, très intéressante comme production vidéo, est beaucoup moins convaincante côté audio. On a ici du son web, avec compression dynamique, ce qui peut considérablement modifier ce qu'on entend par rapport à ce qui a été joué - les écarts dynamiques y étant modifiés par la compression. Sur les diffusions web (radio ou vidéo) j'ai souvent trouvé que Lucas avait tendance à jouer des ff soudainement et trop forts par rapport aux p et pp, que les ff arrivaient brutalement et me faisaient sursauter. Je n'ai jamais trouvé cela en concert et je l'ai entendu en concert plus souvent que plusieurs ici.
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Re: Lucas Debargue

Message par Appogiature »

Florestan a écrit : sam. 17 mars, 2018 16:57 Je le trouve bien plus radical (et il faut bien le dire tout à fait pertinent et même complètement génial) dans sa façon de pousser la sonate dans ses derniers retranchements pour en faire ressortir toute la folie et la modernité ( là pour le coup j'ai un peu retrouvé la manière dont il avait rendu la sonate en la mineur de Schubert à Lyon), que dans son Chopin, dans lequel contrairement à Katy et Appogiature je n'ai pas entendu le moindre maniérisme, et dont absolument rien ne m'a choqué ou semblé outrancier.
J’avoue avoir parcouru la première partie du concert assez distraitement tant j’étais impatiente de l’entendre dans l’opus 111. Donc j’en ai repris l’écoute aujourd’hui et je retire ce que j’ai dit concernant le maniérisme. Ce serait totalement injuste. Ses Chopin m’ont bluffée, en particulier le Scherzo n°1 dont il révèle une noirceur, une douleur que je n’ai pas encore entendues ailleurs, même chez les tous grands.
Mais il demeure cependant une réticence qui est d’un autre ordre et que je n’arrive pas à cerner. Disons qu’à force de décaper la partition pour en révéler toutes les subtilités cachées, à passer à l’acide tous les détails pour les nettoyer du vernis du conditionnement et de l’habitude, il nous livre une interprétation certes très neuve, très lisible, mais parfois un peu aride, où il manque comme un liant, une fluidité. Ce garçon devrait peut-être se mettre à la cuisine, ou à la danse, ou se faire masser… bref, à quelque chose de très organique mais là je dérape !! En même temps, il est capable d’une douceur et d’une délicatesse inouïes, ce qui me fait penser que son jeu parfois un peu dur ne doit pas être compris comme une faiblesse mais comme une posture plus personnelle que musicale de la part d’un homme qui aime bousculer, dénoncer, voire effrayer, dans le but de réveiller les consciences.
On peut adhérer - ou pas….
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Re: Lucas Debargue

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katy a écrit : sam. 17 mars, 2018 20:55 Oui effectivement, cet op. 111 est grand. Difficile de rester concentré devant un ordi 1h30, j'ai repris la partie Bach - Beethoven : cette partie me semble encore plus aboutie et passionnante que la partie Chopin. Tout un travail sur le détail, la sonorité, des choix là encore personnels qui peuvent parfois un peu dérouter mais tout me convainc...
Dommage qu'il ait finalement retiré cet opus de son programme au prochain Verbier Festival pour le remplacer par la sonate de Medner. Pourquoi? A-t-il craint de manquer de recul ou d'expérience de la scène sur cette pièce? Pourtant on semble tous d'accord pour reconnaître que son interprétation est une réussite...
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Message par katy »

Oui je suis plutôt d'accord... dans Chopin on sent un peu une posture... Il veut faire du neuf... mais à mon sens ce n'est pas totalement convaincant pour le moment. Par contre on peut voir qu'en dépit de nos divergences de point de vue on est tous d'accord sur le 1er scherzo. Là ça va vient vraiment des tripes... J'espère quand même qu'à l'avenir il ne va pas se perdre dans les détails.
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Re: Lucas Debargue

Message par Florestan »

Virgule a écrit : sam. 17 mars, 2018 21:37 Ceci dit, il serait peut-être bon de rappeler que cette diffusion internet, très intéressante comme production vidéo, est beaucoup moins convaincante côté audio
Par curiosité j'ai réécouté des passages avec un très bon casque plutôt qu'avec mes enceintes et je dois dire que tu as raison, le son est vraiment moyen, avec des forte qui saturent vite. Je pense que la qualité sonore de la retransmission du Tchaikovski était un cran au dessus. (edit: un petit retour vers la sonate de Medtner, le garçon a pris des joues, on dirait qu'il a rajeuni depuis 2015 ... effectivement le son est beaucoup plus clair et plus beau, moins de souffle aussi)
katy a écrit : sam. 17 mars, 2018 20:55 Il n'a fait qu'un seul nocturne, mais pour moi c'est vraiment tout le contraire de qu'il faut faire dans les nocturnes de Chopin
J'aurais du mal à généraliser la façon d'aborder la totalité des nocturnes, le corpus contient des manières si variées, parfois au sein d'un seul cahier (on pense au gouffre esthétique qui scinde l'opus 55 !). Même si j'entends le nocturne en do mineur différemment de Lucas, plus implacable au début, plus théâtral et moins feutré, je ne trouve pas qu'il soit hors sujet non plus. Surtout je n'entends pas d'artifice dans sa manière, mais un chant sincère et souvent très touchant. Et si le doppio movimiento est pour moi trop crispé il ne malmène pas non plus la nature de cette page essentiellement pathétique, sorte de cri à la fois passionné et désespéré, qu'à mon avis il ne faut pas avoir peur de jouer à fond (basses comprises!). Je pense qu'il se laisse trop déborder ici, mais pas que le sens de ce cri lui échappe non plus.
Pour moi la polonaise et les deux scherzi sont des exemples éclatants de son incroyable intelligence stylistique, avec un esprit et un pianisme qui collent parfaitement à chaque fois. La barcarolle et le nocturne, même si on y entend les même qualités, ne sont pas aussi aboutis (et ont en commun cette manière de s'emporter dans les finales dont il est difficile de dire si c'est subi ou voulu) mais ne sont pas des versions du CNRS non plus et ne tombent pas dans l'outrance. Pour moi Trifonov dans les scènes d'enfants au Carnegie Hall c'était tout à fait outrancier, mais je n'ai pas encore vu Lucas Debargue commettre ce genre de choses, et donner dans l'artifice spectaculaire...
Appogiature a écrit : dim. 18 mars, 2018 10:30 J’avoue avoir parcouru la première partie du concert assez distraitement tant j’étais impatiente de l’entendre dans l’opus 111. Donc j’en ai repris l’écoute aujourd’hui et je retire ce que j’ai dit concernant le maniérisme. Ce serait totalement injuste. Ses Chopin m’ont bluffée, en particulier le Scherzo n°1 dont il révèle une noirceur, une douleur que je n’ai pas encore entendues ailleurs, même chez les tous grands.
Mais il demeure cependant une réticence qui est d’un autre ordre et que je n’arrive pas à cerner. Disons qu’à force de décaper la partition pour en révéler toutes les subtilités cachées, à passer à l’acide tous les détails pour les nettoyer du vernis du conditionnement et de l’habitude, il nous livre une interprétation certes très neuve, très lisible, mais parfois un peu aride, où il manque comme un liant, une fluidité. Ce garçon devrait peut-être se mettre à la cuisine, ou à la danse, ou se faire masser… bref, à quelque chose de très organique mais là je dérape !! En même temps, il est capable d’une douceur et d’une délicatesse inouïes, ce qui me fait penser que son jeu parfois un peu dur ne doit pas être compris comme une faiblesse mais comme une posture plus personnelle que musicale de la part d’un homme qui aime bousculer, dénoncer, voire effrayer, dans le but de réveiller les consciences.
On peut adhérer - ou pas….

Je comprends bien ce que tu veux dire, et ça rejoint assez les petites réserves que j'avais sur l'évolution de son style après l'avoir vu en concert en février dernier. Mais je trouve que sur ce récital la critique ne s'applique plus. On entend (enfin du moins j'entends) le pur musicien, le poète, dans toute sa splendeur, presque tout le temps !
Modifié en dernier par Florestan le dim. 18 mars, 2018 12:19, modifié 1 fois.
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Re: Lucas Debargue

Message par katy »

Je ne reproche absolument pas à Lucas de tomber dans l'artifice spectaculaire - même si je parlais de Lang Lang pour moi on en est à des années lumière. Soit dit en passant je ne déteste pas Lang Lang mais le voir jouer la 2ème rhapsodie de Liszt par exemple dans Pianomania :? :?
Pour moi il est incontestable que Lucas est dans une quête vraiment personnelle et sincère... parfois c'est très convaincant, parfois ça me hérisse un peu le poil, j'espère juste qu'en prenant de l'âge à force de chercher il ne deviendra pas un de ces hurluberlus perdus dans leur monde. Par exemple cette semaine sur FM j'ai entendu parler du dernier CD de Valery Afanassiev, "Les" 3 sonates de Beethoven; Clair de Lune Appassionnata et..je ne sais plus, il s'est fait photographier avec une pancarte "Je suis Beethoven", a rédigé une pochette incompréhensible insultant plein de collègues (Grimaud et justement Trifonov) et alors l'interprétation... on ne reconnaît pas trop ce qu'il joue... Mais monsieur est convaincu d'être dans le vrai...
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Re: Lucas Debargue

Message par Florestan »

Oui j'ai entendu ça aussi. Ca ressemblait plus à une tentative désespérée de faire du buzz et d'exister sur le marché qu'autre chose, mais je peux me tromper.
Comme je le disais dans la discussion après le concert de Lyon, je pense que Lucas gardera une haute idée de son art et une grande exigence envers lui même.
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