Jeudi après-midi 13 avril 2017, 14h, Roy Thomson Hall, Toronto.
Vous n'imaginiez quand même pas que j'allais faire ce voyage long et coûteux pour seulement 20 minutes de concerto ? Lucas jouait deux fois le même programme ? Eh bien votre humble chroniqueuse y est allée deux fois. J'étais d'ailleurs très curieuse de voir comment l'expérience de la veille colorerait sa seconde représentation.
Et non, 'notre Lucas' n'est pas entré dans le rang. Jeudi le 13 avril en après-midi, il a gesticulé comme jamais, battant la mesure, balançant la tête et le corps dans les tutti où il ne jouait pas et annonçant du geste les entrées à venir--non pas pour 'diriger', comme certains le croient (ses mouvements étaient d'ailleurs plus visibles de la salle que de l'orchestre), mais pour s'intégrer à l'orchestre, pour rester dans la musique et suivre le fil. Il était heureux, souriant, il s'abandonnait à la musique avec joie et toutes les émotions exprimées se lisaient sur son visage, sans retenue aucune. Disparue, la tension de la veille. Il jouait.
Quel extraordinaire contraste avec l'expérience de la veille !!
Dès l'entrée en scène, d'un pas assuré et les yeux rieurs, il semble confiant et a carrément l'air d'avoir hâte de jouer ! Une fois assis, il regarde tout de suite le chef pour signaler qu'il est prêt, pas d'attente, on y va! Il nous donne alors un concerto flamboyant, exalté, une démonstration spectaculaire de virtuosité et de musicalité, il joue comme un enfant joue, avec confiance et abandon, sans retenue, c'est carrément extraordinaire à voir et totalement captivant ! Un CHOC ! Et cette fois, après les saluts et remerciements, c'est sans se faire prier que Lucas se remet au piano pour un rappel quand Boreyko l'y invite. Et surprise: j'attendais encore Satie, il nous gratifie d'une courte pièce inconnue mais virtuose, d'un seul trait et très rythmée, qui me plait immédiatement mais qui restera un mystère pour quelques heures... une chroniqueuse, elle-même musicienne, la décrira très justement comme une sorte de prélude à la Rachmaninov mâtiné de soft-rock. Le TSO annoncera plus tard qu'il s'agissait de la
Toccatina en mi bémol majeur... de Lucas Debargue. Du bonbon.
Les deux représentations ont été enregistrées, et qu'est-ce que je donnerais pour entendre les deux, pour voir si je saurais dire quel enregistrement correspond à quel jour ?! Je ne parierais pas là-dessus. Car voyez-vous, malgré que l'expérience de spectatrice ait été tellement plus emballante ce jeudi pm et certainement plus agréable pour Lucas, je ne suis pas du tout certaine qu'il ait moins bien joué la veille ! Plusieurs fois pendant le concerto j'ai essayé de détecter une différence dans son jeu par rapport à la veille, et j'ai conclu qu'écoutées les yeux fermés, ces deux prestations me paraîtraient probablement très similaires... (j'étais assise essentiellement à la même place les deux fois, 6e puis 5e rang, pile devant Lucas, juste un peu trop à droite pour voir ses mains). Bref, je crois que Lucas gère bien son trac en scène et qu'une fois au piano, il arrive à se concentrer de façon remarquable, même très stressé. (Celui qui a gagné à répéter le concert, c'est le violoncelle solo, qui a un peu raté son solo avec piano mercredi soir mais l'a très bien joué jeudi).
Et voici 'la cerise sur le sunday', comme on dit chez nous: Après les deux pièces courtes en début de programme, alors qu'on déplace des chaises d'orchestre pour amener le piano au centre, plusieurs employés s'affairent à installer des petites caméras ici et là, une en particulier juste en face de nous, l'objectif clairement orienté vers le clavier. Mon conjoint me dit 'ils vont filmer le concerto' mais je n'y crois pas, je dis que c'est sûrement juste pour prendre des photos (quelle candeur!), mais oui, il y a aussi des caméras accrochées au balcon à gauche juste au-dessus de la scène... Lorsque les musiciens reviennent en scène, l'alto solo se retrouve avec la caméra/clavier presqu'entre les jambes ! Elle a le sens de l'humour: elle éclate de rire. Comme on pouvait s'y attendre, 'on' a rapidement posté un extrait du concerto
https://www.youtube.com/watch?v=gNkYKJXFwUA sur yt, filmé du balcon côté droit, directement face à Lucas (on le voit bien gesticuler). On y voit ce qui n'était pas visible du parterre: une disposition particulière des violons et altos laisse un long passage libre entre le mur gauche de la scène et le chef et on voit clairement, contre le mur du fond, un objet couvert de noir qui est certainement une caméra montée sur une table et dirigée vers le chef. On voit aussi une personne active derrière une vitre juste au-dessus de cette caméra, qui semble observer un moniteur. Quand et où pourrons-nous le voir, je l'ignore, mais aucun doute qu'il y ait eu un enregistrement vidéo et qu'il sera exceptionnel.