Jacques Béziat a écrit :@Christof : superbe témoignage, rencontrer Michel Legrand et qu'il ait joué pour toi !
Cela fait trente ans que je joue les thèmes de Michel Legrand dès que je le peux, comme tous les pianistes de bar...
La seule que je chantais était
Les Moulins de mon Cœur, avec un accompagnement bossa lente, et accords jazz, là c'est le pied, malgré la base classique.
Oui, tu imagines l'émotion !
Ahhh, les Moulins de mon coeur, là aussi il y en aurait à dire, pourquoi c'est devenu un tube...
Comme une pierre que l'on jette
Dans l'eau vive d'un ruisseau
Et qui laisse derrière elle
Des milliers de ronds dans l'eau
Comme un manège de lune
Avec ses chevaux d'étoiles...
A peine on en est là que le cerveau a déjà tout engrangé, et connaît à l'avance la suite de ce qu'on va entendre... peut déjà tout chanter. Ici, c'est la scansion rythmique de la phrase musicale qui rentre directement dans les neurones et permet la divination... En fait, le cerveau a déjà engrangé à la fin de "
des milliers de rond dans l'eau", et quand ça redémarre sur
"comme un manège de lune"... le cerveau se dit "ah ben oui, c'est ça.
Et puis il y a la progression harmonique sous jacente : pareil, à l'insu de notre plein gré, le cerveau comprend déjà tout... Comme si tout d'un coup, on était intelligent...
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J'ai retrouvé des images du film 5 jours en juin (
voir mon précédent message) :
Assis, l'acteur qui joue le rôle de Michel Legrand, et à droite sur la photo, le soldat noir-américain pianiste dont j'ai déjà parlé dans mon précédent message
Cette scène raconte une réalité : Michel Legrand jouait du piano et un soldat américain en uniforme (les Américains venaient de débarquer) lui a demandé s'il savait jouer du jazz (Michel avait alors 15 ans...). Michel Legrand a joué, mais ce n'était pas encore terrible question jazz, un peu scolaire. Alors le soldat s'est assis, et à commencer à jouer du blues, à lui montrer. J'imagine ce qu'il a dû ressentir alors, exactement un peu comme moi quand Michel Legrand m'a joué ce blues...
Si cette scène était prévue dès le départ dans le film, Michel Legrand pensait que ce serait doublé, que l'acteur américain ne ferait que faire semblant de jouer. A la limite, la scène serait filmée de façon à ce qu'on on ne voit pas ses doigts.
Sauf que quelques heures auparavant que ne se tourne cette scène, un des autres acteurs noir-américains, lors d'une pause des équipes, s'est assis devant le piano qui était dans la maison et à commencer à jouer... Du jazz. Un pur hasard parce que cet acteur ne savait même pas qu'il devait y avoir plus tard une scène où un GI joue du piano. "Il avait un toucher si naturel" m'a raconté Michel Legrand.
Du coup, Michel Legrand a changé ses plans : ce serait cet acteur-là qui jouerait la scène. Et ce serait joué en live.
Michel Legrand lui a montré le blues qu'il devrait jouer (
voir précédent message).
"Il a tout compris en même pas trois minutes" m'a expliqué Michel Legrand.
Ci-dessous, c'est l'image de générique de fin... Sabine Azéma qui continue sa route.
Un travelling pas possible où la caméra ne cesse de prendre de la hauteur, travelling qui dure 4 minutes 27, durant lequel
on entend encore ce blues, chanté maintenant par Ray Charles (avec Toots Thielemans à l'harmonica... et Legrand au piano ? ou Ray Charles, je ne sais pas, mais je penserais plutôt pour Ray...). Magique !
C'est peut-être ce soldat qui a fortifié Michel Legrand dans le jazz...
En tous cas, j'espère que vous connaissez tous ce disque : "Legrand jazz"
Il faut savoir qu'en 1954, Michel Legrand avait fait paraître
I Love Paris, qui fut pour Columbia Records une immense vente aux États-Unis dans la catégorie des disques de musique légère, genre dont la popularité battait alors son plein.
Comme il s’agissait de son premier album, Michel Legrand ne reçut aucun droits d’auteur pour ce succès.
Columbia, qui n'était pas des ingrats, pour le récompenser, lui offrit quatre ans plus tard de faire le disque de son choix.
"Le disque que je veux, avec les musiciens que je veux ?"
"Oui"
Alors il choisit le jazz... Prendre des mélodies connues et en faire toutes les orchestrations et assurer la direction de l'orchestre. Michel Legrand avait alors 26 ans.
Le disque a été enregistré en trois séances (il est sorti une année plus tard, en 1959).
Faire le disque dont il rêvait : et c'est comme ça qu'il choisit des musiciens comme, pardonnez du peu : Miles Davis, Ernie Royal, Art Farmer, Donald Byrd, Joe Wilder (trompettes) ; Frank Rehak, Jimmy Cleveland (trombones), Gene Quill, Phil Woods (saxophones altos), John Coltrane, Ben Webster, Seldon Powell (saxophone ténor), Teo Macero (saxophone baryton), James Buffington (cor), Eddie Costa, Don Elliot (vibraphone), Barry Galbraith (guitare), Betty Glamann (harpe), Paul Chambers, Milt Hinton, George Duvivier (contrebasse), Bill Evans, Nat Pierce, Hank Jones (piano), Osie Johnson, Kenny Dennis (batterie)
Ici,
le disque en écoute
Je m'aperçois que j'ai encore fait très long, et un peu hors-sujet pour ce fil ?