Tu sais, c'est juste une impression. SI tu savais le nombre de trucs où j'ai eu l'impression de n'être simplement qu'une éponge...
Mais c'est, à mon avis, un passage obligé. En déchiffrant des partitions, ou en relevant les morceaux de musiciens qu'on aime, on peut mieux pénétrer leur monde, repérer des choses. Des choses qui transforment aussi ton jeu, l'enrichissent. Et c'est cela qui est formidable avec le cerveau, c'est qu'il travaille en parallèle, souvent même à notre insu, pour reconfigurer tout cela à une autre sauce... Et alors un jour, tu joues une improvisation, et tout à coup, ton cerveau va chercher telle chose au lieu de telle autre, mais pas parce que c'est ce que jouent untel ou untel... C'est parce qu'alors tu as vraiment convoqué cela. Et ce sont tous ces moments qu'il faut repérer. Telle construction d'accords, tel enchaînement que tu n'avais encore jamais joué, et qui sonne, qui donne une certaine ambiance, un style (comme le style pour un écrivain).
Il faut avoir alors le réflexe, au moment où l'improvisation te fait jouer cet accord, d'arrêter de jouer, de laisser tes doigts dans la position, de figer tout, de regarder, de l'écrire tout de suite sur une portée. C'est un réflexe important à prendre, c'est comme un double sens.. Au moment où cela se joue, tu sens que c'est de l'or. Alors une fois écrit, analyser comment cet accord est réparti, essayer de comprendre pourquoi il sonne si bien (donc reconstruire le passage juste avant). Le travailler cet accord, le transposer, savoir le jouer dans tous les tons (et tu verras que souvent, dans certains tons, il sonnera encore mieux), l'avoir à disposition. Mais plus qu'un accord, c'est souvent un enchaînement de plusieurs accords dont il s'agit, totalement original. Et il ne faut jamais en rester là.
Il faut faire jouer sa mémoire, reconstruire cet enchaînement, le comprendre, le jouer dans tous les tons. L'avoir à disposition.
Je parle d'un accord, mais en fait, c'est tout ... cela peut-être un simple contrechant, un arpège, un geste, un truc que tu n'as pas l'habitude de faire. Quelque chose qui s'est joué parce que tu étais vraiment libre (tu sais, ce que je racontais dans le fil sur Kenny Werner).
Par exemple (mais c'est juste un exemple, il y a plein d'autres choses que tu dois exploiter), à 3'34 : tu en joues souvent des choses comme ça ?
Il faut l'engranger, la mettre dans tes gênes de façon consciente. Si tu l'as joué, c'est que c'était déjà là, mais cela peut aussi s'enfuir. Alors le mettre à jour.. L'utiliser souvent.
C'est cela qui construira ton style. Qui te donnera cette vision de pouvoir réagir très vite durant ton improvisation pour convoquer au mieux la suite de ce que tu viens d'entendre, dans une cohérence.
Pour te donner une petit idée de ce que je veux dire, un jour j'ai
improvisé sur You'd be so Nice to Come Home... Je ne sais pourquoi, j'ai attaqué le morceau par ces notes en haut du clavier, puis naturellement, j'ai fait l'accord d'après et tout de suite j'ai senti que se jouait là quelque chose, un son, une ambiance, qui valait le coup. Alors j'ai essayé de "convoquer" d'aller le plus loin possible, dans l'instant. Rester dans ce son. Alors bien sûr, il y a des accords un peu foireux car tout est improvisé, mais ce n'est absolument pas grave. Ce qui compte, c'est que j'ai voulu aller au bout de l'idée, comprendre pendant que cela se jouait. Enfin, ce n'est pas ce terme "comprendre" qui convient. Mais plutôt dire que, restant dans un esprit de liberté, arriver à plus de maîtrise, à mieux aller chercher "mes forces" au fur et à mesure que la musique se compose
Et puis ensuite, puisqu'on avait entendu pas mal de choses dans l'aigu, j'ai voulu faire une rupture (mais je ne sais pas vraiment comment cela s'est décidé) et faire le thème dans les graves, à la MG, m'y tenir et advienne que pourra (il y a certaines faiblesses). Alors bien sûr, on pourrait dire "tiens tu as fait l'éponge, ça, c'est du Brad Meldhau, ce truc de jouer le thème en grave à la mg, rien ici de vraiment original"... Oui, sauf que je ne l'avais jamais fait avant. Et c'est un enrichissement qui n'attends plus que d'autres enrichissements pour faire éclore quelque chose de plus "moi".
Ce qui est merveilleux, c'est que je dispose de cette trace enregistrée. Je peux la reprendre, aller la creuser plus profondément.
Quand tu joues des impros (là tu l'as fait et c'est bien), il faut toujours t'enregistrer. Réécouter tout de suite et repérer ce qui t'a étonné. Et alors le refaire au clavier ? Tu me dis que tu es incapable de le rejouer ? Alors relève-le, à l'oreille. Écris-le.
Essaie aussi de déchiffrer des pianistes plus "be bop". Cela va encore enrichir tout ton fonds, te donneras encore d'autres idées.