Je ne sais pas pourquoi m'est revenu en mémoire ce slogan de mai 68, que je n'avais pas vraiment bien compris à l'époque : "Sous les pavés, la plage".jean-séb a écrit :Pour ce qui me concerne, je suis sincèrement désolé de vous avoir infligé ce que je vous ai infligé.mieuvotar a écrit :
Mais j'aurais envie de l'adapter et dire "Sous les quelques fausses notes ou trous de mémoire, la musique". Et bien présente, bien audible, dans une très belle expression. Alors, le reste, on s'en fout. Et puis, tu es venu de loin pour te joindre à nous, c'est d'autant plus méritoire.
christof a écrit :Oui, c'est bien cela qu'il faut imprimer dans notre cerveau : les fausses notes et trous de mémoire, on s'en fout
.Jean-Luc a écrit : Le challenge d'hier était double :
- vais-je avoir des trous de mémoire? (j'en ai eu 2 petits)
- vais-je jouer trop vite comme j'ai pu le faire à Beuvray? (je me suis réfréné, j'ai pas mal travaillé cet aspect... l'enregistrement sera le verdict).
Je ne sais trop comment bien présenter ce qui m'a trottiné dans la tête à la suite de tout ce qui a été vécu lors de cette réunion PM du 5 juin.
Tout d'abord, quelque chose que j'avais remarquée : les phrases écrites dans le fil au fur et à mesure que la date de la réunion se rapprochait. On pouvait par exemple lire à l'avance des choses comme :
"Je ne sais pas si tu diras toujours ça après m'avoir entendu"
"il vaut mieux s'écouter, même si c'est gênant...."
" Je suis preneur des enregistrements, même si je dois dire que je les écoute pas, c'est trop démoralisant. Je les garde comme trace pour dans longtemps, longtemps... quand je sucrerai les fraises, ou peut-être pour mes petits-enfants à venir, histoire qu'ils se payent une tranche de franche rigolade"
"et ensuite d'un point de vue performance aussi,(car moi je risque de tout gâcher "
"Nan mais vous inquiétez pas, la 'disaster area' sera ouverte à tous, moi y compris"
"j'ai déjà les mains qui tremblent "
"j'ai peur du trou de mémoire, ou du blocage sur un passage, qui risque de tout faire foirer..."
" vu qu'en public, avec le stress et le trac, la probabilité de plantage est quand même significativement plus élevée que chez soi..."
"je vais probablement me vautrer comme tu dis ! "
Je comprends bien ce qui conditionne qu'on puisse écrire cela, une façon de dire : et si tout se passe mal, ne m'en veuillez pas... Une sorte d'humour aussi. Mais je pense que c'est ravageur. En pensant de cette façon, on commence déjà à se saborder un peu.
Tu vois par exemple, Lee, tu as écrit : j'ai déjà les mains qui tremblent... Et pourtant, tes mains n'ont pas tremblé.
Les fausses notes, les erreurs, les trous, la perte complète de moyens : ON S'EN FOUT... On est juste là, entre passionnés de musique, pour un partage. J'ai entendu de la très belle musique. J'étais heureux. Et on était tous comme ça. Alors pourquoi avoir peur ?
Penser plutôt : ah super, on va faire de la belle musique. Quelle chance de pouvoir partager cela, comme auditeur, mais surtout, comme émetteur, transmettre ma ferveur, tout mon être de musique.
Pardonnez-moi, mon message va être assez long...
Je ne sais pas où il serait le plus judicieux de le placer ? Un sujet à part ? Dans le fil sur les béta bloquants ?
Je voudrais ici vous faire partager certaines parties de ce que Kenny Werner (pianiste "jazz") a pu dire lors d'une master class à laquelle j'ai assistée.
Il exprime ici bien mieux que je ne pourrais le faire cette manière d'aborder l'instrument et soi-même, état d'esprit que j'ai toujours eu, sans savoir forcément bien l'expliquer. J'ai traduit ce qu'il disait, j'en extrait ici une bonne partie. Cette master class était destinée aux musiciens jazz, mais ce qu'il dit s'applique en fait à chacun d'entre nous :
"Le sujet ici est Effortless mastery » (en fait « la maîtrise maîtrisée, la maîtrise sans effort)… Action sophistiquée avec votre mémoire musculaire, c’est-à-dire que vous pouvez faire sans penser.
Cela doit être la même chose que quand vous marchez : quand vous marchez, vous ne vous dites pas : tiens, je vais avancer mon pied là, puis celui-ci comme ça, et puis ensuite le pied droit comme ça, lever un peu la jambe... Non, tout cela se fait naturellement. Et en même temps, on peut parler, on peut même téléphoner, et pourtant on continue de marcher à la perfection. C’est cela que j’appelle « Effortless mastery »
Et donc l’idée en musique, c’est d’amener son art au plus proche de cela.
Il existe à mon avis deux raisons qui font que certains musiciens n’y arrivent pas :
- L’une des raisons est le manque de technique. En musique, on n’impressionne pas avec sa technique… En musique, la technique disparaît, on ne la voit pas On l'a pratiquée justement pour qu’elle disparaisse et qu’on n’entende plus que de la musique.
Par exemple, si je dis à un pianiste : soyez libre sur votre instrument… jouez moi un rubato, il va sûrement bien s’en tirer. Si je lui dis : jouez en rythme (in time), soudain pas mal de pianistes vont être contractés. Ils n’auront plus au fond d’eux même la même liberté.
La vraie expérience de la musique est cette liberté. Si vous êtes contractés, c’est que vous n’avez pas développé à fond la maîtrise sans effort du temps et du rythme. Et si vous ne l’avez pas fait, cela va entraîner à chaque fois chez vous une espèce de frustration. Et cela ne s’arrange pas en devenant plus vieux. Donc ce que vous devez faire c’est retirer les obstacles entre vous et la liberté. Ce que je veux dire, c’est que vous pouvez expérimenter la joie juste de faire cela (il plaque sa main sur le piano, sans du tout arrondir les doigts et sans idée préconçue et il en sort un son et le laisse résonner avec toutes ses harmoniques) : le son est mystique et nous intoxique (au sens positif). C’est là.
Si c’est là, avant que vous ayez entendu une note, le reste de votre vie est un jeu. Je veux expérimenter cette liberté. Dans le tempo. Je veux expérimenter cette liberté dans une tonalité, je veux être un joueur de tons (tous les tons) et jouer librement dans le même temps.
Donc une des raisons qui fait que le rythme ne marche pas bien, c’est que nous nous ne l’avons pas assez travaillé. Mais quand on dit cela, ironiquement, on se place aussi dans une impasse parce qu’on est pressé (we are in a hurry) que cela aille mieux. Et parce que vous êtes pressés, vous n’absorbez pas le sujet, vous ne faites que le toucher du doigt… Et quand vous travaillez, tout ce que vous pouvez espérer, c’est de garder le tempo.
- L’autre raison qui fait qu’il y a une barrière à vivre la musique de façon libre est plus psychologique, spirituelle ou émotionnelle.
On essaye de pouvoir faire des choses plus difficiles, parce que dans notre tête, au fin fond de nous, on veut toujours jouer mieux. La lumière intérieure doit enchanter votre vie. Alors ne pas se dire sans arrêt : je dois faire mieux, je dois faire mieux, d’une façon tendue, vous n’aurez aucune lumière dans votre vie. Au lieu de se poser bien, vous êtes sans arrêt en train de marcher, espérant, attendant mieux.
Le problème ici, c’est que le plus vous attendez de vous-même, le plus mal vous jouez. Rappelez-vous un moment où vous vous êtes dit : ah, là, il faut que je joue bien… Comment avez-vous joué alors ? Certainement de façon pas terrible.
Mais le jour où vous êtes décontracté, vous avez bu un petit verre de vin, vous êtes avec des amis et que jouer n’a pas de conséquences, alors dans votre tête quelque chose vous dit : cela n’a pas d’importance. Alors à ce moment, vous jouez beaucoup mieux.
Quand j’essaie, que je me fixe les idées, je joue moins bien. Et si je m’en fous, je joue mieux. Donc rappelez-vous cela : quand vous jouez, n’attachez pas d’importance, ne vous jugez pas quand vous jouez.
En fait cela vient du fait que nous sommes programmés. Et une fois qu’on réalise qu’on doit changer cela, quand on joue (quand on joue veut dire ici qu'on n'est pas en train de travailler des aspects techniques, mais qu'on joue vraiment le morceau), on doit s’en foutre, savoir poser la main comme ça (il pose à plat sur le clavier), ne pas se dire « il faut que cela soit bien ».
J’ai connu un saxophoniste qui pratiquait de cette façon, se disait : je dois être doux (bon) avec moi-même, je dois être doux avec moi-même. Et il se mettait au piano, et commençait juste à jouer, à la main droite, une note après l’autre, sans aucunement se presser : do, ré, mi, fa, sol, la, si, la, sol, fa, son esprit étant sans aucune pression. Ecouter ce son créer un espace. Ensuite il jouait dans cet espace (ce que j’appelle l’espace). Et en deux ans, il pouvait jouer du Liszt. Et quand je le regardais jouer, je voyais son visage, impassible, comme s’il faisait autre chose et je me disais « comment peut-il jouer ? ». Regardez par exemple cette vidéo de Bill Evans en train de jouer (la vidéo avec son frère où il discute - CAVRELL Louis & Ira. Bill Evans, Jazz pianist on The Creative process and self- teaching, Charter Oak Telepictures Inc. in association with Helen Keane, film documentaire, 1966, 45 mn). Regardez-le quand il joue, il est impassible, on ne dirait jamais qu’il joue. Pourtant il joue… Grâce à deux choses : il n’a pas peur ; il est réellement bien préparé. Il pose les mains sur le piano, et elles jouent.
Il existe une vidéo du concert d’Horowitz à Moscou. Il n’y avait pas joué depuis des années, revenant en URSS en 1986 après plus de 50 ans d’exil aux Etats-Unis) Il y avait foule, et puis le cinéma qui filmait… Une grosse pression quoi. Il arriva, vint s’asseoir. Il allait jouer du Scarlatti, regarda autour de lui, la salle, les gens. Il a commencé par poser son pied sur la pédale, sans jouer, ce qu’il ne faisait pas d’habitude, se mettant déjà dans la musique (Kenny Werner fait cela, et puis commence à jouer le Scarlatti). Et c’est magnifique. La paix était là. Il était si bien préparé qu’il n’avait pas à jouer : ses mains jouaient. Et lui, simplement, il écoutait. Il avait la meilleure place de la salle. Il est assis là et quelqu’un est en train de jouer du piano : c’est l’aspect spirituel. Si vous pouvez atteindre ce niveau, posez-vous la question : qui est en train de jouer ? Si je regarde, qui est en train de jouer ? Et là, vous pouvez entrer dans votre intérieur spirituel, votre intérieur des neurosciences (qu’importe le mot qu’on y met) et vous pouvez dire : mon esprit superconscient joue, c’est Jésus qui est en train de jouer (si vous êtes chrétien) ou l’âme de Scarlatti, ou c’est Charlie Parker. Vous pouvez imaginer que c’est un pouvoir qui joue.
Et ceci, pouvoir regarder ce qui se joue, demande deux choses :
- Être préparé au degré où l’on se place pour que la musique se joue d’elle-même, pas seulement savoir la jouer, mais pouvoir la regarder se jouer (et pour arriver là, il y a beaucoup de pratique à faire, et ironiquement, vous ne devez pas être dans un empressement). Si vous pratiquez 10 choses, et que vous voulez être meilleur, toujours meilleur, cela ne fonctionne pas. Quand vous avez 15 ans, vous vous dites, cela va aller mieux à 20 ans, à 20 ans… à 25 ans, je serai génial... et puis vous vous dites bon, à 30 ans ce sera parfait… Et finalement, comme vous êtes toujours dans un empressement, cela ne marche pas. Pour être meilleur, pratiquez seulement une chose, et complètement, jusqu’au bout de cette chose. Et soudain c’est comme une peau. Rien ne change, la seule chose c’est que vous avez plus d’attente par rapport à ce que vous faites alors.
- L’autre chose, c’est de ne jamais se juger pendant que l’on joue. Ne pas faire attention. C’est plus facile à dire qu’à faire, mais c’est une question de pratique. Vous devez rentrer dans ce que j’ai appelé tout à l’heure « l’espace », mettre votre esprit en concordance avec cela. Ne pas penser (comme on fait toujours, on se fait toujours du souci pour tout, alors qu’on a un toit, de la nourriture, des amis…). Ainsi par exemple, vous pouvez marcher dans la rue et être complètement pris par des pensées qui vous donnent des soucis. Et si vous êtes « upset » (tracassé) vous ne pouvez être le joueur de piano que vous voulez être. La réalité est là, mais les pensées vous mettent alors en prison. Alors l’idée, c’est de sauter du monde des pensées au monde de ce que j’ai appelé « l’espace musical ». Et dans cet espace, tout est beau, tout est parfait, vous êtes complètement dans l’instant, pas de pensées négatives. Et au lieu de juger votre façon de jouer, vous pouvez jouer des choses comme cela (il écrase doucement sa main sur le clavier) et c’est le plus magnifique son du monde que vous n’avez jamais encore entendu. Chaque note que vous jouez est la plus magnifique que vous n’ayez jamais entendue. Et vous verrez comment vous jouez merveilleusement après cela. Et vous laissez aller vos mains, et vous découvrez cette intoxication (dans le bon sens du terme) à votre son.
Ah, chouette, cela peut être ça ! Jamais ce sera (il pose sa main ouverte sur le clavier) : "ah non, ce n’est pas assez bon ! J’aurais dû faire ici un accord mineur, je me suis trompé… ah cela ne swingue pas… ha c’est trop téléphoné... Non, ceci est à bannir. Lorsqu’on joue, on ne se juge pas. On reste dans l’espace de la musique". Et si vous pratiquez cela, imprimez-le dans vos gènes, le piano devient un instrument de plaisir, au lieu d’apparaître comme un instrument de torture.
- Le piano devient quelque chose qui touche le cœur. Vous devenez votre créateur, et vous avez besoin de le programmer dans votre esprit. Penser maintenant de cette façon différente par rapport à ce que vous avez pu penser. Faites confiance à vos mains. Pensez que cela marche, c’est bien plus opérant quand on pense de cette façon.
Mais comment se mettre dans cet état ? Cela dépend des gens. Certains pratiquent la méditation, le yoga, le tai-chi, que sais-je. Mais le point commun dans tout cela, c’est que quand on pratique, on est juste maintenant, ici, dans l’instant présent, et tout est bien. Vous êtes dans cet espace. Et quand vous jouez, vous êtes dans cet espace. Et quand on y est, tout est simple, tout est génial. Et toujours, avant de se mettre dans cet espace, en fait pour s’y mettre, touchez votre piano, jouez des notes à la main droite, très lentement, l’une après l’autre, laissez-vous envahir par le son. En faisant comme cela, vous vous familiarisez avec la vraie essence du son, la vraie essence de votre son, au son de l’instrument.
Toots Thielemans (harmoniciste merveilleux) est un superbe musicien, mais c’est un traqueur. Mais il aime tellement son son. Un jour, nous étions dans la loge du Carnegie Hall, attendant de jouer. Il était très très nerveux me disant : eh, on est à New York, moi qui suis belge, et on est à Carnegie Hall. Alors je lui ai dit : « tu sais, juste dehors, c’est juste Carnegie daily »... (voulant dire par là : oh, tu sais, c’est comme tous les jours. Ici où à côté, c’est pareil…). Et il a rit et s’est détendu. Et si tu laisses aller, tu n’as pas besoin de te dire : « je vais réussir »… Tu n’es pas du tout dans ce schéma là. Vous voulez être puissant : alors abandonnez-vous.
Vous voulez être libre : laissez la musique réussir.
Vous voulez jouer à un haut niveau : ceci n’est que jugement. Et c’est foireux.
Si vous êtes dans cet état de détente, sans pensées préconçues, allez immédiatement à votre instrument et restez dans cet espace. Et au moment où vous commencez à vous soucier de ce que vous faites, cela va jouer sur votre son, sur vos mains.
Si vous voulez trouver cette libération, allez au piano, touchez le, laisser vos mains sentir. Ce qui vous libère, c’est votre instrument. C’est plus important de jouer dans cet espace que de vouloir s’améliorer. On n’a pas nécessairement à s’améliorer ou à changer. Si vous éprouvez de la joie à le faire, vous l’atteignez. Mais si vous voulez prouver, et étudiez pour ça, alors faites le sans vous battre, faites-le dans la joie. Parce que si vous vous flagellez, cela ne fonctionnera pas.
Question : comment pratiquez-vous pour avoir plus de technique ?
Réponse : pour moi, cela passe par quatre aspects fondamentaux :
- Le premier : vous allez dans l’espace que j’ai défini et vous êtes en amour avec lui (il joue des notes très très lentement) connectant son esprit avec sa main, écoute le son, les oreilles complètement prises par le son, pas de pensées… Vous ne faites alors pas attention à ce que vous jouez, mais à votre état d’esprit dans cela. Vous êtes là pour accepter et pas pour penser.
- le deuxième : vous faites des notes sur l’instrument, de façon libre, c’est-à-dire que vous regardez vos mains jouer, mais vous ne faites aucune demande par rapport à elles. Alors il se met à jouer, tout en discutant avec nous, nous posant des questions, nous répondant, tout en continuant à jouer... Vous voyez, mon conscient vous parle, mais je joue en même temps. Alors on peut se poser la question à ce moment : qui est-ce qui joue ? Il faut rester libre ; l’idée est de se détacher de ses pensées conscientes, car elles vous punissent. Je ne fais pas attention à ce que je joue, je suis dans « the space » (comment traduire : la dimension ?). Donc vous déplacez vos mains sur le clavier, donc vous pouvez improviser. Et je n’appelle pas cela « musique libre », parce qu’il n’y a seulement qu’une sorte de musique libre, et cela peut être n’importe quelle musique, mais libre de jugement. Avez-vous déjà essayé de jouer de la musique free, avant-garde, la « vraie musique free » ? Je dis ça pour plaisanter bien sûr……… essayez de jouer de la free music, mais correctement ! (rires dans la salle).
- Le troisième : si vous jouez un morceau, il faut le connaître très très très bien (il commence à jouer All the things you are). Au début, vous vous êtes mis dans « l’espace », maintenant vous connaissez cet espace et maintenant, restez-y pendant que vous jouez un morceau. Et cela doit être simple, vous ne devez pas avoir à réfléchir. Vous devez jouez aussi simplement que je le fais. Jouer sans penser (il joue la même chose mais très simplement) et ce qu’on peut jouer sans penser, action claire. simple et vous actionnez de façon plus claire. Trop souvent on essaye de faire des choses très ambitieuses pendant qu’on joue mais cela devient très confus. Donc là, mettez vous dans cet état, cet autre chose, très centré, clean up your playing (nettoyez votre jeu) et aussi pour la prochaine fois que vous jouerez.
- Et la quatrième marche, c’est la réponse à votre question : comment acquérez-vous plus de précision, plus de technique, plus de possibilités dans des champs plus vastes de musique ? Prenez quelque chose, et « from the space » vous pratiquez, suffisamment lentement (on ne pratique jamais assez lentement, vous pensez que vous travaillez lentement, jouez lentement, mais on ne pratique jamais assez lentement) ; et ainsi on peut jouer à la perfection. Ou plus rapidement, mais seulement dans les cordes de ce qu’on est capable de jouer, et toujours dans cet espace. C’est difficile d’entrer profondément là dedans car étudier dans cette quatrième marche « it’s a whole clinic for yourself » et cela peut être « confusing» (source de confusion). (...) Cela ne sert à rien de jouer vite, d’enfiler les mesures. Prenez juste une mesure. Si vous maîtrisez juste une mesure, de ce nouveau monde, cet espace comme je l’ai appelé, vous verrez que cela va affecter toute votre manière de jouer les autres mesures. A chaque fois que vous prenez un tout petit aspect technique et que vous allez jusqu’à le maîtriser, mais si c’est très simple et très facile, cela vous semble presque rien. Alors pratiquez une seule chose, jusqu’à en être vraiment un maître. C’est quoi être maître ? C’est quand cela joue tout seul. La plupart du temps, on apprend quelque chose seulement au point de penser qu’on le sait, on arrive à le faire quelquefois bien… Mais ce n’est pas suffisant. Quelle sorte de musicien cela peut-il créer ? Mais si vous créez la maîtrise, même seulement sur deux mesures, vous verrez que cela va infuser, pénétrer en vous, vers un peu plus de technique, un peu plus de précision. C’est créer une « mémoire musculaire », comme d’ailleurs s’aimer soi même, c’est aussi une mémoire musculaire. Et donc, jusqu’à l’avoir, pratiquez, pratiquez de cette façon, même artificiellement, tous les jours jusqu’à l’avoir. Je peux jouer complètement "Stella by Starlight" depuis ma mémoire musculaire. Mais pour un nouveau morceau, j’ai encore à penser… Vous comprenez ? Donc pratiquez la précision, « from the space »Regardez comme je reste dans « l’espace ». Pratiquer devient si précis. Quand vous pratiquez, vous êtes peut-être agité (agitated) : combien de fois pratiquez-vous une chose, sans penser encore à une autre… On ne contrôle pas sa pensée. C’est déjà assez dur d’être dans ce monde et d’être un musicien. Donc mettez votre pensée à votre service, et non au service du sabotage (dans le sens de travailler et réussir, mais sans se mettre de pression).
La réponse est donc : vous pouvez pratiquer la précision, mémoire musculaire, from the space. Faire moins, mais dans une plus grande profondeur, en allant plus loin dans cette pratique. Et cela va se sentir tout de suite dans ce que vous jouez.
La raison pour laquelle on ne sait pas bien se concentrer uniquement sur une chose, c’est qu’on pense que c’est trop petit, que ça n’est pas assez, que cela ne fera pas de différence. Je ne pratique pas tout ce que je vais jouer, mais une seule chose, jusqu’à la perfection, pour que cela affecte ma façon de jouer. Il vous suffit d’expérimenter cela pour voir que c’est vrai.
(...)
Quand je pratique une petite chose, je la pratique à fond. Je ne me dis pas le matin « ah, j’ai travaillé cela hier, cela suffit… » Non, je m’y remets encore et encore. Je ne suis pas dans l’impatience. Je veux juste atteindre une maîtrise de cela. Parce que je sais qu’une toute petite chose ne changera pas ma façon de jouer. Alors, je continue : je sais jouer en quinte, en septième, facilement. Et maintenant je n’ai plus à penser. Mais cela m’a pris du temps. Et si je veux savoir faire les accords de neuvième, je dois travailler cela maintenant… et ainsi de suite. Et ce n’est pas la providence qui fera que lorsque je joue et que j’improvise, cela sorte tout seul. Cela sortira tout seul parce que je n’ai pas à penser.
Question : comment pouvez-vous être à la fois dans « l’espace » pendant que vous pensez à quoi travailler ? C’est paradoxal.
Vous pensez d’abord : je vais travailler cela. Et vous le travaillez, en voulant rester dans l’espace. Mais vous le faites avant, vous pensez avant à ce que vous vouliez travailler. Si par exemple vous décidez de travailler l’harmonie, vous devez penser : ok : Eb septième de dominante, par exemple phrygien et on va vers un si phrygien. Et alors, dans cet espace (et il joue les notes Eb dominant seven, et va vers un B phrygien. Alors il plaque les accords, un peu rapidement. Et puis nous dit : voilà, vous l’avez fait, mais si vous pensez que c’est fait, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Alors il le refait, lentement, mais en le jouant plus dans « l’espace ». Et si vous faites cela tous les jours, vous verrez que votre harmonie commence à vibrer, à bouger… Alors je travaille ces deux accords jusqu’à les maîtriser parfaitement. Et ensuite, j’essaie deux autres accords. On n’est pas dans une course. Ne pas se presser.
Et à chaque fois que je décide de pratiquer, je peux décider de prendre un autre objet d’étude (une fois que j’en ai abordé un à fond), ou alors continuer sur le même sujet que précédemment.
Par exemple, pratiquer ma main gauche, à partir d’un « vamp » de Keith Jarrett : il nous le joue. Puis rajouter la main droite. L’objectif est que la main gauche ne bouge pas… être à l’aise avec n’importe quel discours de la main droite, la main gauche reste imperturbable. « voilà, c’est là ». Ma main droite joue complètement par elle-même, ma main gauche aussi. Cela m’a pris 5 ans. Mais quand j’ai commencé à le travailler, je savais que mon jeu irait mieux. Et je le travaille dans « l’espace ». J’ai pratiqué cela très longtemps, je veux dire comme cela : et il nous le joue très très lentement. Et quand vos mains le savent, vous êtes au niveau.
Question : Vous nous avez parlé de l’espace ?
C’est facile d’y entrer, mais très difficile d’y rester. Souvent certains vont vous dire que la musique est difficile. Non, c’est facile. Si vous jouez de la musique et que vous estimez que c’est difficile, c’est que vous n’avez pas encore fini la pratique, l’entraînement.
Tiens, je vais vous donner un exemple d’espace. La fenêtre est ouverte, et il nous demande de fermer les yeux et de nous concentrer sur les bruits de la circulation. Juste ceux-là, toute notre attention uniquement là-dessus. On reste comme ça quelques minutes. Vous vous sentez différents ? C’est ça l’espace.
Fermez les yeux. Chacun de nous ici respire. Je voudrais que vous vous concentriez sur cet espace, juste sur le fait que nous respirons. Notez quand vous inspirez, quand vous expirez. Et si vous commencer à penser, regardez juste cette pensée passer, mais revenez à votre respiration, entrez en contact avec elle. Maintenant, ouvrez vos yeux : maintenant vous êtes un peu différents par rapport à avant. Et une fois que vous avez fait cela, commencez à jouer au piano, une note et une autre, tranquillement, l’une après l’autre, en conservant la sensation. Avant que vous perdiez cet espace obtenu avec la respiration, jouez des notes au piano. Vous savez, quand tout à l’heure j’ai commencé à jouer pour vous, je n’écoutais pas le piano, mais j’écoutais la circulation dehors… Une vraie symphonie. C’est étonnant tout ce qu’on peut entendre. Je me suis joint à la symphonie dehors. Un musicien est très attentif au son, de ce qu’il entend dans la salle. Le plus vous entendez, le plus vous êtes profond. Quand vous êtes dans votre pensée, vous essayez de jouer quelque chose d’acceptable. Quand vous êtes « dans l’espace », tout ce que vous jouez est profond. Parce que vous êtes connecté à vous-même.
Que pensez-vous de la régularité, de pratiquer régulièrement (dans le sens de jouer en public) ?
Faites-le, le plus souvent que vous le pouvez. Pratiquer avec régularité peut vous offrir quelques minutes vraiment dans « l’espace » et vraiment connecté avec votre instrument. Et plus vous le ferez, plus cet espace vous appartiendra."
Christof