J'ai assisté hier soir à la première d'un concert-spectacle qui va se redonner pendant quelques jours et qui m'a enthousiasmé au-delà de toute espérance. Il s'agissait du concert donné la Salle Cortot, par le
Centre de musique de chambre de Paris dirigé par Jérôme Pernoo.
J'encourage vivement ceux qui le peuvent à y aller, il y vivront une expérience fabuleuse, une soirée toute d'intelligence et de musicalité.
Bon d'abord, le "pitch" comme on dit :
LE QUINTETTE DE DVORAK
ou Une soirée chez Mrs. Thurber
Un concert-spectacle conçu et mis en espace par Jérôme Pernoo.
Horaire : 21h Durée : 1h
En 1892, Anton Dvořák débarque aux Etats-Unis. Il a été invité par Mrs. Jeanette Thurber, qui lui offre la direction du conservatoire de New York dont elle est la fondatrice. Nous voici donc avec Dvořák dans les salons de Mrs Thurber, pour une soirée d’accueil où chacun apporte à l’autre le cadeau de son folklore musical. D’un côté le Nouveau Monde avec ses ragtimes, ses gospels et ses chants indiens, de l’autre la vieille Europe avec ses airs populaires sublimés par le génie du compositeur, et ce quintette d’un classicisme universel.
Liya Petrova, violon
Raphaëlle Moreau, violon
Violaine Despeyroux, alto
Ivan Karizna, violoncelle
Guillaume Vincent, piano
Vendredi 12 janvier
Samedi 13
Jeudi 18
Vendredi 19
Samedi 20
Vendredi 26
Samedi 27 janvier
Le spectacle prend le prétexte d'une conversation (en anglais, sous-titré) entre Mrs Thurber et Dvorak pour nous faire découvrir différents aspects du travail que Dvorak allait accomplir en Amérique pour tenter de s'inspirer de son folklore. On entend un bel exemple de musique américaine du temps, encore toute inspirée de Mendelssohn, un larghetto de John Knowles Paine, puis des extraits d’œuvres de Dvorak où l'on peut ressentir une inspiration "folklorique" américaine, même si elle est tellement bien intégrée que je ne l'aurais jamais deviné si on ne me l'avait pas expliqué, preuves sonores en mains, ou plutôt en oreilles ! On entend ainsi le scherzo de la sonatine pour violon et piano op.100, le sublime mouvement lent du Quatuor américain op.96, l'Humoresque pour piano op.101, n°7 que plusieurs ont peut-être jouée ici (elle était très populaire chez les pianistes amateurs), et surtout l'intégrale du magnifique Quintette pour piano et cordes op.81, une œuvre très inspirée, de toute beauté, qui s'inscrit sûrement parmi les plus beaux quintettes du genre.
Mais que dire des jeunes interprètes ? Je n'aurai jamais assez d'éloges pour les féliciter de leur engagement, de leur flamme, de leur musicalité, de l'écoute constante qu'ils portent les uns aux autres. Le secret ? Peut-être et même surement, outre les dons et les talents qu'ils possèdent et développent chacun, le travail réalisé au Centre par Jérôme Pernoo, sur les pièces elles-même et le fait qu'il impose à ses musiciens de jouer entièrement par cœur, y compris le pianiste, ce qui se voit assez rarement en musique de chambre. Par ailleurs, les cordes (hormis le violoncelliste) ne s'assoient pas, mais jouent debout, en déambulant parfois, ce qui confère une grande liberté. Voilà probablement pourquoi le Quintette a été emporté avec une telle énergie à la fois fougueuse et pourtant domptée, voilà pourquoi mon cœur n'a cessé de bondir ou de soupirer tout au long de l'écoute, conquis par un tourbillon toujours précis ou par la tendresse du moment.
Les deux violonistes sont merveilleuses (dans la famille Moreau, Raphaëlle est la sœur du très médiatique et talentueux violoncelliste Edgar Moreau), l'altiste aussi, avec un très beau jeu, bien mis en valeur ; le violoncelliste a un son excellent, une belle expression dont on peut même juger par un court extrait du concerto pour violoncelle de Dvorak. Mais la surprise et l'enchantement viennent du pianiste, Guillaume Vincent. Surprise, parce que je ne le connaissais pas vraiment ; j'avais juste eu le temps de le voir accompagner récemment les sœurs Berthollet au Prodiges de la Musique ; apparemment, il tourne beaucoup avec elles, mais ce n'est pas cet aspect médiatique qui allait me donner une bonne opinion de lui, au contraire peut-être. D'ailleurs, médiatique, il pourrait l'être comme Khatia Buniatishvili : plutôt beau gosse, beau visage souriant, jambes musclées moulées dans un pantalon étroit, chemise de satin, une bague au majeur droit, des gestes très amples, une façon de se rapprocher du clavier en cambrant les reins, une énergie très visible dans le jeu, bref tout ce qui pourrait, un mauvais jour, me prévenir contre lui, me laisser croire qu'il n'y a là que des apparences, des postures, dignes des pires émissions du "prime time". Eh bien non. J'ai très rapidement capitulé devant l'intensité de son jeu, sa précision, son articulation, son sens du phrasé, les nuances, de l’énergie puissance 10 quand il le faut, mais aussi une merveilleuse sensibilité, une belle délicatesse (par exemple dans la si expressive Dumka du Quintette) ; il a joué les trois quarts du Quintette, non seulement sans regarder la partition puisqu'il n'y en avait pas, mais également sans regarder le clavier ou ses mains, avec la tête complètement tournée à droite, vers les cordes, communiant et communiquant avec elles de manière discrète mais qui a assuré cette belle unité de l'ensemble. Il y avait autant de plaisir à voir tous ces jeunes artistes jouer, vibrer, chanter, cavaler qu'à les entendre. L'ovation du public à la fin du Quintette a été à la hauteur de la qualité du spectacle offert.
Ce beau concert était précédé à 19h30 d'un autre concert, plus classique dans la forme, où l'on pouvait entendre Florian Hille, baryton et Tanguy de Williencourt, pianiste, dans les célèbres "Dichterliebe" ("Les Amours du poète") , le cycle de 16 lieder (mélodies pour une voix seule et piano) que le compositeur Robert Schumann a composés sur des poèmes de l’écrivain romantique allemand Heinrich Heine (Lyrisches Intermezzo, « Intermezzo lyrique », 1822-1823). Prestation de très grande qualité, même si la surabondance d'excellentes interprétations rend difficile toute nouvelle percée dans ce domaine. C'était quand même pour moi l'occasion de voir ce jeune et talentueux pianiste Tanguy de Williencourt, dont on parle beaucoup en ce moment. Sa gestuelle est très expressive et élégante, quoique d'une nature plus réservée que celle de Guillaume Vincent ; il a joué sa partie (la partie de piano des Dichterliebe est une pure merveille) avec beaucoup de sensibilité et de précision. Son partenaire de CD, le violoncelliste Bruno Philippe (nominé aux Victoire de la Musique 2018), lui tournait les pages. Que du beau monde !
Et pendant l’intervalle qui sépare le premier concert du second, selon un principe déjà éprouvé, une composition nouvelle était donnée devant qui voulait. Il s’agissait en l’occurrence de trois mélodies composées l’été dernier et chantées par Joseph Pernoo, le tout jeune frère de Jérôme, sur des poèmes de Baudelaire et Apollinaire. Des mélodies qui, musicalement, n’auraient pas dépareillé les nombreuses productions de ce type au tournant du XIXe-XXe siècle. Mais la beauté n’a pas d’âge, alors pourquoi pas ? C'est formidable de voir ces jeunes talents déjà déployés, même s'ils n'ont pas encore donné la pleine mesure de leur propre identité.