Faites-vous pleurer vos amis au piano ?

[jean-séb]

Je ne veux pas parler ici de la souffrance qu’on inflige parfois à l’auditoire à cause de nos fausses notes mais de l’émotion allant jusqu’aux larmes qu’on peut déclencher par la magie de la musique vivante, et cela de manière quelquefois parfaitement imprévisible. Notamment chez un public amical non spécialiste.

Hier soir, un couple de voisins et amis venaient prendre l’apéritif à la maison. Pas des connaisseurs de piano ; ils sont allés lors de leurs voyages entendre des opéras dans certains pays, avec plus ou moins d’ennui, ils assistent parfois à une retransmission du Met au cinéma quand c’est du Verdi ; je ne crois pas qu’ils soient jamais allés à un concert de piano. La dernière fois qu’ils étaient passés, Chantal m’avait demandé de lui jouer du piano. Je n’aime pas trop ça, généralement ; je n’ai jamais un morceau au point, j’ai toujours peur que le genre de musique que j’aime leur paraisse fastidieux ; je me dis intérieurement « On ne demande jamais à un peintre de peindre devant nous lors d’une soirée, pourquoi demande-t-on à un pianiste de jouer ? » tout en étant conscient de la faiblesse de l’argument. Mais ce sont de bons amis et je sais qu’ils demandent à m’entendre avec un véritable intérêt. Bref, la dernière fois, je m’étais mis au piano, après une demi-coupe de champagne (cf. le fil ad hoc !) et je m’étais mis à improviser dans un style un peu piano-bar dont je ne suis pourtant pas du tout spécialiste et ça leur avait beaucoup plu. Donc hier, rebelote, Chantal insiste pour que je mette au piano. « Tu n’as pas du Mozart ? » me demandent-ils. Non, je n’ai rien de parfaitement sous les doigts en ce moment et je n’avais pas envie de donner une mauvaise image de ce pauvre Mozart. Je leur propose alors un morceau que je travaille depuis quinze jours, un rondo écrit sur des motifs de Bellini, unissant des passages un peu tempétueux à des moments de pur « bel canto ». Je le joue en ajoutant quelques fausses notes de mon invention mais l’ensemble ne rend pas trop mal et au terme d’une petite dizaine de minutes, je ne suis pas trop mécontent. Je relève le nez et découvre Chantal les yeux rougis et humides, le visage également tout rouge, en proie à une violente émotion. Elle m’explique que la musique lui a fait monter tout un tas de sentiments et de souvenirs et une tristesse indicible l’a envahie. J’étais un peu gêné de cet effet inattendu de la musique. J’ai dû lui jouer ensuite quelque chose de carrément joyeux pour ne pas compromettre le reste de la soirée !

Cela m’a rappelé un autre épisode où un couple d’amis américains dinaient à la maison et m’avaient demandé de jouer de l’orgue. Ça, je le fais plus volontiers, car ça a un côté spectaculaire qui plaît bien, sans me demander de réelle compétence ni d’efforts : juste tirer les bons registres, et en avant pour une petite impro assez classique qui sent bon l’encens et les voûtes sacrées (grâce à l’effet « réverbération » de mon orgue !). Donc après mon petit show habituel, je me retourne de mon banc, et je vois Bill, un grand gaillard, un dur, habitué à la bière et aux larges rasades de whisky, en train de pleurer à chaudes larmes, alors que sa femme rigolait plutôt ! La musique l’avait touché à un point imprévu, et d’ailleurs ses larmes n’étaient pas des larmes de tristesse mais ces larmes d’émotion mal définie qui nous saisissent parfois quand on a l’impression de vivre par la musique quelque chose de particulièrement intense.

Pardon d’avoir été si long. Mais vous, vous est-il aussi arrivé la même chose : faire pleurer de manière imprévisible vos amis en jouant pour eux ?

[Oupsi]

Ça ne m'est jamais arrivé.

J'aimerais bien que ça m'arrive un jour...

(par contre je pleure volontiers en écoutant de la musique, y compris dans des rencontres informelles chez des amis. Tu peux m'inviter.)

[Jean-Michel Verdier]

Bonjour Jean Séb,

Eh bien… tu as bien de la chance. C'est une très belle expérience et qui doit faire plaisir à l'ego . Pour ça, il faut aussi avoir un très bon niveau et pouvoir improviser comme tu le fais (ce qui fait toujours impression sur un auditoire peu au fait du piano). La seule fois où ça m'est arrivé, c'était aussi des amis. J'ai joué un truc simple techniquement (le 1er mouvement de la sonate au Clair de lune) mais très approximatif vu que je ne l'avais pas joué depuis des lustres et que je n'avais rien de propre sous les doigts à ce moment là. A la fin, ils m'ont demandé si je donnais des concerts… Ca m'a laissé pantois

[jean-séb]

(par contre je pleure volontiers en écoutant de la musique, y compris dans des rencontres informelles chez des amis. Tu peux m'inviter.)

Message reçu !

La seule fois où ça m'est arrivé, c'était aussi des amis. J'ai joué un truc simple techniquement (le 1er mouvement de la sonate au Clair de lune) mais très approximatif vu que je ne l'avais pas joué depuis des lustres et que je n'avais rien de propre sous les doigts à ce moment là.

Tu as raison de le préciser. Ce n'est pas le niveau technique qui compte tant que ça, mais la musique, à la fois la qualité intrinsèque de la musique, et aussi, je crois, pour les publics moins connaisseurs, le fait d'entendre le vrai son d'un vrai piano, de près, dans une atmosphère amicale.

[Moderato Cantabile]

Déjà raconté en mars 2014 :

Tiens , j'en profite pour raconter une petite anecdote qui m'est arrivée il y a quelques années déjà. J'ai joué un soir pour une amie qui passait quelques jours à la maison . Nous étions seules et elle était assise derrière moi dans un fauteuil. Je ne me rappelle plus bien de ce que j'ai joué mais il est probable que j'aie terminé par le 1er mvt de la sonate au clair de lune (rien de moins sûr en fait ... )
Et quand je me suis retournée , mon amie était en larmes dans son fauteuil !
Je me suis tout de suite sentie très gênée d'avoir provoqué ses larmes mais elle m'a alors rassurée en me disant que la musique classique lui faisait toujours cet effet .
J'ai donc été très soulagée d'apprendre que je n'étais pas seule responsable de cette réaction si impressionnante ...

[Line-Marie]

J'étais la tutrice d'un élève de première Es qui faisait un essai de comparatif entre la façon d'enseigner au lycée et dans un conservatoire. Il avait rencontré mon prof de piano de l'époque, le directeur du conservatoire .....c'était un élève qui ne connaissait pas du tout la musique classique. Je propose à cet élève une rencontre avec le technicien qui s'occupe avec bonheur de mes deux pianos. À l'époque j'avais le Bechstein droit depuis quelques mois. JL Mascaro nous fait tout un cours sur la mécanique du Bechstein in visu. Il explique vraiment très bien et mon élève était ravi. Quand JL est reparti , mon élève me demande si je peux lui jouer quelque chose sur le Bechstein.
Il s'assied derrière moi à quelques mètres et je lui joue Reflet dans L'eau de Debussy...j'avais beaucoupbbeaucoup travaillé cette pièce et le mariage Debussy, Bechstein provoquait chez moi une très fort émotion.
Bref, je lui joue en entier. Quand c'est fini, je ne me retourne pas tout de suite. ..et je prends conscience que seul le silence m'entoure. En me retournant, je vois mon élève des larmes dans les yeux, incapable de parler. ...au bout d'un moment il me dit qu'il n'a jamais rien entendu d'aussi beau. ...Nos yeux brillent. ...je suis si heureuse d'avoir réussi à transmettre mon émotion. Cet élève est resté trois ans avec moi, de la seconde à la terminale.... sans tenir compte de mes conseils. ..et à partir de ce jour, il s'est mis à écouter de la musique classique. Il me demandait ce que je travaillais et je lui disais quel pianiste écouter sur YouTube. ....il a vraiment aimé la suite op 14 de BARTOK. ...
Je l'ai perdu de vue maintenant.
Et puis l'année passée, alors que je travaillais l'étude pour les Arpèges composés de Debussy, j'étais en cours avec ma prof de piano. Bon me dit elle , maintenant j'aimerais entendre l'Etude en entier.
Je m'exécute avec quelques erreurs et je laisse vraiment le dernier arpège résonner. ...et puis rien, pas une parole, rien. Pfffff. Encore complètement nul me dis je. ....je lève les yeux et elle me regarde intensément, les yeux pleins de larmes. ......j'ai fondu en larmes. ...et puis elle m'a dit : tu es prête à le jouer en public.

[mieuvotar]

Arriver à cela, c'est un sacré marqueur de compétence, de musicalité et de talent ! Ça doit aussi éminemment rassurer sur la totale possession, maîtrise que l'on a de la pièce jouée et plus encore des intentions du morceau. Et comme dit JMV, ça doit être un plaisir pour l'ego (aucune raison d'en priver). J'aimerais y parvenir un jour, mais je crains que ça ne me soit hors de portée...

Le seul que j'arrive à faire pleurer au piano, c'est moi-même, hélas. De rage et de désespoir.

Peut-être avec Le Petit Poney, un jour, si je trouve un/une auditeur/trice qui aura eu, dans une enfance lointaine, un violent traumatisme alors qu'il/elle faisait du poney et que ça lui fasse remonter des souvenirs douloureux en tête ?

[Line-Marie]

Non pas du tout, cela n'a rien à voir avec le talent ,la pleine possession du morceau ( sauf peut-être avec ma prof)
Pour l'expérience avec mon élève , je crois que d'abord il y a une connivence. Cet élève était aussi sensible que je le suis et certainement comme moi aux prises d'émotions fortes qu'il faut apprendre à gérer. Je ne pense pas que mon interprétation de Reflet dans L'eau de Debussy ,malgré mon travail, fut très bonne , mais pour mon élève j'ai accepté la mise à nu et je pense qu'il a compris que c'est rare pour un prof de faire cela. .... et il avait une très grande affection à mon égard.

[Anonyme]

Moi, il m'est déjà arrivé à deux reprises, avec le même morceau (prélude op 3 n°2 de Rachmaninoff) de faire pleurer des personnes connues et inconnues
La première fois, c'était dans une colonie de vacances, où le clavier était pourtant bas de gamme (absence de nuances)... il y avait beaucoup de monde, alors je ne l'ai pas vu... mais à la fin de la soirée, un homme est venu me voir, m'a félicité, et m'a "avoué" avoir pleurer lors de ma prestation...
La deuxième fois, en jouant ce morceau sur mon clavier, une amie à mes parents était là, m'a écouté, et (cette fois-ci j'étais témoin) a pleuré.
Pourtant, je joue ce morceau très superficiellement... mais bon j'avoue que je n'en suis pas peu fière

[Line-Marie]

Ça ne m'est jamais arrivé.

(par contre je pleure volontiers en écoutant de la musique, y compris dans des rencontres informelles chez des amis. Tu peux m'inviter.)

Si !!!!
Un jour chez toi, tu m'as joué un morceau de Brahms. C'était magnifique et quasiment parfait. ...j'ai ressenti une émotion énorme et j'avais les larmes aux yeux. C'est un souvenir fort !!!!!
et puis Beuvray 2014 Tolstoi -Bortkievich ,tout était beau, ta voix, le piano joué par Jean Seb. ...mon émotion était énorme et au moment de La Mort de la mère, je pleurais !!

Pardon Anonyme de poursuivre le post sans tenir compte de toi.
Je comprends que tu puisses émouvoir une personne avec ce beau prélude.

[Mona]

A part les faire pleurer de rire, non je crois pas !

Je pleure par contre très facilement en écoutant de la musique. Pas seulement à l'écoute de très grands interprètes, mais aussi quand le musicien parvient à transmettre son émotion même si l'exécution n'est pas parfaite. Et je suis de toutes façons toujours beaucoup plus touchée par un jeu un peu maladroit mais "vivant", que par un jeu techniquement parfait mais sans âme. Je ne pense pas que l'émotion suscitée chez l'auditeur soit en lien avec une maîtrise parfaite du morceau.

J'ai aussi été très remuée par le Tolstoi-Bortkievich. Je me suis retenue de pleurer tout le long, pour pas passer pour une grosse niaise. Et en fait tous les gens présents étaient très émus. La prochaine fois, je me laisserai aller et sangloterai bruyamment !!

@ Mieuvotar : les poneys sont ma première passion d'enfant !!! Et au concours Kiri, dont le 1°prix était un poney, mon rêve absolu, j'ai fini 2°, et j'ai gagné... des albums à colorier.... Tu tiens ta chance !!

[Lee]

Je ne veux pas parler ici de la souffrance qu’on inflige parfois à l’auditoire à cause de nos fausses notes

Ah mince, je peux rien contribuer alors !

Merci pour ces belles histoires.

[André Quesne]

Eh bien ça m'est arrivé aussi lors d'une visite à Nohant.
Parmi les visiteurs j'avais été invité à jouer sur le piano droit de George Sand. Il s'agissait d'un Nocturne de Chopin.
Ne connaissant personne parmi le public et étant pris par surprise je n'ai eu aucun trac. Curieux non ? La tension n'a probablement pas eu le temps de s'installer contrairement à mes habitudes...
A la fin du morceau en rejoignant les visiteurs, je constatais à ma grande surprise et à celle de mes petits enfants à mes côtés qu'une femme pleurait !
Le piano assez bien accordé malgré la pédale qui grinçait, le lieu représentatif de Chopin avec George Sand avaient déclenché une grande émotion sur cette personne.
Voilà un instant magnifique que je n'oublierai jamais !

[TRUBLION]

Pas plus tard qu'hier après-midi.

Après un bon repas, le cerveau embué, avec les conséquences digitales que l'on imagine, je me lance dans un petit Yann Tiersen. Devant l'abondance des fausses notes j'arrête.

Ma petite fille, 20 mois, avec les quelques mots qu'elle possède: "encore".

Je reprends donc. A la fin de l'envoi: "bravo".

La morale de l'histoire: la vérité sort de la bouche des enfants !

[AnneB]

Vous avez beaucoup de chance!

[Caralire]

Et par élève interposés ça compte?

Mon amie avait les yeux rougis de voir sa fille jouer devant une assistance, s'appliquer, et réussir. Et moi, je suis super fière d'être celle qui lui a appris

J'ai lu de très belles histoires. C'est un joli sujet.

[Wandarnok]

Et par élève interposés ça compte?

Mon amie avait les yeux rougis de voir sa fille jouer devant une assistance, s'appliquer, et réussir. Et moi, je suis super fière d'être celle qui lui a appris

J'ai lu de très belles histoires. C'est un joli sujet.

[sheldon van zuma]

non personellement je ne fais pas pleurer, mais j'ai assisté à un concert, je me souviens juste que la fin du concert concernait des oeuvres de DEBUSSY ou RAVEL, j'étais assez proche du pianiste, c'était à MONTPELLIER il y a bien longtemps, et j'avaisl la chance de visualiser les efforts du pianiste, pour lui ce n'était pas un effort évidemment, je lisais ces gestes avec avidité, et je ne sais pas pourquoi, j'ai fondu en larmes, inarrêtable, j'avoue encore je ne comprends pas, j'évite d'écouter DEBUSSY RAVEL, je suis vraiment stupide car j'adore mais bon c'est déstabilisant pour un grand gaillard comme moi, telle est la réalité,, c'était la fin du concert, une personne qui était derrière moi que je ne connaissais pas m'a mis sa main sur mon épaule et je suis reparti tout penaud, les yeux tous rougis, bon comme quoi certaines notes peuvent transmettre des émotions énormes et inconnues

[Spianissimo]

Tiens, je découvre ce fil et ça a fait tilt, amusant ce genre de petites anecdotes....
ça m'est arrivé avec le parrain de mon épouse, la première fois qu'il est venu à la maison, il m'a avoué être sensible à la musique en général et au piano en particulier, il est choriste, je me suis donc fait un plaisir de lui jouer un peu de piano (à l'époque j'avais un piano numérique). J'apprenais à ce moment là le fameux "Rêve d'Amour" de Liszt que je maîtrisais très moyennement pour être très honnête.
Dés que j'ai eu fini de jouer, je me retourne, j'allais platement m'excuser en prétextant que le morceau était un peu au dessus de mes moyens et que je n'étais pas tout à fait prêt à le jouer en public, mais je ne l'ai pas fait car, j'ai tout de suite vu son visage décomposé, il était sidéré... des larmes sincères coulaient sur les joues de ce grand barbu....je ne l'avais pas prévenu de ce que j'allais jouer en me mettant au piano, il m'a expliqué que ce morceau était un souvenir très particulier lié à un amour de jeunesse avec une fille tchèque et qu'il a été saisi aux tripes dés le début par la mélodie...
Bon, je dois avouer que ce fût très plaisant et valorisant comme expérience...

[pianojar]

Il paraît que la première fois où Chopin entendit sa mère chanter il fondit en larmes