Poisson de 1er novembre?

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Oupsi
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

il y a sans doute autant de lectures que de lecteurs.
Pour moi, l'ancienne expression était assez transparente quant à la transaction économique en question (avec tout ce que cela suppose, juxtaposition de besoins, dépendance, aliénation), aspect qui est très joliment escamoté dans "prête-plume", car en réalité personne ne prête dans ces contextes, mais vend et achète. Écrivain fantôme, c'est pareil; le travail en question n'est pas fantomatique; il est réel et rétribué en pur argent, mais privé de la plus-value du prestige, qui, elle, est immatérielle, fantomatique et fruit de nos identifications et passions collectives.
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Lee
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

jean-séb a écrit :Crois-tu que la majorité des blacks de France se soucient vraiment de ce mot ? J'en doute fort.
Pas concernant le mot négre qui a la limite me gêne moins quand utilisé pas dans un sens pejoratif. Mais l'expression "nègre littéraire," oui, je crois fortement que la majorité des noirs en France choisiraient d'en finir avec cette expression s'ils pouvaient. CRAN est pour cette petition demandant à l'Académie Française d'utiliser d'autres expressions, et elle était signé par plus que 20 000 il y a un jour (actuellement le serveur de Change a des soucis.)
Oupsi a écrit :Pour moi, l'ancienne expression était assez transparente quant à la transaction économique en question (avec tout ce que cela suppose, juxtaposition de besoins, dépendance, aliénation), aspect qui est très joliment escamoté dans "prête-plume", car en réalité personne ne prête dans ces contextes, mais vend et achète. Écrivain fantôme, c'est pareil; le travail en question n'est pas fantomatique; il est réel et rétribué en pur argent, mais privé de la plus-value du prestige, qui, elle, est immatérielle, fantomatique et fruit de nos identifications et passions collectives.
Le souci est que du coup on continue à associer "Noir" avec un travail mal payé ou pas payé ou comme le sens original donné par l'Académie française : "en langage d'atelier, un auxiliaire qu'on emploie pour préparer un travail, pour en executer la partie en quelque sorte mécanique". J'ai vu dans cet article aussi "écrivain à gage" L'article explique aussi que l'expression a commencé quand un journaliste voulait défamer Alexandre Dumas.
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jean-séb
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par jean-séb »

Lee a écrit : Mais l'expression "nègre littéraire," oui, je crois fortement que la majorité des noirs en France choisiraient d'en finir avec cette expression s'ils pouvaient. CRAN est pour cette petition demandant à l'Académie Française d'utiliser d'autres expressions, et elle était signé par plus que 20 000 il y a un jour (actuellement le serveur de Change a des soucis.)
Le rôle de l'Académie française, bien faible d'ailleurs, n'est pas de faire la police de la langue mais de se faire le greffier de l'usage. Donc si l'usage change, l'Académie enregistrera ce changement, à son rythme, qui est celui d'un escargot. La lettre N de l'édition en cours du dictionnaire est déjà passée, et je crains qu'il faille attendre un bon bout de temps (disons une cinquantaine d'années) avant qu'elle y revienne. Quel sera l'usage dans 50 ans ?
Déjà "nègre littéraire" est une concession au politiquement correct. Dans mon jeune temps, on disait "nègre" tout court, et c'est d'ailleurs ainsi que le mot est consigné dans l'édition actuelle du Dictionnaire de l'Académie : Fig. et fam. Au masculin. Écrivain qui prépare ou rédige un ouvrage publié sous la signature d'une personnalité connue.
Anecdote personnelle. Dans ma famille, le mot "nègre" pour désigner un "noir" était semble-t-il tabou, je ne me rappelle pas l'avoir jamais entendu ; je dois dire que dans la banlieue où j'habitais dans les années 50-60, je ne rencontrais pas de noirs non plus ; le premier "noir" que j'ai côtoyé était un copain en Math Sup, mon meilleur copain d'ailleurs. Par contre, dans ma famille, on utilisait le mot "nègre" au sens de "nègre littéraire", et c'était donc pour moi la seule acception du mot que je connaissais. Le mot me paraissait donc tout à fait normal.
Lazur84
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lazur84 »

Bon je m'étais juré d'arrêter avec ce débat (trop long de développer ses idées sur un forum) mais de nouveaux messages relancent ma passion...

@Lee Ce que tu avais dit sur le communautarisme est intéressant par rapport l'histoire de la France qui m'est encore pas bien connu, mais je trouve que tu n'as pas vraiment expliqué ce qu'il est exactement. Enfin je ne dis pas forcément que telle communauté penserait d'une façon ou une autre, je trouve intéressant quand les opinions diffèrent et je trouve souhaitable d'y rester sensible.
La définition Larousse de communautarisme est nullissime : "Tendance du multiculturalisme américain qui met l'accent sur la fonction sociale des organisations communautaires (ethniques, religieuses, sexuelles, etc.)." Bon, je ne comprends toujours pas ce que ça veut dire, mais ce mot toujours me semble une matraque pour que les minorités fassent ce que la majorité veut, sans questions[/quote]
La définition n'est pas si nulle, mais elle n'explique le communautarisme qu'en un lieu et surtout qu'en une époque donnée, la nôtre (ce qu'on ne peut pas reprocher à un dictionnaire de langue puisque c'est précisément sa fonction : il ne permet pas de connaître l'histoire d'un mot ni d'un concept, seulement sa définition dans la langue actuelle). Je donne quelque précisions : comme je l'ai déjà dit, Voltaire, au XVIIIème siècle, en exil à Londres, admire l'esprit de tolérance en Angleterre, qui laisse chaque religion exerce son culte. Il est particulièrement étonné de voir que différentes communautés religieuses s'entendant pour faire du commerce à la Bourse de Londres, je cite le chapitre 6 des Lettres philosophiques : "Quoique la secte épiscopale et la presbytérienne soient les deux dominantes dans la Grande-Bretagne, toutes les autres y sont bien venues et vivent assez bien ensemble, pendant que la plupart de leurs prédicants se détestent réciproquement avec presque autant de cordialité qu’un janséniste damne un jésuite.
Entrez dans la Bourse de Londres, cette place plus respectable que bien des cours ; vous y voyez rassemblés les députés de toutes les nations pour l’utilité des hommes. Là, le juif, le mahométan et le chrétien traitent l’un avec l’autre comme s’ils étaient de la même religion, et ne donnent le nom qu’à ceux qui font banqueroute ; là, le presbytérien se fie à l’anabaptiste, et l’anglican reçoit la promesse du quaker. Au sortir de ces pacifiques et libres assemblées, les uns vont à la synagogue, les autres vont boire ; celui-ci va se faire baptiser dans une grande cuve au nom du Père par le Fils au Saint-Esprit ; celui-là fait couper le prépuce de son fils et fait marmotter sur l’enfant des paroles hébraïques qu’il n’entend point ; ces autres vont dans leur église attendre l’inspiration de Dieu, leur chapeau sur la tête, et tous sont contents.
S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses."

Voilà je pense l'origine du communautarisme : point positif : chacun se tolère, laisse l'autre exercer son culte, bref tout le monde vit sa vie sans être embêté (à l'inverse de ce qui se passe en France à la même époque : exil des Protestants (en Angleterre !), violents conflits entre jésuites et jansénistes, j'en passe... Point négatif : bon en fait, on s'entend surtout pour faire du commerce, mais pour le reste c'est chacun dans son coin, tout le monde a le droit de vivre mais il n'y a aucun échange entre les différentes communautés : pas de valeurs culturelles communes, chacun s'accepte sans vraiment s'intéresser à l'autre.
Le communautarisme est une composante culturelle de l'Angleterre et des Etats-Unis aujourd'hui (et dans une moindre mesure de l'Europe plus récemment) : comme tu le dis, on peut penser qu'il repose sur l'acceptation des différences de chacun. En fait, on constate aujourd'hui surtout ses limites : comme il ne propose aucun projet commun (seulement différents projets de groupes comme "acceptez-nous parce que nous sommes différents"), il exacerbe les antagonismes, les luttes d'influence entre communautés, et caricature les débats (chaque individu ne définissant plus comme individu ayant une pensée propre mais comme individu appartenant à une communauté, il défend les principes- nécessairement simplifiés - de sa communauté) = Le débat s'appauvrit, la société n'étant plus constituée que de différents groupes portant chacun une parole caricaturale et simplifiée. Conséquences : 1/ Le groupe prime sur l'exercice de la raison personnelle 2/ Le débat social est pauvre, alimenté par les clichés véhiculés par et sur chaque communauté 3/ Chaque communauté ne défend plus que ses intérêts, au détriment d'un communauté plus large, celle du pays entier, dont l'unité est mise en question 4 / Le communautarisme favorise au fond le repli sur soi.
Lee a écrit :Le souci est que du coup on continue à associer "Noir" avec un travail mal payé ou pas payé ou comme le sens original donné par l'Académie française : "en langage d'atelier, un auxiliaire qu'on emploie pour préparer un travail, pour en executer la partie en quelque sorte mécanique".
Si on n'est pas trop bête et qu'on a quelque rudiment du culture, on associe "Noir" avec travail pas payé au XVIIIème car esclavage. Je le répète, mais toute langue vivante est chargée de clichés, dans ses mots, son orthographe et sa grammaire, parce qu'elle reflète les idées de tous les hommes qui la pratiquent et l'ont pratiquée.
Exemples qui me viennent :
- Etymologie du mot "sauvage" : Sylva = la forêt )= le sauvage est celui qui vient de la forêt, autrement dit qui se conduit comme une bête, qui n'est pas civilisé = Ethnocentrisme
- barbare : désigne chez les Grecs l'étranger, celui dont la langue n'est pas compréhensible et fait des "baerbaerbaerber" grossiers et indistincts = Ethnocentrisme, rejet de l'autre
- hystérique : adjectif formé sur le grec hystericus (utérus) : qualifie l'attitude colérique d'une femme qui se laisse emporter par ses hormones = Sexisme
- règle d'orthographe en français : "le masculin l'emporte". Ex : Pierre et Marie sont très contents (et non pas "contentes")= sexisme
- Nombreux mots n'existant pas au féminin (ou tout récemment avec un e mais ça fait bizarre) : docteur, professeur, écrivain, etc = sexisme
- mots n'ayant pas le même sens au masculin qu'au féminin : coureur = sportif (mais coureuse = ...), courtisan = qui appartient à la cour du roi (mais courtisane = ...) etc = sexisme
Bref, la liste est longue et non exhaustive, et s'il fallait que la "communauté des femmes" propose une pétition pour réformer la langue, on n'en aurait pas fini et ce serait un peu ridicule.
Lee a écrit :ai vu dans cet article aussi "écrivain à gage" L'article explique aussi que l'expression a commencé quand un journaliste voulait défamer Alexandre Dumas.
J'ai suivi ton lien mais je trouve l'article assez mauvais et surtout peu renseigné. En tout cas, il ne contredit pas ce que j'ai lu dans le Dictionnaire d'Alain Rey : j'y apprend juste que c'est un journaliste qui l'aurait employé pour la première fois à l'égard d'Alexandre Dumas, pour dénoncer l'usurpation consistant à avoir signé des livres sans les avoir écrits : bref, le travail du nègre qui fabrique le sucre ou le coton pour le colon...
Lee a écrit :Je vis maintenant dans un pays qui veut toujours garder l'expression "nègre litteraire" malgré ses Noirs qui ne la veulent plus
Tss tss gare aux amalgames ! Tous les gens de France ne sont pas pour conserver l'expression "nègre littéraire", j'en veux pour preuve la pétition que tu signales. Quant aux Noirs qui, d'un bloc, ne la voudraient plus... Bon, plus prosaïquement, je dirais que la plupart des gens s'en fout mais que tu vis quand même dans un pays où le débat est (encore) possible (au moins sur ce forum :wink: )
Line-Marie

Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Line-Marie »

Merci Lazur84 de prendre le temps d'expliquer de façon si claire. Je lis avec intérêt tout cet échange passionnant.
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Lee
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Oui, merci pour avoir pris le temps d'écrire et l'explication de ce qui veut dire communautarisme. Mais je suis en absolument désaccord avec tes conclusions :
Lazur84 a écrit :En fait, on constate aujourd'hui surtout ses limites : comme il ne propose aucun projet commun (seulement différents projets de groupes comme "acceptez-nous parce que nous sommes différents"), il exacerbe les antagonismes, les luttes d'influence entre communautés, et caricature les débats (chaque individu ne définissant plus comme individu ayant une pensée propre mais comme individu appartenant à une communauté, il défend les principes- nécessairement simplifiés - de sa communauté) = Le débat s'appauvrit, la société n'étant plus constituée que de différents groupes portant chacun une parole caricaturale et simplifiée. Conséquences : 1/ Le groupe prime sur l'exercice de la raison personnelle 2/ Le débat social est pauvre, alimenté par les clichés véhiculés par et sur chaque communauté 3/ Chaque communauté ne défend plus que ses intérêts, au détriment d'un communauté plus large, celle du pays entier, dont l'unité est mise en question 4 / Le communautarisme favorise au fond le repli sur soi.
Au contraire, je trouve les "communautés" aux Etats-Unis plus solidaires ensemble pour les questions importantes des droits et la lutte ensemble pour l'égalité, et je trouve au contraire qu'il y a beaucoup plus d'échange et partage entre ses communautés. Et au contraire je trouve qu'on écoute les communautés plus, et qu'il y a plus de débat sur ces sujets, mais effectivement je ne vois pas la même phénomène en France. C'est parlant que ce mot "communautarisme" n'existe pas aux Etats-Unis, je crois toujours que cette vision négatif avec l'étiquette "communautarisme" joue un rôle important, c'est une excuse pour négliger ou rejetter les perceptions différentes donnés par des minorités. Je me demande si les communautés en France seraient plus solidaires avec une vision plus large s'ils étaient plus respectés ou simplement plus écoutés. En tout cas, leurs divisions servent à garder en place ce qui est contre eux. Comme en France, les feministes sont complètement séparés de CCIF. Diviser pour regner.

On en parle souvent dans les cours d'histoire aux Etats-Unis concernant l'esclavage : c'était important de maintenir le racisme et d'associer l'esclavage à être Noir, pour éviter que les Blancs démunis et pauvres se mettent ensemble avec les esclaves pour lutter et combattre le système ensemble. Et c'est probablement pour cette raison que je suis aussi sensible (et que je trouve odiex) l'association de "Noir" avec l'esclavage ou servitude ou exploitation.
Lazur84 a écrit :Tss tss gare aux amalgames ! Tous les gens de France ne sont pas pour conserver l'expression "nègre littéraire", j'en veux pour preuve la pétition que tu signales. Quant aux Noirs qui, d'un bloc, ne la voudraient plus...

OK mais étant donné que je n'ai toujours trouvé personne pour signer la pétition :mrgreen: et que nous les têtes différentes ne sont ni très nombreux ni très vocales sur le forum même si j'essaie de recompenser par être hyper vocale :twisted: je me pose des questions concernant la perception des choses quand on est différent, sur ce sujet comme les autres. (De même que je ne suis pas sensible à l'usage de masculin et feminin dans les écrits en français par contre je suis sensible à un point de vue feministe comme tu prends, donc je me suis déjà dit après ton message sur Khatia Buniatishvili, soit elle est une femme soit elle est un homme feministe.)
Lazur84 a écrit : j'y apprend juste que c'est un journaliste qui l'aurait employé pour la première fois à l'égard d'Alexandre Dumas, pour dénoncer l'usurpation consistant à avoir signé des livres sans les avoir écrits : bref, le travail du nègre qui fabrique le sucre ou le coton pour le colon...
Mais tu aimes les choses équivoques ou compliquées, je me permets d'insister que l'histoire de ce mot est bien plus compliqué (et pertinent) que ça. Eugène de Mirecourt n'était pas un simple journaliste qui dénonçait l'usurpation du travail, il écrivait pour un pamphlet raciste voulant diffamé Dumas. Il a écrit (extraits des écrits ailleurs si j'ai bien compris) :
Grattez l’écorce de M.Dumas et vous trouverez le sauvage», «Le marquis joue son rôle en public, le nègre se révèle dans l’intimité. […] Le beau sexe, admirant l’éclat d’un nom splendide, […] ne tarde pas à recourir au flacon d’éther pour neutraliser certain parfum suspect qui vient se mêler indiscrètement au charme du tête à tête: -Nègre!»
Et pour le reste je prend directement de l'article de Slate:
Pour son pamphlet, Eugène de Mirecourt est condamné à six mois de prison et à une amende pour diffamation. A côté du mot «nègre», on appellera aussi les auteurs de l'ombre les «marmitons de la cuisine de l'ogre Dumas, représenté avec une grosse cuiller et un chaudron», selon Jean-yves Mollier.

Plus tard, le fils d'Alexandre Dumas dira lui-même de son père qu'il était un «mulâtre qui a des nègres». L’expression restera, adoptée par les maisons d'édition et reprise par les médias. Le politiquement correct oblige aujourd'hui, au mieux, aux guillemets et à l'ajout de l'adjectif «littéraire» à celui qui était juste «nègre» hier.


Je ne sais pas comment vous trouverez cet article de Slate, mais je trouvais très juste son opinion à la fin alors je le cite :
Evidemment, on pourra juger qu'un faible revenu et un manque de reconnaissance n'équivalent pas à des déportations, des viols, du travail forcé, des meurtres et j'en passe. Mais ce n'est peut-être qu'une question de vocabulaire.
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Oupsi
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

Pour moi ce n'est pas la question. La personne déportée n'a pas choisi la déportation, alors que le prête-plume signe un contrat et jusqu'à preuve du contraire ce n'est pas sous la menace.
Tu vas me dire que je radote, mais bon: l'article de Slate révèle clairement l'existence d'un double mépris: le mépris à l'égard du prête-plume (puisqu'il renonce librement à son nom) et le mépris des contemporains de Dumas à l'égard de cet auteur (ce qui choquait les racistes, ce n'est pas le recours à des prête-plume en tant que tel, mais le recours à des prête plume par un auteur métis, c'est-à-dire l'exercice d'un privilège que ces personnes racistes estimaient réservé à la caste des blancs).

Je crois qu'aujourd'hui encore il y a un certain mépris pour les prête-plumes; mais pas tellement lié au fait qu'ils soient "mal payés", à mon avis c'est davantage lié au fait qu'ils écrivent pour un autre, qu'ils renoncent à leur nom et qu'ils participent à une imposture pour de l'argent. Mais ce n'est pas un mépris "vide" ou essentialiste, il a une fonction précise. Les termes méprisants sont une barrière de distanciation que les soi-disant "purs" dressent entre eux et les "impurs" qui connaissent leur secret ("tu n'as pas écrit ce livre"). Il y a toujours une fonction économique, de préservation des privilèges dans ces choses là. Ça s'appelle le cynisme. C'est pourquoi le vocabulaire raciste dans ce cas définit les deux pans d'un même volet, et le volet c'est le contrat, la transaction. Ce n'est pas pour rien que les maisons d'édition emploient ces mots sans états d'âme, elles gèrent exactement ça, l'argent, le narcissisme coupable et les privilèges des auteurs-qui-n'écrivent pas-eux-mêmes-leurs-livres.
Lazur84
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lazur84 »

Comme je ne suis pas une spécialiste du communautarisme (en fait, je suis prof de Lettres, je suis fiable sur les questions de langue française et de littérature, mais pas plus que tout un chacun sur les phénomènes de société), je me suis un peu documentée (bon, que sur wikipédia, je n'ai rien lu de la part de spécialistes de la question) pour mieux comprendre ce que tu disais :
Lee a écrit :C'est parlant que ce mot "communautarisme" n'existe pas aux Etats-Unis, je crois toujours que cette vision négatif avec l'étiquette "communautarisme" joue un rôle important, c'est une excuse pour négliger ou rejetter les perceptions différentes donnés par des minorités. Je me demande si les communautés en France seraient plus solidaires avec une vision plus large s'ils étaient plus respectés ou simplement plus écoutés. En tout cas, leurs divisions servent à garder en place ce qui est contre eux. Comme en France, les feministes sont complètement séparés de CCIF. Diviser pour regner.
Je comprends mieux ce que tu veux dire en lisant cette définition sur Wikipédia : "Le terme vient du latin « communis », formé de « cum » qui signifie « avec, ensemble » et de « munus » signifiant « charges, problèmes, dettes ». D'un point de vue strictement étymologique, le communautarisme désigne donc le fait de se mettre ensemble pour affronter des problèmes communs. Le mot serait apparu aux États-Unis dans les années 1980. Mais selon le militant contre le racisme Louis-Georges Tin, le mot y serait jusqu'à aujourd'hui très peu utilisé, mis à part dans les milieux ultra-conservateurs. En France, le mot était quasiment absent dans la presse jusqu'en 1994. Entre 1994 et 1995, la fréquence du terme dans les dépêches AFP est soudainement multipliée par 15 ; puis entre 2001 et 2002, la moyenne annuelle est encore multipliée par 7. Selon Fabrice Dhume, si le terme est au départ surtout appliqué à des musulmans, il est rapidement appliqué dans certains discours politiques et médiatiques également à d'autres situations et d'autres communautés (noires, asiatiques...etc), mais quasiment toujours dans un sens péjoratif... En France, le terme s'emploierait de manière péjorative et généralement idéologique pour désigner une sorte de menace qui pèserait sur la nation et les droits de l'homme, et qu'on oppose de façon équivoque autant au républicanisme qu'à la laïcité, au nationalisme, à l'universalisme ou à l'individualisme"
Donc dans ce sens, le terme de "communautarisme" peut être effectivement une étiquette, dans le discours du FN par exemple à l'égard des Musulmans, qui chercherait à alimenter les fantasmes de menace contre la nation.

Mais je lis aussi cette définition dans le même article : "Le communautarisme est une philosophie dite « communautarienne » qui soutient que « l'individu n'existe pas indépendamment de ses appartenances, qu'elles soient culturelles, ethniques, religieuses ou sociales...Gil Delannoi, chercheur au CEVIPOF, le définit ainsi : « si le nationalisme est une obsession de la Nation, le communautarisme est une obsession de la communauté ». Le communautarisme place une communauté hiérarchiquement au-dessus des autres et exige une forte cohésion de ses membres dans la quasi totalité des aspects de leur vie. S'y ajoute une différenciation compétitive voire combattante avec d'autres entités nationales ou communautaires...Pour les républicains, le communautarisme remet en cause l’espace public neutre, et empêche l’individu de se définir ou de se redéfinir : une fois membre d’une communauté, il devient difficile d’en sortir"
C'est bien dans ce sens que j'utilisais le mot "communautarisme", car je trouve cette philosophie réductrice : par exemple, si je suis gay (ou autre) et que je considère que j'appartiens avant tout à la communauté gay, je réduis mon identité à ma sexualité, je ne me reconnais que dans la compagnie de mes semblables. Or, je suis gay mais aussi plein d'autres choses. De même, si je suis noire, que j'appartiens à la communauté des Noirs qui s'estime blessée par le terme "nègre littéraire", mais que moi, à titre personnel, je ne me sens pas blessée par ce terme, l'esprit communautaire m'oblige quand même à penser comme le groupe, et pire, les individus extérieurs à la communauté noire vont penser, puisque j'appartiens à cette communauté, que je partage toutes les valeurs de la communauté. J'en conclus qu'en revendiquant une appartenance à une quelconque communauté, ma liberté de penser se restreint dans un double mouvement, chacun alimentant l'autre : je pense uniquement en tant que gay / noire / autre... on me perçoit uniquement en tant que gay / noire / autre.

Lee a écrit :Au contraire, je trouve les "communautés" aux Etats-Unis plus solidaires ensemble pour les questions importantes des droits et la lutte ensemble pour l'égalité, et je trouve au contraire qu'il y a beaucoup plus d'échange et partage entre ses communautés. Et au contraire je trouve qu'on écoute les communautés plus, et qu'il y a plus de débat sur ces sujets, mais effectivement je ne vois pas la même phénomène en France.
Il y a sans doute du vrai, tu es mieux placée que moi pour parler des Etats-Unis ! Mais de ma petite lorgnette, je constate quand même que le problème des minorités est important au Etats-Unis et que le système a quand même sa part d'hypocrisie : on écoute peut-être plus les communautés aux Etats-Unis, mais on a aussi un président qui prête serment sur la Bible : voilà qui interpelle pour le moins la française de culture laïque que je suis... Bon, au sujet de la laïcité française, on peut aussi prendre ses distances : c'est une belle idée au départ mais ces derniers temps je trouve que cette laïcité devient bien dogmatique et véhémente (les élèves français doivent par exemple signer chaque année une "charte de la laïcité", les hommes politiques ne parlent que de "pacte républicain"... )
Lee a écrit :Mais tu aimes les choses équivoques ou compliquées, je me permets d'insister que l'histoire de ce mot est bien plus compliqué (et pertinent) que ça. Eugène de Mirecourt n'était pas un simple journaliste qui dénonçait l'usurpation du travail, il écrivait pour un pamphlet raciste voulant diffamé Dumas. Il a écrit (extraits des écrits ailleurs si j'ai bien compris) :
Grattez l’écorce de M.Dumas et vous trouverez le sauvage», «Le marquis joue son rôle en public, le nègre se révèle dans l’intimité. […] Le beau sexe, admirant l’éclat d’un nom splendide, […] ne tarde pas à recourir au flacon d’éther pour neutraliser certain parfum suspect qui vient se mêler indiscrètement au charme du tête à tête: -Nègre!»
OK, j'ai pris la peine de lire l'article Slate que tu mets en lien : comme il est un peu orienté dans sa tournure, j'ai comparé avec l'article Wikipédia sur "nègre littéraire" qui est plus neutre, j'ai plus l'impression qu'on me laisse penser ce que je veux : "Le mot « nègre », dérivé de l’adjectif latin « niger » (« noir »), désigne par métonymie l’homme à la peau noire, l’Africain d’origine subsaharienne. Le mot « nègre » est aujourd’hui chargé de connotations négatives et pour cela remplacé par « noir », sauf raisons particulières comme une revendication identitaire par exemple (cf. la négritude). En relation avec la situation sociale des esclaves déportés par la traite des Noirs dans le monde occidental à partir du xvie siècle, et par extension, le mot « nègre » désigne dès le xviie siècle un homme que l’on fait travailler très durement et sans respect, le plus souvent dans les champs ou comme domestique. C’est de cette fonction servile dans laquelle l’exploité n’a droit à aucune reconnaissance que viendra par analogie, au xviiie siècle, le sens d’auxiliaire qui effectue le travail d’un commanditaire qui s’en attribue le profit... le dictionnaire Le Robert donne 1757 pour la première occurrence de ce sens, sans indiquer chez quel auteur ou dans quelle œuvre. On a alors la définition moderne d’une pratique très ancienne, associée par exemple à Alexandre Dumas père et qu’illustre le mot prêté à son fils : « Dumas ? Un mulâtre qui a des nègres. » C’est d’ailleurs Eugène de Mirecourt qui a vraiment lancé le terme dans son pamphlet sur Dumas en 1845."
Ce que j'en conclus : le terme dans cette acceptation apparaît bien au XVIIIème siècle, et n'est pas chargé de connotations racistes, il est simplement descriptif par l'usage qu'il fait de la métaphore de l'esclavage. C'est Eugène de Mirecourt qui le popularise, c'est vrai, dans un sens raciste, puisqu'il souligne avec ironie le fait que Dumas, qui était de sangs mêlés, ait lui-même des nègres. Comme l'ont déjà dit plusieurs PMistes avant moi, tout dépend de ce qui emploie les mots et dans quelle intention.
Lee a écrit :par contre je suis sensible à un point de vue feministe comme tu prends, donc je me suis déjà dit après ton message sur Khatia Buniatishvili, soit elle est une femme soit elle est un homme feministe.)
Je suis une femme féministe :wink: ... Mais qui ne souhaite surtout pas effacer les traces de sexisme de ma langue : cette présence témoigne de notre histoire à tous et j'aurais peur qu'en les supprimant, on efface notre mémoire... et puis aussi, j'admets qu'elles m'amusent, mais je ne suis peut-être pas très sérieuse :D
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Lee
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Oupsi a écrit :Pour moi ce n'est pas la question. La personne déportée n'a pas choisi la déportation, alors que le prête-plume signe un contrat et jusqu'à preuve du contraire ce n'est pas sous la menace.
Tu vas me dire que je radote, mais bon: l'article de Slate révèle clairement l'existence d'un double mépris: le mépris à l'égard du prête-plume (puisqu'il renonce librement à son nom) et le mépris des contemporains de Dumas à l'égard de cet auteur (ce qui choquait les racistes, ce n'est pas le recours à des prête-plume en tant que tel, mais le recours à des prête plume par un auteur métis, c'est-à-dire l'exercice d'un privilège que ces personnes racistes estimaient réservé à la caste des blancs).
Tu vas me dire que je radote aussi :) mais je trouve que c'est exactement la question et le problème de l'utiliser aujourd'hui, c'est trop chargé des sens comme esclavage. Par contre comme tu expliques, l'expression telle qu'écrit à l'époque de Dumas est forcement avec tous le sens du mépris suggéré. Aujourd'hui pour garder cette connotation de mépris,
Oupsi a écrit :ils participent à une imposture pour de l'argent
c'est possible d'utiliser un mot utilisé par Voltaire : "blanchisseur"! (Wikipedia)
Lazur84 a écrit :(en fait, je suis prof de Lettres, je suis fiable sur les questions de langue française et de littérature, mais pas plus que tout un chacun sur les phénomènes de société)
:oops: Alors je m'excuse d'abord pour t'avoir infligée un débat avec mon français et je te remercie d'avoir continué jusque là en passant par Césaire et Orwell, on a fait des détours émouvants.

Il me semble avoir lu l'article de Wikipedia sur le communautarisme il y a quelques temps mais j'apprécie le rappel, ça m'explique aussi ma perception de l'usage négatif, car je suis arrivée en France en 2000.
Lazur84 a écrit :"Le communautarisme est une philosophie dite « communautarienne » qui soutient que « l'individu n'existe pas indépendamment de ses appartenances, qu'elles soient culturelles, ethniques, religieuses ou sociales...Gil Delannoi, chercheur au CEVIPOF, le définit ainsi : « si le nationalisme est une obsession de la Nation, le communautarisme est une obsession de la communauté ». Le communautarisme place une communauté hiérarchiquement au-dessus des autres et exige une forte cohésion de ses membres dans la quasi totalité des aspects de leur vie. S'y ajoute une différenciation compétitive voire combattante avec d'autres entités nationales ou communautaires...Pour les républicains, le communautarisme remet en cause l’espace public neutre, et empêche l’individu de se définir ou de se redéfinir : une fois membre d’une communauté, il devient difficile d’en sortir"
En fait on parle souvent d'une façon valorisant "communauté" en politique, et c'est pourquoi cette définition négative je trouve biasé contre exactement ce que "communauté" lutte pour être. Si je suis juste une personne typé arrêté par la police chaque fois qu'ils passent en faisant un contrôle de papiers, on peut me dire "tu n'as pas de chance" ou "tu as une tête de gangster" etc. et j'ai aucune puissance ainsi. Si je parle avec la communauté qui me ressemble dans les yeux de la majorité, et on constate en gros chiffres que nous avons tous subi le même sort, alors c'est autre chose, on a une voix en commun, et on peut parler de la discrimination. (De même que cette pétition étant soutenue par le CRAN veut dire (j'espère) qu'on se pose plus des questions sur notre expérience et notre perception des mots, et une réfléxion sur s'il n'est pas souhaitable d'accorder plus de poids aux cibles directes ou indirectes malgré eux.) Et ces actions en communauté au contraire, sont pour reclamer leurs droits la Nation et dans notre exemple, leur participation dans l'évolution de la langue, comme autant que les autres. Sinon, on renonce au pouvoir et on renonce aux droits comme les autres, et plus grave, on renonce à l'appartenance à la Nation. Je ne pense pas qu'il est difficile d'en sortir de la communauté, mais c'est vrai qu'on suppose des idées politiques liées à la communauté en question. C'est pourquoi il y avait tant d'articles débiles que j'ai refusé de lire comme "Pourquoi j'ai voté Trump même si je suis une femme Musulmane" etc.
Lazur84 a écrit :Je suis une femme féministe ... Mais qui ne souhaite surtout pas effacer les traces de sexisme de ma langue : cette présence témoigne de notre histoire à tous et j'aurais peur qu'en les supprimant, on efface notre mémoire... et puis aussi, j'admets qu'elles m'amusent, mais je ne suis peut-être pas très sérieuse
Oui, c'est possible d'être femme et pas vraiment féministe, mais au bout d'assez de discussions, je pense que le feminisme leur gagne chaque fois. En anglais on a changé comment on écrit la langue pour ne plus être sexiste. On utilise par exemple "they" au lieu de "he" quand on parle sans savoir qui c'est, pour les Français ou le français, c'est inimaginable.
Lazur84 a écrit :aux Etats-Unis, mais on a aussi un président qui prête serment sur la Bible : voilà qui interpelle pour le moins la française de culture laïque que je suis...
Aaaaaah, autre sujet qu'il vaut mieux qu'on évite, je risque de parler longtemps sur les jours fériés comme Ascension ou Pentecôte, la région de Alsace Moselle, les scènes de nativité dans les mairies...
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

@Lee: je ne comprends pas, tu appellerais qui "blanchisseur", celui qui écrit sans signer ou celui qui signe sans écrire?

(parce que dans mon interprétation les deux acteurs participent à la même imposture et sont liés l'un à l'autre de ce fait)

(pour le dire autrement: personne ne songe à qualifier le faux-auteur, l'auteur qui touche des droits d'auteur sans avoir écrit une ligne, celui qui passe à la télé, récolte les fruits de son prestige d'auteur.... pas de nom codé pour lui, hein, ô pudeur de la langue...)
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Héhé pourtant il me semblait clair que le vrai écrivain "blanchisse" l'histoire pour devenir quelque chose présentable, mais bon, quand "nègre" devient "blanchisseur" ça porte à la confusion, non ? :wink:

Voilà dans Wikipedia :
Le général Manstein pressait Voltaire de revoir ses Mémoires. Le roi m’a envoyé son linge sale à blanchir, il faut que le vôtre attende, répondit Voltaire, qui venait de recevoir du roi de Prusse un paquet de vers à corriger. L’esprit de tout le monde, recueilli et mis en ordre par P.-J. Martin Hetzel 1859.
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

ah OK. Je ne comprenais pas, parce que dans le contexte que je connais, le prête-plume écrit tout. il ne corrige pas. L'autre donne juste une sorte de plan, d'idée générale, une liste de désidérata.

Mais oui, s'il corrige un texte déjà écrit, pourquoi pas; on peut dire qu'il blanchit, bien sûr.

J'ai fait ce travail dans ma vie, que tu qualifierais de "blanchisseuse"; le terme c'était "correctrice", ou "secrétaire de rédaction". Mais ce n'est pas vraiment le même métier que prête plume. Le prête plume c'est un vrai écrivain. Quelqu'un qui a le talent, l'imagination, la capacité de travail, le style, tout. Et qui donne tous ces trésors sans les signer comme étant "son œuvre", mais en entrant dans la peau de quelqu'un d'autre en quelque sorte, en écrivant "comme s"il était un autre", pour faire œuvre d'autrui; c'est un métier bien curieux quand on y réfléchit.

edit:
Lee a écrit :Héhé pourtant il me semblait clair que le vrai écrivain "blanchisse" l'histoire pour devenir quelque chose présentable, mais bon, quand "nègre" devient "blanchisseur" ça porte à la confusion, non ? :wink:
Heu.... Si je comprends bien, tu penses que j'ai une mentalité et une utilisation de la langue formatées par le racisme?
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Non, pas de tout, mauvaise blague. Je pensais à "Noir" et "une personne qui rend quelque chose blanche".

Par contre pour revenir à "negre" et au racisme ou l'injure, pour moi le racisme est inné dans ce mot, c'est quand même l'origine du mot et ça ne s'efface pas. C'est pourquoi je crois au fond que si on identifie avec le mot "on parle de ma couleur, de moi" on ne peut être à l'aise avec "nègre litteraire"...
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Pour les amateurs de la littérature, j'ai pensé ce soir du livre The Human Stain (La Tache) de Philip Roth. Il va prevenir sa mère qu'il va commencer à vivre une autre vie, passer pour un homme blanc, et donc laisser tomber elle, sa famille, ses racines. Voilà un extrait :

Parce que cela aussi faisait partie de l’épreuve, de donner au rejet toute sa vraie signification humaine impardonnable, d’affronter avec tout le réalisme et la clarté possibles l’instant où le destin vient à croiser quelque chose d’énorme. Cet instant est venu, pour lui. Cet homme et sa mère. Cette femme et son fils bien-aimé. Si, pour s’aiguiser comme une lame, il a décidé de faire la chose la plus dure qui soit, à part la poignarder, c’est bien celle-ci. Le voilà placé au cœur même du sujet. C’est l’acte majeur de sa vie, et sciemment, intensément, il en ressent la démesure.

« Je me demande pourquoi je suis prise au dépourvu, Coleman. Je ne devrais pas, pourtant. Tu m’as donné bien des avertissements, depuis le jour de ta naissance ou presque. Même le sein, tu répugnais à la prendre. Si, c’est vrai. Maintenant je vois pourquoi. Même ça, ç’aurait pu retarder ton évasion. Il y a toujours eu quelque chose chez nous, et je ne parle pas de notre couleur, quelque chose dans la famille qui te freinait. Tu penses en prisonnier. Si Coleman Brutus. Tu es blanc comme neige, et tu penses en esclave. »

Ce n’était pas le moment de rendre hommage à son intelligence, de considérer cette superbe formule comme le véhicule d’une sagesse spéciale. Souvent sa mère disait quelque chose qui donnait à penser qu’elle en savait plus qu’en réalité. L’autre face rationnelle. Cela tenait au fait d’avoir laissé l’art oratoire à son père, et, en comparaison, de paraître dire ce qui comptait.

« Maintenant je pourrais te dire qu’on ne s’échappe pas, que toutes tes tentatives d’évasion ne feront que te ramener à ton point de départ. C’est ce que ton père te dirait. Et il trouverait bien quelque chose qui aille dans ce sens dans Jules César. Mais un jeune homme comme toi, dont tout le monde s’éprend ? Un garçon intelligent, beau, charmant, avec ton physique, ta détermination, ton astuce, avec tous tes dons fabuleux ? Toi avec tes yeux verts, tes longs cils noirs ? Ma foi, je pense que tu ne devrais pas avoir le moindre problème. En venant me voir, tu auras fait le plus dur, et regarde avec quel calme tu es assis là. C’est parce que tu sais que ce que tu fais est plein de sens. Je sais que c’est sensé, parce que tu ne poursuivrais pas un but insensé. Bien sûr, tu auras des déceptions. Bien sûr, il n’y aura pas grande-chose qui tournera comme tu l’imagines, assis bien calmement en face de moi. Ta destinée personnelle sera bien personnelle, oui. Mais en quoi ? A vingt-six ans, tu ne peux pas en avoir la moindre idée. Seulement, est-ce que ce ne serait pas vrai aussi si tu ne tentais rien ? Je suppose que tout changement de cap dans la vie implique qu’on dise : « Je ne te connais pas », à quelqu’un. »
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

Roman fascinant. Et très labyrinthique.
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Oui, fascinant, je viens de trouver cette lettre qu'il a écrit à New Yorker concernant des informations sur Wikipedia qu'il conteste.
http://www.newyorker.com/books/page-tur ... -wikipedia
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Comme nous avons longuement discuté l'expression prête-plume pour replacer "nègre littéraire" sous ce fil, je vous signale les infos que j'ai mis sous le fil "français" :
viewtopic.php?f=9&t=14583&p=322789#p322789
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