Poisson de 1er novembre?

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Lee
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

twane a écrit :Dans mon esprit ce mot n'est plus du tout associé aux noirs.
jean-séb a écrit :Non, "travailler comme un nègre" est une formule toute faite de la langue française, comme "être fort comme un Turc", "boire comme un Polonais", "être malin commun singe". En ces temps de "politiquement correct", il est évident qu'on évite de l'utiliser***
Quand on entend "travailler comme un nègre" ou "nègre litteraire" c'est impossible de dissocier avec les noirs, l'expression vient de statut de noirs à l'epoque, quoi que la façon que l'expression soit utilisé, sans vouloir être raciste ou non, l'expression conjoint une race et un comportement, l'expression est toujours insultant. Comme quand j'entends "mongolien" employé pour trisomique, ça me heurte l'esprit, c'est un amalgam imprécise pour le moins dire.
Arabesque44 a écrit :Il est probable qu'elles disparaitront d'elles-mêmes lorsque la mémoire de l'esclavagisme sera moins présente, var elles ne voudront plus dire grand chose, la langue évolue!
Je ne vois pas pourquoi on resiste donner un coup de balai dans le bon sens, surtout que la langue influence nos pensées,c'est clair. C'est pourquoi même si je me doutais d'avoir autant de protestations contre moi, je ne pouvais pas m'empêcher de m'exprimer, même sur un forum pour ceux qui préfèrent la musique classique. :mrgreen:
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Oupsi
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

Mais bien sûr que l'expression est associée aux noirs, mais ça ne veut pas dire "je considère 1. qu'il existe une race composée de noirs et 2. que les noirs ne sont bons qu'à travailler comme des esclaves"! Plein d'expressions sont comme ça: "latin lovers" (racisme anti-méditerranéen?) ou "beauté nordique" (racisme/sexisme anti-européennes du Nord?) ou "calendes grecques" (racisme anti-hellénique?); ou "vivre comme un pacha" (racisme anti-ottoman???) Toi-même Lee, perçois beaucoup d'attitudes en tant que "typiquement françaises", ce qui veut dire que tu perçois quelque chose qui pour toi est "français"; pour d'autres cela pourrait être une fiction, c.a.d. relevant de l'imaginaire, comme la "beauté nordique" est une fiction, les performances amoureuses des latins et le travail des noirs.

Moi, s'il y a un mot qui me tape sur le système, c'est celui de race justement. Il n'y a pas de race humaine, il n'y a qu'une espèce humaine. C'est le rêve des haineux de considérer, justement, qu'il y a des races. Il suffit de commencer à instiller la race pour que les racistes surgissent un peu partout. C'est comme ça.

J'ai toujours dit en espagnol (ma langue de naissance) trabajar como una Negra. Ça se dit communément en Colombie. Tu pourrais dire aussi que c'était du racisme anti-blanc. Ça suppose que les blancs de l'oligarchie passaient leur temps à picoler et à glandouiller en pleine décadence pendant que les noirs travaillent sérieusement.
Non, blague à part, je ne perçois pas à ce point un univoque "racisme" dans ce genre d'expressions.
Tout est connoté dans une langue. même "travailler"! Travailler, dans la bouche d'un aristocrate, c'est déchéance et turpitude; dans la bouche d'un syndicaliste , c'est honneur et dignité. Dans la bouche d'un socialiste du 21e siècle, le concept reste à définir, on dirait!
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jean-séb
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par jean-séb »

Lee a écrit :
twane a écrit :Dans mon esprit ce mot n'est plus du tout associé aux noirs.
jean-séb a écrit :Non, "travailler comme un nègre" est une formule toute faite de la langue française, comme "être fort comme un Turc", "boire comme un Polonais", "être malin commun singe". En ces temps de "politiquement correct", il est évident qu'on évite de l'utiliser***
Quand on entend "travailler comme un nègre" ou "nègre litteraire" c'est impossible de dissocier avec les noirs, l'expression vient de statut de noirs à l'epoque, quoi que la façon que l'expression soit utilisé, sans vouloir être raciste ou non, l'expression conjoint une race et un comportement, l'expression est toujours insultant. Comme quand j'entends "mongolien" employé pour trisomique, ça me heurte l'esprit, c'est un amalgam imprécise pour le moins dire.
Je ne suis pas du tout d'accord, de même que je n'entends pas "chrétien" derrière le mot "crétin", même si c'en est l'origine. L'histoire des mots est une chose, certes, et elle révèle des mentalités d'hier. Mais les mots, une fois créés, utilisés, patinés par l'usage, ne sont pas perçus dans leur sens premier mais uniquement dans leur sens lexicalisé. Même si l'origine en est assez transparente, comme dans l'expression "travailler comme un nègre", je peux t'assurer qu'un francophone habitué à cette expression ne la décompose pas, ne l'analyse pas, de la déstructure pas (en dehors de M. Guerlain bien sûr) mais la prend telle quelle pour sa signification globale nouvelle de "travailler dur". C'est comme quand on dit "il se tient à cheval sur le haut du mur" ou "être à cheval sur les principes", le sens est évident pour n'importe quel francophone, sans qu'il pense une seconde au cheval à l'origine de l'expression.
"Mongolien" et "mongolisme" ne m'ont jamais choqué ; c'est comme ça qu'on disait officiellement dans mon enfance et je n'ai jamais entendu le mot "trisomique" ou "trisomie 21" avant un âge assez avancé. On disait aussi "aveugle" et non "malvoyant", "sourd" et non "malentendant", "concierge, femme de ménage, caissière" et non "gardien d'immeuble, technicienne de surface, hôtesse de caisse". Les mots ont changé, voilà tout. Pas forcément la perception qu'on a des situations qu'ils décrivent.
Naturellement, ta perception est différente, car tu découvres ces expressions et les analyse.
Dans mon enfance, on ne parlait même pas de "nègre littéraire", mais de "nègre" tout court, parce que le mot était très connu à l'époque, sans le couvrir du voile pudibond de "littéraire". "Nègre" était aussi connu dans un autre sens ; on nous enseignait encore, avec des variantes d'ailleurs prouvant le manque de certitude sur l'anecdote, la phrase dite par Mac-Mahon "C'est vous le nègre, eh bien, continuez". Que cela t'encourage à lire l'histoire de Camille Mortenol, le premier noir à intégrer Polytechnique en 1880.
Tout cela fait partie de notre patrimoine culturel et je préfère le savoir plutôt que de me plier à une sorte de consensus mou du politiquement correct, qui masque les problèmes, les différences, les souffrances, par un vocabulaire grotesque. Mais rassure-toi, j'ai un peu de savoir-vivre et de délicatesse aussi, parfois, et je tiens compte de mes interlocuteurs pour choisir mon langage, car ce serait stupide d'offenser quelqu'un juste pour une histoire de mots.
Bon, on a sérieusement dérivé mais le titre de ce fil laisse la porte ouverte à toutes les folies ! :wink:
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Lee
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

jean-séb a écrit :Naturellement, ta perception est différente, car tu découvres ces expressions et les analyse.
Tu n'as pas lu les liens que j'ai donné en haut, ils n'ont pas découvert ces expressions, et ils sont pour les éliminer, y compris l'éditeur de Nouvel Obs.
jean-séb a écrit :"Mongolien" et "mongolisme" ne m'ont jamais choqué
Peut-être que ça te ferait plus mal si tu étais asiatique. Aux Etats-Unis ils avaient "mongoloid" aussi pour trisomique, mais on a arrêté d'utiliser, c'est mon prof de littérature en m'expliquant les théories sur le langage et le racisme qui m'avait dit, sinon je n'aurais pas su.
Oupsi a écrit :Moi, s'il y a un mot qui me tape sur le système, c'est celui de race justement. Il n'y a pas de race humaine, il n'y a qu'une espèce humaine. C'est le rêve des haineux de considérer, justement, qu'il y a des races. Il suffit de commencer à instiller la race pour que les racistes surgissent un peu partout. C'est comme ça.
Oui, j'ai déjà entendu cela et je trouve qu'on prend tout à l'envers de vouloir garder "nègre" et eliminer "race". #-o

Je ne parle pas pour la communauté des noirs en France, mais je suis sûre il ne dissocient pas ces mots comme vous pensez, en fait, c'est pire, ils intègrent ces mots contre eux-même, c'est un racisme insidieux qui restent grâce aux gens qui veulent garder ces mots. Arabesque, Jean-Séb et Twane ont parlé des opinions des noirs sur ce sujet. On ne peut pas appeller une personne pour répresenter une communauté, mais je suis sûre qu'étant toujours minoritaire quelque soit le pays où je me trouve, j'ai une perception très différent que le vôtre. Et aussi d'un pays où on est sensible à enlever les mots qui font mal en mélangeant une identité et autre chose, même quand on n'a pas l'intention.
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mieuvotar

Re: Poisson de 1er novembre?

Message par mieuvotar »

Si j'avais eu un peu plus de temps (mais il faut bien bosser), j'aurais écrit dans le même esprit que Jean-Séb, dont je partage intégralement le propos. Je vais même un peu plus loin en clamant haut et fort que le "politiquement correct" m'emm.... car il est bien souvent le cache-sexe à beaucoup d'hypocrisies. Après, l'emploi des mots doit se faire évidemment, avec sensibilité et intelligence en fonction du contexte et des interlocuteurs. C'est ce que Jean-Séb a très bien appelé le savoir-vivre.

C'est d'ailleurs pour ce rejet du "politiquement correct" que, même si je partage aussi en grande partie l'avis d'Oupsi, je suis moins enclin à faire mien ce propos-là :
Oupsi a écrit :Moi, s'il y a un mot qui me tape sur le système, c'est celui de race justement. Il n'y a pas de race humaine, il n'y a qu'une espèce humaine. C'est le rêve des haineux de considérer, justement, qu'il y a des races. Il suffit de commencer à instiller la race pour que les racistes surgissent un peu partout. C'est comme ça.
C'est beaucoup plus compliqué que ça. L’éradication du mot "race" procède aussi d'une forme de "politiquement correct". Il est clair que l'immense majorité de la communauté scientifique est d'accord pour réfuter le vocable de race comme mode de classification au sein de l'espèce humaine. Mais il est tout aussi clair que, sur des bases purement génétiques, il y a des "populations" humaines clairement identifiées sur des bases de différenciations génétiques, parfaitement factuelles et objectives (il y en a 9 je crois me souvenir, il faudrait que je retrouve les références précises). Il n'y a aucun ordonnancement dans tout ça, aucune valeur attachée à l'un ou l'autre de ces groupes qui pourrait aboutir à des comparaisons bien évident totalement inacceptables. Mais il y a bien une segmentation objective de l'espèce humaine, en différents segments/groupes/populations/sous-espèces. On peut appeler ça comme on veut, mais le mot de race, qu'on employait autrefois aussi sans connotation particulière (jusqu'à tant qu'un gros c... criminel ait parlé de "race aryenne") peut désigner tout aussi factuellement ces catégories. (NB: vous remarquerez que je ne parle pas d’ethnie, car là les éléments de différenciation sont d'une nature anthropologique et culturelle. C'est un sujet différent...)

D'ailleurs, au Québec, il n'y a strictement aucun débat sur l'utilisation du mot "race" pour les êtres humains. Et en Suisse non plus, ou alors très peu.

J'ai ouvert la boîte de Pandore, là , non ? :-k :oops:
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Lee
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

mieuvotar a écrit : Je vais même un peu plus loin en clamant haut et fort que le "politiquement correct" m'emm.... car il est bien souvent le cache-sexe à beaucoup d'hypocrisies.
Non, je suis convaincue profondement que en gardant ces expressions, on propage le racisme inhérent des expressions.
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Oupsi
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

attention gros pavé (désolée!)

Sur la question d'une seule espèce humaine:

Voici un texte qui m'a marquée profondément lorsque je l'ai découvert, il y a de cela un bon quart de siècle! C'est un peu long, mais bon il faut prendre son temps sur ces questions difficiles.

Le livre dont il est extrait s'appelle "L'espèce humaine", par Robert Antelme, écrit au retour d'un camp de concentration en Allemagne pendant la deuxième guerre mondiale (ce n'était pas un camp d'extermination). C'est un très beau livre, unique dans son genre, l'un de ceux que j'emmènerai dans la fameuse île déserte. Dans cet extrait, il s'agit de prisonniers qui sont escortés depuis des jours et des jours par des SS après la fermeture d'un camp, au moment de l'avancée des troupes alliées. Ils ont vécu pendant des mois dans un camp, ils sont malades, affaiblis, épuisés, certains presque à l'agonie. Ils sentent qu'ils ne sont "presque plus" humains, ils se sentent sur une limite, et le texte cherche à découvrir ce qu'est cette limite. A un moment, pendant la nuit, ils sont saisis par l'émotion de la présence somptueuse de la nature, la vie, palpable, animale.
Ce texte, que je relis souvent (et bizarrement à voix haute, il a besoin d'une voix), est pour moi fondateur. Il ne cesse de m'inviter à penser autrement; à ne pas juger uniquement sur des notions, mais à rechercher l'expérience profonde, ce qui est finalement très rare, de sorte que les occasions de juger en connaissance de cause me paraissent tout aussi rares. Très souvent, nous passons d'idée fictive en idée fictive, sans quitter, par conséquent, l'inévitable teneur imaginaire qui caractérise de la même manière la plupart des idées que l'on a sur autrui ou sur soi-même.


"Dehors, la vallée est noire. Aucun bruit n'en arrive. Les chiens dorment d'un sommeil sain et repu. Les arbres respirent calmement. Les insectes nocturnes se nourrissent dans les prés. Les feuilles transpirent, l'air se gorge d'eau. Les prés se couvrent de rosée et brilleront tout à l'heure au soleil. Ils sont là, tout près, on doit pouvoir les toucher, caresser cet immense pelage. Qu'est-ce qui caresse et comment caresse-t-on ? Qu'est-ce qui est doux aux doigts, qu'est-ce qui est seulement à être caressé ?

Jamais on n'aura été aussi sensibles à la santé de la nature. Jamais on n'aura été aussi près de confondre avec la toute-puissance l'arbre qui sera sûrement encore vivant demain. On a oublié tout ce qui meurt et qui pourrit dans cette nuit forte et les bêtes malades et seules. (...) Si ressemblants aux bêtes, toute bête nous est devenue somptueuse ; si semblables à toute plante pourrissante, le destin de cette plante nous paraît aussi luxueux que celui qui s'achève par la mort dans le lit. Nous sommes au point de ressembler à tout ce qui ne se bat que pour manger et meurt de ne pas manger, au point de nous niveler sur une autre espèce, qui ne sera jamais nôtre et vers laquelle on tend ; mais celle-ci, qui vit du moins selon sa loi authentique – les bêtes ne peuvent pas devenir plus bêtes – apparaît aussi somptueuse que la nôtre « véritable » dont la loi peut être aussi de nous conduire ici. Mais il n'y a pas d'ambiguïté, nous restons des hommes, nous ne finirons qu'en hommes. La distance qui nous sépare d'une autre espèce reste intacte, elle n'est pas historique. C'est un rêve SS de croire que nous avons pour mission historique de changer d'espèce, et comme cette mutation se fait trop lentement, ils tuent. Non, cette maladie extraordinaire n'est autre chose qu'un moment culminant de l'histoire des hommes. Et cela peut signifier deux choses : d'abord que l'on fait l'épreuve de la solidité de cette espèce, de sa fixité. Ensuite, que la variété des rapports entre les hommes, leur couleur, leurs coutumes, leur formation en classes masque une vérité qui apparaît ici éclatante, au bord de la nature, à l'approche de nos limites: il n'y a pas des espèces humaines, il y a une espèce humaine. C'est parce que nous sommes des hommes comme eux que les SS seront en définitive impuissants devant nous. C'est parce qu'ils auront tenté de mettre en cause l'unité de cette espèce qu'ils seront finalement écrasés. Mais leur comportement et notre situation ne sont que le grossissement, la caricature extrême – où personne ne veut, ni ne peut sans doute se reconnaître – de comportements, de situations qui sont dans le monde et qui sont même cet ancien « monde véritable » auquel nous rêvons. Tout se passe effectivement là-bas comme s'il y avait des espèces – ou plus exactement comme si l'appartenance à l'espèce n'était pas sûre, comme si l'on pouvait y entrer et en sortir, n'y être qu'à demi ou y parvenir pleinement, ou n'y jamais parvenir même au prix de générations –, la division en races ou en classes étant le canon de l'espèce et entretenant l'axiome toujours prêt, la ligne ultime de défense : « Ce ne sont pas des gens comme nous. »
Eh bien, ici, la bête est luxueuse, l'arbre est la divinité et nous ne pouvons devenir ni la bête ni l'arbre. Nous ne le pouvons pas et les SS ne peuvent pas nous y faire aboutir. Et c'est au moment où le masque a emprunté la figure la plus hideuse, au moment où il va devenir notre figure, qu'il tombe. Et si nous pensons alors cette chose qui, d'ici, est certainement la chose la plus considérable que l'on puisse penser : « les SS ne sont que des hommes comme nous » ; si, entre les SS et nous– c'est-à-dire dans le moment le plus fort de distance entre les êtres, dans le moment où la limite de l'asservissement des uns et la limite de la puissance des autres semble devoir se figer dans un rapport surnaturel – nous ne pouvons apercevoir aucune différence substantielle en face de la nature et en face de la mort, nous sommes obligés de dire qu'il n'y a qu'une espèce humaine. Que tout ce qui masque cette unité dans le monde, tout ce qui place les êtres dans la situation d'exploités, d'asservis et impliquerait par là-même, l'existence de variétés d'espèces, est faux et fou ; et que nous en tenons ici la preuve, et la plus irréfutable preuve, puisque la pire victime ne peut faire autrement que de constater que, dans son pire exercice, la puissance du bourreau ne peut être autre qu'une de celles de l'homme : la puissance de meurtre. Il peut tuer un homme, il ne peut pas le changer en autre chose."
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Oupsi
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

Ce que je veux dire, aussi, en recopiant ce long texte que j'aime tant: bien sûr, il y a les typologies scientifiques (je suis au fait des données que tu rapportes, Mieuvotar) mais les racistes ne sont pas racistes pour des raisons scientifiques! s'il suffisait d'apporter rationalité et science, nous vivrions depuis longtemps dans un monde merveilleux! C'est aussi pour ça que je trouve naïf de penser qu'il suffirait d'interdire le mot "nègre" pour que plus personne ne soit raciste. Comme si le racisme était une donnée contingente, un truc en plus qu'il suffirait de dépoussiérer. Je ne pense pas du tout cela.

Nous ne rencontrons pas des gènes ou une typologie lorsque nous rencontrons quelqu'un. L'amour, la haine, l'attrait, le dégoût, toutes ces passions souvent violentes ne peuvent s'apaiser à coup de connaissances sur les hélices d'adn ou les cartographies génomiques. Les justifications scientifiques des violences racistes sont toujours de l'ordre de l'après-coup. La science en elle-même n'est pas une éthique, c'est bien là où ça se complique pour un esprit rationaliste. Cela veut dire qu'il faut se battre dans un autre champ de la vérité. Si la vérité humaine peut englober quelque chose comme l'art, la foi, l'amour, l'héroïsme, le sacrifice, c'est bien que son champ est autre que purement scientifique.
La tentation de se battre dans le champ du langage est louable, mais il ne suffit pas à mon avis de juste supprimer les mots "mauvais". Je trouve que l'idéologie du "nettoyage" langagier repose sur le rêve assez suspect et paradoxal à mon sens d'une telle pureté. Si on supprime tous les gros mots, plus personne ne sera méchant. Mmmmm. Je suis très sceptique.
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par mieuvotar »

Mais on est bien d'accord, Oupsi ! Et de la même manière, ce n'est pas en enlevant de le mot "race" du vocabulaire qu'on va supprimer ipso facto le racisme ou les distorsions perverses qui peuvent être faites d'une segmentation de l'espèce humaine. Lee l'a bien relevé : il y aurait une contradiction évidente à accepter "nègre" (dans son sens littéraire, hein...) et à récuser "race".

Merci pour le magnifique texte d'Antelme. Mais ce texte, aussi beau soit-il, est quand même un peu hors sujet ici dans cette discussion-ci... Son objet est ailleurs, il est dans l’inaliénabilité de notre essence humaine. C'est autre chose que ce dont on discute ici à mon avis (qui est aussi assez HS au demeurant...)
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Lee
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Merci pour le bel extrait, Oupsi, ça nous aide à atteindre le Godwin point plus directement : ces mots et ces expressions essaient de nous déhumaniser, et les gardes de ces expressions sont comme le SS ! :twisted:

Je crois que les scientifiques ne sont pas tout à fait d'accord si la race existe, mais beaucoup disent non. Stephan Jay Gould était un bon exemple, il a même argumenté que la motive des théories scientifiques de race était le racisme. Mais le racisme existe, donc ce n'est pas ça la question.
Oupsi a écrit :La tentation de se battre dans le champ du langage est louable, mais il ne suffit pas à mon avis de juste supprimer les mots "mauvais". Je trouve que l'idéologie du "nettoyage" langagier repose sur le rêve assez suspect et paradoxal à mon sens d'une telle pureté. Si on supprime tous les gros mots, plus personne ne sera méchant. Mmmmm. Je suis très sceptique.
Ce n'est pas ça la question non plus. Pour moi la question est : y a-t-il des personnes qui trouvent ces expressions ou ces mots qui suggèrent leur race insultants ? Si la réponse est oui, je ne comprends pas pourquoi on insiste de les garder. Dans mon autre pays, il y a toujours cette question :
https://time.com/3553568/redskins-protest-minneapolis/
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

@ mieuvotar: Disons que pour moi, c'est vraiment lié. Si on accepte jusqu'à ses dernières conséquences l'idée d'une seule espèce humaine, du coup on perçoit clairement que beaucoup de notions brandies par les uns comme par les autres n'ont pas de sens, et sont biaisées.

Je ne veux pas supprimer le mot race; je conteste l'emploi du concept en tant que "race humaine" (pour moi il s'agissait de typologies d'un autre niveau mais bon, je n'ai pas le temps de chercher les sources peut-être anciennes et périmées sur lesquelles je fondais ma conviction en la matière); toutefois cela n'invalide pas que la "race" chez l'homme est quelque chose dont l'éventuelle réalité scientifique (dont je doute et qui n'intéresse peut-être pas grand-monde) ne correspond pas à l'existence disons idéologique (qui elle échauffe beaucoup les esprits). Il y a dans l'humanité une unité qui prévaut sur tout le reste, éthiquement parlant. Tu ne verras jamais une race canine se lever contre d'autres races canines, par contre l'être humain se bat contre lui-même, à partir de cette catégorie, comme à partir de tant d'autres, forgées elles aussi avec cette soif des divisions, de catégories, de différences; donc il me paraît plus important de défendre l'unité plutôt que la différence, et il me paraît scientifiquement utile de rappeler que les raisons pour lesquelles le racisme existe n'ont rien à voir avec l'existence objective des typologies ou taxonomies dans l'ordre du vivant.
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

Lee a écrit : Pour moi la question est : y a-t-il des personnes qui trouvent ces expressions ou ces mots qui suggèrent leur race insultants ? Si la réponse est oui, je ne comprends pas pourquoi on insiste de les garder.
Lee, je comprends très bien ce que tu dis, et bien sûr petit à petit certaines expressions et vocables deviennent de moins en moins tolérés, puis la société les rejette globalement, ce qui témoigne quand même d'un débat social permanent, parfois dans le bon sens, parfois dans le mauvais sens.

Cela dit, plusieurs personnes ici, et des personnes dont tu peux par ailleurs apprécier le civisme et la bonne foi, assurent n'avoir aucune intention insultante dans leur emploi des expressions rapportées précédemment. Si effectivement il y avait insulte... mais y a-t-il insulte? Je ne le crois pas, sincèrement...

Enfin, nous tournons un peu en rond, là. Je retourne au travail!
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jean-séb
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par jean-séb »

Oupsi a écrit :Tu ne verras jamais une race canine se lever contre d'autres races canines.
Oui, c'est d'ailleurs une belle leçon de tolérance naturelle, un peu comique aussi parfois, de voir comme le chiwawa va crânement renifler le berger allemand ! Bon, les chiens peuvent se battre entre eux quand même, mais effectivement pas, semble-t-il, pour des préjugés de race ou d'apparence.
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Oupsi »

Ben non, eux se battent pour des raisons sérieuses! l'amour et le steak!
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Oupsi a écrit :Si effectivement il y avait insulte... mais y a-t-il insulte? Je ne le crois pas, sincèrement...
Si, je sens insultée, car le nègre, c'est moi aussi, voyons.
Modifié en dernier par Lee le lun. 03 nov., 2014 16:51, modifié 1 fois.
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par BluePhoenix05 »

Je ne sais pas dans quel contexte les biologistes utilisent "races/variétés" (si tu as les références, mieuvotar, cela pourrait être intéressant à titre annexe), mais il m'a toujours semblé curieux que la science soit invoquée, de quelque côté que ce soit, dans la question du racisme, pour intervenir dans un champ d'ordre éthique. Qu'a à faire l'inter-reproductibilité des populations ? Qu'est-ce que cela change-t-il qu'il y ait ou non plusieurs espèces humaines ? :-s L'infirmation des thèses racistes sera-t-elle différente en cas d'émergence de nouvelles espèces sentientes et sapientes (terrestres ou extra-terrestres) ?

Peut-être qu'on peut en voir l'origine dans le "mépris" pour les animaux et la recherche de ce qui définit l'homme en opposition (dans un pan de la philosophie occidentale, "l'homme "extrait" de la nature", etc.), au lieu de constater que nous vivons et évoluons dans un écosystème où tout est interdépendant (hypothèse Gaïa pour résumer).

Au fond voici les extraits avec lesquelles je suis le plus d'accord :
Oupsi a écrit :La science en elle-même n'est pas une éthique, c'est bien là où ça se complique pour un esprit rationaliste. Cela veut dire qu'il faut se battre dans un autre champ de la vérité. Si la vérité humaine peut englober quelque chose comme l'art, la foi, l'amour, l'héroïsme, le sacrifice, c'est bien que son champ est autre que purement scientifique.
Oupsi a écrit :il me paraît scientifiquement utile de rappeler que les raisons pour lesquelles le racisme existe n'ont rien à voir avec l'existence objective des typologies ou taxonomies dans l'ordre du vivant.
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Chez les animaux, souvent les albinos sont tués par les autres animaux juste parce qu'ils sont albinos. C'est le racisme aussi, contre les blancs. :mrgreen:

Blue, tu peux regarder ça :
http://www.pbs.org/wgbh/nova/evolution/ ... exist.html
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par mieuvotar »

jean-séb a écrit :
Oupsi a écrit :Tu ne verras jamais une race canine se lever contre d'autres races canines.
Oui, c'est d'ailleurs une belle leçon de tolérance naturelle, un peu comique aussi parfois, de voir comme le chiwawa va crânement renifler le berger allemand ! Bon, les chiens peuvent se battre entre eux quand même, mais effectivement pas, semble-t-il, pour des préjugés de race ou d'apparence.
C'est moins vrai des fourmis ou d'autres espèces animales. L'homme, l'être humain plutôt (parce que les femmes aussi, hein... :mrgreen: ), n'a pas le monopole de la violence intra-espèce. Et pas que pour le s(t)e(a)xe, mais simplement pour éradiquer purement et simplement l'autre. Le monde des animaux, c'est pas les bisounours non plus !
BluePhoenix05 a écrit :mais il m'a toujours semblé curieux que la science soit invoquée, de quelque côté que ce soit, dans la question du racisme, pour intervenir dans un champ d'ordre éthique.
Mais là n'est pas mon propos ! Je n'invoque pas la science dans la question du racisme. C'est évident qu'elle n'a rien à y faire.
Je n'invoque pas la science pour discuter éthique. J'invoque la science uniquement dans sa dimension segmentatrice (ou taxonomique comme disait Oupsi) de l'espèce humaine. La question de la lecture que d'aucuns font de cette catégorisation et les échelles de valeur qu'ils lui associent est une question toute autre, et bien évidemment parfaitement contestable.
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par BluePhoenix05 »

Ce que je voulais dire, plus simplement, c'est qu'en fait je ne comprends pas en quoi le fait qu'il n'y ait (actuellement) qu'une seule espèce humaine permet de réfuter les thèses racistes. Donc ce n'est pas un argument qu'on peut invoquer pour s'opposer au racisme. Est-ce que je suis cohérent ? :|
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Lee
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Re: Poisson de 1er novembre?

Message par Lee »

Je comprends ce que tu veux dire car malheureusement il existe encore des "scientifiques" qui essaient de prouver qu' une ou des autres races sont supérieur.
http://en.m.wikipedia.org/wiki/History_ ... ontroversy
Si on pouvais prouver definitivement l'inexistance de race, on pourrait faire taire quelques-uns de ces théories...ou on peut en rêver.
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
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