G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

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Val
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G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Val »

Le concert (mercredi, et non jeudi) semble maintenu.

Schubert - Sonate op. 143 D. 784, Six Moments musicaux op. 94 D. 780
Chopin - Deux Nocturnes op. 32, Sonate n° 2 op. 35

Que ceux qui ont prévu de s'y rendre se déclarent, afin que nous puissions former une petite délégation PM avant, pendant l'entracte et après le concert ...

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Modifié en dernier par Val le lun. 16 nov., 2015 23:03, modifié 2 fois.
oiseau.prophète
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/10/2015

Message par oiseau.prophète »

Bonjour

Désolé pour la confusion, le concert de Sokolov auquel j'ai assisté se déroulait à la Philarmonie de Luxembourg (le pays).

Le programme est identique a celui indiqué par Val.

Il a eu lieu hier soir (dimanche) - je serais ravi de participer à cette discussion pour une sorte de "comparatif" croisé des récitals.

Autant vous dire que c'est le concert le plus fabuleux auquel qu'il m'ait été donné d'assister.
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Lee
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/10/2015

Message par Lee »

Merci Val, heureuse de pouvoir enfin te rencontrer et dommage de ne pas partager ce moment avec toi, Oiseauprophet.

Je ne sais pas si vous avez prévu prendre quelque chose à manger avant le concert, mais je prendrai forcement un truc quelque part dans le coin et je ne serai donc pas forcement longtemps dans le théâtre avant le concert.
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Val
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/10/2015

Message par Val »

Vogels als Prophet : Tu as bien de la chance :D Oui, ça serait très intéressant de comparer ! Même si cela m'étonnerait qu'il y ait une différence notable ... :wink: Essaye en revanche d'attendre jeudi pour nous faire ton compte-rendu afin que nous ne soyons pas influencés (même positivement !) :P

Lee : Moi aussi :D Je pense que j'aurai mangé avant ... De toute manière, il y a au moins l'entracte pour discuter.
BluePhoenix05
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par BluePhoenix05 »

Alors alors ?

Je n'ai pas compris comment fonctionnaient les réservations par internet sur le site du TCE #-o , mais finalement j'ai été retenu autre part.
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Okay
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Okay »

Patience patience ! C'était déjà complet des mois à l'avance au TCE... Récital fascinant, j'ai presque envie de dire "épuisant" tant c'était dense. Et je ne parle pas des six bis. Lee et Val auront peut-être plus de temps que moi pour livrer leurs impressions à chaud à court-terme.
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Lee
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Lee »

:oops: Ce n'est pas évident, ça me rappelle quand on est appelé à faire des mauvaises réponses que le prof corrige après. :wink:

Impressionant, c'est le meilleur mot pour moi : Sokolov a sorti au clavier - complètement à sa volonté exactement comment il voulait - tout un éventail des couleurs, sonorités, nuances, et effets que je ne savais pas possible au piano. Mais bon, je n'écoute pas les tonnes des concerts ou enregistrements comme les PMistes. Mais un bon titre de comparaison était son prélude goutte d'eau, je ne savais pas que les mêmes notes répétés pouvaient sonner aussi différentes avec autant de variété, c'était fascinant et hypnotisant quand normalement ça me donne envie de dormir. Pour moi, il donne vraiment beaucoup de pistes de recherches à faire au piano : mais comment il a fait pour tout d'un coup sortir un ton plus chaud à ces notes qu'il répète, en restant quasiment au même forté ? Comment repartir vite dans les deux sens du clavier aussi rapidement mais en diminuant au pianissimo comme ça :shock: ? Comment il crée ce beau son flottant et captivant - touché, pédale, et quoi d'autre ?

Le dernier bis, de Debussy, était mon préféré, je ne sais pourquoi. Déjà je ne suis pas un grand fan de Schubert normalement, mais même avec Chopin il y avait trop peu de rubato à mon goût, parfois pas assez de dynamique et changement et probablement son archi-méticuleux qui a enlevé une spirtualité et spontanéité qui me plaisent dans les concerts.

Je n'ai jamais vu autant de bis de ce longueur dans ma vie par un musicien pro...juste pour cela, j'ai un grand respect pour lui, ça montre une reconnaissance, un respect, un remerciement au public émouvants. J'aimerais le revoir avec un autre programme... par exemple, les compositeurs russes !
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Presto
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Presto »

Vu le temps d'attente des autres CR, ç'a dû être un choc :wink:
Ton CR me rappelle 3 ou 4 concerts : Perlo, Lupu, Kocsis, Brendel, Argerich...
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oiseau.prophète
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par oiseau.prophète »

Bonjour Lee,

Sais-tu quel était ce morceau de Debussy en dernier bis? J'ai beaucoup aimé également mais je ne connais pas grand chose de ce compositeur malheureusement

J'ai redécouvert le Nocturne op.32 n°1 pour ma part - j'ai toujours trouvé ce morceau un peu mièvre mais Sokolov en a délivré une version si délicate et en même temps expressive et colorée que j'en suis resté scotché
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Okay
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Okay »

C'était Canope, un Prélude du 2e livre. Magique.
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Moderato Cantabile
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Moderato Cantabile »

Il est très bien ton compte-rendu , Lee ! :D

Mais 6 bis !!! wouaahhh !! :shock:

Vous étiez debout sur les fauteuils ou quoi ?? :wink:

Je connais certaines étoiles montantes qui devraient en prendre de la graine ..... :roll:

Et j'ai trop hâte de le (re)voir en mai à Toulouse !!! [-o<
"Il faut que cela soit si gai , si gai , que l'on ait envie de fondre en larmes ."
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Okay
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Okay »

Oui très impressionnant et hypnotisant, mais également émouvant. Je ne suis pas prêt de refaire un jour un compte rendu pareil, mais je crois que je ne suis pas non plus prêt d’assister à nouveau à pareil concert.

Un récital passionnant où des contrastes a priori impossibles se sont vus réconciliés. C’est très étonnant d’avoir cette sensation d’un pianiste qui a absolument tout décidé à l’avance en laissant une place très minime à la spontanéité, et que ce même pianiste impose une personnalité d’une puissance écrasante. L’écoute m’a autant fasciné qu’épuisé, car je peux certifier que Sokolov transmet une intention voulue à chaque fois qu’il enfonce une touche du clavier. Il n’y a absolument rien de neutre ou d’un peu fade, il imprime ses choix à vraiment chaque instant. Le mot c’est « engagé ». Du coup, la densité musicale reçue en continu et la force de conviction nous happent dans son monde sans compromission. On parlait de personnalité obsessionnelle, je pense que celle de Sokolov l’est de manière paroxysmique. Au-delà de son jeu qui respire un jusqu’au-boutisme frappant, il salue toujours précisément de la même manière, au même endroit, marche de la même manière sur scène, sa gestuelle est ultra précise et appliquée au piano et hors du piano...

J’ai été particulièrement frappé par son contrôle dans chaque passage où il y a la moindre polyphonie, on sent qu’il réserve à l’étagement des plans et au suivi des voix un traitement tout particulier (il faut écouter ses Bach). Et des sonorités, il en a un sacré nombre, mais dans un sens particulier où sa palette sonore serait comme munie d’une quantité dénombrable de sons (comme les jeux d’un orgue). Plusieurs timbres particuliers et bien identifiés revenaient plusieurs fois.

Rentrons dans le vif du sujet. Les deux parties sont d’approche très différente. Dans Schubert, on sent l’architecte qui a tout pensé des fondations jusqu’à la moindre enluminure. Chopin sera doté d'une poésie assumant davantage le romantisme.

Première partie

Le concert débute par la voix solitaire de la plus "petite" des deux sonates en la mineur de Schubert. Unissons désincarnés, le premier thème empli de gravité, puis rapidement arrive le premier contraste avec le crépitement du trille mi-fa à gauche dans un crescendo fulgurant. Le pianiste prend vite possession de l’instrument dans les cascades de croches pointées doubles, dont l’approche et le son me font immédiatement penser à Gilels. Sonorité de fonderie, pleine de santé et d’autorité. Ca fera merveille dans le développement, où il déchainera des forces considérables. Avant cela, le deuxième thème est bouleversant, fait de simples accords de noires et de blanches, mais le son est irréel et chaque modulation surprenante est soulignée avec le juste degré de pudeur. Le premier morceau du concert se termine, et voilà un pianiste qui tout en restant dans ses plans, impose un monde.
Le mouvement lent de cette sonate n’est sûrement pas l’un des plus mémorables de Schubert. Sokolov le sauve de certaines monotonies, notamment par son traitement remarquable du leitmotiv croche pointée deux triples. La variation du thème de la dernière page est splendide, avec une main droite en triolets et notes répétées légère comme une flûte, tandis que la gauche est à la tête d’un groupe de cuivres en sourdine.
Le finale démarre comme un matin pluvieux. Articulation infiniment précise, mais avec une pédale très discrète, si bien qu’on retrouve rapidement ce climat de solitude. Pas trop rapide (la prudence s’impose quand on pense aux terrifiants octaves des dernières mesures, bien plus difficiles que ceux d’une fournée de concertos célèbres, dans lesquels les poignets de Sokolov se montreront à la hauteur). Les passages en accords ont le mordant folklorique du Schubert hongrois. Petite déception cependant dans le traitement du deuxième thème, qu’en un mot j’ai trouvé beaucoup trop concret, notamment avec les liaisons trop marquées par des accents par mesures qui m’ont gêné. C’est réalisé de manière très cohérente, mais je ne trouve pas ça dans l’esprit.
Lee a écrit :Comment repartir vite dans les deux sens du clavier aussi rapidement mais en diminuant au pianissimo comme ça :shock: ?
C’est peut-être son tour de passe-passe qui m’a le plus impressionné de tout le concert. Il s’agit de deux arpèges en mouvement contraire dans ce finale, mais pas l’arpège de si bémol qui revient à chaque fois. Il a juste fait ça lorsque cette formule devient modulante sur des accords diminués. L’effet de disparition du son, partant très fort avec la première note qui durait (tenue ? pédale tonale ?), son articulation très perlée pour l’occasion, et le son se désintégrant avec une dégradation parfaite, c’était sidérant. Pas évident de décrire, mais pour situer, je me suis dit sur le moment « ah tiens, on peut faire ça avec un piano ? ». Puis « et il peut même le refaire ! ».


Applaudissements, salut, et nous voilà lancés dans les moments musicaux. Lignes parfaitement dessinées dans le premier, où j’ai surtout en mémoire le phrasé des accords staccato (sol-fa-mi-ré-mi) et la sonorité de l’ostinato d’accompagnement sol-mi/sol-mi. Le deuxième aura l’intérêt principal le renouvellement sonore des répétitions. Je trouve le départ à nouveau dans une sonorité assez concrète et brute, ce qui me déçoit. Puis dès l’énoncé suivant, le son change du tout au tout, voilà le son du 2e thème de la sonate, ce Schubert éthéré et irréel qui nous touche. Quelle différence totale entre le piano et le pianissimo, demandés par le texte. La partie centrale en fa# mineur va loin dans le dramatisme, dont la main droite seule se charge tandis que la gauche est immuable. Le troisième est un vrai bijou de précision et d’équilibre, sentiment de perfection. La précision du quatrième n’est pas moindre dans les doubles croches (on retrouve un peu le son "gouttes de pluie", articulé avec touches de pédales du finale de la sonate), mais c’est la narration de la main gauche qui nous tient, peut-être là plus qu’ailleurs, chaque note est chargée. J’ai été un peu déçu par la partie centrale, notamment le traitement peut-être un peu exagéré des accents syncopés (même genre que le 2e thème du finale, sauf que dans le finale il n’y a pas d’accents). Très impressionnant cinquième, très rapide et parfaitement implacable, où on entend les planches de bois de la scène de TCE vibrer sur les accents comme s’il tapait du pied à chaque début de mesure (je pense qu’il « tapait » sur la pédale en l’occurrence ; a-t-il recherché un effet percussif "hors" du piano ?). Méditatif sixième, qui ne traine pas et ne nous ennuie jamais malgré ses recommencements. J’ai en mémoire les gracieuses incises en mi majeur, et ce fa bémol au pouce qui ressort si dramatiquement à chaque fois que survient l’accord augmenté fa b/la b /do.

Deuxième partie

Dans Chopin, la ligne de chant acquiert d’emblée sa liberté dès les premières mesures du premier nocturne. Ce premier nocturne de l’opus 32 m’a énormément plu, c’était l’un des moments les plus émouvants du concert pour moi. Ce qui m’étonne c’est d’avoir eu cette réaction pour l’un de mes nocturnes préférés, sur lequel j’ai les idées assez arrêtées, et là je me suis dit qu’il l’a joué comme j’en rêvais. Pour le coup, j’ai trouvé son rubato absolument idéal, avec toujours le luxe de cette palette sonore. A la fin je me suis dit "s’il débarquait au concours Chopin en jouant comme ça, il mettrait tout le monde d'accord". Quelle entrée en matière. Le second nocturne m’a moins emballé, mais il faut aussi préciser que c’est le seul nocturne que je n’aime pas, et Sokolov n’est pas parvenu à m’y rallier. D’ailleurs, et de manière anecdotique, ce sera la seule pièce où il y a eu 2-3 imperfections sans importance (un ou deux mini accrocs, un phrasé bien raté à l’issue d’un gruppetto), autrement tout était immaculé. La magie a cependant opéré dans la très belle partie centrale en fa mineur, dans laquelle il a pris la liberté de ne pas changer le tempo (c’était donc un tempo divisé par deux par rapport à ce qu’on entend d’habitude). Toujours ce sentiment de pondération chirurgicale de chaque son, où on sent qu’il a mesuré chaque note dans chaque accord. Le tout dégageait une grande émotion contenue.

Arrive la sonate funèbre, débutée quasiment sans pause. Après l’octave initial, la suite de l’introduction est beaucoup moins tonnante, étonnant mais l’effet d’intrigue est là. Puis la machine grondante se met en route. J’ai trouvé la reprise de l’exposition plus convaincante que le premier énoncé, la deuxième fois il a réussi une première page absolument suffocante, instituant une sensation de véritable panique, la vraie course aux abois, tout en prenant un tempo pas si rapide que ça. Ce qu’il a fait dans le deuxième thème a été sûrement ce qui m’a le plus frustré. Un de mes passages préférés de la sonate est lorsque ce thème se poursuit et que les triolets de noires de la main gauche deviennent des croches. Au lieu de chanter les octaves et les accords dans l’effusion que cette musique exige, il s’est simplement mis à taper, exactement de la même manière la première fois et à la reprise. De même, j’ai trouvé hors propos le calme posé de la séquence d’accords répétés en triolets qui conclut l’exposition du mouvement. Puis arrive le développement, et avec lui le génie du pianiste. Quelle terreur il a su y exprimer, cette fois-ci en lâchant davantage prise, soignant un peu moins ses sonorités mais parvenant à retranscrire toute la déconstruction de ce passage, un vrai moment de chaos. J’ai encore en mémoire le motif du premier thème en octaves à gauche, complètement dévertébré et paniqué mais prenant tout son sens sous la stabilité de la main droite. Le climax extraordinaire de ce mouvement est traité de manière implacable, la moins romantique qui soit, comme une succession de cloches colossales. Je suis ressorti pantois de ce mouvement.
Le scherzo m’a moins plu, j’ai senti qu’il a un peu cherché à assurer les volets extérieurs et cette fois-ci la relative prudence de son tempo m’a dérangé. Je n’ai pas retrouvé la furie inhumaine dans ces deux pages. Il y avait quand même un motif jouée de manière assez extraordinaire, c’est la décente en octaves en noires à gauche (la-sol-mi-sol-fa-ré…) qui mène au retour du thème via une sourde menace. La valse fantôme de la partie centrale reçoit un traitement quasi Schubertien, ce qui lui donne un certain immobilisme pétrifiant, tout en retrouvant une qualité polyphonique hors normes. Mais ce n’est pas le Chopin que j’aime dans ce mouvement.
Suit une fabuleuse Marche Funèbre, sans cesse renouvelée, où aucune ligne n’est jouée comme la précédente, et où la rééxposition trouve un énoncé avançant davantage. La progression est parfaitement construite, les gradations impressionnantes, et les cloches reviennent à chaque fortissimo, où la main droite tombe d’au moins 50cm de haut sur ces accords telluriques. Je regrette juste quelques fortissimo saturés, mais à nouveau, Sokolov fait exactement ce qu’il a décidé de faire, il n’y a rien de "raté" puisque ce sont des choix, et ici il a probablement souhaité traduire de la violence via la dureté du son (comme parfois lorsque Mahler fait volontairement sonner son orchestre de manière criarde). Sans surprise, il semble jouer d’un autre instrument dans la merveilleuse partie centrale, qu’on aurait voulu se poursuivre toute la nuit (une main gauche flottante, sans marquer les basses, parfaitement fondue et legato, alors que je peux certifier qu’il a plusieurs fois utilisé le doigté 1-1 dans les deux dernières croches des groupes de quatre).
Le finale débute sans même couper la pédale de l’accord final de la Marche. Le coup de vent passe, traversé de variétés d’attaques, de différents legatos et articulations, et le tourbillon s’éteint dans le dernier sursaut.

Les six bis

Les voilà dans l’ordre, que je colle depuis d’email du TCE qui les a confirmés le lendemain :
Chopin : Mazurka en la mineur opus 68 n°2, Mazurka en do dièse mineur opus 30 n°4, Mazurka en do dièse mineur opus 63 n°3, Prélude en ré bémol majeur opus 28 n°15 « la goutte d’eau », Mazurka en do mineur opus 30 n°1
Debussy : « Canope », Préludes livre 2

Une grande cohérence. On continue sur Chopin a qui était consacrée la seconde partie. La première Mazurka nous ramène au la mineur de la sonate qui ouvrait le concert. Une paire de Mazurkas en ut# auxquelles répond l’enharmonie du 15e prélude (dont la partie centrale retrouve ut#). On glisse un demi ton plus bas pour la Mazurka suivante, puis en signe de fin, on quitte Chopin pour finir dans le silence Debussyste.

Je n’ai pas complètement adhéré a ses deux premières Mazurkas, surtout car je les ai trouvé lentes et pas assez mobiles à mon goût, en dépit des prestiges sonores. La partie en la majeur de la première était assez claironnante. La troisième était saisissante d’émotion et de justesse à la fois. Le prélude a incroyablement étiré le temps, comme seuls les immenses pianistes peuvent se le permettre car ils savent nous interpeller à chaque note (applaudissements particulièrement nourris). La Mazurka suivante, la plus brève, retrouve une ligne de chant plus ouverte et une sensibilité plus assumée, vraiment magnifique. Et le Debussy, qui nous livre encore quelques tours de magie sonores (je ne m’étends pas, ayant déjà beaucoup trop écrit, mais sa version mériterait un post à elle toute seule), faisant oublier bien davantage que les marteaux du piano.
Modifié en dernier par Okay le ven. 20 nov., 2015 14:53, modifié 2 fois.
mieuvotar

Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par mieuvotar »

Eh bien, si on cherche encore un Grand Commandeur de PianoMajeur, ne cherchons plus, nous l'avons trouvé en Okay !
Quel commentaire remarquable et captivant et quelle précision dans le compte-rendu !! On s'y croirait presque.
Ça donne aussi l'impression d'avoir raté un moment pianistique quasi-historique - et c'est probablement d'ailleurs le cas.

Une infinie reconnaissance à toi, Okay, pour avoir pris ce temps pour nous décrypter le concert un art du texte à l'égal de ton talent au piano.
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Juanito
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Juanito »

On s'y croirait, c'est super OKay! (même plus la peine de se déplacer en fait... ou en fait si, au contraire !!...)

A quand ta reconversion pianiste/éditorialiste musical? Tu devrais envoyer ton article à des revues, juste pour essayer :-)

Je n'ai jamais eu la chance d'assister à un concert de Sokolov, tu es un de plus à dire que c'est une expérience exceptionnelle.
Merci vraiment de nous l'avoir faite partager.
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Lee
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Lee »

Je me rends compte que ça serait intéressant de suivre Okay aux concerts où il assiste et après de lire ses comptes-rendus. S'il a assez d'adhérents, il peut commencer à demander un petit com des pianistes, des billets gratuits des meilleurs places, etc. :mrgreen:
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par sylvie piano »

Okay a écrit :............Le génie du pianiste.....
Vous avez tout dit. Je l'ai entendu il y plus de dix ans. La puissance de sa présence est intacte. Pour moi, il relève réellement du génie.
Julien84
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Julien84 »

Bon, vous me mettez l'eau à la bouche avec tous ces dithyrambes. J'ai trouvé sur YouTube ce concert du pianiste datant de 2013. Je la garde sous le coude pour un moment libre. Il joue la Hammerklavier!
Virgule
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par Virgule »

Okay a écrit :Oui très impressionnant et hypnotisant, mais également émouvant. Je ne suis pas prêt de refaire un jour un compte rendu pareil, mais je crois que je ne suis pas non plus prêt d’assister à nouveau à pareil concert. ...
Merci okay pour ce compte-rendu remarquable ! Ça ne fait qu'attiser mon immense regret de ne plus jamais l'entendre chez nous (il ne vient plus aux USA, ils l'ont fait ch... :evil: et du coup, il ne vient plus au Canada non plus :cry: ). Un jour j'essaierai de le revoir en Europe, mais il faut vraiment chercher les billets d'avance, malgré qu'il joue en beaucoup d'endroits.
mieuvotar

Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par mieuvotar »

Virgule a écrit :il ne vient plus aux USA, ils l'ont fait ch... :evil:
Chanter ? :wink:

Edit : j'ai effacé la suite du message qui, en effet et comme il a été noté par la suite, n'apporte rien de nouveau.
Modifié en dernier par mieuvotar le sam. 21 nov., 2015 22:56, modifié 1 fois.
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katy
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Re: G. Sokolov au Théâtre des Champs-Elysées - 18/11/2015

Message par katy »

Sokolov vient au festival de Colmar chaque année depuis des lustres...Les Alsaciens le connaissent par coeur :mrgreen:
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