BM, tout propos est toujours à nuancer, évidemment. Je me répète un peu mais pour être honnête, je suis très « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». J’ai moi-même beaucoup de difficulté à me discipliner pour me tenir strictement à cette démarche que je préconise. Je me dis que je fais du piano pour me faire plaisir, à 41 piges, je n’ai pas d’ambition autre que jouer quelques pièces qui me tiennent à cœur. Mais c’est une mauvaise excuse, dans la mesure où certaines de ces pièces que j’ai envie de pouvoir jouer un jour sont vraiment dures (genre, des ballades de Chopin) donc, faute de me discipliner, tout restera à l’état de fantasmes.
Toutefois, je suis convaincu que le discours que je défends est celui qui convient de tenir pour les jeunes débutants qui sont déterminés à parcourir un cheminement pianistique sérieux, éventuellement professionnel.
Dans la vision à long terme de la maitrise du piano (ou de tout autre instrument de musique) il y a, entre autres, deux problématiques qui rendent les choses compliquées et parfois très frustrantes :
Il faut trouver un équilibre entre la construction des fondations et la volonté d’affronter des challenges : d’une part il y a une idée de progression, de ne pas sauter des étapes et, d’autre part, comme tu le dis très justement il ne s’agit pas de se contenter « juste d'appliquer ce que l'on sait et d'apprendre les notes et de faire de la musique » ; pour avancer, il est très clairement nécessaire de s’affronter à quelque chose de consistant en termes de défis techniques. Concrètement, la difficulté est de pouvoir identifier très précisément quelles pièces représentent, à l’instant « t », un défi à la fois raisonnable et suffisamment ambitieux, pour nous faire progresser sans être préjudiciable, en termes de temps, de frustrations, de risques de mauvaises habitudes etc.
La progression au piano n’est pas linéaire : à un moment ou un autre chacun se retrouve face à un mur, un gros blocage qui, peu importe le temps que nous passons dessus et notre volonté de le surmonter, ce sera peine perdue au stade où nous nous trouvons à un moment donné. Dans ces cas-là, il vaut souvent mieux laisser la pièce de coté et passer à autre chose. Et un beau jour, tout d’un coup, en revenant sur la pièce plusieurs mois, voire plusieurs années après, cette difficulté qui nous paraissait injouable devient beaucoup plus abordable, sans que nous sachions exactement qu’est ce qui s'est passé entretemps, qui nous a permis d’abattre l’obstacle. Mais, d’un autre coté, il y a aussi de sérieux challenges face auxquels cela vaut la peine de s’accrocher sans attendre.
Dans ces deux problématiques, il est question, essentiellement, d’arbitrage, d’avoir « le bon feeling », l’intuition correcte dans les choix de pièces qu’on travaille. Cela dépend aussi de notre capacité à auto-évaluer où nous sommes exactement dans notre progression. L’idée des 6-8 semaines doit s’entendre dans le sens d’un critère pour aider à ces arbitrages et à cette auto-évaluation. Soit dit en passant, l’une des fonctions principales du prof, selon moi, est d’assister et d’orienter l’élève par rapport à ces arbitrages ainsi que de proposer, éventuellement, des pièces de transition qui comportent des difficultés de nature similaire mais d’ampleur réduite pour préparer à attaquer la pièce bloquante dans l’avenir.
Maintenant, je vais revenir sur ce que tu as écrit, car il y a 2-3 idées qui inspirent réflexion.
C’est typiquement l’illustration de ce que je conseillerais d’éviter !!!BM607 a écrit :j'ai mis 6-7 semaines, à raison de 10-12 h/semaine en ce moment, pour apprendre 14 mesures alors qu'il m'en faut apprendre 110.
Je ne peux pas présumer de la manière précise dont tu organises ton temps au piano : Est-ce la seule pièce sur laquelle tu travailles en ce moment (c’est l’impression que donne ta formulation) ou est-ce que tu es sur plusieurs projets en parallèle ? En gros tu as 1.30 h par jour de travail au piano. Cela permet de travailler en parallèle sur 4 pièces à raison de 20 minutes par jour chacune, et, comme tu le dis très justement :
Plus il y aura de pièces, plus conséquent sera le bagage technique acquis et notre courbe d’apprentissage ne peut que s’en améliorer.BM607 a écrit :Je considère pour ma part que les pièces apprises et travaillées me servent à acquérir un bagage technique,
De plus, si tu abordes la pièce séquentiellement, en commençant par le début et en avançant mesure après mesure, il y a le risque qu’au beau milieu de ta pièce, mettons à la 70eme mesure (c'est-à-dire dans 20 à 30 semaines) ca coince méchamment, dans le cas où la pièce n’est pas homogène de bout en bout et qu’il y a à un moment donné un passage particulièrement plus complexe et ardu à maitriser et, malheureusement, c’est ce qui arrive le plus souvent, les compositeurs ont ce coté sadique. C’est pourquoi il est toujours bon de se tester dès le départ sur les passages qui apparaissent comme les plus durs pour sonder le terrain. Il est possible que le travail séquentiel permette de construire les fondations vers ces passages les plus durs, mais c’est loin d’être certain.
J’aimerais bien en faire le dixième déjà, pour commencer … Mais plus sérieusement, la question n’est pas d’avoir une jolie liste de plusieurs centaines de pièces apprises pour impressionner les filles, le véritable enjeu c’est la confiance emmagasinée. Le bagage technique, c’est essentiellement cela : de la confiance… et je suis certain que c’est une idée qui te parle, toi qui as un background sportif. Tiens en tennis, par exemple, les tous meilleurs sont ceux qui auront gagné (donc joué) le plus de matches. Ce qui fait que Federer et Nadal sont ce qu’ils sont, ce n’est pas juste une technique époustouflante, c’est surtout leur foi à toute épreuve dans leurs capacités, foi qui se base avant tout sur la quantité de matches gagnés qu’ils comptent à leur actif. Eh, bien au piano, chaque pièce c’est un peu comme un match, au delà de l’aspect technique et musical, il y a surtout le confort psychologique que cela procure pour aller de l’avant.BM607 a écrit : je me moque d'apprendre 125 pièces en 365 jours
Il y a decidement une philosophie à laquelle je ne souscris pas qui est implicite dans ce paragraphe. J’apprends des pièces pour les jouer, avant toute chose. La technique n’est pas quelque chose qui m’obsède en tant que telle. Je m’intéresse à un point technique dans la mesure où il est présent dans une pièce que je suis en train de travailler, mais je ne travaille pas pour acquérir de la technique. Par exemple quand tu dis « le staccato » c’est très vaste, cela peut concerner une ligne mélodique, des accords, une ligne de basse baroque à la MG, cela peut être forte, piano, plus ou moins rapide etc. C’est une multitude de contextes musicaux et à chaque fois cela demande une approche différente.BM607 a écrit :Je considère pour ma part que les pièces apprises et travaillées me servent à acquérir un bagage technique, et donc je me moque d'apprendre 125 pièces en 365 jours (je m'applique d'ailleurs plutôt à les oublier sitôt apprises), je préfère m'arrêter le temps qu'il faut pour travailler une difficulté que j'ai estimé intéressante à travailler.
Ainsi la dernière fois, j'ai travaillé les déplacements de mains, et en ce moment je travaille le staccato (j'ai chois la pièce en partie pour celà, en partie pour continuer mon travail de déplacement de mains) et j'ai eu beaucoup de mal, je pense y arriver à peu près maintenant (du moins j'y arrive clairement beaucoup mieux)...
Mais au bout du compte, si quelqu’un te demande de lui jouer quelque chose au piano, tu ne vas pas leur dire « Je vais vous jouer un petit staccato de derrière les fagots ! » ou bien « Ah, je vais vous jouer des sauts, c’est super chouette les sauts ! ». Non, ce qui intéressera les gens c’est d’entendre une pièce joliment jouée, avec un concept musical raisonnablement abouti.
Par rapport au questionnement initial de ce topic « je voulais savoir au bout d'un an et 4 mois ce que normalement on est censé savoir faire », je pense que c’est en termes de pièces de musique qu’on est capable de jouer qu’il faut le penser, non pas en termes de thèmes techniques sur lesquels on a travaillé.