Enregistrement "La jeune fille et le rossignol" Granados / en cours de travail

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mieuvotar

Re: Enregistrement "La jeune fille et le rossignol" Granados / en cours de travail

Message par mieuvotar »

:shock:
Bigre, voilà qui désacralise le personnage.
Même si, comme tu l'évoques Jean-Seb, on ne peut pas le résumer à ces seuls textes. il n'est pas le seul écrivain à donner dans la lubricité outrancière, il y a toujours un côté "posture" à cela
Mais quand même...
Bon, à la fin, on sait qu'il meurt par là où il a pêché. :mrgreen:
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quazart
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Re: Enregistrement "La jeune fille et le rossignol" Granados / en cours de travail

Message par quazart »

Jean Séb est un gros coquin qui cachait bien son jeu aux yeux du forum, mais la bête s'est dévoilée !!! :lol:
Lazur84
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Re: Enregistrement "La jeune fille et le rossignol" Granados / en cours de travail

Message par Lazur84 »

Eh bien, ça bouge ici :D
mieuvotar a écrit : jeu. 28 févr., 2019 14:14 Et qu'en pense notre prof de lettres modernes attitrée, auteure de ce fil ?
J’en pense que vous n’avez pas besoin de moi et que avez parcouru tous les champs d’interprétation possibles, à ce qui me semble :) J’apporte juste un petit complément…

Pour ce qui est de la question de trancher, j’annonce d’emblée que je ne saurais pas le faire et que l’intérêt des grands textes littéraires, comme en musique, est précisément qu’on ne peut pas trancher... « Viol ou pas viol » : C’est en fait une question très moderne, je ne crois pas (mais en fait je n’en sais rien) que le concept, dans son sens juridique, existe réellement au XIXème siècle (en tout cas pas du côté de la femme, le terme de « viol » dans la littérature me paraît en tout cas très absent, on y trouve surtout le mot « rapt », qui dit tout du point de vue masculin… )

Alors il faut sans doute remettre le texte dans l’époque du réalisme :
La dimension égrillarde dont parle Mieuvotar ne me semble pas du tout absente du texte: un artiste réaliste aime bien choquer le bourgeois et bousculer ce que ce bourgeois, au XIXème siècle, pense être digne d’un sujet littéraire (le dépucelage d’une jeune fille n’en fait bien sûr pas partie…) ; figurer l’orgasme (masculin ici, semble-t-il) est aussi un exercice de style, un petit défi d’initiés, auquel on pourra montrer tout son art de l’écriture, par la métaphore du chant du rossignol par exemple… il y a d'ailleurs sans doute ici une certaine complaisance à filer la métaphore ; mais au-delà de ça, on verra surtout une dimension esthétique, qui s’applique à parodier ce motif trop connu : affirmer le naturalisme – dans la lignée de Zola – et tordre le coup aux clichés romantiques. Moderato Cantabile citait malignement Hugo, « Vieille chanson du jeune temps » : c’est très certainement l’hypotexte d’Une Partie de campagne, clin d’œil au grand-père imposant qu’on admire mais qui pèse sur tous les artistes du siècle, c'est un peu le père à tuer, lui et son lyrisme convenu qui agace. Bref, c'est un peu haro sur la « niaiserie romantique » : le rossignol, emblème de l’idéalisme romantique, métaphorisé en jouissance bêtement organique, prend un petit coup dans l’aile (attention jeu de mots, c’est juste pour maintenir l’attention de Quazart :lol: )…

Bon mais tout ça, vous vous en moquez, j’imagine.
Pour ce qui est du sens de la nouvelle, je pense comme JPS qu’elle montre bien les mécanismes de la domination masculine de l’époque mais que ce n’est pas tout à fait son propos (ce n’est d’ailleurs pas ce que JPS a dit). En bon réaliste, et réaliste de génie, Maupassant observe le réel au scalpel et se contente peut-être seulement de relever - avec beaucoup de cruauté, d’ailleurs, parce que dans le reste de la nouvelle, et aussi dans cet extrait, il n’est pas tendre avec les rêves d’Henriette , hérités de l’imagerie romantique - que la femme ne sort pas gagnante de ses rapports avec les hommes. C’est déjà beaucoup. Henriette, c’est un peu la fille spirituelle d’Emma Bovary… JPS, tu parlais d'Une Vie : Le viol (conjugal), même s'il ne porte pas ce nom, y paraît plus franchement abordé en tant que tel que dans cette nouvelle... mais globalement oui, Maupassant pose la question du consentement féminin... je ne pense pas ceci dit qu'il se mette d'un côté ou de l'autre, il examine, fait tomber les masques, n'est jamais bien tendre avec personne... mais c'est sûr que pour ce qui est des masques, il y a urgence à faire tomber ceux des hommes, comme dans Bel-Ami.
JPS1827 a écrit : jeu. 28 févr., 2019 13:28 Ce texte est très intéressant, indépendamment de son indéniable beauté littéraire : il manie les stéréotypes habituels de la culture du viol dénoncée aujourd’hui par les féministes, la femme ne sait pas ce qu’elle veut et l’aspect sexuel de son désir lui est révélée par l’homme... en fait c’est la chute qui est subversive (il y a bien des aspects feministes et de dénonciation de la domination masculine chez Maupassant, cf Une vie), la femme sait bien qu’elle vient de subir une agression sexuelle (et même très probablement un viol) et l’homme sait très bien ce qu’il a fait, d’ou les termes ennemis irréconciliables, dégoût et haine.
mieuvotar a écrit : jeu. 28 févr., 2019 14:14 En y réfléchissant, j’avais pensé – Maupassant, malgré sa réputation de misogyne, ayant souvent exprimé une certaine affection pour les femmes-victimes mais étant aussi un grand pessimiste devant l’Éternel – que c’était sa façon de figurer là l’inévitable dés-idéalisation de l’amour.
En fait, vous êtes assez d’accord.
La désillusion, c’est sans doute le cœur de cette nouvelle. Pour la jeune fille d’abord, parce qu’elle est au centre du récit, qu’elle rêve de sentiments, de manière très diffuse, qu’elle ne saurait elle-même expliquer, mais qu’elle est durement ramenée à une réalité qu’elle ne se figurait pas, celle d’un rapport seulement charnel et violent ; pour le canotier aussi finalement, qui ne peut que constater qu’il est resté seul dans la satisfaction de ses désirs et qu’Henriette, ou la femme, reste une terre étrangère qu’il a conquise sans obtenir réellement son consentement. De là résulte sans doute l’amer sentiment d’étrangeté et de solitude, des deux côtés, comme si l’homme et la femme étaient inconciliables.
Maupassant est profondément marqué par Schopenhauer, pour qui la passion amoureuse n’est qu’une illusion, un leurre que l’homme et la femme s’inventent pour les porter vers leur seule fonction : procréer. Ils sont mus par les forces de la nature, qui font naître en eux une libido qu’il cherchent à sublimer en sentiments mais celle-ci n’est en fait qu’une force sauvage, sans transcendance.
En somme, ce qu'on désignerait aujourd'hui par le viol, Maupassant l'expliquait par une métaphysique profondément pessimiste.
Galadrielle a écrit : jeu. 28 févr., 2019 13:54 .... intéressant. Personnellement je ne sais trop quoi penser de "Alors, affolée par un désir formidable, elle lui rendit son baiser en l’étreignant sur sa poitrine, et toute sa résistance tomba comme écrasée par un poids trop lourd."
Car en effet, on a l'impression qu'elle a soudain très envie. Du coup on ne peut pas dire qu'elle soit encore en train de repousser l'assaut de cet homme...
On peut dire ici qu’Henriette, qui a passé la journée dans la nature, est totalement envahie par cette nécessité schopenhaurienne, ce désir dont elle ne sait pas à quoi il correspond mais qui la force à consentir. Evidemment, le problème c’est qu’au moment où elle consent, elle ne sait pas précisément à quoi elle consent. Lui, il sait très bien, Henriette est sa proie depuis le début la nouvelle.
JPS1827 a écrit : jeu. 28 févr., 2019 14:33 Je viens de relire la nouvelle en entier, on y apprend que Henriette ne connaît Henri que depuis une heure, la fin est également intéressante…
Oui… il est troublant, un an après, ce « moi j’y pense tous les soirs d’Henriette » à Henri en souvenir de l’aventure. As-tu remarqué que celui qui est devenu comme il se doit son mari, le commis de boutique, à chaque fois qu’il apparaît dans la nouvelle, ne fait que dormir (il dort au début dans la carriole, au milieu après le repas trop arrosé par les hommes, à la fin quand Henriette retrouve par hasard Henri) ? On a quand même l’impression que Maupassant nous montre qu’il est émasculé par son esprit boutiquier… à l’inverse du canotier, auquel Henriette repense finalement, qui incarne une force virile à la fois dangereuse et séduisante (à l'image de Maupassant lui-même, l’artiste qui aimait canoter, montrer sa moustache et ses muscles en maillot, et séduire les femmes en nombre... bon il était surtout grand consommateur de prostituées...)

Dans son adaptation de la nouvelle, Partie de campagne, chef d’œuvre du cinéma réaliste, Renoir semble en tout cas trancher davantage pour le viol.

Jean-Séb : tu me fais découvrir des pages de Maupassant que j'ignorais (ben bravo pour tes lectures de jeunesse :mrgreen: ) :lol:
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quazart
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Re: Enregistrement "La jeune fille et le rossignol" Granados / en cours de travail

Message par quazart »

Lazur84 a écrit : ven. 01 mars, 2019 0:16 le rossignol, emblème de l’idéalisme romantique, métaphorisé en jouissance bêtement organique, prend un petit coup dans l’aile (attention jeu de mots, c’est juste pour maintenir l’attention de Quazart :lol: )…
Hé ben c'est agréable, tu crois que je pique du nez sur un texte qui ne recèlerait aucun jeu de mots, calembour ou autres contrepèterie :!: :shock:
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Re: Enregistrement "La jeune fille et le rossignol" Granados / en cours de travail

Message par quazart »

:lol: :lol: :lol:
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coignet
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Re: Enregistrement "La jeune fille et le rossignol" Granados / en cours de travail

Message par coignet »

Lazur84 a écrit mieux que moi et de manière plus développée ce que j'avais envie d'écrire après lecture des pages précédentes. On y trouve même la référence à Renoir. En passant par ce dernier, je citerais bien aussi Boudu sauvé des eaux dans lequel la femme du libraire (qui rejoint la bonne toutes les nuits) cède sous les assauts de Boudu, et, plus près de nous, mais déjà si loin, le Truffaut de l'homme qui aimait les femmes. Les femmes y sont certes clairement consentantes, mais constituent également une collection pour l'insatiable héros joué par Charles Denner, au même titre que dans le texte cité par Jean-Seb : toute femme m'a plu, j'ai joui sur chacune : sur la blonde [...], sur la brune [...]
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