Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

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Lee
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Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Lee »

Bonjour,

L'autre jour, je voulais "retrouver" un morceau que j'ai un perdu de mémoire. Il y a un moment donné, j'ai clairement diverti des doigtés apprises, mais je voulais continuer à "retrouver" le morceau par ce que je pouvais restaurer fidèlement à l'oreille, comme si j'étais dans une situation de concert et j'ai perdu mes moyens, pour continuer au moins quelques notes clés dans la continuité du chant et pour pouvoir continuer. Mais je n'arrivais pas. A ce moment là je me suis demandé : pourquoi dit-on qu'il faut toujours fixer les doigtés? Le fait qu'on peut perdre tous les moyens à cause des doigtés erronés, ça ne fait pas qu'on est moins adaptable aux problèmes? Et si ma formation était plus dans l'improvisation jazz, aurais-je mieux fait la tâche?

Ensuite, l'autre jour, nous étions en train de discuter jazz et classique dans un autre fil. En cherchant des citations que j'ai lues ailleurs, je suis tombée sur des recherches intéressantes concernant les différences dans le cerveau des pianistes jazz et classique qui semblaient un peu répondre à ma question.
https://www.cbs.mpg.de/brains-of-jazz-a ... ifferently (en anglais, l'article de l'institut de recherche)
https://www.francemusique.fr/savoirs-pr ... veau-60059 (un article en français)

Dans l'étude, ils ont fait 30 pianistes professionnels (moitié des pianistes jazz et l'autre classique) jouer ce qu'on voyait sur un écran de clavier muet avec des erreurs en harmonie et les doigtés. Les chercheuses ont constaté qu'il y a des différences entre les pianistes jazz et classiques : les réactions pour les pianistes jazz étaient plus rapides pour s'adapter aux harmonies inattendus et comment réagir. Je n'ai pas réussi en lisant les articles de comprendre si c'était juste de copier et gérer ou corriger et jouer. Apparemment les pianistes classiques étaient plus forts pour copier les doigtés inattendus.

Du coup, cette étude semblait aller dans le sens de ce que j'avais pensé quand j'ai essayé de "trouver" mon morceau mais j'avais complètement oublié les doigtés apprises. Qu'en pensez-vous ? Les doigtés fixés et toujours les mêmes nous rassurent, ils nous donnent un chemin à suivre qu'on connait bien, mais pour gérer des situations de stress, seraient-ils finalement la création des blocages ou des déraillements le moment qu'on sort du chemin ?
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Lee
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Lee »

J'ai complètement changé le titre, j'avais du mal à choisir un pour bien résumer ma question à vous.
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Oupsi
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Oupsi »

Bonjour Lee et bonne année! Je n'ai pas lu les articles, mais je pense qu'il ne s'agit pas tant de ne pas fixer les doigtés, que de savoir comment traiter les autres couches et aspects du travail que l'on "fixe" en apprenant le morceau, qui se superposent et finissent par s'imbriquer, et dont la mémorisation est plus ou moins profonde selon l'effort fourni et la volonté d'isoler tel ou tel aspect pendant que l'on monte le morceau. A ce titre, probablement les musiciens de jazz sont davantage habitués que nous à réfléchir harmoniquement dès le début de leur approche du morceau, et donc le "note par note avec doigtés" est moins constitutif de leur manière de monter le morceau. Je pense aussi qu'ils apprennent davantage de "formules", ils ont un registre de doigtés ou d'empreintes presque à disposition par le seul fait de beaucoup improviser, sur d'autres gammes et modes que nous, à partir d'accords que nous ne commençons à rencontrer qu'après des années d'étude du piano, donc le lien entre le cerveau et les "doigtés" est sans doute beaucoup plus diversifié et inventif, ils sont moins "perdus" quand ça ne ressemble pas à une gamme habituelle ou quand ils se retrouvent à s'adapter après une erreur ou un petit trou de mémoire.
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Lee
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Lee »

Bonjour et bonne année Oupsi !
Merci pour ta réponse perspicace, je crois que tu as raison surtout que je suis nulle (et paresseuse) pour telles analyses harmoniques. Ces formules seront alors intéressants à apprendre...
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Christof
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Christof »

En complément de la réponse d'Oupsi, on peut signaler aussi que très souvent, un pianiste "jazz" ne se contente pas d'apprendre un morceau dans une seule et unique tonalité. Cela peut venir par exemple parce que tout simplement, il a commencé à apprendre le standard "Green Dolphin Street" en do majeur (comme il est répertorié le plus souvent dans le Real Book* des pianistes). Et puis un jour est donné à ce pianiste l'occasion de jouer en groupe et là, zut, il découvre que le saxophoniste, lui, préfère le jouer en mib majeur (certains Real Books donnent ce morceau dans cette tonalité, qui est en fait -malgré ce que pense ntpas mal de pianistes celle qu'on pourrait dire "de référence")...
Idem pour le thème "les feuilles mortes" (Autumn leaves) : on le trouve sur certains real book en mi mineur... , mais pas mal de versions de références, par exemple celle de Keith Jarrett, ou Bill Evans, sont en sol mineur...
Alors du coup, obligé de transposer.

Plus tard, le pianiste "jazz" va aussi par exemple accompagner un chanteur ou une chanteuse... Et là, c'est pareil. Les tonalités sont prises en fonction de la tessiture du chanteur ou de la chanteuse... Et, pour un même morceau, on peut finalement se retrouver dans n'importe quelle tonalité, suivant les chanteurs ou chanteuses.
C'est très formateur. Et comme il y a des moments on l'on fait des chorus, il aura fallu travailler cela un peu dans tous les sens..., ce qui explique cette adaptabilité dans les doigtés pour les pianistes de jazz. La "tonalité" n'est jamais figée.

Quand je travaille le piano "jazz", j'aime bien pour m'échauffer prendre un thème et le jouer dans toutes les tonalités: je joue une fois le thème, puis un chorus sur la grille du thème, puis arrivé sur la fin, modulation qui va me permettre alors de repartir à jouer thème + chorus, mais cette fois -ci un demi-ton au dessus de la tonalité de départ... et ainsi de suite jusqu'à avoir joué le morceau dans tous les tons (on peut bien sûr moduler sur un autre schéma de progression, mais finalement pour arriver au résultat : avoir joué ce morceau dans tous les tons...

Pour y arriver, il faut avoir le schéma de la progression harmonique du morceau en tête...

Rien n'empêche d'ailleurs à un pianiste classique de faire le même exercice sur un morceau "classique". Prendre par exemple la première invention de Bach, et essayer de la jouer en commençant par la tonalité de sol majeur, puis passer ensuite en ré majeur, puis la maj, puis mi maj, puis si maj, puis fa#.... etc.
Et puis faire cela aussi avec un morceau qui contient des arpèges (1ère étude de Chopin ?)....


* Le Real Book (nommé ainsi par allusion humoristique aux Fake Books des années 1940 et 1950), est un livre qui rassemble de nombreux standards de jazz.
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Lee
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Lee »

Non seulement content de complémenter le message d'Oupsi en explication, là tu nous donnes beaucoup du travail ! :wink: Merci Christof ! Pour les arpèges, Beethoven en met souvent je trouvais...
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arg

Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par arg »

d'accord avec Oupsi et Christof ! même si, à ce prix-là, il faut arrêter de dormir ! :D
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Christof
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Christof »

Et pour que cela soit encore plus parlant, ici un exemple sur le thème "On green dolphin street" : Ecouter
Démarrage en mib majeur, puis modulation pour repartir en Fa# majeur, puis ensuite en sol majeur, puis en si, puis en sib , ensuite longue pédale de Fa# avec différents accords pour revenir ensuite à la dernière exposition thème en mi bémol.
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JPS1827
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par JPS1827 »

Je m'aperçois que j'ai du mal à répondre à ta question, Lee.

J'ai l'impression que tous les pianistes n'utilisent pas les même processus mentaux. Certains pianistes avec une excellente oreille, ayant mémorisé de grandes quantités de musique dans l'enfance, doivent utiliser surtout leur oreille, le suivi musical de ce qu'ils font, et chez eux la mémorisation des gestes passe un peu au second plan (je me rappelle par exemple Kempff très âgé ayant un trou de mémoire dans la fugue de l'opus 110 et continuant imperturbablement à jouer une fugue (pas de Beethoven, celle-là) pendant quelques mesures avant de trouver un raccord avec le texte beethovénien). Pour les pianistes intéressés par les pièces de grande virtuosité je pense que la mémoire des doigts et du geste est primordiale, même si elle ne suffit pas.
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Lee
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Lee »

Effectivement je crois que ça dépend aussi de la personne et combien elle travaille ou laisse ses lacunes ! Merci JPS
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Christof
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Christof »

Autre exemple pour illustrer les messages que j'ai déposés au-dessus.
Ici, la modulation systématique au demi-ton supérieur, procédé couramment employé dans le jazz (voire en variété, mais en général alors, la modulation, c'est juste une seule fois). Ce qui peut-être déplaisant ici, c'est un peu cet esprit "démonstration de foire" mais l'intérêt est de noter que rien n'était vraiment fixé au départ, Michel Legrand donnant à chaque fois des indications pendant le déroulement, qu'il s'agisse du style ou du tempo... et tout le monde s'adapte. Et les modulations coulent de source.



Et la vidéo ci-dessous pour illustrer cette facilité qu'ont ces deux pianistes non seulement d'improviser, mais aussi de continuer le discours de l'autre les "doigts dans le nez". Aucun problème de doigtés que ce soit dans l'une ou l'autre de ces vidéos...

Leygolas
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Leygolas »

Bonjour à tous, et meilleurs voeux... .. c'est d'actualité !

Lee, j'ai relu plusieurs ta question (multiple en fait) afin de bien m'en imprégner, car elle est loin d'être simple ^^.
Je vais essayer d'être concis.

Tu te demandes pourquoi on doit fixer un doigté, ce à quoi je répondrai qu'il le faut pour des raisons de mémorisation, de "par coeur", car si tu le changes a chaque lecture a vue, ton cerveau ira bcp moins vite a retenir les mesures, car tu introduis des variations.
Imagine devoir retenir 4 nombres en les lisant tous les jours, si tu les lis dans un ordre différent à chaque fois, ils seront plus difficiles a assimiler que si ils sont toujours dans le même ordre.

J'imagine donc que si tu étais dans ta recherche sur le clavier dans la bonne tonalité, le bon doigté t'aurais aidé à "retrouver" ton morceau.
Mais (car il y a un mais ^^) si ton cerveau t'as laissé divaguer vers un autre doigté, je pense que l'on peut admettre que tu as réellement oublié ce que tu avais appris, et que ta recherche ne se faisait en fait que grace à ton oreille.

Et pour la dernière question, si tu étais jazzman, aurais tu été meilleure ? Je dirais que oui, tout simplement parce les habitués du jazz ont, de mon point de vue, une meilleure oreille que la plupart de pianistes classiques. Non pas parce qu'il sont meilleurs (loin de moi l'idée de les comparer), mais parce que dans le jazz la variation est d'usage, et que l'oreille est bcp plus sollicitée.
La plupart des pianistes classiques sont devant une partition, même s'ils ont une bonne oreille ils ne l'exercent pas forcément au quotidien.

En fait, tu peux aimer les partoches de classiques et travailler ton oreille tous les jours. Perso, depuis tout petit, je copie facilement les trucs que mon oreille apprécie et j'ai acquis maintenant une oreille dont je suis fier ^^, cela rejoins ce qui est dit plus haut, dans ce cas transposer n'est plus un problème... En fait ton oreille refabrique le morceau un ton plus bas ou plus haut comme si tu avais commencé sur une autre note et forcément, il n'y a pas vraiment de problèmes de doigté, si ce n'est ceux que l'on rencontre la 1ere fois que l'on joue un morceau.

J'espère avoir pu contribuer à la réflexion.

NB : En même tps, si on a pas d'oreille, on peut pas jouer la pub de l'ami Ricoré ^^ parce que les partoches doivent pas courir les rues.

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Lee
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Re: Doigtés et l'adaptabilité du cerveau

Message par Lee »

Merci Christof pour les exemples de plus et merci Leygolas (meilleurs voeux à toi) pour ta réponse.

Je comprends ce que tu dis pour se souvenir des notes par les doigts, mais du coup je trouve que ça devient plus kinéthique qu'autre chose. Et je me rends compte avoir du mal à fixer des doigtés, parce que j'ai trop la flemme à tout écrire, mais je me rendais compte que le Scarlatti j'ai repris a quelques doigtés que je change d'une fois à une autre.

En fait je vois plus clairement le décalage (encore plus gros) entre ce que je fais et ce que je dois faire !

Bon travail à tous et toutes
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