Après la sonate de Liszt

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Gruppetto
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Après la sonate de Liszt

Message par Gruppetto »

Bonsoir,

Je me demande de temps en temps ce qu'on peut dire ou penser de la sonate pour piano après celle de Liszt. Avez-vous un avis à ce sujet?
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JPS1827
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Re: Après la sonate de Liszt

Message par JPS1827 »

Bonjour Gruppetto.
Je ne vais pas en écrire des tartines. La Sonate de Liszt peut paraître effectivement l'aboutissement d'un processus qui commence à l'époque de Beethoven chez qui la forme sonate commence à subir maintes distorsions (voir les 2 sonates de l'opus 27 déjà, et surtout bien sûr les dernières sonates). Pour Chopin, Jankélévitch fait remarquer (Chopin et la nuit dans "Le nocturne") que l'opus 35 (la "Sonate funèbre") introduit de fait le concept de sonate-fantaisie (encore qu'on y retrouve une forme sonate assez nette), puis avec Liszt dans ses deux sonates (la Sonate en si mineur et l'Après une lecture du Dante). A la fin de la Sonate de Liszt, créée quelques années après la mort de Chopin, il semble que cette immense composition dont les thèmes paraissent multiples mais sont en fait des présentations différentes de peu de motifs musicaux, a réglé le problème de l'évolution romantique de la sonate, exprimer toute une gamme de sentiments en conservant à peu près la forme héritée de la période classique. Mais d'autres sonates suivront, évoluant
- soit vers une "déconstruction" de plus en plus importante, comme chez Scriabine qui donne effectivement le nom de Sonate-Fantaisie à certaines de ces sonates, et je trouve que ces sonates renouvellent pour certaines l'intérêt de la démarche, même si aucune n'atteint l'importance de la sonate de Liszt. On peut aussi citer dans cette catégorie la sonate de Janacek.
- soit vers un retour à des formes plus classiques, qui peuvent paraître "attardées" par rapport à la sonate de Liszt (comme les sonates de Brahms qui en sont à peu près contemporaines, ou la sonate de Grieg) mais avec des idées musicales qui deviennent résolument différentes (cf les sonates de Prokofiev de forme assez classique, de Medtner, de Bortkiewicz, de Miaskowsky, de Balakirev, la Sonatine de Ravel, les sonates de Szymanowsky etc. pour ne parler que des sonates pour piano seul) et qui nous donnent des œuvres qu'on ne peut négliger, l'aboutissement étant pour moi la sonate de Dutilleux (peut-être représente t-elle pour le XXème siècle ce que la sonate de Liszt représentait pour le XIXème ?).
En me relisant, je m'aperçois que les russes ont grandement contribué à la continuation de la forme sonate, alors que les français s'en sont plutôt détournés, préférant écrire des suites de pièces avec des contraintes moindres, reprenant pour piano seul l'idée du poème symphonique, mais ils ont eu parfois tendance à les regrouper d'une façon qui suggère fortement l'influence de la forme sonate (cf les Estampes ou le premier cahier d'Images de Debussy, ou sa suite Pour le piano avec son prélude à deux thèmes).
Finalement, qu'un ensemble de morceaux s'appelle sonate ou suite ou autre chose, cela influe-t-il sur la façon dont on l'écoute ?
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jean-séb
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Re: Après la sonate de Liszt

Message par jean-séb »

JPS1827 a écrit : sam. 09 juin, 2018 1:03 Finalement, qu'un ensemble de morceaux s'appelle sonate ou suite ou autre chose, cela influe-t-il sur la façon dont on l'écoute ?
Bonne question. Je ne suis pas sûr que la réponse soit non.
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Okay
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Re: Après la sonate de Liszt

Message par Okay »

Merci pour ce super post JPS. Pour répondre à Jean-Seb... Oui et non... appeler une œuvre Sonate c’est une chose, mais la musique recourt à la forme sonate bien ailleurs (encore plus en fait), et de manière souvent beaucoup plus classique que dans les Sonates à proprement parler. Cette forme propose un cadre qui dépasse la simple considération de la convention formelle... il y a là un équilibre vraiment très fort, qui est extrêmement intelligible pour y mouler de la musique, art des sons dans le temps. Finalement si on se résume, une forme sonate n’est rien d’autre que la mise en musique de la dualité, d’une facon des plus pures. D’abord celle de deux thèmes antagonistes, puis celle de l’idée d’exposition et reexposition, en symétrie autour d’un développement. On a donc à la fois l’idée du contraste (A et B) et celle de la répétition (AB-développement-AB) : la première nous sauve de la monotonie tandis que la seconde nous rassure par sa cohésion.
Après la forme sonate peut subir des tas de modifications... un thème C, une reexposition avec le A abrégé (souvent lucidement depuis l’époque classique) voire sans le A du tout (option choisie par Chopin).
Aussi, bien que les thèmes A et B peuvent et doivent s’opposer dans leur caractère, ils partagent souvent des liens plus ou moins secrets. Cela aussi va créer une cohérence d’écoute de manière inconsciente, généralement via les motifs, qui est la vraie brique de construction (à peu près toute la musique de Beethoven repose la dessus, mais Prokofiev qui a écrit des sonates très beethoveniennes tout en étant un mélodiste plus affirmé en fait un usage similaire).
En réalité, lorsqu’on veut bâtir large, c’est finalement assez compliqué de s’échapper totalement de la forme sonate, si on veut rester intelligible à l’auditeur.

Alors oui, la sonate de Liszt est une synthèse géniale, elle est contenue à peu près tout entière dans les 4 premières lignes, elle est monobloc mais abrite en réalité 4 mouvement clairs. Elle est à elle seule une mise en abîme de la sonate en reexposant son propre premier mouvement abrégé du développement de sa première exposition. C’est un véritable tour de force formel et émotionnel... alors que faire après ça ?? La sonate de Dutilleux est absolument géniale mais finalement ultra classique (le 1er mouvement aussi limpide qu’une sonate de 1750 formellement, un mouvement lent et on finit sur un thème et Variations... le geste est similaire à Mozart). Autre sonate très importante du 20e siecle, celle de Barber. Mais quoi de si neuf, à part toutes les séries dodécaphoniques qui s’y glissent, sûrement plus par humour que par modernisme. Le moule reste Beethoven même si le style de Barber s’affirme avec beaucoup de force, mais dans l’atelier : un premier mouvement de veine post romantique, un scherzo à la Mendelssohn, un lied dodécaphonique mais en fait en si mineur, et une fugue finale aux dimensions beethoveniennes mais aux accents jazzy.
La stridente 1ère sonate de Chostakovitch est une forme sonate classique en monobloc, et la 2ème beaucoup moins agressive retourne aussi vers le moule beethovenien. Scriabine a en effet poussé plus loin dans ses dernières sonates, mais est-ce que les considération quasi numerologiques (nombre de mesures de chaque section et sous section, c’est d’une maniaquierie délirante) qui décrivent le plan formel augmentent la forme sonate classique... pas tant que ça. La sonate de Stravinsky : complètement neo-classique, moule Mozart/Haydn et orthographe de Bach.
Même Scarbo n’échappe pas à la forme sonate !!
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JPS1827
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Re: Après la sonate de Liszt

Message par JPS1827 »

En fait pour répondre à jean-séb et Okay, je pense que le terme "sonate" influe sur notre écoute dès lors qu'on est familiarisé avec l'idée de la forme. Si j'entend une œuvre appelée Sonate j'ai tendance à chercher aussitôt à reconnaître le 1er et le 2ème thème et à orienter d'ailleurs mon idée sur l'interprétation en fonction de la forme (par exemple, quand on écoute le premier mouvement de l'opus 111, le fait que l'interprète caractérise résolument le second thème comme tel ou bien qu'il ait tendance à en faire un simple passage ornemental de sorte qu'on se demande si c'est vraiment un second thème qu'on vient d'entendre a une importance pour la perception de la forme, mais est-ce qu'un auditeur ne connaissant rien de la forme sonate et entendant ce mouvement par hasard aura une impression de plus grande cohérence si ce thème est affirmé comme tel ? je n'en suis pas sûr du tout). Après "l'expérience" pousse à retrouver, comme le dit Okay, l'influence de la forme sonate dans toutes sortes d'œuvres ; on retrouve par exemple une exposition avec deux thèmes dans Reflets dans l'eau, suivie, en bas de la 3ème page, d'une reprise quelque peu variée de l'exposition, dans laquelle la variation du second thème va faire office de développement, suivie par une réexposition abrégée (dernière page) et une coda.
L'intérêt expressif de la forme fait qu'il se révèlera très difficile de s'en éloigner, comme l'a fait remarquer Okay, car c'est une des manières les plus intelligibles d'exprimer plusieurs idées musicales, d'autant qu'il est relativement facile d'augmenter le nombre de thèmes en scindant le second thème en deux thèmes distincts, puis en ajoutant un thème de conclusion à l'exposition, comme l'a fait Schubert.
Gruppetto
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Re: Après la sonate de Liszt

Message par Gruppetto »

Merci pour vos réponses, j'en ai tenté une ce matin, mais comme entre temps vous avez répondu mieux que moi, en tout cas avec plus de précision, elle est inutile.
Je me souviens il y a longtemps, avoir entendu une musique de forme sonate ou une sonate archi concentrée, c'est le moins qu'on puisse dire car elle ne durait que 2 minutes je crois. Ce devait être de la musique électro-acoustique ou concrète (peut-être que c'était Shaeffer ou Henry). Je ne sais plus si elle avait le titre de sonate. Cette forme aura été exploitée!
arg

Re: Après la sonate de Liszt

Message par arg »

merci de ces réflexions intéressantes autour de la forme et dé-forme sonate
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