CD Chopin

[Okay]

Presto, il me semble en tout cas qu'un lien de téléchargement est envoyé bien avant la sortie du CD et l'envoi du CD physique.

On a énormément soigné la balance au début de l'enregistrement (première matinée), en essayant plein de positionnements du piano et des micros, je suis allé jusqu'à pousser à tester le degré d'ouverture des rideaux pour optimiser les harmoniques des aigus. Mais avant même toutes les optimisations, j'ai été vite très heureux du timbre trouvé par l'ingénieur du son. Vraiment le son que je voulais entendre. Cette prise de son sera extrêmement détaillée mais aussi très vivante, je ne pensais pas qu'on pouvait combiner les deux ainsi... je redoutais quelque chose de chirurgical et froid, mais si ce sera d'une précision chirurgicale, cette précision semble étrangement au service d'une image sonore intime et chaleureuse. J'ai procédé aux réécoutes sur enceintes et avec deux casques différents, donc a priori pas de distorsion à prévoir. Il y avait une paire de micros principaux qu'on voit tout en haut à droite sur la capture d'écran de Christof, et les deux autres micros très proches étaient une paire d'appoint.

Le seul plan des journées était de ne pas avoir de plan ! Je voulais écouter l'envie du moment, c'était le plus important : aucun planning. On commençait vers 10h, déjeuner vers 13h30 avec une petite pause avant. Reprise vers 14h30, dîner vers 20h30 avec une ou deux pauses dans l'après midi. Puis ayant l'habitude de bosser le soir, reprise vers 22h, jusqu'à un peu plus de minuit.
On a commencé par la Barcarolle, dont on a eu les trois quarts le premier jour, et une bonne partie de la Polonaise en fin d'après midi. Chaque soir je jouais la première Mazurka 2-3 fois aprés le dessert, pour essayer d'avoir cette pièce qui ouvre le disque la plus spontanée possible. On a bouclé la Polonaise-Fantaisie la deuxième matinée, ayant enfin mené le passage en si majeur comme je voulais (modulo quelques petites retouches la 3e apres midi), et dans la foulée j'ai voulu faire la première Étude (extrêmement redoutée, mais c'était "le" moment donc ça a été) qu'on a bouclée avec la 2e avant le déjeuner. L'après midi, les sixtes passaient très bien en me chauffant donc on les a enregistrées là, avec la 9 dans la foulée, qui forment une paire dans mon idée du cycle (comme les 1 et 2). Ayant le son staccato de la 9 et un peu mal au poignet (compter entre 1 et 2h par Étude, en rejouant non stop), j'ai pensé que c'était bien de faire la 4, qui m'est généralement plus aisée que les 8 et 9. J'étais très heureux d'avoir eu les sixtes vite, elles me faisaient très peur et je tenais à les enregistrer avec un réel legato suivi sur le haut, en gardant tout de même le Vivace. Et là juste après les 8-9, j'ai eu mon premier coup de fatigue et grosse chute de concentration. La 4 a été plus laborieuse ... je l'ai rejouée le dernier jour comme une lettre à la poste pendant la séance publique... puis après, épuisé par 5 études, je sentais bien la 2e mazurka, qui s'est faite assez vite et spontanément. Puis je me suis dit que c'était bien de faire la 3e derrière, et la ça a été à nouveau très difficile. De très belles choses mais d'autres qui ne marchaient jamais... notamment la première ligne dont je ne trouvais pas l'accent désiré, malgré des tonnes d'essais...je l'ai finalement trouvé très naturellement le lendemain entre deux prises d'autre chose, où je me suis pris au dépourvu avec succès, sentant que je "l'avais". Le soir du 2e jour j'ai trouvé un second souffle aprés une fin d'après midi compliquée et j'ai mis dans la boite les études 3 et 7 (enregistrée volontairement à plus de 23h) en moins de 3h.
Le lendemain matin (3e jour), j'ai voulu commencer par la 5... je m'y suis repris pas mal de fois pour équilibrer le passage central comme je voulais, pour vraiment couler la voix du ténor, et réaliser toutes les nouvelles idées du moment, je n'ai pas réécouté mais je n'ai jamais fait rien de tel en concert, ce sera la surprise. Puis comme j'en avais discuté avec le technicien, c'est en préparant le piano ce matin là qu'il a travaillé à encore réduire les frictions et optimiser les axes. Du coup j'ai passé les tierces avant le déjeuner, en moins d'une heure. Ce piano n'était pas si léger et je redoutais de ne pas pouvoir les jouer aussi vite que je voulais (me consolant sur le son inédit qu'on pouvait tirer)... finalement à la réécoute, comme souvent, ça va très vite... Les octaves en début d'après midi, et c'est là que les douleurs physiques ont commencé, début de tendinite à l'avant bras droit (que je ressens à nouveau à cette heure, après les concerts de ces deux jours). Mais j'ai fait ce que j'ai voulu dans les octaves. En revanche la 11 ensuite était trop laborieuse, j'ai stoppé à la moitié, plein d'anxiété mais craignant d'empirer les choses et de vraiment souffrir le dernier jour. On ne gardera que l'introduction de la 11 de cette séance, que j'ai je crois rendu très exactement comme je le voulais (j'ai refusé de l'entendre mais très globalement, j'ai noté très peu de différences entre les impressions de mon écoute live et l'écoute au casque - ce qui m'a rassuré et incité à me faire confiance). On en a profité pour refaire des écoutes des jours précédents, avancer le plan de montage, faire des prises sur la Barcarolle, la Polonaise et la 3e mazurka... ce fut productif car c'est là notamment que j'ai enfin trouvé la première ligne de la Barcarolle (je n'en suis pas revenu, l'ostinato que je redoutais tant aux mesures suivantes est venu parfaitement le premier jour à la prise 1 ! Je n'ai jamais refait aussi bien !). Ayant mal au bras, on a fait le soir une bonne séance uniquement pour boucler la première Mazurka.
Le dernier jour il ne restait donc que les deux dernières Etudes. Moi qui craignais de manquer de temps, on était très en avance ! Presque soulagé après la nuit et la tête fraîche, la 11 est passée avec une aisance incomparable à la veille, et surtout, les réécoutes des tentatives précédentes ont révélé un problème d'unité de tempo que je traînais depuis longtemps (je ne l'ai jamais jouée entièrement à Rena...on l'a bossée par fragments). J'ai recalé mon métronome interne, et ayant retrouvé de la précision dans les doigts, on a pu surtout travailler sur les couleurs et productivement. Symboliquement, on a donc clôturé sur la 12. Une première prise complète dont j'ai été très heureux sur la créativité a été d'emblée la prise de base. Puis j'ai eu envie de la prendre à rebours pour être sur que mon articulation reste hyper détaillée partout. Ici peut-être encore plus que parfois, il a été important de travailler sur de grandes sections même pour corriger une demi mesure, pour être certain de ne pas endommager le souffle dramatique de l'ensemble. Dernier jour 13h, le disque était dans la boite. L'après-midi de ce dernier jour fut consacrée à la séance publique, pas besoin d'y ajouter un mot. J'ai néanmoins voulu retravailler la coda de la Barcarolle avant l'arrivée du public (et après aussi), et libéré du timing, la sonorité s'est élargie, bien plus solaire que le premier jour. Je pense qu'on prendra ce qui a été fait à ce moment.

Merci beaucoup JPS ! Ce piano... je suis si heureux de ce choix. C'est juste l'instrument le plus somptueux qui m'a été donné de jouer dans ma vie. Un modèle D totalement refait à neuf il y a 6-7 ans, ayant pris un caractère qui m'a semblé simplement idéal pour jouer Chopin. Un piano vraiment sans point faible des basses profondes au suraigu, je ne pensais pas ça possible. La base était deja incroyable, si colorée, mais au fil de l'enregistrement, le technicien l'a ciselé sans relâche, dans le sens de la cohérence sonore qu'on voulait donner à ce disque. Et chose plus émouvante encore, qui m'a été confirmée comme arrivant souvent après plusieurs jours de prises, quand le pianiste et le piano se rencontrent avec bonheur, l'instrument s'est physiquement adapté à mon toucher et à ma sonorité, il s'est comme sculpté, c'était très spécial à la fin. Autant dire que j'ai eu beaucoup de mal à le laisser là, mais j'espère avoir l'opportunité de le retrouver lors de futurs concerts !

[Presto]

Eh bien ! grand merci de ce long récit, comme si on y était !
Nb, le reportage était très bien fait aussi

[Stavroguine]

Oui, merci beaucoup pour ce passionnant making-of.
Je le copie-colle dans un Word et le relirai juste avant d'écouter le CD...

[jean-séb]

Oui, ce récit, si détaillé, est prodigieux et me fait toucher du doigt la difficulté et même l'insurmontabilité d'une telle expérience si j'avais à la vivre.

[zende]

merci pour le partage, Okay, superbe

[Presto]

Oui, ce récit, si détaillé, est prodigieux et me fait toucher du doigt la difficulté et même l'insurmontabilité d'une telle expérience si j'avais à la vivre.

moi aussi

[laapin]

Je me joins aux autres pour te remercier de ce compte rendu. Sacré travail.

Je n'ai pas bien compris si certains morceaux ont été enregistrés par fragments, par la suite mis bout à bout. C'est le cas?

[pianojar]

Bravo et merci pour ce superbe compte-rendu de tes séances d'enregistrements. Cela nous permet de savourer par avance le CD à venir en nous montrant les degrés d'exigence et de concentration nécessaires à un tel projet ainsi que l'importance de tous les techniciens présents pour donner vie à la musique de l'artiste.
Le foisonnement des détails que tu te remémores et partages ici marque la compréhension et la maîtrise de ces pages qui transparaissait dans les multiples concerts auxquels j'ai pu assister.
Il reste maintenant la sortie du CD et le concert final mais tu dois certainement ressentir un "léger" soulagement après toute la pression des dernières semaines. Mais nul doute que de nombreux autres projets doivent déjà être en cours d'élaboration....

[Spianissimo]

Merci Oupsi et Okay pour ces comptes rendus, on a une vision extérieure et la vision intérieure...top !
C'est vraiment un boulot de dingue...mais tellement passionnant. Merci de nous faire partager cette riche expérience, ceux qui n'ont jamais vécu d'enregistrement studio (dont je suis) ont vraiment appris plein de choses, c'est un vrai travail d'équipe ou chacun apporte sa part, et la concentration et les mises en condition doivent vraiment être épuisantes. On doit avoir un peu de mal à en sortir d'une telle expérience, partagé entre le plaisir de savourer le travail accompli et l'envie de replonger avec d'autres oeuvres.

[Okay]

Merci à vous tous ! J'ai un peu raconté ces journées aussi de peur d'oublier ... il s'y est passé tellement de choses...

Pour ce qui est de l'aspect de l'enregistrement par fragments, je ne saurais dire à chaque fois quelle fraction de la prise de base restera dans les versions finales. Mais toutes les pièces disposent de plusieurs prises complètes de bout en bout, aucune n'a été enregistrée bout par bout. La prise de base est toujours complète, ne serait-ce que pour fixer la trame narrative. Le travail de découpage ultérieur s'est fait sur des passages entiers à chaque fois, de 2-3 lignes à plusieurs pages. Parfois on a pu en tirer la totalité, des fois je voulais juste insérer deux accords ajant une couleur particulière... pas de règle sur la durée des prises retenues, ça peut aller de presque rien à de grands passages...

[Julien84]

Merci également ce pour ce compte rendu très instructif. Une chose m'a étonné dans le reportage de France 3 Limousin: c'est la connaissance assez intime des oeuvres que semble avoir l'ingénieur du son, comme on peut le constater à partir de 1.07 min! Il est certainement, au delà de son domaine professionnel, très mélomane, et je suppose que c'est un atout lors d'une séance d'enregistrement. Mais peut-être est-ce la règle dans la production de disques de musique classique.

[Okay]

Je suis très heureux qu'il ait accepté de collaborer sur ce disque... j'ai eu une très grande chance de travailler avec lui, et rêverais qu'on fasse un deuxième CD ensemble ! Je ne sais pas quelle est la norme, mais lui est absolument exceptionnel... très humain, doté d'une oreille à la précision et la sensibilité musicale digne d'un prof de piano de très haut niveau, forme au CNSM les étudiants aux métiers du son, et le clou c'est qu'il avait envie depuis très longtemps d'enregistrer les Etudes de Chopin (il est aussi pianiste) !

[Julien84]

lui est absolument exceptionnel... très humain, doté d'une oreille à la précision et la sensibilité musicale digne d'un prof de piano de très haut niveau

C'est ce qu'il m'avait semblé à la vue du reportage. Ça n'est pas donné à tout le monde de pouvoir "arbitrer" entre deux prises de Barcarolle, enregistrées à quelques instants d'intervalle et que je suppose d'un rendu très proche entre elles.

[Okay]

Et ça sort tout chaud de l'usine ! Sortie officielle le 9 février 2018 !

Cover Double Jeu.jpg (59.96 Kio) Vu 2834 fois

[Mathieu79]

Félicitation ! En attente de février pour l'acquérir

Math

[_Julien_]

Bravo ! On attend avec impatience le CD...

[pianojar]

Cool déjà diapason d'or !

[Lee]

Sortie officielle le 9 février...à un évènement, concert ou au moins une fête...non ?

[Okay]

On y travaille

[André Quesne]

Merci Okay pour toutes les précisions que tu nous a données. Très intéressant tout ça, il faut avoir une résistance nerveuse à toute épreuve pour endurer un tel parcours. Bravo et félicitations ! Je serai acheteur de ton CD