Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
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interprete
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Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par interprete »

Bonsoir,

Le dernier post de Sylvie m'a incité à ouvrir ce fil, car il nous invitait à parler des oeuvres qu'on prend du plaisir à jouer et à rejouer.

Et bien moi je vis exactement l'inverse pour la majorité des morceaux que j'apprends. J'espère que ce sujet n'a pas déjà été abordé, mais si c'est le cas, n'hésitez pas à me renvoyer au fil correspondant si vous l'avez sous le coude, merci :)

Donc personnellement, il m'arrive de découvrir et d'écouter des morceaux joués par d'autres, que je trouve absolument sublimes. Mais dès que je commence à les travailler, les décortiquer, voir les petits rouages sous le capot, eh bien le morceau perd tout son charme.
Par exemple, j'ai été transporté par le passage en mineur de la Lettre à Elise joué par Lisitsa quand je l'ai découvert il n'y a pas si longtemps (car on ne l'entend pratiquement jamais dans la vie quotidienne, contrairement au début en majeur). J'ai trouvé ce passage absolument hypnotique et saisissant, et tellement expressif. Mais maintenant que je l'ai joué et rejoué, toute la magie a disparu, et quand je le joue ou que je l'entends jouer, même par Lisitsa, je ne ressens presque rien.

Idem pour la Goutte d'Eau de Chopin que je suis en train d'apprendre. Il y a quelques mois encore, le passage en mineur (oui, je suis très fan de mineur et pas du tout fan de majeur) me transportait, c'était l'extase quand je l'écoutais. Maintenant que je l'ai répété, que j'ai buté dessus, que j'ai fait mille efforts pour timbrer mes accords, aujourd'hui, même en écoutant Horowitz ou Argerich jouer ce morceau, je reste pratiquement de marbre.

Je trouve ça terrible, j'ai maintenant presque peur d'apprendre les oeuvres que j'aime car je risque de ne plus savoir les apprécier une fois apprises... j'en ai parlé à ma prof qui a paru interloquée et n'a rien répondu... Cela n'arrive-t-il donc qu'à moi ? Mais comment font les concertistes ???

Merci.
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André Quesne
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par André Quesne »

Je pense que le fait d'apprendre une oeuvre que l'on aime entendre peut engendrer ce phénomène. Cela m'est arrivé également mais je m'efforce d'aller jusqu'au bout. A force de décortiquer certains passages que l'on n'imaginait pas aussi difficiles cela peut devenir fastidieux et faire perdre tout intérêt à l'oeuvre tant aimée. Il faut tenir bon et ne pas désespérer... Rien n'est gratuit et dans le meilleur des cas, même si l'oeuvre est bien maîtrisée, je peux comprendre qu'à force de la jouer on puisse en avoir marre ! :wink:
Il est temps de passer à autre chose !...
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Arabesque44
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par Arabesque44 »

Par exemple, j'ai été transporté par le passage en mineur de la Lettre à Elise joué par Lisitsa quand je l'ai découvert il n'y a pas si longtemps (car on ne l'entend pratiquement jamais dans la vie quotidienne, contrairement au début en majeur).
Je crois que c''est l'inverse...Le thème principal archi connu est en La mineur et la partie centrale en Do majeur. :wink:
J'ai rarement été concernée par ce "désenchantement". En général plus je travaille, et plus j'aime! Je découvre des beautés insoupçonnées que même les plus grand interprètes ne m'avaient pas fait saisir totalement. Mais là je ne parle pas de mon jeu bien sûr :mrgreen: , mais de l'écriture, car l'apprentissage d'une pièce permet de mieux comprendre le compositeur et de l'aimer davantage.
Depuis ma reprise, j'ai tout de même assez rapidement stoppé l'étude de 2 pièces ( pourtant choisies parce que je les appréciais beaucoup et qu'elles me semblaient "accessibles") ce fameux prélude de la "goutte d'eau" et un impromptu de Schubert (op 142 n2)
Raison invoquée: "je fais trop de choses en même temps" , raison réelle: je crois que j'ai senti que j'allais m'en lasser vite. Parce que c'est répétitif? Pas forcément, je joue d'autres pièces très "répétitives" et ne m'en lasse pas ( Albéniz: Rumores de la Caleta)
Gracou
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par Gracou »

Parfois, à force de décortiquer, de s'en imprégner, on s'aperçoit aussi, finalement, que ce qu'on prenait tant de plaisir à écouter n'est peut-être pas de la si "grande musique" que ça...
La différence entre un fou et moi, c'est que je ne suis pas fou. Salvador Dali.
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jean-séb
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par jean-séb »

J'ai connu ce désenchantement aussi bien avec des œuvres que je joue au piano qu'avec des œuvres que je chantais en chorale. C'est un peu la fable de la Poule aux Oeufs d'Or. Quand on démonte le mécanisme, on ne découvre rien, mais le mystère n'agit plus.
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Lee
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par Lee »

Oui Interprete, je comprends ce que tu veux dire et c'est un phénomène bien dommage.

Je dirai que la magie de début n'opère pas de même façon, il faut le travailler jusqu'à ce qu'on obtienne l'effet désiré et ce plaisir n'est pas exactement le même que quand on l'écoute...

Ce plaisir pourrait être aussi voire plus fort que le plaisir en écoutant, mais avec les bons morceaux. Comme la différence entre avoir le beguin ou être amoureux. Peut-être qu'il te faut chercher encore le vrai amour pour un morceau ?
Modifié en dernier par Lee le mar. 23 déc., 2014 10:19, modifié 1 fois.
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twane
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par twane »

A noter que souvent l'inverse se produit avec des œuvres que l'on ne connaissait pas ou que l'on n’appréciait pas particulièrement avant de les jouer... ;)
Mais j'ai déjà eu ce sentiment, enfin surtout quand je ne maitrisais pas le morceau suffisamment... l’intérêt de jouer c'est aussi de découvrir avec la partition des choses qu'on ne soupçonnait pas avant, des possibilités d'interprétation etc...
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interprete
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par interprete »

Merci à tous pour vos réponses !
Bon ce n'est pas toujours très rassurant tout ça !
Je crois que c''est l'inverse...Le thème principal archi connu est en La mineur et la partie centrale en Do majeur.
Oups oui je me suis trompé, le début est en mineur aussi... mais pas le mineur que j'aime :D je parlais de la partie en mineur plus loin avec les accords répétés à la main droite, assez sombre... qui rejoint plus ou moins le même style que le partie en mineur de la goutte d'eau d'ailleurs, je trouve. Pour moi c'était l'intérêt majeur (si je puis dire) de ces deux pièces... avant de les apprendre.

Mais visiblement c'est une question de tempérament, si Arabesque aime de plus en plus en pratiquant et jean-séb non...
Plus j'y réfléchis, plus je me dis que c'est peut-être lié à la tros grande anticipation qu'on finit par développer avec la connaissance de la pièce. On sait déjà quel tour ça va prendre, on sait où chaque mesure nous mène... difficile donc peut-être de déguster le paroxysme de tel ou tel passage qui éclate aux oreilles vierges d'un auditeur naïf, alors qu'on se dit "je te vois venir Raymonde avec tes grands sabots" ?
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Okay
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par Okay »

C'est un sentiment qui n'a rien d'étonnant, et qu'on rencontre tous à un moment ou à un autre, pour une œuvre, un objet, un lieu, une personne. Cependant, à y regarder de près il n'est pas une fatalité. Loin de là.

Il y a toujours la première lecture de tel roman ou le visionnage de tel film qu'on a adoré, et cette première découverte ne peut pas se reproduire une fois qu'on en connait le déroulement. Il y a quelque chose qui ne reviendra jamais, car il n'existe pas de deuxième première fois. C'est comme ça. Et pourtant, il arrive bien souvent qu'on relise un roman ou qu'on retourne au musée avec un plaisir renouvelé, alors qu'on se sait connaitre par cœur ces pages et ces tableaux.

Alors pourquoi de plein gré et avec bonheur, relit-on un roman, retourne t’on voir des tableaux déjà vus, commandons un plat déjà savouré, jouons encore une œuvre à notre répertoire depuis de longues années ? La première impression laissée par une œuvre d'art qui nous touche directement est une émotion inédite. Et si cette œuvre nous parle réellement, la seule chose qui va disparaitre assez rapidement, c'est l'ensemble de ces sentiments qui baignent la découverte.
Et parmi ceux-là, je choisis de m'arrêter sur la surprise, qui me semble être le nœud de la question. Et c'est là que les choses se compliquent car il faut se poser une question désarmante, et tenter d'y répondre sans complaisance : qu'aimons nous le plus entre l'objet de la surprise et se sentir surpris ?
Dans toute œuvre, il va nécessairement arriver un moment seuil où la connaissance fine qu'on en développe désamorce toutes les surprises. Il n'y a plus rien ou presque qui peut nous surprendre, tout est dévoilé. Mais sommes-nous condamnés à bouder quelque chose qui ne nous surprend plus, à le rejeter contre notre volonté sous prétexte qu’il a perdu le pouvoir de susciter un nouvel étonnement ? Absolument pas.

La première chose est d’accepter inconditionnellement qu’à moins de souffrir d’amnésie, une première découverte ne peut se reproduire. C’est comme ça. Une fois que le roman ou le film est terminé, on connaît la fin et on ne l’oubliera plus. A ce moment là intervient un moment charnière, dans lequel notre libre-arbitre joue un plus grand rôle qu’on ne le pense. Après avoir sereinement accepté que la découverte ne peut pas en rester une, nous avons le choix : soit nous nous contentons du plaisir nécessairement éphémère de la découverte et recherchons une nouvelle surprise ailleurs, soit nous décidons d’observer ce qui nous a touché dans cette découverte. Ne pas céder à l’addiction de la surprise et faire le choix d’observer va parfois révéler ce qu’il y a de plus étonnant.
Nous ne sommes pas seulement surpris parce que nous découvrons l’œuvre, mais parce qu’en réalité l’œuvre est intrinsèquement surprenante. Une création originale le restera. Effectuer le pas d’en prendre conscience ouvre la possibilité d’un intérêt durable et croissant. Dans ce cas, elle recèle en elle quelque chose que nous aimerons pour toujours. La manière d’aimer l’œuvre est condamnée à évoluer avec la connaissance que nous en avons, mais cette évolution n’est pas un inévitable déclin. Plus on connaît une œuvre, plus on est capable de discerner les éléments surprenants qui nous ont surpris la première fois. Plus on sait ce qui nous émerveille, même si nous connaissons les moindres recoins de l’écriture, et avons une idée de nombreuses variantes d’interprétation. Au risque de choquer, j’estime que la lassitude ne peut survenir que de deux manières : la conséquence naturelle d’un emballement initial qui a été excessif, ou bien la non observation dans le présent de ce qui nous touche.

Je vais me limiter là car il y aurait de quoi écrire jusqu’à la nuit des temps sur cette question. Si je dois résumer en une phrase : la beauté dans l’art est intemporelle
Modifié en dernier par Okay le mar. 23 déc., 2014 10:17, modifié 1 fois.
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jean-séb
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par jean-séb »

Okay a écrit :Je vais me limiter là car il y aurait de quoi écrire jusqu’à la nuit des temps sur cette question.
Et tu le fais très bien. Ta facilité à expliquer les sentiments et les émotions me rappelle les livres d'André Comte-Sponville, qui a choisi la clarté et non l'obscurité habituelle pour son discours philosophique. Quel dommage que tu perdes ton temps dans la finance, où tu es sûrement tout aussi bon !
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Caralire
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par Caralire »

jean-séb a écrit :
Okay a écrit :Je vais me limiter là car il y aurait de quoi écrire jusqu’à la nuit des temps sur cette question.
Et tu le fais très bien. Ta facilité à expliquer les sentiments et les émotions me rappelle les livres d'André Comte-Sponville, qui a choisi la clarté et non l'obscurité habituelle pour son discours philosophique. Quel dommage que tu perdes ton temps dans la finance, où tu es sûrement tout aussi bon !
Va savoir, le piment d'une réflexion scientifique de haute volée peut aussi être un plaisir personnel. Tant qu'Okay trouve le temps de nous régaler de ses écrits et ses interprétations tout va pour le mieux, il n'y a pas de temps perdu ;-)
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zmarianne
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par zmarianne »

Chez moi il me semble que ça fait des vagues. Au début je trouve ça magique de jouer un truc que j'adore, après je tombe de mon nuage, je m'aperçois que je le joue comme une truffe et je trouve ça moche, mais je n'aime plus non plus les magnifiques interprétations que j'écoutais. Puis je le reprends, parfois je trouve le moyen d'améliorer un peu les choses et ça me revient, jusqu'à ce que je le désaime à nouveau. Et après je le re-aime... différemment sans doute, comme quelque chose de familier. Quand même, en général ça tend plutôt vers l'inverse de toi interprete il me semble : j'aime les trucs que j'ai travaillé, même ceux que je n'aimais pas au départ, juste parce qu'ils me sont familiers. Mais ça c'est vraiment sur long terme (en années). Il y a aussi certains passages qui fonctionnent presque physiologiquement. Une note qui colle les frissons, chez moi ça marche à chaque fois, c'est mécanique. Pas dix fois d'affilée, ça sature les neurones, mais si on laisse passer un jour ou une semaine, ça remarche, comme une caresse dans le dos, on peut en avoir tous les jours et c'est toujours bon. Après, c'est peut-être simplement une question de fonctionnement de manière générale. Je relis beaucoup, je réécoute beaucoup, je reviens toujours aux mêmes recettes de gateaux après en avoir essayé des nouvelles, j'aime la routine et la répétition en toutes choses...
Marianne
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Lee
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par Lee »

Merci Marianne pour ces pensées. Au contraire de toi, j'ai horreur de la routine et la répétition !
Le piano est l'éxception...ou pas de tout la même chose. Comme Strumpf a cité de Maria Joao Pires : "Le moment musical est...un événement spirituel qu'on ne peut jamais reproduire et qui meurt aussi produit."
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par oiseau.prophète »

Arabesque44 a écrit :Depuis ma reprise, j'ai tout de même assez rapidement stoppé l'étude de 2 pièces ( pourtant choisies parce que je les appréciais beaucoup et qu'elles me semblaient "accessibles") ce fameux prélude de la "goutte d'eau" et un impromptu de Schubert (op 142 n2)
Raison invoquée: "je fais trop de choses en même temps" , raison réelle: je crois que j'ai senti que j'allais m'en lasser vite. Parce que c'est répétitif? Pas forcément, je joue d'autres pièces très "répétitives" et ne m'en lasse pas ( Albéniz: Rumores de la Caleta)

:shock:

Je trouve les deux morceaux cités particulièrement somptueux si je peux me permettre je te conseillerais de ne pas les abandonner à leur triste sort :wink:
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Arabesque44
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par Arabesque44 »

oiseau.prophète a écrit :Je trouve les deux morceaux cités particulièrement somptueux si je peux me permettre je te conseillerais de ne pas les abandonner à leur triste sort

Ce n'est pourtant pas le problème..
Comme je l'ai dit:
choisies parce que je les appréciais beaucoup
Mais allez comprendre...C'est plutôt que j'ai senti que ces morceaux "ne m'étaient pas destinés"...en quelque sorte. :?
Alors qu'avec d'autres morceaux, je pourrais presque m'imaginer ( que c'est présomptueux ... :mrgreen: :oops: ) qu'ils sont "faits pour moi" . Et d'autres, avec lesquels pourtant je n'accroche pas immédiatement , que "c'est moi qui vais m'y faire , y trouver la substantifique moëlle et un moyen pour progresser"
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Mona
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par Mona »

J'ai eu ce ressenti simplement à l'écoute répétée d'un morceau, sans même parler de le jouer. Il m'est arrivé d'être saisie d' une émotion très intense en entendant une pièce pour la première fois, et de perdre un peu de cet engouement au fil des écoutes. L'émerveillement n'est plus aussi vif... Okay l'expose de façon très juste plus haut, c'est quelque chose d'inévitable... Néanmoins, il reste toujours pour moi un peu de la magie initiale...

Quand je commence à jouer un morceau qui fait partie de mon ''Top 10" du moment, c'est toujours un moment très fort, je m'y jette à corps perdu, c'est visceral, et je peux le jouer encore et encore et encore.... Je peux en rêver la nuit, y penser la journée au travail, en me languissant du moment où je retrouverai mon piano... Dans cette attente, je l'écoute dans mon Ipod, encore et encore et encore... La suite dépend de plusieurs critères : si je n'ai pas le niveau pour rendre correctement cette oeuvre, je suis déçue, l'écart entre l'enchantement d'une Sicilienne jouée par Kissin et mon jeu pâlot et maladroit me consterne, et j'abandonne. Par contre, si je suis plutôt satisfaite du résultat, là, c'est l'extase.... Et je peux alors le jouer pour l'éternité (qui dans mon cas ne devrait pas excéder une quarantaine d'années....), sans jamais m'en lasser. L'émotion n'est bien sûr pas tout à fait identique à celle éprouvée lors de la première rencontre, peut être un peu moins "charnelle", mais elle reste bien présente... Un autre critère qui contribue pour moi à la lassitude ou non d'une pièce : le plaisir "digital" lié à tel ou tel morceau n'est pas le même... Je peux ressentir quelque chose d'extrêmement sensuel sur le plan "manuel", un rapport particulier avec le clavier, que je ne ressens pas sur d'autres oeuvres... C'est un aspect très important pour moi.
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par zebestovol »

Je n'ai pas encore tout lu, mais il me semble, que si l'on travaille vraiment A FOND un morceau, l'enchantement finit un jour par revenir...

C'est ça l'intérêt du perfectionnisme.

C'est ce que je fais en ce moment, et je regrette un peu que d'autres internautes d'ici ne m'en aient pas parlé un peu (plus), un morceau travaillé à fond vaut, pour les progrès et la satisfaction, mieux que 100 morceaux travaillés même aux 3/4..

J'ai la chance d'avoir travaillé des morceaux un peu plus à fond (et même le désir de faire encore mieux..) quand j'étais plus jeune, grâce à ma prof, et on n'oublie jamais complètement cette satisfaction (et la fierté..) quand on y a goûté, c'est un peu comme le vélo...

Personnellement, ça me fait un peu comme l'impression de créer la vie, la lumière (et aussi un peu l'orgueil qu'on la voie briller.. :oops: ) entre ses doigts.
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Lee
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par Lee »

zebestovol a écrit :C'est ça l'intérêt du perfectionnisme.
On n'est pas tous des perfectionnistes. :wink:
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par zebestovol »

Bien sûr Lee, mais il faut aussi ne pas oublier qu'on n'a moins de mal à faire ce travail sur un morceau facile et qui nous plaît.

Et puis on n'est pas obligé de l'être tout le temps, mais ça vaut le coup d'essayer au moins une fois..

Ce qui veut dire, même si je connais le morceau, je peux continuer à le bosser, lentement, soigneusement, avec des nuances "piano", souplesse dans le poignet (ma soeur qui est moins "forte" que moi, m'a mis l'accent sur ce défaut lundi dernier, et j' ai bien profité de ses conseils..), etc.

Il y a vraiment un plaisir supplémentaire, avec en plus la différence entre une connaissance fragile et une connaissance solide..
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fugue
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Re: Désenchantement des oeuvres qu'on apprend

Message par fugue »

Pas de désenchantement en ce qui me concerne : peut-être parce que j’ai aimé presque tous les morceaux étudiés (bon.. Sauf un…) mais, pas seulement.

En ce moment, ce je travaille depuis des mois me semble un peu (beaucoup) inaccessible : je n’arriverai jamais à l’interpréter comme je voudrais, à bien le jouer, sans fautes, à lui rendre tout ce qu’il mérite. Mais, comme souvent, je continue à m’émerveiller de découvrir les trésors d’intelligence, de sensibilité et de créativité que révèlent certains « mécanismes » ou groupes de notes, combinaisons, accents etc…,qui, petit à petit, me permettent de comprendre ce que mon oreille entend et comment ces effets peuvent être créés, exister.
Je me dis : Quels génies ces compositeurs! Mais comment ont-ils pu penser à ça, comment leur est venue toute cette inspiration, et ces combinaisons qui me donnent le frisson, l'envie d'y arriver malgré les difficultés techniques, les écarts et l'indépendance exigée des doigts, le respect du rythme, cette note qui doit tomber à un moment pas facile pour peu qu'on doive accélérer, toutes celles qu'on doit lâcher, celles qu'on doit tenir? tout en jouant les autres, en plus (et ne parlons pas de la pédale, quand présente)....Tant de choses à voir, à prendre en compte, chacune présente pour une raison précise. C'est comme découvrir et comprendre un phénomène "scientifique", résoudre une énigme, avec un truc supplémentaire propre au domaine artistique.
Enfin, quand quelque chose « sort » enfin, que mon cerveau, mes mains, mes doigts et ce truc impalpable (qui vient du cœur, des sens, du simple plaisir d'apprendre, passion pour cet instrument?) commencent à faire ami-amis, alors là…l'envie de retrouver mon piano et de continuer à travailler est presque obsédante (bien qu'un peu usante ou frustrante parfois,...souvent, mais pas lassante).
L'oeuvre ne me désenchante pas: j'ai plutôt l'impression qu'elle m'appartient un p'tit peu: c'est déjà beaucoup.
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