L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Mais voyons, cette machine existe, elle a 88 touches!
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Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Entièrement en phase avec ton point de vue !Lee a écrit : Si jamais c'était possible d'écrire la musique exactement comment le compositeur a imaginé et a voulu qu'on le joue, serait-il vraiment meilleur pour la musique et pour nous les interprètes ? Serait-il pas au contraire, trop intimidant, rigide et étroite ? Même on peut dire que ça nuirait à l'art d’interpréter étant pianiste. J'irai plus loin, pour moi (je sais qu'il y en a qui ne seront pas d'accord !) la musique et les partitions avec ces flous et ces points d'interrogations rendent jouer la musique plus intéressant, même s'il est chaotique. C'est un beau chaos. Nous avons des choses à regarder, raconter ou disputer, ça met du piment dans la vie. S'il fallait robotiquement reproduire comme le compositeur voulait, quel intérêt ?
On aura toujours un juge qui crie "mais il se moque !" d'un interprète qui joue une mazurka différemment comme Davsad, mais on a le droit d’interpréter de notre façon. Je préfère cette liberté, et tant pis si finalement il est très différent que le compositeur a voulu. En quelque sort, l'oeuvre prend une autre vie qui n'est pas du compositeur, et c'est la beauté de l'art.
Un oeuvre qui arrive à nous toucher à travers les âges nous donne l'impression de s'être autonomisée (auto-nomos, elle se fixe elle-même sa propre norme ), d'être un tout organique autonome qui a pris vie. Même si derrière l'oeuvre, on perçoit un autre qui s'exprime, c'est un autre aux multiples facettes en qui l'on reconnaît une part de soi-même.
Ce qui est noté sur la partition est effectivement uniquement le nécessaire, une grande partie est implicite et n'a pas été jugée utile d'être notée (puisque compris pas tous à l'époque). Mais on peut aussi considérer que ce qui est noté est suffisant (tant que l'on pense avoir compris la musique de l'oeuvre ), au sens où la liberté laissée fait partie des différentes manières dont elle peut être interprétée, selon son humeur, ou plutôt l'humeur de l'oeuvre, ou l'humeur à l'oeuvre (pour tenter une hypallage foireuse ).
Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
La liberté laissée par les partitions des grands maîtres du passé est présente aussi (et surtout) parce qu'il n'y a pas d'enregistrements d'époque. Si on avait des enregistrements de Chopin ou Beethoven, je pense que la marge laissée à l'interprète serait de fait largement moins importante.
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Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Je n'en suis pas si convaincu. Il parait que Chopin ne jouait jamais la même oeuvre deux fois de la même manière (je ne me souviens plus de la source). Chacune de ses interprétations serait donc un peu comme la vérité d'un seul moment. Au delà de ça, il revoyait indéfiniment son texte comme en témoignent les variantes notées sur les partitions utilisées par ses élèves.
L'autre argument, c'est qu'on a de nombreux enregistrements de pianistes-compositeurs du 20e siècle (Bartok, Rachmaninov, Prokofiev, Poulenc, et même de rares Debussy, j'en oublie forcément ...). Je ne suis pas certain que la diversité des interprétations actuelles d'oeuvres pour lesquelles nous avons ces références soit moins grande que pour les oeuvres non enregistrées par leurs compositeurs. C'est un peu comme si tout le monde s'accordait pour trouver ces enregistrements inestimables (ils le sont), tout en leur refusant la moindre autorité dans les faits.
L'oeuvre d'art semble destinée à rester vivante quoi qu'il en soit.
L'autre argument, c'est qu'on a de nombreux enregistrements de pianistes-compositeurs du 20e siècle (Bartok, Rachmaninov, Prokofiev, Poulenc, et même de rares Debussy, j'en oublie forcément ...). Je ne suis pas certain que la diversité des interprétations actuelles d'oeuvres pour lesquelles nous avons ces références soit moins grande que pour les oeuvres non enregistrées par leurs compositeurs. C'est un peu comme si tout le monde s'accordait pour trouver ces enregistrements inestimables (ils le sont), tout en leur refusant la moindre autorité dans les faits.
L'oeuvre d'art semble destinée à rester vivante quoi qu'il en soit.
Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Sans oublier que les pianos de Chopin, de Beethoven ou de Mozart n'ont rien à voir avec nos pianos modernes. Respecter strictement ce qui est écrit peut finalement revenir à trahir l'intention du compositeur, qui connaissait les caractéristiques de l'instrument pour lequel il composait...
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Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Finalement, une vision platonicienne de la création musicale ?Ça m'a fait penser aussi à une phrase de György Sebök dans un documentaire, il disait si je me souviens bien quelque chose comme: "aller au-delà du papier", to go beyond the paper, vraiment considérer que la chose écrite n'est qu'un reflet.
Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Je ne me souviens plus bien de ma lecture de la République, mais lorsqu'on remonte de la caverne et qu'on se retrouve dehors, je crois que Platon nous dit qu'on peut voir les choses telles qu'elles sont et non plus leur reflet. Dans le sens où l'on n'est plus limité par nos sens qui filtrent le monde sensible (ou par nos a priori qui pervertissent nos idées), mais on accède à la lumière de la vraie connaissance. Je crois que Platon nous encourage à aller rechercher cette vérité authentique (c'est la justice au sens le plus large, la vérité) et qu'il est assez optimiste sur la possibilité d'y accéder (même s'il est très élitiste ...). Si on peut passer l'étape de l'éblouissement extérieur - qui nous incite à redescendre dans la caverne -, on n'est plus condamnés à ne pouvoir contempler que les reflets des objets.Naropa a écrit :Finalement, une vision platonicienne de la création musicale ?Ça m'a fait penser aussi à une phrase de György Sebök dans un documentaire, il disait si je me souviens bien quelque chose comme: "aller au-delà du papier", to go beyond the paper, vraiment considérer que la chose écrite n'est qu'un reflet.
Sommes-nous donc condamnés à essayer de deviner les formes reflétées à l'instar des prisionniers de la caverne, puisque l'extérieur nous est inaccessible vu la distance entre nous et le compositeur ? Je pense que ce serait un mauvais objectif que de vouloir à tout prix accéder aux objets originaux, en ce qui concerne les oeuvres d'arts. Elles sont trop vivantes pour être capturées, pour être figées dans une réalité unique. Je ne crois pas que c'est ce qu'un compositeur souhaite lorsqu'il partage ses oeuvres avec le monde. Je ne vois pas l'oeuvre comme une Chose en Soi, définie quelque part mais impossible à saisir telle qu'elle "est". Je pense plutôt que l'oeuvre accède à une existence complète à partir du moment où l'on s'en saisit, et qu'elle accède à une identité légitime à chaque fois qu'un interprète a l'intention sincère de la faire vivre.
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Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
On peut aussi imaginer que le compositeur voudrait exprimer quelque chose d'encore bien plus fort que ce qu'aucun interprète pourrait faire dire à son oeuvre.
Mais qu'il y a tout de même un contenu minimum à respecter, à la condition de quoi l'interprète peut tout se permettre , au-delà de ce contenu.
Mais qu'il y a tout de même un contenu minimum à respecter, à la condition de quoi l'interprète peut tout se permettre , au-delà de ce contenu.
Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
oui c'est dans Chopin vu par ses élève de Jean Jacques EigeldingerOkay a écrit : Il parait que Chopin ne jouait jamais la même œuvre deux fois de la même manière (je ne me souviens plus de la source). Chacune de ses interprétations serait donc un peu comme la vérité d'un seul moment. Au delà de ça, il revoyait indéfiniment son texte comme en témoignent les variantes notées sur les partitions utilisées par ses élèves. .
Un élève raconte qu'il a entendu Chopin jouer la Barcarolle et le fameux passage en octave MG , il l'a joué piano alors qu'il indique sur la partition Forte.
Si vous avez regardé ce magnifique DVD sur Yvonne Lefebure, elle raconte qu'après avoir travailler Jeux D'Eau, et avoir joué l’œuvre au compositeur, elle lui a donné des indications sur la manière de jouer un certain passage et Ravel de répondre "mais oui vous avez tout à fait raison, c'est bien mieux comme çà. Transmettez à vos élèves vos remarques judicieuses "
Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Le fait que les compositeurs capables d'interpréter leurs oeuvres les jouaient différemment à chaque fois ou que nous ayons des traces d'enregistrements de certains doit aussi être replacer dans la perspective que la partition a été jusqu'à assez récemment (disons jusqu'à la seconde guerre mondiale, pour aller vite) le standard de transmission de la musique (en Occident, évidemment).
Est-ce toujours le cas ? Je pense qu'on peut dire que non. Le moyen pour un compositeur de faire connaître son oeuvre (et inversement pour le public de connaître son oeuvre) sera d'abord l'enregistrement, puis le concert, et en dernier ressort la partition. Alors bien sûr, pour être interprétée, son oeuvre sera souvent écrite, mais cela ne suppose pas une partition "parfaite" et ultra détaillée, dans la mesure où le dialogue et l'échange d'information sont possibles entre le ou les interprètes et le compositeur.
On trouvera des contre-exemples en musique contemporaine avec un niveau de détail de notation qu'il est quasiment humainement impossible de tout respecter à la lettre.
Chopin ou les autres auraient-ils envisagé la partition de la même manière s'ils avaient vécu avec les mêmes moyens technologiques qu'aujourd'hui (à savoir pouvoir enregistrer et diffuser leur musique) ?
Cela étant dit, si on travaille une grande oeuvre pianistique récent comme le "Köln Concert" de Jarrett, on a à disposition la partition et l'enregistrement, sachant que l'enregistrement a précédé la partition. Devons-nous tout jouer comme lui ? Est-ce interdit d'interpréter quoi que ce soit différemment de la version de référence ? Je ne crois pas. Après, s'il était question de le rejouer en concert, ce serait peut-être plus difficile d'assumer une version "très" différente de la version d'origine.
Par contre, le concept d'écart entre pensée musicale et écrit, même si on peut l'envisager, cela me paraît être un bon moyen pour un "compositeur" de prétendre que son idée était bien meilleure que le résultat obtenu... Je ne crois pas que les grands compositeurs aient été particulièrement limités par les moyens d'expression que permettaient la partition. Pour les moins bons, par contre...
Est-ce toujours le cas ? Je pense qu'on peut dire que non. Le moyen pour un compositeur de faire connaître son oeuvre (et inversement pour le public de connaître son oeuvre) sera d'abord l'enregistrement, puis le concert, et en dernier ressort la partition. Alors bien sûr, pour être interprétée, son oeuvre sera souvent écrite, mais cela ne suppose pas une partition "parfaite" et ultra détaillée, dans la mesure où le dialogue et l'échange d'information sont possibles entre le ou les interprètes et le compositeur.
On trouvera des contre-exemples en musique contemporaine avec un niveau de détail de notation qu'il est quasiment humainement impossible de tout respecter à la lettre.
Chopin ou les autres auraient-ils envisagé la partition de la même manière s'ils avaient vécu avec les mêmes moyens technologiques qu'aujourd'hui (à savoir pouvoir enregistrer et diffuser leur musique) ?
Cela étant dit, si on travaille une grande oeuvre pianistique récent comme le "Köln Concert" de Jarrett, on a à disposition la partition et l'enregistrement, sachant que l'enregistrement a précédé la partition. Devons-nous tout jouer comme lui ? Est-ce interdit d'interpréter quoi que ce soit différemment de la version de référence ? Je ne crois pas. Après, s'il était question de le rejouer en concert, ce serait peut-être plus difficile d'assumer une version "très" différente de la version d'origine.
Par contre, le concept d'écart entre pensée musicale et écrit, même si on peut l'envisager, cela me paraît être un bon moyen pour un "compositeur" de prétendre que son idée était bien meilleure que le résultat obtenu... Je ne crois pas que les grands compositeurs aient été particulièrement limités par les moyens d'expression que permettaient la partition. Pour les moins bons, par contre...
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Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Ta remarque sur le Köln concert me conforte dans l'idée que l'écart entre l'idée du compositeur et ce que laisse la partition aux générations futures augmente avec le temps. La partition franchit le temps et les mutations socio-culturelles en continuant à nous apprendre plus sur nous-mêmes que sur le compositeur, pendant un temps indéfini, mais pas infini. Peut-être qu'elle tombe dans l'oubli quand elle ne nous dit plus rien sur nous ?
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Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Je ne suis pas sûre d'être dans le vif sujet traité ici ; mais j'ai remarqué une chose et je souhaite l'exprimer ici. A l'écoute d'interprétations en aveugle - par ex. sur Radio Classique- certaines m'émeuvent plus que d'autres ; ce sont toujours des pianistes qui semblent avoir un lien privilégié et mystérieux avec un compositeur, et je découvre après les noms des interprètes :par exemple Clara Haskil- Mozart, S.Richter-Beethoven, S.François-Ravel, Maria-Joao Pires -Chopin, pour ne citer que quelques-uns.Il y a une vérité transcendante du compositeur, que certains grands interprètes trouvent et expriment, au-delà des notes de la partition. C'est un mystère, qui n'a rien à voir avec le talent évident des interprètes.
Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
J'ai pensé à ce fil en lisant cet article intéressant, l'auteur préfère interprèter à partir de la composition écrite à la main, qui réprésente une communication directe de compositeur que la transcription standardisée ou informaique efface :
http://www.icareifyoulisten.com/2012/03 ... ndrew-lee/
Je ne fais jamais mais je dois essayer, ça pourrait être inspirant. Et vous ?
http://www.icareifyoulisten.com/2012/03 ... ndrew-lee/
Je ne fais jamais mais je dois essayer, ça pourrait être inspirant. Et vous ?
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Pour une fois je trouve Ludwig étonnamment lisible. D'ailleurs je trouve que le thème de ces variations a plus que directement inspiré Schubert dans un de ses impromptus.
Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Oui j'avais vu dans un bouquin des manuscrits plus torturés de Beethoven! C'est toujours très émouvant je trouve.
- jean-séb
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Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Bravo à tous deux (Oupsi avait d'ailleurs répondu d'abord par MP). Oui, c'est relativement lisible pour du Beethoven et vous êtes aussi bons que Madame Bigot dont nous avons parlé récemment à propos de l'Appassionata, dont j'avais donné le manuscrit en lien dans le message :
viewtopic.php?p=264642#p264642
J'ai dans mes trésors quelques recueils de facsimilés de partitions autographes qu'on publiait au XIXe siècle pour apprendre aux pianistes à déchiffrer les manuscrits. C'est parfois simple à lire, mais le plus souvent, je suis perdu devant les pattes de mouche.
Même entre deux partitions imprimées, comme le rappelle l'article cité, il peut y avoir de grosses différences de facilité de lecture. Je trouve souvent les partitions écrites par informatique peu agréables, à moins que le programme soit parfaitement bien maîtrisé et peut-être "humanisé".
On trouve plein de manuscrits (ou de liens vers ces manuscrits) de Beethoven sur le site remarquable et quasi exhaustif :
http://www.beethoven-haus-bonn.de/sixcm ... 0Beethoven
viewtopic.php?p=264642#p264642
J'ai dans mes trésors quelques recueils de facsimilés de partitions autographes qu'on publiait au XIXe siècle pour apprendre aux pianistes à déchiffrer les manuscrits. C'est parfois simple à lire, mais le plus souvent, je suis perdu devant les pattes de mouche.
Même entre deux partitions imprimées, comme le rappelle l'article cité, il peut y avoir de grosses différences de facilité de lecture. Je trouve souvent les partitions écrites par informatique peu agréables, à moins que le programme soit parfaitement bien maîtrisé et peut-être "humanisé".
On trouve plein de manuscrits (ou de liens vers ces manuscrits) de Beethoven sur le site remarquable et quasi exhaustif :
http://www.beethoven-haus-bonn.de/sixcm ... 0Beethoven
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Re: L'écrit, la pensée musicale, l'écart entre les deux
Peut-être tout simplement l'un complète l'autre... Jeter un oeil intéressé sur le manuscrit qui révèle la personnalité, et reposer ses yeux sur un texte imprimé....
Sylvie Piano http://courspianocollectif.com/