Les sensations psychomotrices au piano

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
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Lee
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Lee »

J'ai entendu parler le savant astronome
J'ai vu les formules, les calculs, en colonnes devant moi,
J'ai vu les graphiques et les schémas,
Pour additionner, diviser, tout mesurer,
J'ai entendu de mon siège, le savant astronome
Finir sa conférence sous les applaudissements,
Et j'ai soudain ressenti un étrange vertige, une lassitude infinie ;
Alors je me suis éclipsé sans bruit : je suis sorti
Seul dans la nuit fraîche et mystérieuse,
Et de temps à autre,
Dans un silence total, j'ai levé les yeux en direction des étoiles.

traduction d'Anne Krief de J'ai entendu le savant astronome, Walt Whitman

@Jean-Luc, quant à Lang-Lang, je trouve qu'il prouve le cas contraire.
Il était entraîné comme une bête de cirque depuis tout petit, mais il n'a pu apprendre ce qu'un musicien comprendre par son cœur.
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
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valeriejouechopin
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par valeriejouechopin »

J'ai cette sensation de "facilité" parfois, et de plus en plus souvent, et dans ces conditions:
-morceau su et re-su, avec un travail "fouillé" de l'oeuvre, et avec des mains séparées "béton", et de préférence sans partition.
-lieux appropriés: endroit calme, et tempéré.
-"public" si possible connu (c'est là que le bât blesse!).
-concentration optimale. Je "fredonne" dans ma tête la mélodie, ça aide à rester centré.
Voilà. C'est dire s'il me faut des conditions précises pour bien jouer! Mon but est de pouvoir en éliminer 2: celles relatives au lieu et au public. Travail titanesque en perspective! Mais c'est le but de tout pianiste: prendre du plaisir à jouer et bien le faire, et ceci devant n'importe qui et n'importe où! [-o<
"Je suis croyante, ma religion est la musique". Valérie.
shigerukawai
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par shigerukawai »

Bonjour,
Je découvre le forum en lisant un certain nombre de posts.
Je me permets de réagir à la discussion parallèle animant Nox et Okay sur la nécessité de la culture musicale (ou non) pour atteindre un degré de fluidité dans le jeu du piano.
Mon avis se rapproche terriblement de celui de Okay (désolé Nox :wink:). En effet, jouer du piano (ou de n'importe quel autre instrument d'ailleurs) n'a pour seul but que celui de procurer des émotions. Le texte, la partition donc, s'il est bien écrit, se suffit à lui même et son interprète, s'il possède une grande sensibilité musicale, reconnaîtra et saura, en fonction de ses moyens techniques au sens large, retranscrire ce qu'a voulu faire passer le compositeur dans son oeuvre.
J'ai un exemple personnel et peut-être caricatural à ce sujet :
A 8 ans, à l'école, on m'a fait écouter, comme à toute la classe, la Moldau de Smetana. Ma culture musicale était à cette époque très faible et je n'avais jamais entendu ce poème symphonique. Le but de cette écoute était de dessiner, avec nos moyens (très faibles pour moi) ce que nous inspirait la musique. J'ai été le seul (sans prétention aucune) à dessiner un cours d'eau de transformant en fleuve tumultueux). Si j'avais dû interpréter ce morceau, cela aurait été simple parce que je le ressentais, je savais, en moi, ce qu'il avait à me dire.
La culture autour d'une oeuvre ou de son compositeur n'a à mon sens aucun intérêt dans la construction de l'interprétation. Il faut ressentir et être capable de transmettre ce que l'on ressent à son auditoire. Si l'oeuvre est bien écrite, l'on saura s'il faut jouer léger, sec, staccato, portando... même si les indication n'existe pas sur la partition. Le son Brahms est à des années lumière de celui de Chopin dont Debussy se rapproche parfois (pas tout le temps). Mais ce son est contenu dans la musique, les notes, les harmonies, le rythme. Il est inné.
Cela peut expliquer pourquoi autant de pianistes actuels qui sont des techniciens hors pair me laissent si souvent de marbre : il n'ont pas grand chose à dire et ce n'est pas la présence ou l'absence de culture musicale qui en est la cause mais simplement leur manque de sensibilité naturelle.
Ceci n'est bien sûr que l'humble avis d'un passionné qui aimerait être bien meilleur pianiste qu'il ne l'est :)
SK
roulroul
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par roulroul »

Source :Wikipédia.
"La psychomotricité est une fonction de l’être humain qui intègre le psychisme et la motricité en vue de s’adapter à son environnement. Le psychomotricien a donc un regard globalisant portant sur les interactions entre :
Le psychisme (émotions, imagination, cognition…) et la motricité (mouvements, tonus, postures…)
L’individu et le monde extérieur.
Enfin, la psychomotricité est une technique qui utilise le corps, l’espace et le temps dont l’objectif est de permettre à la personne d’expérimenter son corps et son environnement immédiat afin d’y agir de façon adaptée. "

Donc, pour faire court, dans le cas d' un musicien ou d' un pianiste, c'est un mix de bien être physique, psychique, et de réceptivité aux événements extérieurs, et aux acquis ? Et de leurs conséquences, bonnes ou mauvaises ? J' ai tout faux, ou ça va a peu près ?
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JPS1827
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par JPS1827 »

C’est cela, à la nuance de taille près que la question n’est pas ici de s’adapter à son environnement ni d’y réagir de façon adaptée mais de produire une manifestation artistique, ce qui nous éloigne quand même de l’aspect de la simple motricité.

Quant à l’aspect de la séparation entre motricité et expression-culture évoqué par Shigerukawai, je n’y adhère pas. On peut entendre des interprètes en herbe, dépourvus de culture et de savoir sur le compositeur qu’ils jouent, témoigner de qualités expressives hors du commun, et l’inverse est possible également.

C’est moi qui avais initié ce fil et en le relisant je le trouve intéressant. Beaucoup de questions y sont évoquées et beaucoup de réponses y sont élaborées avec honnêteté par tous les participants.
roulroul
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par roulroul »

L' imaginaire de voir belles les robes de toutes les couleurs tourner sur le parquet ciré avec des chandelles au mur, quand je joue une valse...
outre que ça développe fortement l' imagination, et ça fait rêver, ça révèle en plus réelle utilité et une aide précieuse pour jouer en rythme.
Euh...je suis pas sur de rester dans le sujet, la. :lol:
Abegg63
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Abegg63 »

J'ai lu tout le sujet, passionnantes toutes ces interventions!
Je crois qu'il faut quand même un minimum de culture musicale pour interpréter une oeuvre. inutil de tout connaître dans les moindres détails, simplement il ne faut pas tout jouer de la même façon et pour ça avoir des éléments de réflexion.
J'ai acquis une culture musicale tardivement parce que chez moi on n'écoutait pas de musique et on n'allait pas au concert.
Je me suis mise à écouter France musique lorsque j'étais adolescente, j'ai donc découvert l'immensité des diverses interprétations, la richesse de notre répertoire...
Avant ça, je me contentais d'imiter:
mon prof me disait: (là tu joues plus ou moins fort)
je faisais bêtement ce qu'on me demandait.
Quelqu'un a parlé plus haut du "juge" qui est là lorsqu'on devient adulte mais qui n'existe pas pour l'enfant.
Et bien, enfant, seule devant mon piano j'inventais des histoires en jouant et je tirais ma propre interprétation des oeuvres. Je veux dire que je faisais des nuances exagérées, sûrement une façon incorrecte de mettre la pédale...
En tout cas, les fois où je me suis risquée à jouer comme ça devant un de mes profs... catastrophe! Rien n'allait! On ne faisait pas comme ça...
Il y avait des "conventions" à respecter et je ne le faisais pas.
Toutes ces "conventions" il est bon de les connaître et de les utiliser pour s'exprimer.
Quant à retrouver un "état de grâce" chaque fois qu'on joue, i; y a tellement de facteurs qui entrent en jeu que pour chacun de nous le processus est différent.
Je pense quand même que, même si on est dans un état particulièrement inspiré, il faut être conscient à chaque note et surtout ne pas se laisser perdre le fil.
Et le trac?
Dans mon cas un minimum de trac me permet de rester bien concentrée.
Line-Marie

Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Line-Marie »

shigerukawai a écrit : mer. 27 févr., 2019 16:23 A 8 ans, à l'école, on m'a fait écouter, comme à toute la classe, la Moldau de Smetana. Ma culture musicale était à cette époque très faible et je n'avais jamais entendu ce poème symphonique. Le but de cette écoute était de dessiner, avec nos moyens (très faibles pour moi) ce que nous inspirait la musique. J'ai été le seul (sans prétention aucune) à dessiner un cours d'eau de transformant en fleuve tumultueux). Si j'avais dû interpréter ce morceau, cela aurait été simple parce que je le ressentais, je savais, en moi, ce qu'il avait à me dire.
La culture autour d'une oeuvre ou de son compositeur n'a à mon sens aucun intérêt dans la construction de l'interprétation. Il faut ressentir et être capable de transmettre ce que l'on ressent à son auditoire. Si l'oeuvre est bien écrite, l'on saura s'il faut jouer léger, sec, staccato, portando... même si les indication n'existe pas sur la partition. Le son Brahms est à des années lumière de celui de Chopin dont Debussy se rapproche parfois (pas tout le temps). Mais ce son est contenu dans la musique, les notes, les harmonies, le rythme. Il est inné.
Cela peut expliquer pourquoi autant de pianistes actuels qui sont des techniciens hors pair me laissent si souvent de marbre : il n'ont pas grand chose à dire et ce n'est pas la présence ou l'absence de culture musicale qui en est la cause mais simplement leur manque de sensibilité naturelle.
Ceci n'est bien sûr que l'humble avis d'un passionné qui aimerait être bien meilleur pianiste qu'il ne l'est :)
SK
:D Moi aussi j'ai été marqué par cette œuvre au même âge et dans mon cas , nous écoutions avec l'institutrice la radio en classe. Et ton anecdote confirme que nous sommes tous différents car moi j'avais soif de comprendre comment cette musique était née, comment on pouvait créer quelque chose d'aussi beau avec seulement 12 notes différentes....
Et je ne suis pas d'accord sur le son inné des compositeurs. Chaque compositeur appartient à une époque qui l'a modelé. Les Chopins du XXIème siècle ne peuvent plus écrire comme le Chopin du XIXème.
Le musicien qui interprète la musique des autres et veut la transmettre à un public, doit à son tour s'imprégner de l'époque du compositeur pour comprendre -moins la genèse de son oeuvre - au moins sa façon d'écrire et que signifie les nuances , les articulations écrites sur la partition. Pour prendre un exemple récent: j'ai eu la chance le we dernier de jouer sur un piano-forte extraordinaire et j'ai pu entendre mes amis pianistes jouer à leur tour cet instrument. Nous avons travaillé des mouvements de sonates de Haydn et de Mozart et notre prof nous a fait écouter un CD de Schubert joué sur un piano similaire. Je n'ai pas d'affinité particulière avec les sonates de Haydn ou Mozart et si mes profs successifs ne m'avaient pas encouragée à en travailler , de moi même je ne l'aurais jamais fait. J'ai compris ce we pourquoi. Les registres du piano forte sont très marqués et de timbres différents et la façon d'écrire de Haydn et Mozart sont dépendantes de ce type d'instrument. Ce fut une révélation et aussi une très grande émotion. Je serais maintenant capable de travailler ce type de musique et de la transmettre à un public si je pouvais travailler sur un piano forte et chercher sur mon piano moderne la façon de recréer ces registres , ses sons entendus sur l'instrument ancien.

D'un autre côté, pour créer une émotion musicale chez un auditeur, on peut ne pas être érudit en tant qu'interprète mais le public ne le sera pas non plus. J'ai déjà évoqué dans un post ancien la fois où j'ai joué à un de mes élèves Reflet dans l'Eau de Debussy et la très forte émotion que cela avait provoqué chez lui. Cet élève avait une admiration sans borne à mon égard - cela me gênait d'ailleurs - et donc son émotion n'était pas que musicale.
Pour écouter pas besoin d'érudition, mais pour interpréter si .
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EMVince
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par EMVince »

Le premier message d'Okay de ce post est celui qui fout une claque ... En particulier la fin sur les facteurs cognitifs. Meme si ce n'est pas sensé etre un secret, je me rend compte que c'est tout sauf la manière dont je travaille ... Je passe des heures comme un con devant l'instrument et ce genre de sensation ne me vient qu'hyper rarement, et en effet après une telle séance on voit qu'on a avancé, mais encore je ne vais pas aussi loin que tu le décris : le pourquoi et le comment de mes points de progès me restent étrangers, et meme la connaissance des points ou j'ai prgressé ne m'est pas toujours identifiable. Seule la sensation d'avoir avancé et fait un peu chauffé est présente, mais jamais des fondements rationnels solides qui me permettent de juger avec un oeil plus objctif mon travail.
Le reste du temps je me contente de répéter plus ou moins bêtement en éprouvant aucune stimulation ni aucun plaisir mais avec le vague espoir que ca rendra bien dans le futur ... Aller si quand meme je prend un peu de plaisir le court temps ou je recherche un peu l'expression, mais plaisir coupable puisque justement je ne suis pas sur de matriser le texte correctement et d'en etre assuré par les moyens dont tu parles.
Après comment parvenir à ces séances de travail efficaces là demeure pour moi la question. Est ce à force d'une ascèce et d'une rigueur outrancière qu'on y parvient, ascèse qui s'applique au début à faire ce que tu blames, cad la repition aveugle ?
Il faut gérer ses états psychologiques aussi qui ont souvent tendence à nous amener loin et au mauvais endroit à la moindre sensation de réussite et d'avancement, empchant ainsi tout avancement suplémentaire pour le reste de la séance : parfois on en vient à être tellement heureux et vainement glorieux d'un rien du tout qu'on se prive de tout travail la tete froide pour la suite de la séance. De meme dans le sens inverse avec la sensation d'echec. Que faire dans ces cas là ? comment régir ? je ne sais pas ca me plombe tellement ces variations d'humeur ...
Bref en théorie si on arrive à faire ce que tu décris sans doute on progressera tous à des vitesses folles, mais le truc c'est comment y arriver, et meme pour ceux le veulent un minimum et qui en tout cas passent du temps devant leur piano ? Moi je suis admiratif et envieux, bien sur que j'aimerais réussir à avancer de la sorte c'est évident, mais je n'y arrive pas ... violence contre soi pour y arriver ? quitter le piano ? abandonner si on ne prend pas de plaisir à la séance de travail ? Dire que si on ne prend pas de plaisir au piano dans ce cas il nous faut arreter le piano ? Mais si on ne prend plaisir à rien d'autre ? Alors quand meme chercher un autre truc et quitter au plus vite le piano et le forum ? bref beaucoup de questions et aussi de remises en question à la suite de ma lecture de ce post .. #-o
J'ignore pourquoi la neige est blanche, mais ca ne m'empêche pas de la trouver très belle.
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Okay
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par Okay »

Et c'est là que je m'aperçois en me relisant il y a environ 5 ans que je n'ai pas parlé du truc essentiel à ce moment (mais sans doute plusieurs fois entre-temps)... les oreilles !

Avec l'expérience, face à une partition, on sait souvent assez vite à quoi on veut arriver et comment on peut s'y prendre. Bien sur c'est favorisé par la fréquentation des oeuvres, qui implique le cumul de ce qui a déjà été réglé, et qui peut être exporté ailleurs (pas forcément besoin d'un rapprochement stylistique).

Mais parfois on rencontre des choses inédites, et lorsqu'on a encore peu de repertoire travaillé, c'est surement la situation qui prévaut souvent.
Mais pas forcément... j'ai dans mon programme actuel une pièce horriblement difficile (je ne pensais pas à ce point) d'un compositeur que j'ai beaucoup joué, et franchement, quand j'ai commencé je n'en menais pas large et ça commence à peine à se dégager. Je n'arrivais pas à sortir des sables mouvants malgré les heures et il a bien fallu se poser et chercher comment faire car je pédalais.
Dans ce genre de pièce, je prends la mesure 1 et je me demande comment je veux que ça sonne... puis je joue et j'écoute la différence, et je la qualifie. Par exemple : mon jeu est trop heurté, trop lourd, ou trop inégal. Puis je recommence et je regarde et ressens ce que je fais. Peut-être que mes mains s'éloignent trop du clavier, qu'une note n'est pas articulée, qu'un déplacement est mal préparé. Et ensuite je règle en première intention ce que je peux, et j'écoute, et je compare avec l'objectif. Et on recommence, on itère jusqu'à se rapprocher de la cible. Peut-être mains séparées, ou justement mains ensembles mais dans ce cas ce sera pour renforcer certaines correspondances entre les deux mains, généralement bien choisies (temps forts, accents expressifs, etc...). Et quand ça avance ou que je sature, je passe à la mesure 2. Idem. Puis mesure 3, et là je m'aperçois que c'est à peu de choses près comme la mesure 1 sauf qu'il y a surtout des touches blanches, donc je commence par jouer plus au bord du clavier pour garantir un toucher plus précis. Etc, etc, etc.

C'est un aller-retour constant entre l'oreille, l'objectif musical, et la nature de l'écart entre les deux. Ensuite il y a des outils pianistiques évidents qu'on peut mobiliser... articuler, lier ou ne pas lier, jouer plus près, soigner les accents écrits et implicites, changer/décaler l'appui, préciser la pédale. Puis il faut chercher et souvent au cas par cas. Ecrire sur la partition ce qu'on veut faire ici et là, un doigté, un ensemble de notes à penser groupées, un silence à habiter, une direction du phrasé, etc.

Ca peut sembler presque scientifique mais en fait, tout est au départ guidé par l'image esthétique. Quelque chose d'absolument artistique. Ensuite il faut la réaliser, et l'oreille réalise le pont entre la tête et les mains. C'est là que le plaisir arrive, lorsque ce pont se fait de plus en plus naturellement, et qu'on entend sortir du piano quelque chose qui ressemble de plus en plus à ce qu'on vise...
leLama
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par leLama »

Je vais decrire des sensations vers lesquelles j'essaie d'aller, sans y parvenir, sauf à les approcher dans quelques instants furtifs.

Quand je joue un morceau, il y a d'abord la phase d'apprentissage, ou j'ai l'impression de "courrir apres la musique". Il y a dans la tension dans mon corps. Puis au fur et à mesure du travail, je commence à me rapprocher de la musique. Comme un partenaire de danse. Je ne suis plus en retard a courir apres, je suis "avec", dans le meme mouvement, et mon corps se relache. D'une certaine facon, ca veut dire que mes choix d'interprétation sont limités dans ces instants , sans effet de manche ni surprise, comme une conversation entre deux personnes qui est nourrissante et qu'on n'imagine pas casser par une parole déplacée.

Psychologiquement, ca correspond a une sensation de complicité avec la musique.

Corporellement, c'est un mélange d'eveil mental et de relachement musculaire.

Il y a enfin la question du sens du texte. Mon corps est capable d'exprimer quelques idées musicales, mais limitées. Parfois je peux donner un sens a ce qui est écrit sur la partition compatible avec ce que je peux jouer. Parfois au contraire, les idées musicales que peuvent imaginer mes doigts sur un passage ne sont pas cohérentes avec le reste du texte. Ce sont des moments ou la musique et moi nous séparons. Je crois d'ailleurs que la relation entre le corps et l'idee musicale qu'on entend mentalement est à double sens. Si j'entends dans ma tete ce qu'il faut jouer, je peux travailler pour m'en approcher. Mais je dois reconnaitre aussi que j'ai beaucoup de mal a entendre mentalement des phrasés qui sont loin de mes possiblités pianistiques. Il faut que j'imagine le mouvement de mes doigts pour bien entendre mentalement. Je peux approcher ce sentiment de cohésion avec la musique seulement si la partition n'est pas trop en décalage avec mes possibilités de jeu.

Tout ceci est évidemment idéalisé, la réalité de mon travail quotidien au piano etant bien plus terre a terre ;)
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EMVince
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Re: Les sensations psychomotrices au piano

Message par EMVince »

Merci beaucoup Okay d'avoir pris le temps d'éclaircir à nouveau ton propos.
Je me suis mis au piano cette aprem pour tester gentiment ce que tu décris. Sauf que je ne connaissais pas le passage à peu de chose près, du coup je l'ai fais en mode déchiffrage/mise en place, mais je suppose que c'est ainsi qu'on doit travailler si on a pas déjà le morceau dans les doigts.
Ecoute du geste aussi, il m'a fallu placer beaucoup d'attention à l'espace qu'occupait ma main. Essayer d'integrer la maniere de jouer, et en meme temps j'ai tenté de chercher le bon son. J'ai remarqué que je n'avais pas vraiment de préconception de ce que je voulais faire, ou alors hyper flou, je n'ai pas essayer de reconstruire un son mental artificiellement, mais peut etre aurais je du. Simplement je faisais un peu à l'instinct : j'écoute, et sans vraiement pouvoir dire ce qui ne va pas ni de quel manière je voudrai que ca aille, je corrige. Il me semble que tu avais déjà insisté ailleurs que dans ce post sur l'importance de verbaliser ce qu'on veut faire, ce qu'on fait, la maniere dont on s'y prend. C'est hyper contre intuitif comme exercice, je m'y suis forcé et ai tenté de poser des mots sur ce qui était de l'ordre du préverbal, de l'intuition, et j'ai eu peur de perdre ainsi une partie de ce que j'aurais voulu faire, en reduisant ce que je voulais corriger à des mots. Mais je suppose que tu proposes d'aller plus loin et de pousser l'expression verbale jusque dans les détails pour rendre consicent tous les aspect de notre intuition lorsuqu'on veut corriger. SI c'est le cas j'irai plus avant dans l'exercice.
Aussi lorsque je suis sur une mesure plusieurs manières de rendre musicalement cette mesure se succèdent dans ma tete, mais peut etre est ce du au manque d'expérience du repertoire que tu évoques.
Le bilan est que oui, meme si j'en ai pas l'impression aujourd'hui, je suis à peu près certain d'avoir plus progressé dans l'oeuvre que les autres jours sans méthode. Mais c'est fatiguant et ca demande de la volonté. Et surtout c'est moins gratifiant immédiatement que d'enchainer le morceau et ainsi se rassurer en disant qu'on sait dans le cas d'un morceau déjà déchiffré, ou passer vite sur toutes les mesures d'un morceau pas en place en se disant qu'on a tout embrassé.
Au final la chose qui reste un poil mystérieuse pour moi c'est de comprendre l'importance précise de la verbalisation et de la conscience de la maniere dont on a corrigé, mais loin de moi l'idée de te pousser à une quelconque redite, en plus tu as déjà du l'evoquer ailleurs.
Les exemple que tu as donnés sont fabuleux, ca éclaircit tellement le truc, et on comprends beaucoup mieux la démarche que tu défends, grand merci ! :mrgreen:
J'ignore pourquoi la neige est blanche, mais ca ne m'empêche pas de la trouver très belle.
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