Conscience harmonique

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
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P.piano2
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Conscience harmonique

Message par P.piano2 »

Bonjour !

Voilà, je suis en première année de conservatoire supérieur et je fait face à quelques soucis, j’aurais aimé avoir quelques de vos précieux conseils 😊

On m’a récemment dit comme commentaire que je n’avais pas une conscience de l’harmonie assez développée. En lecture à vue par exemple, je n’ai aucun réflexe d’anticipation des enchaînements, je n’arrive pas à jouer avec les tonalités-improviser- transposer facilement, et, en effet, dans les morceaux, mon écoute est plus mélodique et cela s’entend dans mon jeu. En cas de problème lors d’une prestation, il m’est alors plus difficile de retomber sur mes pattes. Je pense que c’est un point sur lequel je dois travailler et qui me fera réellement progresser, mais je ne sais pas du tout par où commencer et comment.

Si vous aviez des pistes, ce serait super !
Merci d’avance,
Pauline :))
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EusebiusLesage
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Re: Conscience harmonique

Message par EusebiusLesage »

Difficile à dire sans connaître plus précisément ton profil. On peut essayer de donner quelques grands axes, à toi de voir si tu sens qu'il faudrait en creuser un ou plusieurs.

_Un premier point c'est l'association d'une connaissance "théorique" à une sensation physique. Par exemple connaître des formules de cadences d'un côté théorique (ii V I par exemple) mais aussi être capable de les entendre dans ta tête et avoir la sensation physique de l'effet qu'elles produisent. Pour ça une idée ça serait par exemple d'en prendre une petite liste et d'essayer de les jouer dans plusieurs tonalités, typiquement enchaîner des ii V I dans plusieurs tonalités sans s'arrêter en gardant un rythme ça devrait familiariser ton oreille et tes sensations. Après inversement tu devrais pouvoir les repérer dans un morceau que tu entends. Tu peux élargir ça à toute une série de progressions classiques. Et si tu es dans des styles classiques ajouter à ça la partie analyse fonctionnelle (en gros sentir si tu es sur une accord de tonique, de pré-dominante ou de dominante)

_Là encore je ne sais pas le niveau de détail attendu de toi mais dans l'enchaînement même des harmonies il faut avoir conscience du rôle de chaque note dans les accords et de la conduite de toutes les voix dans les enchaînements. Peut-être qu'on a voulu te signifier que tu joues trop systématiquement en timbrant la note supérieure mais que ça manque de l'organisation du corps entier de l'accord. Là pour le coup tu peux passer du temps dans tes morceaux sur quelques enchaînements à expérimenter de mettre plus ou moins en valeurs telle ou telle note dans chaque accord et voir la coloration que ça donne et surtout penser toutes les lignes différentes et pas uniquement la ligne principale.

_Autre axe c'est l'analyse harmonique de ce que tu joues pour savoir quelles sont les notes réelles des accords et les notes qui sont une décoration (appogiature, broderie etc.) c'est évidemment des choses qui vont influencer ton interprétation parce que c'est un élément important de la gestion des aspect de tension/détente dans les phrases musicales.

_Par rapport à l'aspect "retomber sur ses pattes" en prestation, c'est à mon sens une combinaison de plusieurs choses, il faut avoir plusieurs types de mémoires disponibles pour que si une chose flanche on ait quelques branches. Typiquement répéter beaucoup de fois une pièce va la mettre dans ta mémoire "musculaire" mais c'est quelque chose qui diminue vite avec le trac et dépend pas mal de l'aboutissement de ta technique pianistique générale. Dans les autres "branches" que tu peux ajouter il y a l'analyse harmonique (avoir une idée du parcours tonal de la pièce, de ses enchaînements caractéristiques, du rôles harmoniques des notes etc.), tu peux aussi avoir une analyse de la forme (quels sont les motifs principaux, comment sont-ils déformés, dans quel ordre etc.) Tu peux aussi te faire des chemins plus personnels moins liés à la théorie si par exemple tu associes des passages à des images ou des histoires etc.
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Chtilli
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Re: Conscience harmonique

Message par Chtilli »

Si tu ne connais pas la cadence V-I (appelée "parfaite" dans certain cas), commence par là. Elle est omniprésente dans le classique/romantique. Certaines pièces en usent et abusent.
Chopin - Rachmaninoff. Répéter.
Serge
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Re: Conscience harmonique

Message par Serge »

La base, la basse…
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Re: Conscience harmonique

Message par Jacques Béziat »

Apprendre l'harmonie est une solution.
Et mettre en pratique des harmonisations de thème en les exécutant, voilà qui fixe les choses.
Mais cela prend du temps, c'est du travail et un peu d'intuition, cette dernière venant surtout de l'expérience (rien de magique).

L'étude de l'harmonie, voire du contrepoint, aide grandement à la compréhension de la partition, et à l'enchaînement des accords.
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Carla Rocío
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Re: Conscience harmonique

Message par Carla Rocío »

Jacques Béziat a écrit : jeu. 27 janv., 2022 21:45 L'étude de l'harmonie, voire du contrepoint, aide grandement à la compréhension de la partition, et à l'enchaînement des accords.
Oh je confirme!!! Ça aide à structurer les pièces et les mélodies, à mieux comprendre les tensions qui donnent vie au morceau. Y a pas photo. En fait ça affine l’oreille et la sensibilité et c’est notre outil d’interprétation n’1
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yamnaya
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Re: Conscience harmonique

Message par yamnaya »

P.piano2 a écrit : jeu. 27 janv., 2022 16:26 Bonjour !

Voilà, je suis en première année de conservatoire supérieur et je fait face à quelques soucis, j’aurais aimé avoir quelques de vos précieux conseils 😊

On m’a récemment dit comme commentaire que je n’avais pas une conscience de l’harmonie assez développée. En lecture à vue par exemple, je n’ai aucun réflexe d’anticipation des enchaînements, je n’arrive pas à jouer avec les tonalités-improviser- transposer facilement, et, en effet, dans les morceaux, mon écoute est plus mélodique et cela s’entend dans mon jeu. En cas de problème lors d’une prestation, il m’est alors plus difficile de retomber sur mes pattes. Je pense que c’est un point sur lequel je dois travailler et qui me fera réellement progresser, mais je ne sais pas du tout par où commencer et comment.

Si vous aviez des pistes, ce serait super !
Merci d’avance,
Pauline :))

C'est ton prof de lecture à vue qui t'a dit ça ? Ton prof d'improvisation ? Dans quel contexte ça t'a été dit ? Un cours de transposition ? Et de quelle manière exactement ? Un peu difficile de répondre sans plus de précision mais je vais tenter en essayant de compléter ce qui a déjà été dit :)
Tu dis, par exemple, que tu n'as "aucun réflexe d'anticipation des enchainements", mais tu as tout de même réussi ton épreuve de déchiffrage au concours d'entrée de ton conservatoire supérieur, ce qui n'est pas une mince affaire. Que t'a dit le jury lors de l'entretien à l'issu de l'épreuve ? Vu l'importance de cette épreuve (du moins à mon époque), le fait d'avoir su intégrer un cycle supérieur devrait déjà te rassurer un minimum.

Déjà, entendons-nous sur ce qu'est la "conscience de l'harmonie". On pourrait la définir comme "la conscience du rôle de la note que l'on doit jouer". Elle se développe à travers une étude approfondie de la structure de la phrase musicale.

- Pour l’improvisation, je ne vais pas être très original, il faut connaitre sa grammaire sur le bout des doigts pour s’exprimer avec élégance et laisser libre cours à son imagination, y compris l’imparfait du subjonctif ! Il s’agira de travailler, par exemple, l'"arpégisation", les diminutions, les augmentations, les gammes brisées, les résolutions, l'extraction de voix, les changements de mode, les paraphrases...

- Pour la lecture à vue, en revanche, je peux te proposer quelque chose de redoutablement efficace :

La conscience harmonique, c'est à dire la compréhension de la structure de la phrase musicale et de sa tonalité, est ici indispensable car elle permet de repérer visuellement rapidement les différentes sections, les formules, les répétitions, les séquences harmoniques, les réexpositions classiques des différentes formes musicales... La maitrise des différents patterns classiques permet de les anticiper immédiatement à la lecture. On finit par les identifier en un coup d’œil, un peu comme l’œil qui n’a besoin que de quelques lettres pour reconstituer le mot, quelques mots pour reconstituer la phrase. Je te vois arriver et je te reconnais immédiatement à ta démarche, ta façon de t'habiller, de parler, au vocabulaire employé, à ta façon de respirer, à ta personnalité, ton caractère. Immédiatement, je reconnais ton histoire, je sais d'où tu viens, où tu vas, ce que tu aimes en général, ce que tu n'aimes probablement pas... tu commences une phrase, je la finis pour toi ! Voilà ce qu'est la lecture à vue.

En somme, pour développer la lecture à vue, le mieux est de s’entrainer à lire sans instrument et de prendre l'habitude de toujours s’imprégner en profondeur de la partition avant même de s'assoir devant l'instrument, jusqu’au "par cœur". Ca doit devenir un réflexe, une seconde nature.
Si la lecture à vue est une difficulté pour toi, astreins-toi, à partir d’aujourd’hui, à ne plus déchiffrer au piano et à ne t'autoriser à jouer qu’après avoir assimilé la partition jusqu’au "par cœur". J’utilise cette expression à dessein car il ne s'agit pas d'un apprentissage mécanique mais intellectuel et en profondeur. Le "par cœur" n’est pas l’objectif premier, il est le résultat de l’assimilation du texte. Il faut comprendre ce que l’on joue, avant même de le jouer.
Le mouvement est le suivant : d’abord la lecture, puis l’écoute interne, la compréhension de la phrase musicale, enfin la mémorisation. Les difficultés de doigtés et de positions sont anticipées dès la lecture, comme le choix du tempo et des idées interprétatives.
Une fois que tu t'es fait une idée assez précise du résultat final, tu peux te mettre au piano et exécuter ce que tu as, au préalable, pensé.
On voit souvent des pianistes perdre le fil en jouant, ne sachant plus où leurs mains doivent aller quand ils perdent le fil de leur mémoire tactile, c’est le signe qu’ils n’ont pas assez assimilé la nature et la structure du texte, ni vraiment compris ce qu’ils jouaient, la pratique devient mécanique et à la moindre déconcentration, c’est le trou de mémoire paralysant.

Crois-moi, cette méthode est redoutablement efficace, tu ne verras plus jamais une partition de la même manière et lorsque tu devras en découvrir une nouvelle pour la jouer "à vue", tout te semblera plus simple, presque évident. Manger de la théorie et la lecture systématique sans instrument ! :)
jazzy
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Re: Conscience harmonique

Message par jazzy »

EusebiusLesage a écrit : jeu. 27 janv., 2022 17:24
_Un premier point c'est l'association d'une connaissance "théorique" à une sensation physique. Par exemple connaître des formules de cadences d'un côté théorique (ii V I par exemple) mais aussi être capable de les entendre dans ta tête et avoir la sensation physique de l'effet qu'elles produisent. Pour ça une idée ça serait par exemple d'en prendre une petite liste et d'essayer de les jouer dans plusieurs tonalités, typiquement enchaîner des ii V I dans plusieurs tonalités sans s'arrêter en gardant un rythme ça devrait familiariser ton oreille et tes sensations. Après inversement tu devrais pouvoir les repérer dans un morceau que tu entends. Tu peux élargir ça à toute une série de progressions classiques. Et si tu es dans des styles classiques ajouter à ça la partie analyse fonctionnelle (en gros sentir si tu es sur une accord de tonique, de pré-dominante ou de dominante)
Je reprendrais volontiers ce 1er point d'EusebiusLesage en insistant sur la sensation physique d'un enchaînement classique comme un ii V7 I c'est à dire ressentir vraiment dans son corps les sensations provoquées par l'écoute des notes des accords et l'évolution de ces sensations au cours de l'enchaînement de ces 3 accords. Ça peut paraître un peu théorique mais c'est cette forme d'écoute qui peut permettre ensuite de repérer un enchaînement dans un morceau que l'on est en train de travailler sans forcément analyser les notes jouées.
Je ne sais pas si tu connais la composition des accords mais il y a aussi un travail à faire en utilisant les différentes inversions de ces accords. Commencer par exemple en jouant les accords en position "simple" (je ne sais pas le terme exact mais c'est utiliser dans l'ordre do mi sol pour l'accord de Do majeur par exemple) et la tonique de l'accord avec MG. Puis essayer une ou plusieurs inversions de position d'accord (par exemple mi sol do pour l'accord de do majeur) et à chaque fois être à l'écoute des différentes sensations physiques amenées par ces changements.
On peut aussi changer la basse de la MG en jouant une autre note :si par exemple on prend l'enchaînement Rém Sol7 DoM, si l'on met la tierce de l'accord Sol7(dans ce cas un Si) l'effet produit est totalement différent .
Bon tout ça prend beaucoup de temps et il faut le voir comme un jeu et je crois qu'il faut vraiment se prendre au jeu pour progresser...je crois que le maître mot est l'écoute.
Bon il y aurait plein d'autres choses mais je m'arrête là.
Mon dernier morceau sur soundcloud
https://soundcloud.com/user-123419479/confinements
P.piano2
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Re: Conscience harmonique

Message par P.piano2 »

Merci à tous pour ces réponses ! Voilà quelques informations de plus sur mon profil. Je suis entrée cette année dans un conservatoire supérieur belge. L’examen d’entrée est une présentation d’un programme de 4 pièces, mais il n’y avait pas de lecture à vue. L’esprit de cet examen était, il me semble, de déceler le potentiel des élèves, là où certains conservatoires français se montrent déjà très sélectifs. J’ai eu pour la première fois cette année des cours d’harmonie pratique, de lecture à vue, d’analyse, d’écriture, mais pas d’improvisation. C’est tout nouveau pour moi, puisque je n’avais que du solfège et des cours de piano avant. J’ai écrit ce post à la suite de mon premier examen de piano et des commentaires reçus; les professeurs ont notamment souligné ma gauche trop peu présente dans mon jeu, qui semble suivre sans comprendre ce qu’elle joue. Ces faiblesses ne m’ont en effet pas aidée avec le trac, et j’ai eu quelques trous de mémoire. Tout ça a confirmé un constat que je m’étais déjà fait.
anuradha
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Re: Conscience harmonique

Message par anuradha »

L important ne sont pas les réponses. Qu'allez-vous faire maintenant ?

Travailler l ' harmonie avec papier crayon ou au clavier ?
Enchaîner les cadences ou dépouiller les pièces jouées du surplus stylistique ?
Harmoniser une basse ou un chant donné ?
Lire un traité ou le pratiquer ?

Les problèmes de mg ne sont pas forcément un manque de conscience harmonique.
Sensible mais tonique
P.piano2
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Re: Conscience harmonique

Message par P.piano2 »

Vu ce qui a été dit dans les réponses, concernant la sensation physique au piano lorsque j’effectue tels type d’enchaînements, je vais m’investir tout particulièrement dans le cours d’harmonie pratique. J’ai encore du mal à le lien entre les notions théoriques et ce que je joue, donc ça m’aidera. De manière générale, au déchiffrage, je lis les notes, je les joue, je cherche d’une intention, mais qui c’est vrai n’est pas du tout inspirée d’une analyse faite au préalable. J’imagine que c’est un peu la base à faire avant d’entamer le travail d’une œuvre. C’est mon premier semestre oups :mrgreen: Yamnaya, je suis impressionnée par cette méthode de travail, tu arrives par exemple à visualiser les doigtes qui conviendront sans travailler au piano? Quand il faut monter un programme dans un laps de temps assez limité, je ne sais pas si c’est possible de ne commencer que mentalement, mais c’est une idée que je vais retenir. C’est sûr que que ça doit être également très efficace pour le travail de la mémoire et l’interprétation de chaque phrase.
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Christof
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Re: Conscience harmonique

Message par Christof »

Merci Pauline d'avoir apporté ces précisions.
Donc, je rejoindrais alors ce qu'à tout de suite senti Eusebius Lesage :
"Là encore je ne sais pas le niveau de détail attendu de toi mais dans l'enchaînement même des harmonies il faut avoir conscience du rôle de chaque note dans les accords et de la conduite de toutes les voix dans les enchaînements. Peut-être qu'on a voulu te signifier que tu joues trop systématiquement en timbrant la note supérieure mais que ça manque de l'organisation du corps entier de l'accord. "

Si bien sûr les connaissances harmoniques sont très importantes et sont une aide très appréciable (notamment pour la mémorisation), ce que tu peux déjà faire c'est, pour chaque morceau, t'enregistrer et réécouter après coup (avec bienveillance, sans se juger "être mauvais", mais en faisant juste des constats de ce qu'on doit mieux travailler). Entendre si ta MG est "vivante", a sa propre dynamique, sa propre vie, ou n'est là dans ta tête que pour se plaquer à la mélodie (je schématise un peu parce que la MD participe aussi à "l'accompagnement", pas qu'à la mélodie).
Travailles-tu longtemps chaque main séparément ? C'est l'essentiel.
J'aime aussi beaucoup le conseil de Serge : la base, la basse...

Pour chaque morceau, il ne faut pas hésiter à imaginer, par exemple, qu'il n'a été écrit que pour la MG... Par exemple un nocturne de Chopin (opus 55 n°1, en fa - ; mais c'est juste un exemple pour parler de certains aspects)), juste la MG, et arriver à faire pleurer avec cela... Un long travail, l'interprétation. Le son. Le dosage de chaque note... L'expression de la ligne de basse, quelle phrase dessine-t'elle, le poids de chaque accord sur les temps 2 et 4, comment bougent les voix dans ces accords, les trois note des accords (mesure 1) ont elles la même sonorité, doit-il y avoir à l'intérieur une note un peu plus exprimée que les autres, pourquoi ? comment est le son de la note supérieure de l'accord du fa, au mi, du do au sib, du lab au sib (mais aussi au mib), et cette apparition du mib; quelle intensité du son de l'accord par exemple 4ème temps de la mesure 2... Le début du morceau est marqué "piano"... comment joues-tu ce "piano" MG... Comment envisages-tu la carrure par exemple penser "au dessus" des 8 premières mesures, et puis les 8 autres, qui sont les mêmes, mais qu'on ne doit pas jouer exactement de la même façon car les 8 premières mesures ont déjà donné un paysage (sinon ce serait de la "redite", sans relief), comment penses-tu cette fin de 7ème mesure au 3èm temps, cet accord de dominante (qui sera à la md) qui affirme quelque chose, et donc la basse s'en ressent, qui fait une petite tension pour ramener à la tonalité fondamentale (fa mineur).

Ensuite, rajouter la MD (qui elle-aussi est très travaillée, musicalement parlant, comme si le morceau n'avait été écrit que pour une MD, emporter le morceau seulement avec cela) : quand tu joues alors les deux mains ensemble, arrives-tu à jouer ta MG comme tu l'avais travaillée précisément, avec sa dynamique, sa couleur. Comment fais-tu ressortir le chant de mélodie (qui doit être joué piano... par rapport à la MG qui est aussi piano... Comment alors fais-tu ressortir ce qui doit chanter au dessus ?) Que sens-tu physiquement au 3ème temps de la 7ème mesure lorsque tu joues cet accord de Do 7, avec cette quinte augmentée ?... et quel grain à ce sib et mi bécarre, qui doivent durer une noire pointée, pour ne pas bouffer la présence du sol, et comment est cette basse premier temps de la 8ème mesure, et ce lab do, et ensuite cette expansion sol mi bécarre pour retourner à l'accord de fa mineur (avec ce lab do fa) qui fait repartir le cycle... ?
Il y a aussi ces notes de MD qui chevauchent certaines barres de mesures... Comment est la teneur du son, la façon de faire mourir la note, la phrase (par exemple du début au premier temps de la 3ème mesure), comment as-tu timbré ce do (3ème temps de la 2ème mesure) qui va mourir sur la fin du premier temps de la mesure d'après, comment s'organise alors l'accompagnement ici, pour ne rien détruire ?, etc, etc.

Mais ce n'est qu'un aspect. Il y aurait des milliers de choses à écrire. La structure du morceau (et là, les connaissances harmoniques sont d'une grande aide) pour mieux comprendre aussi l'interprétation, le pourquoi de telle partie, de tel passage (de mon coté, j'ai toujours eu un mal fou avec le chiffrage classique... le chiffrage jazz - qui permet aussi de chiffrer n'importe quel accord - m'est bien plus simple).

Bon, chaque morceau a ses spécificités. Chaque morceau est différent.
Certaines pièces ont des parties chant principal à la MG : je pense par exemple à l'Elégie op. 47 no 7 de Grieg...
D'autres ont des parties chant principaux aux deux mains : Etude de Scriabine op. 2 n°1), dont des voix principales au milieu (jouées MG), voire des basses, etc, etc... chaque chant principal ayant sa propre dynamique par rapport à l'autre et se fondant aussi dans une harmonie.
C'est cela qu'il faut entendre.
On a toujours la mauvaise habitude de ne pas trop travailler la MG (à part si elle doit être virtuose dans des traits)... en imaginant que c'est la MD qui "fait le truc". Rien n'est plus faut...
A mon avis, ce "qui fait le truc", c'est avant tout ce pilier de MG, qui sait exactement comment se marier à l'ensemble, dans n'importe quelle configuration....

Et rien n'est plus aussi formateur que jouer Bach... Du 4 voix...

Et jouer du jazz... Par exemple, dans les expositions de ballade, il faut considérer le plus souvent que la mélodie (soprano) est joué avec le 4 et le 5 de la MD, les 1 2 3 participant à une autre voix (alto), le 5 (voire 5 et 4) de la MG étant la contrebasse (basse), le 3 2 1, voix (ténor) alto ou section d'instruments (accord) par exemple trombones, sax baryton, ténor. Chaque doigt a son "grain particulier", et se fonde dans un véritable orchestre, et chaque voix (ou groupe si par exemple basse, accord au milieu - avec des voix qui bougent (les voicings) et mélodie a sa vie propre, fondue dans cet ensemble....

Bon, je vois que j'en ai mis des tartines.
Je ne sais si cela aide beaucoup.
En tous cas, tout est dans la finesse de l'oreille. Il faut toujours s'imaginer, à mon avis bien sûr, quand on joue au piano, que l'on a un chanteur (qui va chanter la mélodie, ou deux chanteurs, ou trois..)... Pour pouvoir chanter, un chanteur respire. Il interprète et il a un phrasé. Toujours vérifier, lorsqu'on joue (en ayant enregistré et en réécoutant, que cela respire, voir si les attaques, climax, fin de phrase seraient celle d'un chanteur (pourquoi par exemple avoir "tapé" plus telle note lorsqu'on a joué... Le chanteur ferait-il cela ? Est-ce que cela a un sens, ou est-ce à cause d'une difficulté technique pendant qu'on joue ?). Toujours vérifier si "l'accompagnement" est à son juste niveau par rapport au chanteur... Un accompagnateur joue souvent plus (exprime plus) dans les "trous", quand le chanteur se repose un peu. Où sont les endroits pendant lesquelles la mélodie se repose un peu ? Comment doit alors vivre "l'accompagnement . Également toujours imaginer les basses jouées par une contrebasse (archet, ou pizz si note piquée),voir comment est la liaison d'archet d'une basse à l'autre... L'entendre.
Enfin, penser à tout cela pendant que l'on joue... Même si on joue sur un piano, entendre des instruments différents dans les doigts.

Dernier conseil : écouter Horowitz.... (le roi pour moi des niveaux sonores, de la compréhension des oeuvres, le musicien incomparable). ll y en a d'autres bien sûr, mais lui, c'est absolument phénoménal.

Et toujours imaginer mentalement, au départ, se voir en train de jouer justement avec le son bien organisé dans chaque voix, l'entendre. Avant de jouer... L'entendre, c'est déjà mieux le faire (mais le travail technique est très important aussi)... Chanter. Le piano n'est qu'un outil. C'est le cerveau qui décide.
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yamnaya
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Re: Conscience harmonique

Message par yamnaya »

P.piano2 a écrit : ven. 28 janv., 2022 17:51 (...)
Yamnaya, je suis impressionnée par cette méthode de travail, tu arrives par exemple à visualiser les doigtes qui conviendront sans travailler au piano? Quand il faut monter un programme dans un laps de temps assez limité, je ne sais pas si c’est possible de ne commencer que mentalement, mais c’est une idée que je vais retenir. C’est sûr que que ça doit être également très efficace pour le travail de la mémoire et l’interprétation de chaque phrase.
Je visualise effectivement les doigtés, mais je ne dis pas que le résultat est toujours parfait. Le passage à l'instrument est justement le lieu des derniers ajustements et vérifications. En général, il y a peu de rectifications. Dans tous les cas, s'entrainer à s'attaquer au problème sans instrument est un formidable gain de temps et un excellent exercice kinesthésique. Sylvaine Billier, la grande prêtresse de la lecture à vue du CNSMDP, a pesté toute sa vie contre ces élèves qui "s’acharnaient sur leur instrument" sur des détails qu’ils auraient pu résoudre beaucoup plus vite s’ils les avaient abordé d’abord de manière analytique. Prendre l'habitude d'anticiper immédiatement les problématiques techniques de positions, de déplacement et de doigtés aide à se libérer beaucoup plus vite et à pouvoir se concentrer sur d'autres aspects de rendu pendant la réalisation.

Personnellement, je n’ai pas eu le choix, j'avais beaucoup de lacunes dans ce domaine et le déchiffrage a longtemps été ma bête noire. Sachant que je devrais un jour préparer le concours d’entrée au CNSMDP et que l’épreuve de lecture à vue était quasi éliminatoire, un de mes professeurs au conservatoire m’a parlé d'Alberto Guerrero. Mon professeur, que je ne remercierai jamais assez, avait suivi les cours de Sylvaine Billier, qui lui avait parlé de l’enseignement de Guerrero et de la méthode de l'"inner ear" de Walter Gieseking, qui s’en rapproche grandement. D’ailleurs, quand je suis entré au CNSMDP, lors de notre premier cours de lecture à vue, notre professeur a posé les bases de son enseignement en nous expliquant qu’il fallait absolument dépasser la réalisation technique et se concentrer d'abord sur la compréhension du texte musical si nous voulions réellement progresser dans ce domaine. Il nous conseilla d'apprendre à nous éloigner de l’instrument. Notre stratégie avait été la bonne :)

Pour info, cette méthode a été théorisée par Alberto Guerrero, qui l’imposait systématiquement à ses élèves du Conservatoire Royal de Toronto (parmi lesquels le jeune Glenn Gould), qui n’avaient pas le droit de se mettre au piano avant d’avoir étudié en profondeur le texte et de le connaitre par cœur. Elle se rapproche beaucoup de celle de de Walter Gieseking pour qui le travail d’un morceau commençait toujours "loin de l’instrument ". Entendre (écoute intérieure) avant de jouer, comprendre avant d’exécuter, cette devise a été reprise par le CNSMDP, qui l’a intégrée à sa longue tradition d’enseignement de lecture à vue.

Moi, en tout cas, ça m’a beaucoup aidé :)
Serge
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Re: Conscience harmonique

Message par Serge »

Bonjour, oui terriblement efficace. Temps d'apprentissage divisé par 3 ou 4 pour les laborieux comme moi, sécurité de jeu, gestion du trac, interprétation, plaisir... C'est une méthode qui va souvent à l'encontre des habitudes acquises, débuts rébarbatifs. #luttonscontrelaparesseintellectuelle :D
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floyer
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Re: Conscience harmonique

Message par floyer »

@Serge, @yamnaya cela me fait penser au fondamentaux de la pratique du piano de C.C. Chang (traduction en français par mes soins). Il préconise le jeu mental : être capable de se rappeler des touches à jouer, même sans l’instrument devant soit. C’est un peu différent de l’apprentissage harmonique (tient un fa mineur…) ou de la série de notes. Je n’ai jamais pratiqué car je sens que cela me demanderait un effort supplémentaire, mais je sens que cela pourrait être (très) utile. Comment dis-tu ? « #luttonscontrelaparesseintellectuelle »

Dans le même état d’esprit j’ai appliqué l’approche de C.C. Chang pour apprendre une partition. Diablement efficace, mais après la séance de travail (où je mémorisais 3 pages en une soirée) j’était rincé. J’avoue que cela me dissuade de recommencer…
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