Oupsi a écrit :une autre petite histoire zen, à titre de remerciement
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Merci
Christof
C'est fou ce forum, cela me fait retrouver des textes que j'ai écrits il y a presque dix ans... Les relire, les trouver toujours d'actualités, celui-ci qui viendrait en contrepoint de ton "j'étudie la musique pour ça, pour me sentir vivante chaque jour".
Peut-être que quelque chose savait, au moment où je l'ai écrit, qu'il serait posté ici ?
Improviser
Il y a cette ligne selon laquelle la vie se plierait en deux comme une lettre après qu'on l'ait lue, se condamnant d'elle-même à la solitude comme si on allait au désert. Isolement non pas comme une fuite, mais comme une fugue, au sens musical du terme, qui pourrait étonner ceux pour qui l'art est un divertissement et non le moyen de sauver son âme.
Il m'arrive quelquefois de regarder mon existence comme le soir on regarde ses vêtements posés là, étranges oripeaux de vie active dont on se demande comment ils ont bien pu tout le jour être si nécessaires. Heureusement, il y a mon piano, dans la nuit des doigts ouverts, paumes tournées vers le plafond comme une offrande (musicale..).
S'approcher du clavier. Il y aurait, sous mes mains - car il faut bien des mains - quelque chose d'abstrait, d'impalpable, ce qui s'élève, ce qui plane, des retombées, ce qu'on appelle et qui ne vient pas, ce qui arrive et s'évapore, ce qui subsiste.
Lorsque je joue, voilà vraiment où je suis heureux... un peu aussi lorsque j'écris.
"Ecrire est ta forme de contemplation" : au moment où on m'a dit ça, j'ai eu un grand moment de joie. C'était il y a longtemps. Je me suis senti reconnu. J'en ai rebattu depuis. C'est ma forme mais c'est une forme inférieure. Ce que la contemplation doit donner, c'est la lumière qui se suffit à elle-même. Et l'écriture, au mieux, n'apporte que des éclaircies.
Finalement, il n'y a qu'au piano où je suis complètement détaché. Isolement non pas comme démembrement ou mutilation, mais où l'on en espère l'affectueuse distance du fantôme attirant à lui les pensées, passage blanc d'un ange auquel on fait une place quand il rompt le cercle de ceux qui parlent.
Embrasure d'un seuil où quelqu'un vous accueille, échancrure d'une affection dans la trame serrée des heures ; cesser de parler pour pouvoir écouter. Passer des moments blancs à ne plus jouer la musique pour mieux la réentendre dans toute son exigence. Appel, attirance, vertige. Jouer, jouer avec cette sorte d'énergie désespérée qu'on met à se perdre. Retrouver au-dedans de soi le centre de silence sans lequel jouer de la musique est trahison.
Laisser aller ses doigts et improviser. Je ne peux concevoir l'acte de jouer sans improviser. Parce qu'on ne peut tricher dans cette construction éphémère. Alors quelquefois - du moins lorsque les instants de magie nous sont donnés - s'érigent de frêles monuments opposables aux tristesses passagères, à ce monde qui ne tourne pas forcément très rond.
Improvisation, cet état intermédiaire entre la conscience et l'inconscience. Enfant, j'ai été frappé de cela, comme une lumière trop vive, un éclair. Je me souviens encore des sons. C'était chez ma grand-mère, un vieux piano, pas vraiment accordé, ses touches en ivoire. Je devais avoir cinq ans. J'y suis resté des heures... Et cet arrachement au moment où il fallu partir.
Christof