Alexandre Paley - David Lively

[JPS1827]

Cet après midi, deux récitals intéressants à Sucy en Brie (le lieu a été déplacé ce n'est plus à l'espace Jean-Marie Poirier, mais à l'Orangerie du Château)

A 15h00 : l'excellent Alexander Paley qui joue les Saisons et la Grande Sonate de Tchaïkovsky

A 18h00 : le non moins excellent David Lively qui joue un programme plus ésotérique comprenant notamment des pièces d'Elliot Carter


J'irai au concert de 18h00, j'ai déjà entendu Paley hier soir à Sucy dans le 1er concerto de Tchaïkovsky, qu'il a réussi à rendre passionnant à lui tout seul, faisant comprendre au public dès les trois premiers accords que cet orchestre que je ne nommerai pas était une 2 ch en train d'essayer de suivre une Ferrari. Ovation finale.

[Line-Marie]

j'ai regarder hier le DVD L'art du Piano et à un moment il est question de Richter jouant ce même concerto en Russie et le journaliste interview le chef d'orchestre russe, 30 ans après , et ce dernier dit tout simplement qu'il n'était pas à la hauteur pour diriger l'orchestre qui accompagna ce géant du piano!...

Bon concert donc avec ces artistes talentueux.

Ici, dans notre petite ville, il y aura ce soir Dimitri Papadopoulos qui vient donner un récital où il jouera des œuvres de Beethoven, Schubert, Chopin et Debussy.

[Bergamotte]

Tu vas aller l'écouter?

[Line-Marie]

je reviens de ce concert: un pianiste humble , talentueux et qui met son talent uniquement au service de la musique.... c'est si rare chez les jeunes pianistes! ahhhhhhhh les scherzo 1 et 2 de Chopin.... sublimes

[JPS1827]

Pour ma part j'ai donc entendu David Lively dans un programme assez rare et exigeant pour le public comme pour le pianiste.
- Sonate de Berg : bien, très compréhensible, j'aurais aimé un peu plus de lyrisme parfois
- Sonate de Barber : belle interprétation de cette sonate qui s'intègre peu à peu dans le répertoire, il a joué la fugue d'une manière très brillante
- Night Fantasies de Carter : œuvre de 1980, très difficile pianistiquement, jouée avec beaucoup de dynamisme ; pour moi c'est une œuvre absolument sans intérêt, difficile à supporter (j'ai l'enregistrement de Pierre Laurent Aimard, pas plus captivant), mais c'était une occasion de l'entendre.
- Trois morceaux de Petrouchka : là on a eu un feu d'artifice exceptionnel, il joue ça en s'amusant, avec une grande richesse de couleurs et un punch incroyable.

Bonne ambiance avec un public concentré et intéressé par ces œuvres rarement entendues (sauf le Stravinsky bien sûr)

A la sortie du concert on m'a présenté… Stephen Paulello qui était là, très agréable, avec qui j'ai parlé quelques minutes de son travail et de son désir de faire évoluer la facture du piano. Je pense qu'on a déjà parlé de ce facteur de piano exceptionnel ailleurs dans le forum.

[jean-séb]

Je n'en reviens pas. En lisant le journal gratuit du métro parisien À nous Paris, j'ai vu qu'ils offraient quelques places pour ce concert. J'ai répondu avec plusieurs jours de retard à l'offre et je viens d'apprendre que j'ai gagné deux places ! Rameau et Chopin au programme, pas de découvertes d’œuvres donc, mais j'espère découvrir un pianiste que je n'ai encore jamais entendu en concert et dont j'ai lu beaucoup de bien, y compris plusieurs fois sur ce forum.
http://www.sallegaveau.com/la-saison/87 ... aley-4-nov

[Oupsi]

quelle chance!

[jean-séb]

Eh bien quelle expérience ! Quel pianiste étrange et intéressant !
Les premières minutes du concert sont saisissantes. C'était Rameau, la suite en sol du IIIe livre. Le tempo choisi est à l'opposé des rythmes vifs du baroque ; ici, tout est étiré, étiré quasiment jusqu'à la rupture ; le temps s'arrête ; le public est rivé et doit d'autant plus prêter l'oreille que Paley joue pianissississimo***, avec beaucoup d'una corda, pas mal de pédale droite car il joue énormément sur les résonances. On découvre un nouvel univers sonore. Ce n'est plus tellement Rameau mais ça ne fait rien, c'est magnifique ... jusqu'à un certain point. Car du coup, la suite en sol, puis la suite en la (celle qui se termine par la fameuse Gavotte en rondeau et variations) durent très, très longtemps. On s'accroche, mais il faut être héroïque pour ne pas se laisser perturber par les tousseurs, les téléphones portables, les coups de genou dans le dossier par les voisins de derrière ... Il y a aussi un écueil, c'est la musique de Rameau lui-même ; elle est magnifique mais un peu répétitive, on a l'impression que les deux suites ne forment qu'une série de variations sur le même schéma harmonique. Certes, on admire --on a le temps de le faire-- la suavité de certains motifs, l'exquis balancement entre les réponses de la main gauche à la main droite, la profonde beauté des harmonies si merveilleusement consonantes de Rameau, mais c'est quand même un peu long. Dans la Gavotte finale, si connue, Paley s'arrange pour qu'on ne la reconnaisse qu'à peine tant elle est distendue ; par ailleurs, Paley semble introduire dans des ornements des glissements harmoniques surprenants. Il semble que le disque de Rameau que Paley doit sortir incessamment est un poil moins lent, comme d'ailleurs l'extrait au son très mauvais que je trouve sur Youtube.
Après l'entracte, en route pour les 24 études de Chopin. On se dit qu'au rythme de la première partie, on ne sera pas au lit avant deux heures du matin, mais non, les tempi choisis sont moins alanguis. Mais naturellement, ce n'est pas à une vision classique que nous invite Paley. Les études les plus héroïques, chevaux de bataille des PMistes doués, paraissent étrangement sages et dénuées de panache ; la main droite est agile certes, mais discrète, trop peut-être. Et puis, on a l'impression que Paley prend un malin plaisir à déplacer les accents, à mettre en relief telle ligne secondaire qu'on n'avait jamais vraiment entendue. C'est intéressant, pas toujours convaincant pour moi dans les études les plus connues où j'ai pu regretter le côté brillant auquel on est accoutumé, mais en revanche, je me suis aperçu qu'il y a tout un paquet d'études que je connais finalement très peu et auxquelles il a donné une interprétation de grande beauté.
Trois bis non annoncés mais que j'ai reconnus (l'entraînement des pièces mystères !). Une paraphrase de concert sur la mazurka de Coppelia de Delibes, une interprétation un peu enrichie du Coucou de Daquin, et une paraphrase sur le thème de violon d'Orphée d'Offenbach. Je ne sais pas de qui étaient ces paraphrases ou adaptations. Peut-être de lui ?
Paley avait rôdé ce concert à Angoulême. En voici une critique qui me semble juste :
http://www.concertclassic.com/article/a ... et-prelude
À l'entracte, j'ai eu la bonne surprise de voir JPS (c'est vrai qu'il l'avait annoncé ici mais j'avais oublié) escortant ou escorté de Marie-Catherine Girod, à qui j'étais ravi de serrer la main en prenant soin de ne pas l'écraser car cette main joue admirablement. Elle en aura bien besoin pour un concert au programme Mendelssohn/Chopin alléchant le 22 novembre à la salle Cortot. Je ne pourrai malheureusement pas y être.
Pour le concert à Gaveau, j'étais bien content d'avoir eu ces places ; à cheval donné, on ne regarde pas les dents, mais le placement n'était pas des meilleurs, puisque j'étais au premier balcon côté jardin, surplombant la scène et le piano. J'ai donc vu Paley de dos et en plongée tout le temps : je ne voyais pas ses pieds et pas trop ses mains (car il bouge beaucoup son corps en même temps que ses mains et les cache donc souvent même dans les grands déplacements), sauf parfois en reflet dans le couvercle du clavier. En revanche, je voyais divinement bien les cordes, et pouvais donc déduire son jeu du mouvement des marteaux, et les pédales du déplacement des étouffoirs et du clavier. La sonorité de Gaveau est toujours aussi bonne, même si je lui préfère encore celle de Cortot, légèrement plus flatteuse pour le piano.

*** tellement pianissimo que parfois la note ne sort pas. MC Girod observa avec humour qu'il vaut mieux que les notes ne sortent pas dans du pianissimo que dans du fortissimo, vu que ça s'entend à peine !

[mieuvotar]

Merci pour ce très beau & bon compte-rendu et cette analyse remarquablement écrite.
Je ne connais pas Paley autrement que par sa réputation, mais ce décalage que tu relèves dans certaines de ses interprétations par rapport aux conventions de tempo auxquelles on est habitués donne vraiment envie de le découvrir en concert, quand bien même il semble flirter avec des frontières musicalement très risquées... Je vais guetter ses éventuelles apparitions du côté de Genève.

[Lee]

Merci beaucoup Jean-Séb, tu dois nous raconter tes concerts plus souvent.

Deux choses me frappent :

on a l'impression que Paley prend un malin plaisir à déplacer les accents, à mettre en relief telle ligne secondaire qu'on n'avait jamais vraiment entendue. C'est intéressant, pas toujours convaincant pour moi dans les études les plus connues où j'ai pu regretter le côté brillant auquel on est accoutumé

Je serai intéressée par la réponse des autres PMistes à ce "jamais entendu", de jouer différemment juste pour être différent ou "shock-value"...

*** tellement pianissimo que parfois la note ne sort pas. MC Girod observa avec humour qu'il vaut mieux que les notes ne sortent pas dans du pianissimo que dans du fortissimo, vu que ça s'entend à peine !

Je lutte avec mon piano tellement, et tout le temps pour ne pas produire les trous, que je crois avoir du mal à accepter cela d'un pro.

[Line-Marie]

Merci Jean Seb pour ce passionnant compte rendu qui me fait regretter de ne pas être avec toi à ce concert.

[JPS1827]

Merci jean-sèb !

Pour Rameau je suis tout à fait d'accord avec ce que dis jean-sèb. Personnellement j'ai trouvé ça assez génial bien que complètement déjanté ; le point le plus important est qu'on reste accroché à peu près tout le temps, j'ai reconnu ce pianiste à sa façon de nous emmener sur son terrain note après note ; la métaphore qui me vient à l'esprit est celle de quelqu'un qui vous emmèrerait sur un chemin et vous ferait remarquer que chaque petit caillou est un joyau auquel on doit prêter la plus grande attention. Pour la Gavotte finale avec ses 6 doubles, il n'hésite pas à changer quelques notes, à nous faire remarquer une analogie entre le thème de Rameau et celui du Dies irae, 2 modulations bizarres dans les reprises qui sont régulièrement ornementées de façon très importante (irruption de triples croches dans le premier double, notes répétées en triolets dans le 4ème, justifiant a posteriori le tempo sage du commencement de cette variation).

Pour Chopin, je suis beaucoup plus réservé, disons que dans l'ensemble j'ai été un peu déçu.
Les 2 premières et la 4ème ne sont pas exceptionnelles… la 3ème est très belle (comme la 6ème), la 5ème sur les touches noires, très rapide, se défend bien comme ça, la 7ème est assez amusante, pas très legato, mais personnellement ça ne me gêne pas ; la 8ème est le meilleur moment de cet opus 10 : sur une main droite aisée et rapide, la gauche est joué avec une présence et un esprit qu'on entend vraiment rarement dans cette étude, qui est comme révélée par son jeu, l'aspect un peu Czerny disparaissant totalement, fin piano et diminuendo (à la Horowitz), pas grand-chose à dire sur la 9 et la 10 (parsemée de rubatos un peu trop bien placés que je trouve plutôt intempestifs), la 11 est bizarre, jouée assez sèchement, mais ça ne me gêne pas, et la 12 manque de souffle de mon point de vue.
Pour l'opus 25, je n'aime pas la 1 jouée presque sans pédale, ni la 2 pas assez articulée à mon goût ; grande réussite avec la 3, très spirituelle, même si la reprise en fa majeur est un peu "forcée" au niveau du son. la 4 et la 5 ne m'ont pas laissé un grand souvenir, celle en tierces est très bien, avec une certaine "alacrité", belle numéro 7, trop de partis pris d'originalité pour moi dans celle en sixtes, la suivante et la dernière du cahier. L'opus 25 numéro 11 : un début surprenant, il joue le thème très fort, puis la reprise lente en accords ppp dans la pédale, comme un écho lointain des mesures précédentes (un bel effet incontestablement), la suite nous convie à un grand spectacle avec des ffff, j'ai trouvé ça assez convaincant.
Bref, incontestablement de très beaux moments, mais pas aussi convaincant que Rameau pour moi.

Son premier bis, j'ai surtout trouvé que c'était un morceau très laid (ajouter des octaves et des accords rend cette musique plutôt triste), bien que magnifiquement joué, donc je n'ai pas grand-chose à en dire, et le Coucou était très spirituel et très "impressionniste", avec pas mal d'ajouts tout à fait judicieux à la partition.
Comme toujours un concert inhabituel…

[Moderato Cantabile]

Merci beaucoup Jean-séb et JPS pour vos CR détaillés et très intéressants !
Même si certains choix d'interprétation semblent un peu déroutants, cela donne vraiment envie de découvrir cet artiste et son univers .



(et finalement Jean-sèb , tu étais bien au fond de ton lit douillet avant 2 heures du mat' ? )
(c'est dur de vieillir .... )

[JPS1827]

Oui, on sort de là en se disant qu'on devrait vraiment se "décrasser" les oreilles et le cerveau pour continuer à jouer de la musique