Rythme effréné des concerts de Y. Wang

[sylvie piano]

Mais on peut choisir de ne pas avoir d'enfants......

[Praeludium]

Le monde de la musique classique est d'une cruauté toute particulière de nos jours avec les instrumentistes : la majorité des jeunes musiciens qui vont s'investir corps et âme dans leur pratique se trouveront à un moment où un autre face à un nouvel obstacle qu'ils ne pourront pas franchir, pour une raison ou une autre (pas nécessairement légitime). Vous pouvez bien avoir un master mention très bien à l'unanimité du CNSM de Paris, rien n'est gagné pour autant si vous visez une carrière de concertiste, et de très loin...
Et que se passe-t-il pour les quelques uns qui, pour une raison ou une autre (là encore il y des biais un peu douteux dans notre univers classique mais il faut reconnaître qu'il sont bien sûr tous très, très bons) y arrivent ?
Une vie d'esclavage, qui ne laisse place à rien d'autre au final que la pratique instrumentale.

Alors peut être que quelques individus (extrêmement rares sans doute) s'épanouissent dans un rythme de vie malsain et effréné où tout est centré sur le piano.
Mais quelle place là-dedans, par exemple, pour l'idéal de l'artiste érudit, connaissant histoire de l'art, philosophie, littérature, sciences même selon ses goûts ? Et ce n'est qu'un type d'artiste parmi tant d'autre qu'on sacrifie dans notre système infernal au profit des super-exécutants, des artisans ultra-performants, machines de guerres, qui eux peuvent enchaîner des concerts dans tous les répertoires les plus difficiles sans flancher.
Et surtout, quelque part, sans trop réfléchir (d'ailleurs on est absolument pas formé aux questions d'esthétiques, de stylistique, d'éthique quand on fait des études d'instrumentistes, sauf peut être cas très particuliers...).
Bien sûr il y a des exceptions, et bien sûr ce n'est pas binaire, mais j'ai peur qu'aujourd'hui on ne laisse tout simplement plus le temps, l'opportunité aux musiciens de devenir des futurs Lupu, Argerich, Sokolov ou autre...

Et Yuja Wang incarne parfaitement ce problème je trouve. Dans une longue interview que j'avais lu dans le New York Post (je crois), on la sentait au final fragile et un peu usée, frustrée par ce rythme de fou qu'on lui imposait. D'ailleurs dans l'article il était dit qu'elle avait changé de manager pour se donner un peu d'air.
Parce que sans même parler d'avoir des enfants elle n'avait pas vraiment l'air d'avoir la possibilité d'avoir une vie. Que faire passer dans son Art après ça ?

C'est pour ça que cette sorte de star-system façon classique me semble malsain, et, face aux nombreuses alternatives que l'on peut avoir, moribond.
Les gens qui font de la musique ancienne ne vivent pas comme ça, et puis aujourd'hui il y a plein de gens qui vivent de la musique de pleins de manières très différents, le temps du pianiste soit concertiste soit accompagnateur soit prof est j'ai l'impression fini.
Dans les grands qui se sont posés des questions là dessus il y Maria Joao Pires entre autres, et son programme "Partitura" à la Chapelle de la Reine Elisabeth a l'air de travailler directement là dessus.

[fourmi]

Je m'étais fait la même réflexion en voyant l'agenda de Sokolov.
Assez hallucinant l'agendade Yuja Wang:
29 janvier:Turin
30 janvier: Paris
31 janvier: Ludwigshafen
1er février Dusseldorf
2 février:Madrid,
4 février: Stockholm
5 février: Munich,
7 février: US
... jusqu'au 13 février : 13 concerts jour sur jour avec le même programme.

Pour la motivation, je pense qu'assez prosaiquement elle a peut-être envie de gagner beaucoup d'argent ce qui doit d'ailleurs aussi satisfaire tout un tas de gens autour d'elle, famille, agents, salles. Quand on voit la difficulté à remplir à moitié la salle Gaveau qui n'est pas très grande, on peut se dire que les agents aiment bien celles et ceux qui remplissent. Pourtant les billets ne sont pas donnés mais c'est un autre débat. Et après tout, après avoir enduré tant de privations pendant sa jeunesse, elle doit se dire qu'il faut que ça laisse. Bref, c'est le star system.
Quant à ce qui peut rester de la musique, de la reflexion autour de ça, de la découverte de nouveaux répertoires, de la rencontre avec d'autres musiciens, du travail pédagogique, sans doute pas grand chose.
Je suis tout à fait d'accord avec tout ce que dit (Nem) sauf sur le fait que le système est malsain, il me semble plutôt complètement stupide.

[alex2612]

Je ne sais pas si quiconque peut se mettre à la place de ces artistes qui ont un parcours particulier, des dons hors du commun, des ressentis qui nous échappent .
Il me semble naturel que ces êtres extraordinaires aient des vies extraordinaires. Ce qu'on voit d'eux, en les croisant au hasard ne dit rien de leur monde intérieur, de leur vie spirituelle, de leur plaisir procuré par la scène.
Je pense que ça nous dépasse totalement.
La vie privée est un concept qu'une relation particulière avec son instrument peut absolument compenser par exemple.....

no comment tout est dit

[Jean-Michel Verdier]

Je suis entièrement d'accord avec ce qu'ont dit Nem et Fourmi. Il y a finalement très peu de pianistes qui osent faire des pauses dans leurs carrières, prendre le temps de mûrir les choses. Ce star system dont parle Nem, c'est un peu ce qu'avait fui Gould à son époque où la compétition entre pianistes n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui !
En rentrant de voyage, j'ai acheté le dernier N° de Pianiste. Où on découvre qu'un nouveau talent chasse l'autre : le jeune Alexander Malofeev (15 ans, pur produit de l'école russe) est annoncé comme un nouveau génie et où le (encore plus jeune) Kevin Chen (11 ans !) est jugé prodigieux : concert avec enchaînement de la 2° partita puis 7 études de Chopin (dont l'étude en tierces) et pour finir 4 pièces de sa composition venant compléter un catalogue d'une.... centaine de pièces dont 3 symphonies et un concerto pour piano :stock:. Où Anna Fedorova dit que "je m'entraînais 2 à 3 heures chaque jour à 7 ans. C'est devenu sérieux vers 10-11 ans, quand je jouais jusqu'à 8-9 heures quotidiennement...". J'ai particulièrement apprécié le terme "c'est devenu sérieux" . On a l'impression que ça ne s'arrêtera jamais. J'imagine que dans leurs prochaines années ils vont voir du pays...

Tout ça est très décourageant pour le simple mortel dont je suis.

[pianojar]

Je suis entièrement d'accord avec ce qu'ont dit Nem et Fourmi. Il y a finalement très peu de pianistes qui osent faire des pauses dans leurs carrières, prendre le temps de mûrir les choses. Ce star system dont parle Nem, c'est un peu ce qu'avait fui Gould à son époque où la compétition entre pianistes n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui !
En rentrant de voyage, j'ai acheté le dernier N° de Pianiste. Où on découvre qu'un nouveau talent chasse l'autre : le jeune Alexander Malofeev (15 ans, pur produit de l'école russe) est annoncé comme un nouveau génie et où le (encore plus jeune) Kevin Chen (11 ans !) est jugé prodigieux : concert avec enchaînement de la 2° partita puis 7 études de Chopin (dont l'étude en tierces) et pour finir 4 pièces de sa composition venant compléter un catalogue d'une.... centaine de pièces dont 3 symphonies et un concerto pour piano :stock:. Où Anna Fedorova dit que "je m'entraînais 2 à 3 heures chaque jour à 7 ans. C'est devenu sérieux vers 10-11 ans, quand je jouais jusqu'à 8-9 heures quotidiennement...". J'ai particulièrement apprécié le terme "c'est devenu sérieux" . On a l'impression que ça ne s'arrêtera jamais. J'imagine que dans leurs prochaines années ils vont voir du pays...

Tout ça est très décourageant pour le simple mortel dont je suis.

J'ai lu l'article hier soir et me suis fait àpp les mêmes remarques !

[Lee]

Tout ça est très décourageant pour le simple mortel dont je suis.

En fait, ils sont tellement différents que moi, je ne suis pas découragée de tout. Yuja Wang dans un entretien parlait de ne jamais travailler ou reviser des oeuvres qu'elle joue, ou quelque chose comme ça. J'avais compris que c'était des programmes différents, pas les mêmes, mais elle n'avait pas besoin de travailler, elle jouait, elle se souvenait. Alors avec ce rythme des concerts, non seulement elle n'a pas le temps de travailler, mais les concerts servaient pour la pratique.

Nous devons voir ça autrement. Maria Joao Pires a raconté dans un entretien qu'elle ne voulait pas être pianiste, elle voulait être medicin. Mais l'appel était plus forte qu'elle et la vie l'a amené à jouer pour gagner sa vie. Pendant les lustres, elle veut jouer une oeuvre de Beethoven, 111 je crois, mais elle ne peut pas, elle n'a pas le temps. Alors elle nous envie, les amateurs qui ont le luxe de jouer ce qu'on veut, tout le temps ! Nous avons de la chance.

[pianojar]

Alors elle nous envie, les amateurs qui ont le luxe de jouer ce qu'on veut, tout le temps ! Nous avons de la chance.

Ce qu'on veut .......... mes doigts veulent pas toujours !

[Jean-Michel Verdier]

Pour continuer dans la même veine, en voiture tout à l'heure sur France Musique, j'écoutais Jaroussky. Il racontait qu'il avait croisé Tharaud au Japon en revenant d'un concert et lui avait demandé ce qu'il comptait faire l'année d'après. Tharaud aurait répondu : rien !... car il prenait une année sabbatique. Du coup c'est ce qu'il a fait aussi : trop de concerts, pas assez de temps de réflexion pour construire un projet, bref le nez dans le guidon. Il dit que ça lui avait fait un bien fou : prendre l'avion sans que personne ne l'attende ni le reconnaisse, réserver lui-même un taxi (sic, ), bref le bonheur. Au début il est resté 3 mois sans chanter du tout. Un mois difficile et après il sentait qu'il aurait pu s'arrêter définitivement. Comme quoi on peut s'arrêter et réfléchir....

[Praeludium]

Et toujours dans la même veine, Piotr Anderszewski fait la même chose pour les mêmes raisons !