Think Bach : Edouard Ferlet jouait le 8 septembre au Sunside

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Christof
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Think Bach : Edouard Ferlet jouait le 8 septembre au Sunside

Message par Christof »

"Enfant, j’avais un piano à disposition chez mes parents, j’ai commencé à jouer et rapidement je me suis amusé avec le piano comme un jouet. J’avais mes jouets, et puis le piano, considéré aussi comme un de mes jouets. Je me suis mis à composer assez rapidement, à m’amuser avec et, petit à petit, je suis tombé amoureux de cet instrument. J’ai commencé alors à vouloir me perfectionner, à prendre des cours, à jouer du jazz et du classique, à écouter beaucoup de disques, à essayer de rejouer ce que j’entendais. La machine s’est mise en route petit à petit comme ça. Mais cela aurait pu être par un autre moyen d’expression, la poésie, l'écriture, le saxophone, mais voilà, cela a été le piano. Le piano, c’est ma respiration, un plaisir, une envie de recherche. Tout ce que j’apprends à côté dans la vie, je le mets toujours en parallèle avec la musique. Je me rends compte que ce que je fais avec la musique peut aussi s’adapter à la vie de tous les jours. La façon dont on perçoit la musique peut être aussi la façon dont on perçoit le monde : le partage, l’écoute, écouter sans jugement, juste pour le plaisir. Il n’y a pas beaucoup de gens qui savent écouter vraiment les autres personnes, comprendre et ne pas juger. La musique c’est exactement cela : tu es en train d’écouter et tu n’es pas en train de dire "j’aime, j’aime pas"… Tu essaies de te laisser transpercer par la musique, transporter.

Pour moi, il n’y a pas de frontière entre le classique et le jazz. Les musiques se nourrissent d’elles-mêmes. Les compositeurs, les musiciens voyagent, ont toujours voyagé, se sont toujours inspirés d’autres cultures. Cela fait partie de l’évolution musicale. Un nouveau style va naître justement par ces échanges, ces mélanges, qui vont créer la nouveauté. Donc le classique, le jazz, pour moi c’est pareil. Il y a autant de qualités dans ces deux musiques-là que de défauts. Il y a des gens qui ont une perception de la musique classique qui parfois, à mon avis, n’est pas la bonne, et en jazz c’est pareil. Ce n’est pas parce que c’est du jazz que c’est tout le temps bien.

Les points commun entre le jazz et le classique : tout d’abord la composition, parce de grands jazzman, Miles Davis, Errol Garner, Coltrane, Monk … tous sont avant tout des compositeurs. Je pense qu’en jazz, on arrive à s’exprimer quand on compose aussi.. et en classique, c’est pareil. Autre point commun : l'improvisation. Citons Bach, Mozart, Debussy, Ravel... ces musiciens étaient aussi spontanés devant leur instrument. ils ne sont pas là, juste avec la feuille de portées… Ce n’étaient pas seulement "des intellectuels", mais des gens qui vivaient la musique physiquement, jouaient leur musique devant le public… Et le jazz c’est cela aussi, jouer devant un auditoire, partager la musique, jouer de façon instantanée. Ce n’est pas si éloigné que cela."


Non, rassurez-vous, ce n'est pas moi qui parle ainsi... Vous avez dû vous dire : ah merde, c'est encore Christof qui vient nous seriner avec "son jazz"...
Non, c'est pas moi : il s'agit ici d'Edouard Ferlet, qui jouait hier-soir au Sunside en piano solo.

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Une heure dix de musique avec l'idée de roder son prochain album autour de Bach, qui sera l'opus 2 de "Think Bach" (c'était le titre de son précédent disque).
Jouer les morceaux en public ce 8 septembre était, comme il nous l'a expliqué (nous étions 3 Pmistes à ce concert + mon épouse), une bonne façon de voir ce qu'il va garder, modifier, ne pas garder dans cet opus 2, en fonction de son ressenti pendant le concert. L'enregistrement du CD devrait avoir lieu dans un mois et demi et le disque sortir en décembre.

Think Bach, c'est quoi ?
Quel enseignement le pianiste de jazz peut-il tirer du texte de Bach s'il s'agit de développer son art et pas simplement sa technique ? La réponse est là, dans son premier disque Think Bach qui surprend et émeut. Edouard Ferlet a creusé le texte du Clavecin bien tempéré, fouillant "les plis de la partition", comme il est dit sur la pochette, envisageant les notes comme des "hiéroglyphes sonores". S'inspirer et jouer en complète liberté. Jouer avec Bach plutôt que de jouer du Bach. Le jazz et Bach en sortent transfigurés dans l'improvisation autant que dans la lecture rigoureuse.

"Jean Sébastien Bach m’a accompagné depuis le début, depuis que je fais du piano et Think Bach c’est pour moi le moment de le rencontrer de rentrer en contact avec lui, rentrer dans sa musique par un travail de recomposition. Je pense ainsi ressentir des émotions qui devaient être proches des siennes à son époque, c’est-à-dire ce sentiment d’improvisation aussi qui existait, son univers autour des ostinatos, de la notion rythmique, des cadences, qui sont si proches du jazz. Pour moi, Bach appartient à une période de la musique où il y a de l’improvisation. Dans la musique baroque, il y a de l’improvisation, il y a un mode de jeu où l’on doit improviser sur les continuo par exemple : quand le clavecin doit faire un continuo, il doit improviser. Cela s’est perdu après, où tout était écrit très précisément : "là, il faut jouer doucement, là il faut accélérer, là il faut ralentir", alors qu’en musique baroque, c’est beaucoup plus libre.. C’est un des points commun avec le jazz. Et c’est pour cela que cela m’a inspiré, cela m’a donné plus de liberté que d’autres partitions où on a l’habitude d’entendre toujours un peu pareil les interprétations"

Alors Edouard Ferlet, à 19h30 hier au Sunside s'est mis à jouer... Et j'ai été scotché... Magnifique.

Au fur et à mesure, j'ai reconnu des emprunts au prélude XXI en Bb (BMW 866 - clavier bien tempéré vol 1), puis du prélude X en E- (BWV855 - clavier bien tempéré vol 1), suivi d’une Chaconne, pièce pour violon solo qu’Edouard Ferlet a adapté à sa sauce, sans jamais avoir regardé les transcriptions qui ont pu en être faites pour piano, pour ne pas être influencé par cette "mise à plat". Et puis aussi la première variation des variations Goldberg, Sinfonia 11 aussi complètement revisitée.

J’ai sélectionné deux morceaux de cette soirée au Sunside [/b](je ne dis pas leur titre, vous reconnaîtrez…).
Ecouter les morceaux

Le dernier est dédié à Anna Magdalena. Il y a eu une thèse comme quoi elle aurait écrit les plus grandes mélodies de Bach, alors qu'on la pensait simplement copiste. On se serait imaginé, en analysant la façon dont c'était écrit, que certaines choses venaient d'elle, plutôt qu’être une copie. Alors Edouard Ferlet a trouvé cela intéressant… Ensuite, il a appris que le gars qui avait trouvé cette théorie était dans une université au fin fond d’un pays d’où il n’était pas facile de sortir, ayant alors propagé cetteidée pour avoir une certaine notoriété et pouvoir voyager en Europe.
De toute manière, même si tout est bidon, cela a beaucoup plu à Edouard Ferlet, ce qui lui a soufflé la recomposition de ce prélude si connu, comme si c’était Magdalena qu’il l’avait réécrit. Le morceau s'appelle "Miss Magdalena".

"Il y a eu tellement de choses faites sur Bach, on a vite fait de tomber dans le fossé"… En tout cas, c'est à mon avis ce que ne fait pas Ferlet.

Durant le concert, on a pu voir qu'il aime aussi jouer de toutes les sonorités du piano en le préparant : pose d’une espèce de pâte à modeler sur des notes graves pour donner un son étouffé et percussif, et en même temps, pose de petits aimants dans les aigus, faisant alors penser à un cymbalum.

Non, je ne le met pas en écoute ce morceau. Je préfère vous laisser imaginer...

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