Berezowsky au TCE

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Okay
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Berezowsky au TCE

Message par Okay »

J’étais au TCE la semaine dernière et ai assisté à ce récital de Berezowsky. Le programme formait une arche, débutant et terminant par des pièces énergiques du début du 20e siècle de Bartok et Stravinsky, et rassemblant en son corps des pièces aux accents régionaux de Grieg et Tchaïkovski.

Probablement l’antinomie de Sokolov il y a quelques semaines. Voilà un pianiste généreux et spontané qui arrive sur la scène. Bref salut souriant, il s’assoit au piano et se lance immédiatement dans la sauvagerie de la sonate de Bartok. Le pianiste affiche une attitude décontractée et ébouriffante de maîtrise face au clavier, maître en chef des éléments, sorte d’architecte qui se joue comme rien des grandes masses, donnant ça et là les méchants coups de griffe que la musique exige.
Applaudissement nourris et changement d’univers avec un chapelet de Pièces Lyriques de Grieg, merveilleusement rendues. Un Papillon d’une délicatesse inouïe (quel contraste sonore après le Bartok !), un Notturno irréel (beaucoup plus vite que d’accoutumée, complètement impressionniste), tant de poésie dans le ton des passages centraux de Jour de Noces et de la Marche des Trolls (impressionnante et visionnaire par ailleurs). Suivent des danses norvégiennes, il me semble des pièces pour 4 mains (ça me semble anormalement virtuose pour du Grieg), jouées ici solo (arrangement du pianiste ?), qui clôturent cette première partie avec folklore et brio.

La deuxième partie débute à nouveau dans le folklore avec la Dumka de Tchaïkovski, où Berezowsky est absolument chez lui. Voilà la musique la plus russe du monde interprétée de la manière la plus russe qui soit. Les quelques grappes de notes lorsque la main droite s’évade sont jouées avec une netteté, un élan, une facilité et une célérité proprement incroyables. Je me suis dit un instant, tiens voilà un truc que Sokolov ne sait pas faire. Berezowsky dégage une telle impression d’aisance, un calme si souverain, une telle présence scénique, sans jamais tomber dans le démonstratif car il colore en permanence, fait de la musique à tout instant. Suivent 3 ou 4 pièces des Saisons (pas exactement celles annoncées au programme), où la légèreté du pianiste fait des miracles dans Août, pris à toute allure.
La sonate de Grieg initialement prévue en première partie est remplacée par la sonate de Stravinsky en seconde, à la suite des pièces de Tchaïkovski. La pianiste est muni de la partition, et c’est il me semble sa fille (je crois aussi concertiste) qui lui tourne les pages. C’était quelque part amusant de le voir suivre sa partition, limite à se demander s’il a appris cette sonate à la dernière minute parce qu’il n’avait plus envie de jouer celle de Grieg (l’exécution était impeccable, seule la présence de la partition et le changement de programme me font émettre cette hypothèse). J’ai découvert cette œuvre que j’ai beaucoup aimée, d’inspiration néoclassique. Premier mouvement qui fuse, un peu en forme de mouvement perpétuel, avec des décalages rythmiques intéressants entre le thème et les triolets qui accompagnent. De belles rencontres harmoniques, qui me font penser à du bon Chostakovitch. Les deux mouvements suivants semblent pasticher Bach, le mouvement lent me rappelant autant celui du Concerto Italien que celui de la 5e sonate de Prokofiev, tandis que le finale plein d’élan comporte beaucoup d’imitations et de canons (j'ai pensé à la fugue en mi mineur à 2 voix du CBT 1).
Le soliste et la partition quittent la scène. Il revient rapidement, rabat le pupitre, et attaque avec une considérable autorité les Trois Mouvements de Petrouchka, feu d’artifice de ce concert. Energie incroyable, tempi fous, moyens et précision absolument fantastiques, quels contrastes, et que de couleurs. Il ne tape jamais malgré toute la percussion de l’œuvre et toute la puissance dont il est capable (on réalise tout ce qu’il avait gardé en réserve dans Bartok au début), fait preuve d’une étendue dynamique considérable, avec de tout le sens de la danse de cette musique. Surtout, j’ai la très déroutante impression (je pense réelle) que pour lui, ce n’est pas plus difficile que les Pièces Lyriques une demi heure plus tôt. Je vous assure qu’on aurait dit une simple promenade de santé. J’imagine qu’il a une grosse expérience de cette œuvre, mais ça n’en est pas moins prodigieux. J’ai du mal à décrire ce qu’il a réalisé. Standing ovation, une partie du TCE est debout.
Boris revient et annonce qu’il va jouer deux sonates… mais que ce sera très court cette fois, car c’est du Scarlatti. Rires dans la salle. Je ne saurais dire lesquelles il a jouées (à part qu’elles étaient en mi majeur et sol mineur) mais c’était fabuleux, tellement ciselé, de vrais bijoux. Il joue un troisième bis que je n’ai pas su identifier, une pièce pas si intéressante, en do majeur a priori, et aux accents russes (j’ai pensé à un Conte de Fées de Medtner mais je n’en sais rien).

[Compte rendu édité un an plus tard : je n'ai rien modifié du compte rendu à proprement parler de ce merveilleux concert, mais ai du retirer les quelques anecdotes personnelles que j'avais rapportées à l'époque, dont le propos n'a aujourd'hui plus du tout sa place en ligne !]
Modifié en dernier par Okay le mer. 04 janv., 2017 17:50, modifié 3 fois.
pianojar
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Re: Berezowsky au TCE

Message par pianojar »

Et bien merci pour ce superbe compte-rendu
Moi qui avais hésité à aller voir ce concert ........... ](*,) ](*,) ](*,) ](*,) ](*,)
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jean-séb
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Re: Berezowsky au TCE

Message par jean-séb »

Merci pour ce compte-rendu très vivant et très pertinent.
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Arabesque44
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Re: Berezowsky au TCE

Message par Arabesque44 »

Décidément Grieg est à l'honneur!
Je vais applaudir BB très prochainement aux "Folles Journées" où il est régulièrement invité. Mais "seulement" dans le Quintette La Truite, et ce n'est pas forcément là qu'on l'attendait.
IL doit jouer aussi le Concerto de Grieg mais ça ne me convenait pas comme horaire.
C'est en effet un artiste chaleureux et spontané qu'on doit avoir plaisir à rencontrer après les concerts. J'étais il y a 2 ans 1/2 avec Guzelya à la Roque D'Antheron où il avait joué le 1er concerto de Tchaïkowski, elle avait été enchantée de rencontrer son compatriote ( qui d'ailleurs parle parfaitement Français!)
Okay, bientôt c'est à toi qu'on demandera des autographes et des dédicaces... :P
oiseau.prophète
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Re: Berezowsky au TCE

Message par oiseau.prophète »

Avec un peu de retard, merci pour le compte-rendu

J'ai l'impression que ce concert t'a davantage impressionné/plu que celui de Sokolov récemment? ou les deux interprètes sont ils incomparables ?
Virgule
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Re: Berezowsky au TCE

Message par Virgule »

Passionnant ce compte-rendu, cher Okay--comme tous tes compte-rendus d'ailleurs. Merci de te donner toute cette peine pour nous faire goûter un peu de cette expérience, par procuration…
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Okay
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Re: Berezowsky au TCE

Message par Okay »

oiseau.prophète a écrit :J'ai l'impression que ce concert t'a davantage impressionné/plu que celui de Sokolov récemment? ou les deux interprètes sont ils incomparables ?
Les deux interprètes sont absolument incomparables dans leur approche. Sokolov est un architecte qui taille le son comme une pierre précieuse, combinant sans cesse une puissante vue d'ensemble avec une énorme densité dans les intentions à chaque instant. On ressent beaucoup le côté "chaque note compte" et c'est absolument vertigineux. Il y a une tension constante.
Chez Berezowsky, il y a une immense générosité et un élan qui prédominent, servis par des moyens pianistiques à peu près incomparables. Le son et les intentions chez Berezowsky sont a priori moins calculés (ça ne l'empêche pas d'avoir un son magnifiquement contrôlé). Son interprétation ne passe pas autant par des micro-intentions permanentes, mais se transmet davantage comme un tout organique, plus naturel. Il sait tout faire, mais n'a pas la volonté de clarté polyphonique absolue de Sokolov. Il est plus dans son élément avec les sauts fulgurants et les crépitements de notes, en un mot, davantage dans l'horizontalité que la verticalité.
Les deux m'ont énormément impressionné, très différemment.
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Re: Berezowsky au TCE

Message par Spianissimo »

Merci Okay pour ce compte rendu précis et passionnant.
C'est sympa de parler mais jouons maintenant...
http://www.youtube.com/user/andante5133
Pierre Salich
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Re: Berezowsky au TCE

Message par Pierre Salich »

J'avais assisté à ce concert l'an dernier moi aussi, et mes souvenirs correspondent entièrement au compte-rendu d'Okay. C'était vraiment un concert époustouflant, peut-être le plus beau récital de piano auquel j'ai jamais assisté, rien de moins.

oiseau.prophète a écrit:
J'ai l'impression que ce concert t'a davantage impressionné/plu que celui de Sokolov récemment? ou les deux interprètes sont ils incomparables ?

Les deux interprètes sont absolument incomparables dans leur approche. Sokolov est un architecte qui taille le son comme une pierre précieuse, combinant sans cesse une puissante vue d'ensemble avec une énorme densité dans les intentions à chaque instant. On ressent beaucoup le côté "chaque note compte" et c'est absolument vertigineux. Il y a une tension constante.
Chez Berezowsky, il y a une immense générosité et un élan qui prédominent, servis par des moyens pianistiques à peu près incomparables. Le son et les intentions chez Berezowsky sont a priori moins calculés (ça ne l'empêche pas d'avoir un son magnifiquement contrôlé). Son interprétation ne passe pas autant par des micro-intentions permanentes, mais se transmet davantage comme un tout organique, plus naturel. Il sait tout faire, mais n'a pas la volonté de clarté polyphonique absolue de Sokolov. Il est plus dans son élément avec les sauts fulgurants et les crépitements de notes, en un mot, davantage dans l'horizontalité que la verticalité.
Les deux m'ont énormément impressionné, très différemment.
Oui, je crois que tu mets vraiment bien le doigt sur la principale différence entre Sokolov et Berezvosky : le premier est plus préparé, on sent que tout est méticuleusement pesé et répété à l'avance, quand le second est plus instinctif (il le dit lui-même). Mais je ne dirais pas pour autant que Berezvosky est plus dans l'horizontalité ou que son interprétation passe moins par de micro-intentions permanentes. Au contraire, j'en entends au moins autant que sous les doigts de Sokolov, mais on sent qu'elles sont moins préparées, et obéissent plus à une logique instinctive du moment guidée par l'oreille. Oreille capable d'entendre et d'anticiper l'ensemble des harmonies du morceau, et qui guide à chaque instant, en conséquence, les intentions à adopter. En revanche, je suis entièrement d'accord pour dire qu'il ne recherche pas la même "clarté polyphonique", la même distinction permanente des voix, mais qu'il intègre ses intentions dans un fondu harmonique plus global.
scaramouche75
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Re: Berezowsky au TCE

Message par scaramouche75 »

Happy birthday Boris, 48 ans aujourd'hui.
pianojar
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Re: Berezowsky au TCE

Message par pianojar »

Il passe bientôt à la fondation Vuitton mais le concert est complet me semble-t-il
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