Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

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Lee
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Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Lee »

Bonjour,

J'omets quelques détails pour garder l'anonymat de la personne concernée...

Lors d'un évènement concert, il y avait un appel à tous pour jouer, et une personne s'est mis au piano. Le moment était un peu agité à cause de timing, et quelques personnes se rendaient même pas compte que la personne faisait une prestation à écouter. Les premières quelques notes auraient pu passer comme un morceau contemporain, mais juste les toutes premières. Après c'était évidemment "un impro" sans forme comme un enfant qui n'a pas étudié piano pourrait faire en découvrant le clavier ou quelqu'un sur un piano à la gare qui tape et découvre le piano.

Sans parler de la confiance et l'audace de jouer, j'étais frappée par les commentaires du public ("Mais le grand n'importe quoi !" une personne m'a dit, elle n'avais pas réelement tort) qui savait très bien que ce n'était pas un morceau ou une "vraie" improvisation d'un pianiste. Je me demandais comment on savait...je connais très peu de solfège, et je ne comprends pas et je ne suis pas très fan du contemporain. Comment ai-je su qu'il ne s'agissait clairement pas du contemporain ? Car les notes partout, inattendues, on trouve aussi dans le contemporain. Les rythmes irréguliers et/ou inattendus, mais avec les schémas à répétition, on trouve aussi dans le contemporain.

Bref, quelle différence ? Et comment pourrions-nous faire la différence ? Et quelque part, qui sommes-nous ou pourquoi pourrions-nous juger ?

Merci.
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pianojar
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par pianojar »

Dans une impro sans forme et/ou sans thème on se laisse souvent guider par le moment, par ses doigts. Il faut leur laisser le pouvoir, quelquefois ils savent faire des choses auxquelles on ne pense pas. Le risque est à chaque fois de produire quelquechose d'inintéressant surtout lorsqu'on a pas un très gros niveau ou une très grande pratique de la chose mais quelquefois le miracle se produit. Quant aux spécialistes du "c'est n'importe quoi" c'est une rengaine souvent entendue (la plupart du temps ces mêmes personnes qui peuvent avoir des niveaux très divers techniquement, parfois éleves, sont incapables de jouer même 2 accords non écrits)..... Le problème réside plus souvent dans les oreilles de l'auditeur que dans les doigts du pianiste (à un tout autre niveau il n'y a qu'à voir les réactions aux improvisations de Keith Jarret par exemple)
Ceci n'est bien sûr que mon humble avis :wink:
Géphil
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Géphil »

Très bonne question ! Si vous ne connaissez pas déjà cette conférence du Collège de France elle peut apporter quelques éléments de réponse...

https://www.youtube.com/watch?v=Yot1zZAUOZ4
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Christof
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Christof »

Très intéressant Lee d'avoir lancé ce sujet.

J'aimerais alors vous soumettre cette improvisation. N'hésitez pas à dire si pour vous c'est "n'importe quoi" si vous le pensez, en essayant d'expliquer pourquoi, ou simplement ce que vous ressentez.
Ou si vous pensez que c'est pas n"'importe quoi", essayer de dire pourquoi.

Il s'agit en fait ici d'une improvisation totale, à 4 mains. J'étais assis à gauche, Bernard-Victor à droite.
Essayer de ne faire plus qu'un... Pas simple...

Ecouter l'impro

Merci à vous.
dilettante
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par dilettante »

Géphil a écrit :Très bonne question ! Si vous ne connaissez pas déjà cette conférence du Collège de France elle peut apporter quelques éléments de réponse...

https://www.youtube.com/watch?v=Yot1zZAUOZ4
Oui c'est excellent...
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Lee
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Lee »

Merci Christof pour l'enregistrement qui est mieux que mille mots pour comparer et comprendre la différence.

Le début n'est pas loin de tout du morceau en question, ça pourrait être le même. Mais peu de temps après, il y a des motifs et thèmes qu'on peut identifier et qui reviennent, des accords qui sont presque des accords qu'on connait, donc même si c'est toujours dans l'inattendu, ce n'est pas de tout complètement le cas, et ça donne une forme.
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Naphta
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Naphta »

Comme disait Bernard Lubat, dans "le n'importe quoi, ce qui importe c'est le quoi."

Quant à la conférence de Ducros, qui a déjà été moult fois commentée, je la trouve atroce. Je dirai peut-être pourquoi tout à l'heure.
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Athos
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Athos »

Oui, bon, il offre une "démonstration", selui lui, et n'exprime pas une opinion....hum.

Possible que l'atonalité soit une sorte de dogme dans les Cnsm, ça, le grand public n'en sait rien.
Après, jeter à la poubelle 80 ans de création comme il le fait, ce n'est pas faire preuve de grande intelligence.
ET , ce qu'il ne dit pas mais qu'on peut déduire de ses mots : finalement, les gens qui ont écouté, puis apprécié cette musique, n'aiment pas vraiment ça en fait, c'est juste par snobisme, ou pour être dans l'air du temps, ou original, je ne sais.
Puisque vous avez bien vu, quand je fais des fautes sur la musique de Schoenberg, personne ne s'en rend compte !
Les amateurs de musique contemporaine sont donc des gens stupides, voilà, moi, je vous le dis, avec mes façons de professeur d'université.

Ce qu'il oublie quand même, c'est que les amateurs et professionnels de musique dite contemporaine ne rejettent pas toute la musique antérieure, bien au contraire.
On peut être retourné par un impromptu de Schubert, celui qu'il joue justement, et apprécier une pièce de Ligeti. Simplement, l"émotion" sera d'un ordre différent.
A l'inverse, beaucoup de détracteurs de la musique incriminée lui dénient le droit même d'exister.

Il veut aussi démontrer que la musique contemporaine est arrivée au bout de son évolution, qu'elle ne peut plus évoluer de façon drastique.
C'est possible, et aussi vrai pour toutes les formes de musique, et autres arts, non ?

Bref, M. Ducros a un très joli costume, il chante très très bien allemand, il fait une très vilaine grimace à la demande, bravo bravo ! =D>
Il a l'air très content de son improvisation (26'), tant mieux pour lui. (mes gouts me portent ailleurs on va dire... :lol: )
Je me demande quand même, à quoi ça sert qu'il se décarcasse...

Facile, ok. 8)
Naphta
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Naphta »

Je ne voulais pas trop m'étendre sur le sujet Ducros, car je crois qu'il a déjà un fil.
Et Athos dit très bien ce que j'en pense.
Presto
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Presto »

c'est polémique et excessif mais ça pose des questions et j'ai compris alors que je ne comprends rien des conf de Dusapin.
Et il joue bien :) (chante mal par contre :mrgreen: )
comme n'importe quoi marrant il y a çà : http://www.dailymotion.com/video/x3132p7 :lol:
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Christof
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Christof »

Bien d'accord avec toi Athos.C'est pénible ces gens qui assènent doctement un avis plutôt qu'une vraie démonstration, "démonstration" qui semble renforcée d'ailleurs par le fait qu'ici, c'est d'un très bon pianiste dont il s'agit (et compositeur de surcroît) qui peut jouer sur commande un peu ce qu'il veut, et cela peut épater aussi dans le propos...
Sauf que lorsqu'il joue en nous donnant des accords faux, en nous disant "que là, ça passe", et "là pas", c'est complètement fallacieux.
La musique atonale ce n'est pas cela... Il suffit d'écouter "La nuit étoilée" de Dutilleux pour s'en convaincre,
et bien d'autres auteurs.

Fallacieux aussi de nous faire écouter 4 morceaux de musique atonale en ordre anté-chronologique de leur date de composition, pour nous dire que ce genre de musique n'a pas évolué....que cela n'a rien de nouveau et que l'on connaît déjà tout ça par coeur...

Enfin bon, disons que cette conférence a servi à l'époque à quelque chose, car elle a fait couler beaucoup, beaucoup d'encre... (lire à partir de l'intertitre "La polémique du collège de France").

Alors bien sûr, pour certains auditeurs, la musique atonale peut être difficile à écouter et alors on pourrait être tenté de dire que "c'est du n'importe quoi", cette musique, c'est juste pour faire "genre". Sauf que la plupart d'entre eux ne sont même pas conscients qu'à certains moments, il peuvent écouter de la musique atonale et ne pas en être gênés, ne pas sentir que "c'est du n'importe quoi", au contraire en être émus et penser qu'il y a une forte vitalité dans cette musique, qu'elle n'est pas du tout à bout de souffle ou au bout du rouleau...
Je parle ici du cinéma. Regardez par exemple "Sous le soleil de Satan" de Maurice Pialat. La musique du film a été composée par Dutilleux. J'essaie d'imaginer ce qu'aurait donné ce même film, coloré d'une musique tonale. Elle aurait alors très probablement estompé cette douleur, le malaise éprouvé par l'abbé Donissan (Gérard Depardieu). Écoutez en regardant le film... Puis écoutez ensuite, sans les images. Vous verrez, c'est vraiment de la musique et c'est grand.
Dans les films de Chabrol, on entend aussi très souvent de la musique atonale. Ce n'est pas par hasard.
La musique atonale, n'a rien à voir, à mon avis, comme le dit, Jérome Ducros, avec du "moderne", du snobisme, musique qui tourne en rond... Le compositeur a ici choisi, étant capable d'écrire zussi bien de la "belle" musique tonale. Il ne se pose absolument pas le genre de question que peut se poser Jérome Ducros. Tout est ici question d'ambiance", de sentiment qu'on veut donner par la musique.

J'ai cité ici l'exemple du cinéma pour mieux faire sentir ce qu'il peut y avoir dans cette musique atonale. Ce n'est pas une histoire, comme le dit Ducros, "du moderne qui devient la norme"... On n'est pas du tout dans ces terrains-là.
Il y a de la très bonne musique tonale, il y en a aussi de la très nulle... Idem pour l'atonal.

J'aime bien la conclusion de Jérome Ducros qui va chercher une citation de Claude Levi Strauss pour appuyer ses propos et porter l'estocade finale :"En matière d'art, il ne faut pas craindre de paraître réactionnaire si on ne veut pas paraître demain démodé... ". Puis de nous citer du Boulez pour bien enfoncer le clou, pour arriver sur ces hauteurs : "reculons, reculons pour mieux sauter, et nous verrons dans quelques années, j'en prends ici le pari que ce qui semble encore aujourd'hui aux yeux de certains être une évolution à l'envers sera enfin pris pour ce que c'était vraiment : une révolution à l'endroit" (applaudissements).
Pour moi, c'est de la rhétorique à deux balles...

Je ne peux m'empêcher alors de citer Pierre Dac : "A l'éternelle triple question toujours demeurée sans réponse: «Qui sommes-nous? D'où venons-nous? Où allons-nous?» je réponds: «En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j'y retourne»" :arrow:
Presto
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Presto »

pas tout mélanger non plus, ce que fait un peu Ducros je suis d'accord, j'ai l'impression qu'il applique à une musique une grille d'analyse qui est celle d'une autre, alors l'exercice est facile ensuite. Ce qu'il fait de Schoenberg est tout de même troublant, ça ne veut pas dire que c'est du n'importe quoi mais qu'avec l'école de Vienne la musique s'est tout de même repliée sur elle même et éloignée du public. On peut le regretter. ç'a été un moment incontournable de l'histoire de la musique que la musique tonale depuis les tempéraments égaux portait en elle, je me demande parfois si le dodécaphonisme ne serait pas le triomphe de notre abstraction occidentale qu'a été la musique tonale :mrgreen: .
Dutilleux, Ligeti, Penderecki entre autres me semblent tout de même de l'atonal bien digéré et accessible quand on tombe dessus au bon moment. Alors que déjà la sonate de Berg pour moi c'est un peu l'art de la fugue sans les thèmes... La musique concrète en revanche m'est vraiment pénible.
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Lee
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Lee »

Naphta a écrit :Je ne voulais pas trop m'étendre sur le sujet Ducros, car je crois qu'il a déjà un fil.
Je ne pensais pas que mon fil allait évoquer cette conférence et cet ancien fil de Piano Majeur du quel que je n'ai lu que quelques lignes en gros :
viewtopic.php?f=9&t=12346&p=198380&hilit=ducros#p198380
Christof a écrit :Fallacieux aussi de nous faire écouter 4 morceaux de musique atonale en ordre anté-chronologique de leur date de composition, pour nous dire que ce genre de musique n'a pas évolué....que cela n'a rien de nouveau et que l'on connaît déjà tout ça par coeur...
Peut-être, mais y-a-t-il eu une évolution qui pouvait être décrite par un prof ou rechercheur qui est sorti pour contredire Ducros ?

Parfois je crois que finalement, la vraie évolution de la musique en temps réel constitue la démarche et les clés qui manquent et qui nous manqueront toujours. L'esprit musical s'est évolue pendant le 20ème siècle comme les musiciens et les artistes l'ont vécu, exactement le moment au temps que vivait Dutilleux que tu donnes comme exemple...mais je crois que ce n'est pas un hasard...

Je m'explique avec mon cas qui est complètement différent qu'eux. Je suis née 2 ans plus tard que Ducros et bien sûr je n'ai pas ses talents et sa culture. Mais nous sommes nés dans un temps que la musique qu'on entend partout autour de nous est très tonale, populaire et fredonné dans les rues (pour reprendre cette citation de Schoenberg). La musique atonale qu'on entend sont limités aux concerts classiques comme la pièce-rapportée moderne ou contemporain (et encore en France, on entend moins, alors qu'aux Etats-Unis, chaque concert classique avait au moins un) ou dans la musique du film pour créer une ambiance particulière (peur, angoisse, déchirement, etc). Donc il y a une séparation de la musique dans au moins deux mondes, un qui est souvent "facile", plaisant, fascinant, beau, riche, historique ou actuel. Un autre qui semble au pire plat dans les ressemblances (évoques dans la conférence) et au mieux lointain, ésotérique, incompréhensible, pour les érudits uniquement. Et encore, nous vivons dans un temps avec une musique populaire toujours créatrice et train de se renouveller.

Comment pourrait-on "évoluer" dans l'état d'esprit musical comme les musiciens qui ont vécu en temps réel, Debussy, Ravel, Schoenberg, Poulenc, Stravinsky, Dutilleux, Messiaen ? Pour ma part, je ne peux pas, soit par mauvaise volonté, soit par attirance naturel. J'écoute des extraits, de temps en temps, des morceaux très contemporaines et j'apprécié parfois (ou non, la grande partie du temps, ça passe passivement comme Ducros évoque) mais je crois que c'est impossible de me mettre dans ce monde et acquérir cet esprit, à moins de voyager dans le temps...
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Naphta
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Naphta »

C'est un marronnier, cette histoire d'atonalisme VS le reste, modernes VS réaction, avant-gardes VS conservatisme, etc.
C'est sans fin, ça revient tout le temps. Il y aura toujours quelqu'un (là c'est Ducros) pour nous faire le coup de l'imposture des "avants-gardes", tous les quinze ans.
Pour revenir au sujet du fil, qui recoupe le sujet de la conférence : il me semble que les confusions viennent souvent du fait qu'on fait se recouvrir deux dimensions, ou l'on fait découler l'une de l'autre. C'est d'un côté le moment "poïétique", c'est à dire la production de l'oeuvre ou de l'action artistique (et je mets de côté pour l'instant la question de ce qu'est "artistique") qui dépend toujours d'un ici et maintenant (des conditions de productions de l'époque, de l'histoire, du réseau de légitimation) et le moment "esthésique", c'est à dire celui de la réception de cette oeuvre ou action (et qui lui aussi est tributaire des conditions de réception d'une époque, du réseau de diffusion, de l'humeur de celui qui perçoit, où il se trouve, de son éducation, etc).
On ne peut pas faire comme si la réception faisait tout. De même pour la création. Les deux sont liées, peuvent s'interpénétrer, mais doivent être conçues distinctement (un peu comme l'âme et le corps chez Descartes, unis mais conçus distinctement comme étant séparés).
Je m'explique au risque d'être un peu provocateur : le moment créateur se fiche totalement du moment de la réception. Je ne dis pas que le créateur n'y pense pas ; il sait qu'il va être joué ou joué, il veut être diffusé, entendu, vu, etc. Il veut même des avis ! Mais tout le paradoxe est là : s'il crée POUR le public (et lequel ? Quelle oreille ? Dieu ?), il est fichu. D'où l'aspect "n'importe quoi" de certaines oeuvres ou impros dont on sent bien que celui qui en est l'auteur se fait plaisir, sans trop se soucier de la cohérence de sa création (rien n'est plus pénible qu'un boeuf ou une jam de blues ou de free dont on sent bien que ça n'est destiné à personne). Je pense qu'il faut une adresse, une destination, comme un point virtuel dans l'acte de créer, mais l'acte de créer ne peut s'y résoudre.
Après il y a rencontre ou pas.
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Spianissimo »

Christof a écrit :Très intéressant Lee d'avoir lancé ce sujet.

J'aimerais alors vous soumettre cette improvisation. N'hésitez pas à dire si pour vous c'est "n'importe quoi" si vous le pensez, en essayant d'expliquer pourquoi, ou simplement ce que vous ressentez.
Ou si vous pensez que c'est pas n"'importe quoi", essayer de dire pourquoi.

Il s'agit en fait ici d'une improvisation totale, à 4 mains. J'étais assis à gauche, Bernard-Victor à droite.
Essayer de ne faire plus qu'un... Pas simple...

Ecouter l'impro

Merci à vous.
Oui, c'est un sujet fort intéressant. Je pense que lorsque on est pianiste, il est impossible de vraiment faire n'importe quoi assis au piano, même sans partition et sans fil conducteur, il y a une intention même si on joue au hasard des notes, on peut créer des ambiances en jouant sur les contrastes, les accords, les legato, les staccatos, les réminiscences d'airs connus.....c'est très intéressant, je l'ai fait une fois justement après avoir vu la scène ou Depardieu se met à jouer au piano dans Green Card....je crois qu'on verra forcément la différence entre un musicien faisant "n'importe quoi" et un non musicien faisant "n'importe quoi". Franchement, dans votre cas, je ne sais pas....mais si on se laisse porter et qu'on est ouvert, bien sûr qu'on y trouve de la musique....c'est une impro totalement libre avec la petite difficulté supplémentaire d'être à deux....pour ma part, je l'ai fait, seul, je me suis enregistré et je l'avais posté, certains avaient aimé et n'avaient pas perçu que je faisais "n'importe quoi" (les gentils...lol)......à la lecture de ce fil, j'ai réécouté et à ma grande surprise, je me dis que si c'était écrit, ça pourrait passer pour une oeuvre contemporaine si on a pas l'image.... car il y a des ambiances bien tranchées, des séquences qui se répètent etc...ce qu'un non pianiste ne peut pas vraiment faire.....mais je ne mettrais pas cette vidéo sur le forum...enfin bref, faire de la musique hors de tout cadre en se laissant aller sur le clavier, c'est faisable, et comme le dit Pianojar, ça dépend en fait aussi beaucoup de la capacité de l'auditoire à le recevoir et à le percevoir.
C'est sympa de parler mais jouons maintenant...
http://www.youtube.com/user/andante5133
Gruppetto
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Gruppetto »

J'ai vu la conférence de Ducros, ça m'avait énervée. Je trouve qu'il est normal que les compositeurs cherchent à faire de la musique autre que tonale, ils essaient de dépasser les limites d'un système déjà exploité. Après, ceux qui sont géniaux resteront, les autres auront contribué à la recherche, mais auront eu "juste" du talent. Je dis ça parce que c'est ce que j'avais entendu sur Chopin et ses nocturnes (c'était le compositeur génial) et John Field qui avait créé le style (il avait "juste" du talent). Chopin est celui qui avait exploité le genre de façon géniale.
Que dira-t-on de la musique contemporaine dans un siècle? Que disait-on des compositions de Mozart, Beethov, Debussy, Schumann, etc à leur époque? Je pense aussi à Berlioz qui a parfois eu bien du mal (on a parfois mal au coeur pour lui quand on lit ses mémoires). Il me semble que Debussy n'était pas très pote avec son prof d'écriture au conservatoire. Et ceux qui ont raté le Prix de Rome alors qu'ils avaient composé des oeuvres magnifiques.
C'est facile aussi de dire qu'on n'entend pas les fausses notes en musique contemporaine, peut-être que si on en écoutait autant que de la musique classique, on finirait par les entendre. J'ai fait un an de russe, et si je lis du russe, je ne vois pas les fautes d'orthographe...
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Arabesque44 »

Un peu facile et démago, ce M. Ducros, mais il appuie souvent là où ça fait mal.

https://www.youtube.com/watch?v=lr2WxlgP7-I
Bébé Lise fait absolument n'importe quoi...( encore que... :?: ) mais pas Papa qui ajoute un accompagnement assez harmonieux.Le résultat se laisse entendre!
Géphil
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Géphil »

Je m'en veux un peu d'avoir relancé une polémique avec la conférence de Ducros mais il me semblait cohérent de la mentionner dans ce fil.

Quelques réflexions personnelles sur le "n'importe quoi".

- je pense que l'art occupe, comme la vie, toutes les niches possibles. Il devait y avoir de la musique atonale simplement parce qu'il y avait de la musique tonale. De même en jazz il y a eu une période dite "free". Je ne sais pas si on écoute toujours ce type de musique mais elle a permis, dans le cadre d'une improvisation très tonale (ou modale), d'inclure une séquence "free" sans que les auditeurs ne sortent de la salle ou cassent les fauteuils. Maintenant il me semble que le "free" est une possibilité d'expression qui se rajoute à la palette du musicien. Un exemple est celui d'Archie Shepp, l'un des inventeurs de ce style, qui a joué, avec le pianiste Horace Parlan, des blues et des Gospels "archie" classique (pour le jazz). Si on écoute le thème Saint James Infirmary :

https://www.qwant.com/?q=archie%20shepp ... c11d13bf99

il y a des inflexions dans le très beau chant du ténor de Shepp qui m'auraient fait bondir (ou que j'aurais prises pour des fausses notes) il y a 40 ans alors que maintenant je les trouve admirables. Par contre je n'irai pas écouter 1 heure de free jazz sans compensation pécuniaire ou menace physique.

- l'art n'évolue pas au même sens que la technologie. Voir les dessins de la grotte Lascaux. Ainsi le présent n'est pas une mise en cause du passé et ne le rend pas caduque. Cela semble évident aujourd'hui mais une bonne part du vingtième siècle a vécu, en art et surtout en musique, sous la dictature de l'évolution et de l'inouï. On revient actuellement à des formes plus classiques sans que cela ne soit vraiment des redites et certains retours donneront vraisemblablement lieu à de nouvelles transgressions etc… Ainsi des formes disparaissent puis réapparaissent sans être toujours les mêmes. Qui s'en plaindrait ?

Le rapport avec le sujet du fil ? Il est à mon avis dans ces 2 caractéristiques de l'art en général et surtout de la musique. A la frange de la création omniprésente et multiforme on ne sait pas toujours si le créateur se f… de notre g…. ou pas. S'il fait n'importe quoi ou s'il annonce une nouvelle expression. Ainsi dans ma rue il y a beaucoup de galeries d'arts modestes et parfois je ne sais pas si la salle est en travaux ou s'il s'agit d'une nouvelle exposition. J'exagère un peu mais à peine : cf la fontaine de Duchamp.

Quant au "vrai" n'importe quoi je pense qu'il est impossible à caractériser. Cela dépend du cadre, du créateur, de l'auditeur… et je suis certain qu'un vrai n'importe quoi pourrait toucher une personne au moins (pour cela il suffit de prendre quelques nombres au hasard, d'y associer des notes et de faire jouer le tout par un ordinateur).
Modifié en dernier par Géphil le lun. 29 mai, 2017 16:59, modifié 4 fois.
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Lee
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Re: Impro, contemporain ou n'importe quoi ?

Message par Lee »

Je suis plutôt d'accord avec ce que tu dis, Gephil.

En quelque sorte nous avons "fini" avec la période de l'art et de la musique qui n'a que le but de trangresser, choquer, casser ce qui est ancien etc. (J'étais absolument dégoûtée et choquée quand j'ai appris l'existence de "l'oeuvre" Class Fool de Paul McCarthy, je cherchais savoir plus sur Internet parce que il avait des oeuvres polemiques à Paris il y a quelques années. En gros il a reproduit en public pendant des heures et sur les murs et le sol ce qu'on attend que les gens fassent aux toilettes.)

Heureusement aujourd'hui il faut aller bien au-délà du rejet et de la révolte des normes pour enfin bien s'exprimer, ça ne suffit pas de faire n'importe quoi juste parce que c'est n'importe quoi.
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