Je trouve cette discussion passionnante sur plein d'aspect!
D'abord, cette question «d'apprentissage dans l'enfance». Je crois en avoir parlé ailleurs, mais j'ai écouté des reportages il y a quelques temps sur «le génie» et j'ai retenu notamment un fait qui m'avait un peu surprise, mais que j'avais surtout trouvé intéressant : le cerveau possède à la base de nombreuses connexions, mais la nature fait le ménage à deux périodes de notre vie : durant la petite enfance et à l'adolescence. Lors de ces «ménages»
(je me rends compte que le terme à une signification différente il me semble en France... «faire le ménage» = ranger, nettoyer, dans un contexte domestique; ou encore épurer, faire le tri, comme dans «j'ai fait le ménage de mes amis Facebook»), le cerveau supprime les connexions dont «il n'a pas besoin», soit celles dont il ne se sert pas ou peu.
Certaines pertes sont irréversibles.
Dans le reportage, ils parlaient du cas d'une jeune fille victime de maltraitance importante, qui avait été privée de stimuli pendant toute sa vie : elle avait vécu enfermée dans une pièce, sans contact humain, pendant toute sa vie, à peine nourrie, etc. Une histoire d'horreur en somme. Lorsque cette fille a été découverte et prise en charge par d'autres, ils ont tenté de lui apprendre à parler (ce qu'elle n'avait pas appris) et, si elle a été capable d'apprendre à dire des mots, elle n'a jamais été capable d'intégrer la grammaire et est demeurée incapable de faire des phrases, limitée donc à des affirmation comme «moi manger».
Évidemment, des cas aussi poussés et incroyables sont heureusement extrêmement rare. Pour un humain normal, l'apprentissage de nouvelles connaissances à un âge plus avancé nécessitera de passer par des circuits déjà établis. J'avais déjà lu, par exemple, qu'il est impossible d'apprendre une nouvelle langue à l'âge adulte et de la parler sans accent, alors que c'est possible dans l'enfance. De telle sorte donc qu'un nouvel apprenant adulte apprendra nécessairement différemment d'un enfant.
Ceci m'a permis de m'expliquer pourquoi un de mes amis, qui m'a appris avoir fait du violon petit, me dit aussi ne plus être capable de lire une partition aujourd'hui : il a arrêté le violon à 11 ans et n'a plus jamais refait de musique. Si le cerveau fait un tri dans l'adolescence, je comprends mieux l'oubli complet. À savoir s'il serait plus facile qu'à un adulte n'ayant jamais fait de musique de ré-apprendre, je n'en sais rien (et il n'est pas intéressé à tester. Pas que j'aie posé la question, mais je sais que ça ne fait pas partie de ses envies ^^).
Et cela m'a permis aussi de me dire que ça pouvait expliquer mes ««facilités»» (
J'avoue ne pas aimer quand les gens me disent que j'ai du talent, sous-entendu que c'est facile ou inné pour moi. Non, si je progresse, c'est que je pratique. Mais je veux bien admettre que j'aie plus de facilité que d'autres, ce qui n'enlève rien au travail nécessaire pour progresser) au piano : toutes les notions que j'ai pu acquérir plus jeune en musique sont utiles maintenant. De telle sorte, évidemment, que je ne pars pas de 0, mais aussi qu'il y a sûrement certains circuits existant qui me sont d'une certaine aide dans la compréhension de la musique.
Mais bien sûr, pour apprendre, il faut toujours travailler, que ce soit jeune ou moins jeune. Les «acquis» de l'enfance l'ont été par du travail également.
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Énorme parenthèse que je referme.
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Sinon, je trouve fascinant d'avoir un tout petit accès à ce à quoi on pense pendant que l'on joue. C'est drôle, moi, je me dis souvent les notes dans ma tête. Je sais que lorsque je jouais de la clarinette, ça arrivait très souvent que je chantonnais mes pièces «do fa do ré si sol, do la fa la sol, ...» (le thème des Stroumpfs
), donc j'imagine qu'il est normal que je continue ainsi avec le piano, même si je ne peux évidemment pas me dire toutes les notes à la fois. Je me rends même compte que je me dis parfois les mauvaises notes! Pourtant, je joue les bonnes! Sur la 2e page de la valse en la mineur de Chopin, quand le thème initial change un peu, je me dis «do ré mi, mi, fa sol la,
si do ré, ré, tadada» alors que je joue plutôt un ré # (ou un mi b ?); c'est la main gauche qui joue un si (et pas du tout «do, ré» derrière). Mon Rachmaninoff où je suis encore à une étape «ok, 'do sol do / mi sol mi'» (voici un seul accord), ce qui est un peu pénible. Et un moment où je me dit je-ne-sais-plus-quelles-notes à la main droite et «paquet de dièses» à la main gauche. Et je me trouve drôle de penser «paquet de dièses» et savoir quoi jouer (de mémoire, ré#, fa#, si#, en empiétant sur une main droite, qui doit jouer quelque chose comme sol#, ré#, fa#).
De telle sorte que les rares fois où mon prof me demandait de compter à voix haute, j'étais un peu perdue, car je ne pouvais penser en chiffre et en notes en même temps (j'ai toujours eu l'habitude par le passer de me fier sur un pied qui bat les temps pour mesurer l'aspect rythmique pendant que ma tête disait les notes; dire les temps ne me permet pas de taper les notes
).
Pour le piano, je ne me sers pas seulement des notes pour me repérer, mais aussi du visuel. Parfois, je ne pense pas du tout aux notes, mais je sais que ma main va se placer à gauche de telle touche noire, dans telle configuration. Par exemple, dans la sonate en do majeur de Mozart, il y a un "pattern" qui revient 3 fois je crois, une première à la fin de la première partie (juste avant la première reprise) qui fait «sol ré sol...». Je ne me souviens pas des notes après sol ré sol, mais je sais, kinésesiquement, quelles notes jouer. Même chose plus loin quand j'ai «ré la ré», ou encore plus loin avec «do sol do». Et la main gauche se place une touche blanche à gauche de la note la plus grave jouée par la main droite dans tout le motif.
Ça peut me poser un problème cependant en cas de trou de mémoire, ou si ma main se décale par inadvertance. Dans les traits de gamme, par exemple, je retiens seulement sur quelles notes commence le premier, et ensuite ça ne fait que décaler d'une touche blanche à chaque fois, du coup, je ne sais pas sur quelle note commence les traits suivants. Si je me trompe, je suis incapable de me rattraper avant d'arriver au dernier trait de gamme (qui commence sur ré et intègre un do#).
Bref, avoir accès à ce côté de chacun de nous, de notre façon de penser pendant que l'on joue, je trouve ça vraiment intéressant.