Pourquoi jouons-nous?

[Marie-france]

Mais qu'est-ce qui nous pousse donc à jouer les œuvres des compositeurs?
Je me posais cette question tout à l'heure, alors que je jouais (m'acharnais plutôt). Mais enfin, si je veux entendre ce que je joue, je me sors un bon cd ou je vais sur youtube, et j'ai la musique.. et bien mieux jouée en plus... Exit le mal de dos et les douleurs aux mains...
Mais non, il faut que je la joue moi-même, que je l'entende vibrer (et gémir à chaque erreur) sous mes doigts et dans mes oreilles... que je la décortique, que je la vide de tous ses secrets pour me les approprier, comme si j'en devenais l'auteur.
Ce besoin d'être acteur de ce qu'on entend, de donner vie nous-mêmes à la musique que l'on aime. Vous rendez-vous compte de toutes les heures (mois... années...) que l'on passe à désirer/travailler toutes ces œuvres...
Est-ce bien raisonnable, utile, nécessaire... vital?
Comment voyez-vous les choses?

[BM607]

Pourquoi un sportif fait-il des entraînements complètement fous où il a parfois envie de se blesser pour ne plus souffrir autant (tout ceux qui ont fait du sport à haute dose connaissent) ?

Ben pour la beauté de l'acte gratuit, pour le plaisir de travailler, de progresser, de se faire plaisir au final quand on a réussi et atteint un objectif, et pour d'autres choses encore selon sa personnalité : pour se faire admirer si on a un gros ego, pour souffrir si on est masochiste, pour la beauté de ce qu'on ressent quand on joue plutôt que quand on écoute.

Etc...

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BM

[Line-Marie]

pour moi, jouer est une nécessité et participe à mon équilibre.
Et puis jouer une œuvre c'est vraiment différent de l'écouter.
Après avoir travailler une œuvre en profondeur , je ne l'écoute plus du tout de la même manière.
Pour chaque œuvre c'est une aventure qui commence, une histoire, une découverte....quelle richesse, quel bonheur !
Au début c'est assez difficile, il faut de longues semaines pour s'approprier complétement l’œuvre désirée... parfois des années...
Tous les jours il faut dormir , manger, faire le ménage et tant d'autres choses banales et sans intérêt...
Alors , s'assoir au piano, même si c'est pour travailler encore et encore la partition qui me préoccupe, cela transcende tout.

[Marie-france]

Oui c'est cela, on s’entraîne comme des fous! On va jusqu'au bout! C'est la passion, le moteur? Une raison de vivre?
Pour le musicien, c'est une relation au son, à sa beauté, à ses ramifications (intérieures?).
Émotion? Ecouter ne suffit pas!

[Presto]

Bonne question, travailler c'est toujours courir derrière un lièvre, une source de déceptions et un inachèvement permanent, l'espoir d'arriver à quelque chose de bien et toujours le constat que je ne suis pas un de ces heureux élus. mais une fois admis cette réalité, c'est le chemin qui compte.
Je suis un manuel ! j'ai donc besoin de m'y mettre. Je n'ai rien fait pendant longtemps et m'y remettre est un bonheur que je n'imaginais pas, va savoir !
Jouer c'est m'approcher au plus près de la musique. Plus prosaïquement, ça me permet d'entrer dans des œuvres à côté desquelles je serais totalement passées (actuellement je déchiffre la Toccata de Schumann et la découvre réellement).
ça me permet de mieux aimer la musique et aussi les pianistes, les vrais.

Bénéfice secondaire : jouer c'est rencontrer et parfois on se fait des amis

[valeriejouechopin]

Je joue pour me délecter de l'esthétique des oeuvres que j'étudie, pour en imprégner tout mon être, pour avoir le plaisir de les interpréter (tant bien que mal) moi-même...parfois je me demande si ce n'est pas une drogue! Les jours où je ne peux pas jouer, je ressens un manque...faire de la musique doit certainement activer les zones de plaisir du cerveau. Des gens non-musiciens de mon entourage m'ont déjà demandé qu'est-ce-qui me motivait à passer des heures devant mon clavier!

[Oupsi]

Une petite histoire zen :

Un disciple demanda à son maître:
«Maître, comment parvenir à l'illumination?
— C'est très simple, répondit le maître. Pour y parvenir, il te faut faire exactement ce que tu fais chaque matin pour que le soleil se lève.
— ?!...»
Perplexe, le disciple se gratta la tête, se demandant ce qu'il pouvait bien faire afin que le soleil se lève. Après mûre réflexion, il arriva à la conclusion qu'au fond, il ne faisait strictement rien.
«Mais alors, à quoi bon étudier la calligraphie, le karaté, le kendo, le tir à l'arc, l'agencement floral, la fabrication de bonsaï, [le piano], etc., demande-t-il au maître. A quoi cela sert-il?
—C'est précisément pour que, lorsque le soleil se lève, tu aies vraiment les yeux bien ouverts.»

(tiré de Jodorowsky, Le doigt et la lune.)


J'étudie la musique pour ça, pour me sentir vivante, chaque jour.

[Marie-france]

Bonne question, travailler c'est toujours courir derrière un lièvre, une source de déceptions et un inachèvement permanent,

Bah, c'est ça le pire! On se fait plaisir, mais... mais il y a toujours une imperfection, ou une autre oeuvre que l'on a en liste d'attente... Arrive-t-on vraiment à combler nos désirs?
En partie certainement, car sinon, on n'y retournerait pas. Heureusement que l'on arrive à tirer tout de même quelque satisfaction... mais c'est sans fin...
Se sentir "vivant". Oui, oupsi, une nécessité, tu as raison... mais à quel prix!
Toute passion a un prix!

[Wandarnok]

Pour les débutants, la question serait plutot "Pourquoi apprenons-nous le piano?" plutot que "Pourquoi jouons-nous"...

Quoique si l'on décide d'apprendre, c'est bien pour pourvoir jouer un jour.

[huizinga]

Je me permettrais d'évoquer la métaphore du pianiste comme boulanger, dont j'avais entendu parler pour des questions de technique. Je trouve que l'image est assez bonne pour résumer mon rapport à l'instrument, irréductible à mon amour de la musique. Travailler mon piano serait lié à ce plaisir manuel qui permet de créer, à force de patience et de travail, quelque chose qui m'appartient un peu (même si c'est de façon très éphémère), et qui procure une sensation de bien-être une fois consommé.
On pourrait d'ailleurs poser la même question aux gens qui aiment cuisiner: Pourquoi le faire alors qu'il y a plein de plats déjà prêts, parfois meilleurs et moins chers? Comme quoi, le processus peut sembler parfois plus onctueux que le résultat. C'est le bonheur de créer et de faire soi-même quelque chose qui peut importer davantage.
Et puis, le travail de l'instrument permet aussi de se révéler un peu plus à soi-même ou à d'autres personnes. C'est une sorte d'accouchement musical. En ce sens, je rejoins un peu les propos d'Oupsi concernant le fait que jouer du piano rend encore plus vivant. Mais bon, il doit y avoir plein d'autres raisons, conscientes ou inconscientes.

[Kreisler]

Il y a aussi, d'un point de vue métaphysique, le défi de voir cet instrument imposant de mécanique, cette masse ressemblant à un meuble, trônant de sa superbe, intimidant même par ses nombreuses touches et pédales et de parvenir, malgré nos limites corporelles, nos faibles doigts, à le faire réellement "parler" , on a ainsi un peu cette impression d'être un élu, un médiateur entre l'immatériel et le réel pour les non-musiciens ou mélomanes. Ce qui n'est pas donné à tout le monde et c'est très gratifiant. Un peu la victoire de l'humain sur la machine... j'aime aussi l'idée de transcendance dans le cas de morceaux très difficiles où le virtuose triomphe des difficultés pour se faire "musique" (exemple d'un Liszt ou d'un Paganini). Je sais, ça va un peu loin, mais ce sont des considérations auxquelles j'ai déjà pensé

Sinon, pour faire simple, on joue car on est passionné par ce que l'on fait, on aime ce kaléidoscope d'émotions qui passe par cet instrument. On est enfin "acteur", (re?)-créateur et ça fait du bien dans ce monde où l'on est amené à être de plus en plus passif.

PS: Ou alors, on joue pour espérer séduire la fille qui nous fait craquer (ah non, ça ne fonctionne plus, maintenant, elles préfèrent les bad boys, et pas les pianistes trop sages, coincés et étriqués avec leur queue de pie). Ne relevez pas ce troll, le sujet risque de dévier!

[Lee]

Aujourd'hui j'ai joué du piano pour une copine, j'avais déjà bu un cocktail et un verre de vin, donc avec plein de fautes, mais je me mettais tout que je pouvais.
Elle : "Quelle émotion !"
Moi : "Ah bon, tu le sentais ?"
Elle : "Mais tu fais l'amour avec ton piano !!!"

ah non, ça ne fonctionne plus, maintenant, elles préfèrent les bad boys, et pas les pianistes trop sages, coincés et étriqués avec leur queue de pie

Non, elles préfèrent LE BEAU PIANO.

Mais non, il faut que je la joue moi-même

Ben oui.

[Rockmaninov]

Et puis jouer une œuvre c'est vraiment différent de l'écouter.

J'approuve !
Quelquefois j'apprécie énormément des morceaux que j'écoute mais je les apprécie moins en jouant, et vice versa...
C'est en général des morceaux lents et très nuancés où je prends le plus de plaisir à jouer, comme par exemple Satie, ou la 3eme consolation de Liszt...

[arg]

Nous jouons pour le plaisir corporel dans toutes ses dimensions: le geste, le toucher, le mouvement, les vibrations dans les mains, sur la peau, l'écoute du son juste, le son créé par le geste, l'oreille, les yeux, la beauté de la partition, celle de nos mains (parfois), le plaisir du juste geste et aussi celui du changement: ce n'est jamais pareil donc c'est aussi la création infinie (pas toujours celle qu'on voudrait d'ailleurs...), nous jouons pour créer notre propre attente et sa résolution, nous jouons pour chercher l'équilibre et le mouvement qui le fait naitre. Nous jouons aussi pour partager, avec un public, mais parfois aussi avec d'autres musiciens et nous y retrouvons le plaisir corporel de l'accordage.... bref, nous jouons et nous ne faisons pas du tout la même chose que lorsque nous écoutons !

[fugue]

Tout ce que je sais, c'est que quand je suis au piano, que je sois en situation de travail sur le morceau en cours, que je joue une pièce déjà travaillée juste pour le plaisir de la jouer (être "à l'intérieur" de la musique, en faire partie intégrante et pas seulement en être l'auditrice) ou que je m'amuse à de petites impros, j'oublie tout: le temps, les contrariétés, les soucis, les ennuis...et ce que j'ai mis à cuire (record: 5 fois des pâtes archi-cramées, 2 casseroles à la poubelle), mon tour d'aspirateur, me préparer pour une invitation, etc...etc...

Me suis jamais posée la question de savoir ou d'analyser pourquoi je jouais.
C'est une sensation presque "animale" (on peut dire "sensuelle" ), quelque chose qu'il me semble avoir toujours voulu, rêvé, une fascination depuis toute petite pour cet instrument que je m'émerveille et m'étonne encore de voir trôner dans mon appartement. C'est à moi? Je prends des cours? ... Parfois, j'ai encore du mal à y croire.

Et c'est aussi parce que cela tient une place importante qu'il y a également les frustrations, les agacements , voire le découragement. Mais je m'entraîne depuis 2 ans à les accepter, à les "dédramatiser" - Ce n'était pas le cas il y a encore 3 ans, voire moins. Je deviens plus mature dans ma relation au piano. Je ne recherche plus la "performance" (un peu quand même encore le défi mais mon prof est le premier à foncer et à se dire qu'il est complètement fou! ). Je ne suis plus effondrée si je rate (je pouvais en pleurer, voire en être malade - C'est bête mais c'était comme ça) - Là, monsieur "Ego" n'était pas innocent mais depuis, il s'est calmé. Il faut dire que les 6 premières années, les progrès sont venus très rapidement. Avec la difficulté croissante des pièces étudiées, j'ai eu l'impression de tourner au ralenti et j'ai du coup un peu moins étudié (mais c'est fini).

Après, ça donne ce que ça donne...et je décomplexe: je travaille, je me suis réinvestie depuis plus d'1 an, je fais du mieux que je peux et avec sincérité.

Je suis contente d'avoir sauté le pas grâce à mon frère et à mon chéri: l'un m'a payé mon 1er cours (n'osais pas - "Trop tard pour moi" me disais-je), l'autre m'a encouragée à prendre le Schimmel tout neuf dont le son nous a tous deux ensorcelés("Je ne le mérite pas" pensais-je).

Bref. Je joue. Bien ou mal, mais je joue, c'est vital. c'est tout!

[LetMePlay]

Il y a mille et une raisons de jouer du piano.

La mienne : Tout simplement pour le plaisir de faire chanter mes dix doigts.

Encore fallait-il y penser !

[Marie-france]

Merci d'avoir mis des mots sur toutes ces motivations diverses des uns et des autres qui finalement sont un grand besoin d'expressivité.
Par contre en tant que pianistes nous nous exprimons souvent tout seuls. Un dialogue entre nous et nous.
Je dévie un petit peu de mon sujet initial, mais c'est probablement lié: j'ai toujours une folle envie quasi irrésistible de jouer un piano en quelque endroit qu'il soit. Je dois lui ouvrir le bec, lui regarder les dents , et tant pis pour les caries, il faut que je l'écoute, que je le fasse chanter... Et vous, résistez-vous?
Euh, je résiste tout de même dans les salles de concert... les pianos sont en trop bon état

[zmarianne]

Franchement, je me demande pourquoi je joue du piano.
Surtout avec des mains qui sont bien pour jouer eeeuuuh, du triangle
Pour moi le piano c'est vraiment mon luxe, le truc, qui ne sert à rien, rien à part le plaisir. J'aime bien cette idée, parce que du coup c'est la seule chose de ma vie où il n'y a absolument aucun enjeu. Je peux rester dix ans à jouer le même morceau, si je veux. Je peux jouer mal. Je peux ne pas faire mes devoirs. Je peux sentir ce que ça donne de faire un truc totalement gratuit. Le revers de la médaille, c'est que c'est la première chose qui passera à l'as si je manque de ressources (financières ou de temps ou d'énergie).
Pour répondre à ta dernière question Marie-France, je m'abstiens de jouer du piano quand j'en croise un, pas que j'en ai pas envie, mais... ça fait du bruit, on pourrait m'entendre. (peut-être que je dépasserai ce stade un jour)

[Lee]

Je suis persuadée que les êtres humains ont besoin de catharsis, "l'épuration des passions par le moyen de la représentation dramaturgique". Je mets Wiki car en France souvent les gens me regardent avec les gros yeux quand j'utilise le terme. http://fr.wikipedia.org/wiki/Catharsis

Nous avons tous la chance de pouvoir jouer du piano ou apprendre cet art, surtout si nous n'avons pas les autres moyens de s'exprimer ou créer (dessin, danse, etc).

Chaque fois on joue, on crée un chose vivante, qui a sa propre vie intrinsiquement liée aux notres. Donc c'est difficile de resister, la vie veut la vie !

[_Julien_]

Je dévie un petit peu de mon sujet initial, mais c'est probablement lié: j'ai toujours une folle envie quasi irrésistible de jouer un piano en quelque endroit qu'il soit. Je dois lui ouvrir le bec, lui regarder les dents , et tant pis pour les caries, il faut que je l'écoute, que je le fasse chanter... Et vous, résistez-vous?
Euh, je résiste tout de même dans les salles de concert... les pianos sont en trop bon état

Je suis exactement comme toi. Chez des amis, dans une gare, dans un couloir (!), dans la rue... A chaque fois que je vois un piano, c'est un appel irésistible ! j'essaye, je touche, j'écoute, je joue ce que j'ai dans les doigts ... C'est devenu un réflex pavlovien !

Dans l'école de musique de mes enfants se trouve, dans l'auditorium, un joli Yamaha demi-queue de concert. Je passe de temps en temps devant, le samedi matin, quand la salle est vide. A chaque fois, c'est le chant des sirènes ! J'ai résisté pour le moment, mais sûr que ça dure !